Introduction

Aider la forêt à s’adapter au changement climatique pour mieux l’atténuer, tel est l’intitulé des mesures forestières prévues dans le plan France Relance rendu public par le gouvernement le 3 septembre 2020 (République française, 2020). C’est également un enjeu identifié dans le rapport sur la forêt de la députée Anne-Laure Cattelot (2020) et la question centrale de la feuille de route pour l’adaptation des forêts au changement climatique remise au gouvernement le 22 décembre 2020 par les acteurs de la filière forêts-bois (Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, 2020). Ces mesures et ces recommandations pour l’action publique visent notamment à réagir aux crises qui secouent année après année les forêts françaises, particulièrement les crises phytosanitaires qui traduisent les effets du changement climatique et affectent des peuplements forestiers sans doute de plus en plus vulnérables. C’est enfin un enjeu au regard de nos engagements européens, qu’il s’agisse du Pacte vert pour l’Europe (Commission européenne, 2019), de la stratégie pour les forêts en Europe (Commission européenne, 2021b), de la stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 (Commission européenne, 2020a), de la stratégie relative à l’adaptation au changement climatique (Commission européenne, 2021a) ou du nouveau plan d’action pour l’économie circulaire (Commission européenne, 2020b).

Les mesures forestières du plan « France Relance » mettent l’accent sur la reconstitution des peuplements forestiers sinistrés, affaiblis par les sécheresses ou attaqués par les scolytes, sur l’adaptation de peuplements vulnérables, et sur la conversion de peuplements pauvres. Une attention particulière est portée à la diversification des futures plantations, ainsi qu’aux conditions qui permettront cette diversification, notamment à travers l’appui qui sera également apporté par le plan de relance aux entreprises de la filière graines et plants et aux vergers à graines de l’État. Enfin, le financement d’une couverture Lidar haute densité de la France métropolitaine1(1) est un premier élément de réponse au besoin de connaissance des peuplements forestiers pour faciliter leur adaptation.

Comme l’indiquent les rapports du GIEC (2020), les crises que traversent actuellement les forêts françaises ne sont que le prélude de changements beaucoup plus profonds que risque d’entraîner le changement climatique. S’agissant de la France, il faut mettre en perspective les 45 000 hectares de forêts à renouveler qui constituent l’objectif du plan de relance, aux 17 millions d’hectares que couvrent les forêts métropolitaines (moins de 0,3 %). Les montants engagés (150 M€ sur uniquement deux ans pour le renouvellement des peuplements) sont également à relativiser par rapport à ceux qui ont pu être engagés dans le passé pour faire face à des crises forestières majeures, notamment le plan chablis 2000-2009 mis en place à la suite des tempêtes Lothar et Martin (qui a permis d’engager 168,76 M€ sur les deux premières années du plan ; Barthod & Barrillon, 2002) et le plan chablis 2009-2016 mis en place à la suite de la tempête Klaus (avec une enveloppe financière de 465 M€). Ces ordres de grandeur peuvent aussi être comparés à l’effort historique de reboisement du Fonds forestier national (FFN)2(2), fondé sur un plan ambitieux dont la première tranche, établie sur un horizon de 20 à 30 ans à compter de 1946, visait le boisement ou le reboisement de 2 millions d’hectares (de Vaissière, 1952), soit une cadence annuelle de 70 000 à 100 000 ha (Gadant, 1987). Si ces chiffres ont été jugés optimistes, une évaluation plus récente situe la seule contribution du FFN au boisement net de nouvelles forêts à 1,2 million d’hectares entre 1945 et 2000, soit près de 22 000 ha de nouvelles forêts boisées par an (Dodane, 2010). Au plan budgétaire, les moyens à la disposition du Fonds forestier national ont été estimés (Dodane, 2009) à 123 millions d’euros (de 2021) par an sur 53 ans, dont 55 millions d’euros annuels pour les boisements, reboisements et améliorations3(3). Ainsi, si l’ordre de grandeur annuel des montants prévus par le plan « France Relance » est comparable, c’est bien sa portée temporelle qui doit interroger.

L’aide publique pour le secteur forestier dans le cas du plan « France Relance » est envisagée comme un levier permettant de mobiliser à plus long terme des investissements privés qui démultiplieraient l’impact des mesures financées. Il n’en reste pas moins que l’enjeu d’adaptation des forêts au changement climatique va au-delà du plan France Relance. Le plan de relance doit ainsi être vu comme un point de départ d’actions pour l’adaptation des forêts au changement climatique à mener dans la durée.

L’ambition des mesures forestières du plan de relance traitant de la biodiversité mérite également un examen plus attentif, en particulier à la lumière des objectifs affichés par la France, au niveau international et européen (Commission européenne, 2020a) https://ec.europa.eu/environment/strategy/biodiversity-strategy-2030_fr. Même si le texte du plan de relance met l'accent sur la diversification des essences, un seuil de 10 ha est défini dans le cahier des charges de l'appel à manifestations d'intérêt en deçà duquel aucune diversification des essences n'est exigée pour bénéficier des aides publiques. Au vu du morcellement de la propriété forestière, notamment privée (la taille moyenne des propriétés est de 2,7 ha, avec environ 2 millions de propriétés de taille inférieure à 1 ha ; Petucco et al., 2015), cette limite rend de facto la conditionnalité de diversification peu contraignante. Mais elle s'impose en revanche aux forêts de plus de 25 ha, donc à l'ensemble des forêts privées soumises à un plan simple de gestion, laissant augurer du rôle plus prégnant que ce document de gestion peut jouer dans le contexte à venir. Le maintien d'objectifs de diversification doit en tous cas rester central, sachant que la forêt française est une des plus diversifiée d'Europe (Barbati et al., 2014), donc offrant un potentiel de diversification des risques.

Si les effets du changement climatique sur le dépérissement sont une préoccupation de premier plan, ils ne doivent pas masquer le problème environnemental majeur qu’est l’érosion de la biodiversité. Aider les forêts à faire face au changement climatique doit aller de pair avec la prise en compte des processus de dégradation des écosystèmes et de leurs fonctionnalités. Or, ce sont près de 30 000 ha de terres à usage naturel, agricole ou forestier qui ont été artificialisés en moyenne chaque année en France sur la période 2009-2019 (Observatoire de l'artificialisation, 2020). Si cette artificialisation touche les forêts de façon négligeable (elles représentent 1,4 % des terres artificialisées en France selon l’Agence européenne pour l'environnement, 2019), elle doit cependant être mise en perspective des enjeux et des responsabilités de maintien des espaces naturels à l’échelle du territoire national sans séparer les forêts des autres milieux. Selon une méthode d’évaluation conservative fondée sur le principe de précaution44 qui est aussi la seule évaluation systématique de la biodiversité qui soit disponible, l’état des habitats naturels d’intérêt communautaire est dégradé. Selon cette évaluation, seulement 18 % des habitats forestiers, 6 % des habitats humides et 6 % des habitats marins et côtiers sont dans un état favorable (Inventaire national du patrimoine naturel, 2019).

L’objectif de cet article est donc de replacer les mesures forestières du plan de relance en regard des enjeux de préservation de la biodiversité et des services écosystémiques et dans une perspective de temps plus long. Partant des deux années que dureront les mesures du plan de relance, il est proposé d’accompagner ces mesures sur un horizon temporel de quelques dizaines d’années.

Considérant que, dans les scénarios actuels, le changement climatique touchera la forêt française dans son ensemble, et qu’une adaptation active à cette échelle, par des interventions volontaires dès le niveau de la parcelle, est hors de portée des moyens de la filière et de l’État, nous partons du principe que l’aide à l’adaptation dépendra de notre capacité à tirer parti de processus naturels et socioéconomiques opérant à toutes les échelles. Nous tâchons donc ici d’identifier les leviers que l’on pourrait actionner pour amplifier l’impact des mesures d’adaptation.

S’assurer des conditions de succès d’établissement des forêts plantées

Le plan de relance prévoit en priorité de soutenir les plantations. Or, les caractéristiques stationnelles et une préparation adéquate du sol conditionnent le succès de plantations forestières (Colin et al., 2016). Même si de nouveaux catalogues s'enrichissent d'informations permettant de mieux cerner les potentialités, la typologie des stations forestières et leur cartographie restent à ce jour encore inachevées en France. Si les diagnostics stationnels pourront au cas par cas relever de l'aide financière du plan de relance, il serait souhaitable de systématiser la caractérisation des stations forestières à l'échelle du territoire national, afin de rendre compatibles entre elles des typologies de stations disponibles en différents endroits et de rendre plus robustes les outils de production de cartes numériques de stations et de leurs potentialités (poursuivant notamment les efforts cartographiques et prédictifs nationaux initiés au début des années 2000 ; Seynave et al., 2005, 2008). Cette action pourrait être engagée à l'échelle de temps du plan de relance.

Abstraction faite de la possibilité de se fournir en plants, l'adaptation des essences et les choix des provenances sont des critères de succès des forêts plantées. De ce point de vue il est crucial de proposer une diversité de solutions, dont certaines iront vers des essences plus variées, en espèces et en provenances. L'exercice de prédiction de l'adaptation des essences au climat futur est délicat du fait du pas de temps long qu'implique la croissance des arbres et de l'évolution rapide du climat, mais aussi de la prise en compte encore balbutiante de la composante génétique dans la réponse des arbres au climat. Le recours à la modélisation est nécessaire pour représenter les relations actuelles entre les espèces, les variétés ou les provenances et leur environnement et projeter les répartitions futures des populations en supposant que ces relations ne varient pas (Cheaib et al., 2012). Une analyse comparative des modèles dépendant du climat pour l'adaptation des essences au changement climatique permettrait d'intégrer dans les outils d'aide à la décision les développements les plus récents de la connaissance scientifique. Une telle action peut être menée à l'échelle de temps du plan de relance. L'intégration systématique de l'effet génétique dans ces réponses reste en revanche un défi scientifique d'ampleur qui devra être abordé en développant les outils d'aide à la décision existants.

La combinaison de la typologie et de la cartographie des stations forestières, des niveaux d'adaptation des essences et de leurs composantes populationnelles ou variétales au climat, de données de suivi systématique des forêts, d'observatoires expérimentaux à raisonner, et d'autres critères biophysiques et socioéconomiques permettrait d'évaluer et de cartographier la vulnérabilité des peuplements forestiers aux climats actuels et futurs, et donc de prioriser les mesures d'adaptation à prendre (Meybeck et al., 2019).

La forêt tropicale, qui représente un tiers de la surface forestière française en comptant les DROM-COM, nécessite une attention particulière quant à la question des plantations forestières d'espèces tropicales. Certains travaux défendent aujourd'hui en Guyane (Hérault et al., 2020) que des plantations d'espèces locales sur des rotations relativement longues comparées aux plantations tropicales intensives (30 à 40 ans) pourraient être une solution pertinente pour limiter l'exploitation de la forêt naturelle. À moyen terme, cela permettrait d'améliorer le bilan carbone de la filière de production de bois tout en valorisant les rémanents sous forme de bois énergie, dans un contexte de forte augmentation de la demande locale, en bois d'œuvre, comme en énergie. Mais sous condition que ces plantations ne se fassent ni au détriment des forêts naturelles ni ne justifient la déforestation, ni même la dégradation forestière. À ce stade, une poignée d'espèces locales seulement sont suffisamment bien documentées pour faire l'objet de plantations (Nicolini & Morel, 2016) et leur rentabilité reste à démontrer. Les essais entrepris à différentes époques, dont certains encore très récemment, par les organismes de recherche et les gestionnaires nécessitent d'être poursuivis et amplifiés pour diversifier le panel d'espèces locales capables de rivaliser avec les espèces tropicales exotiques, tester de nouveaux mélanges dans un contexte climatique en évolution, déterminer les meilleurs itinéraires sylvicoles pour optimiser une production durable sans épuiser les sols et développer la production de semences. Les questions foncières et de conflits d'usages avec d'autres filières (agriculture y compris agriculture itinérante, agroforesterie, exploitations minières, infrastructures, etc.) et les enjeux fondamentaux de protection des forêts tropicales en particulier pour la protection de la biodiversité végétale comme animale, doivent simultanément être analysées dans le développement de telles recherches.

Tirer parti des dynamiques naturelles et de la biodiversité pour limiter les risques

Même si les niveaux moyens de services écosystémiques rendus par les forêts sont assortis d'une forte variabilité, les études scientifiques montrent que les peuplements mélangés y pourvoient généralement davantage que les peuplements homogènes, y compris pour les usages sociaux et récréatifs et donc pour le bien-être collectif, au sein de ces forêts comme pour l'utilisation des terres adjacentes (Pörtner et al., 2021). Des recherches (Liang et al., 2016 ; Piotto, 2008) concluent que le mélange d'espèces, par exploitation de niches écologiques différentes et donc par atténuation de la compétition entre individus, offre le plus souvent une meilleure productivité et une moindre sensibilité aux stress. Les peuplements mélangés, parce qu'ils limitent la connectivité des espèces hôtes, ont également, au-delà d'un seuil, une moindre sensibilité aux pathogènes (Guo et al., 2019). Plus généralement, les peuplements mélangés offrent une meilleure résilience aux perturbations naturelles (Jactel et al., 2017). Ils offrent par ailleurs une meilleure qualité paysagère et retiennent la préférence des usagers récréatifs par rapport aux forêts de conifères dans la plupart des études scientifiques (Abildtrup et al., 2013 ; Filyushkina et al., 2017).

Du fait des interactions climat-perturbations (stress hydrique augmentant la sensibilité des arbres aux pathogènes, par exemple), une plus grande diversité des essences au sein des peuplements est donc à même d'assurer une plus grande résilience des forêts (IPBES, 2019 ; Pardos et al., 2021). La biodiversité à tous les niveaux (spécifiques, fonctionnels, génétique ; BiodivERsA, 2014), dans toutes ses composantes (flore, faune...) et tous ses compartiments (sol, sous-bois, canopée…) constitue un facteur de dilution du risque de non-adaptation au changement climatique. Les hauts niveaux de biodiversité, génétique, spécifique et écosystémique qu'abritent les milieux peu anthropisés comme les forêts leur donnent une importance stratégique pour la conservation des écosystèmes terrestres.

Au-delà de ces vertus associées au fonctionnement écologique des forêts mélangées, on ne doit toutefois pas éluder la question de l'économie, de la gestion et de l'exploitation de ces mélanges d'essences. S'agissant des stratégies de gestion adaptative, plusieurs questions essentielles se posent concernant la faisabilité et le coût d'une exploitation sélective, ou concernant la valeur d'un peuplement dont le capital peut être amoindri. Ces problèmes renvoient aux négociations sur les usages et les arbitrages de la gestion forestière au regard des enjeux multifonctionnels des forêts, car tous les usages ne sont pas forcément compatibles (récolte du bois, protection de la biodiversité, usages récréatifs, etc.). Le débat « land sharing » versus « land sparing » est scientifiquement loin d'être clos et s'est concentré jusqu'à maintenant sur les activités agricoles plus que sur les activités forestières (Phalan et al., 2011 ; Fischer et al., 2014 ; Kremen, 2015 ; Loconto et al., 2020). Ces questions, à l'interface des sciences économiques, sociales et de gestion, et des sciences forestières, restent encore peu abordées au plan scientifique à ce jour, et appellent des progrès rapides dans la capacité d'évaluation de ces situations de gestion nouvelles.

Des peuplements diversifiés peuvent être créés par plantation voire par enrichissement. Cependant l’ingénierie des plantations en mélange, dont les coûts peuvent considérablement varier en fonction de l’échelle spatiale caractéristique de ces mélanges, reste aujourd’hui un défi. Considérer les mélanges doit donc se faire en précisant à quelle échelle spatiale les effectuer. Selon qu’il s’agit de mélange pied à pied, par bouquets ou par parquets, les résultats ne sont pas identiques. Des peuplements mélangés pied à pied peuvent terminer en peuplements purs, surtout s’ils ne sont pas régulièrement entretenus. Un tel mode de mélange n’est envisageable que localement, avec des gestionnaires engagés et lorsque des enjeux économiques le soutiennent. Par ailleurs, les essais de plantations en mélange restent fragmentaires ou concernent des surfaces limitées, ou encore n’ont été évalués que pour les premiers stades de développement des peuplements. Développer cette ingénierie des plantations en mélange nécessite des travaux de recherche et d’expérimentation lourde, y compris sous l’angle économique, et constitue une action sur le long terme.

La gestion active de la biodiversité forestière fondée sur des plantations en mélange (même par parquets) nécessiterait des arbitrages budgétaires importants pour être généralisée à vaste échelle. La régénération naturelle a toujours été un mode important de renouvellement des peuplements après exploitation ou perturbation (comme les incendies). Les recrûs forestiers spontanés sur sols agricoles abandonnés (Martín-Forés et al., 2020), qui ont eu au XXe siècle une amplitude double de celle des programmes de boisement interventionnistes (Audinot et al., 2020) démontrent également la capacité des processus naturels à reconstituer spontanément des espaces boisés sur des superficies bien plus importantes que celles des plantations (Gauberville, 2009). En plus de gains de superficies, ces recrûs peuvent aussi rendre des services en termes de production de bois (Curt et al., 2004). Toutefois ils restent peu décrits en diversité et dynamique écologique (Bontemps et al., 2020), et leur caractère jeune ou très ouvert les rend encore peu caractérisables par l'inventaire forestier national.

Régénération naturelle assistée (FAO, 2019), restauration passive (Morrison et Lindell, 2011), diminution de la fragmentation forestière, même éventuellement migration assistée5(5), sont autant de techniques qui tirent parti de processus naturels et qui pourraient être mises en œuvre pour amplifier des mesures d’adaptation des forêts au changement climatique et de reconquête des forêts sur les milieux dégradés. Des études comparant des méthodes passives fondées sur des dynamiques naturelles à des méthodes actives (régénération naturelle versus plantation, par exemple) seraient nécessaires pour définir les conditions de succès des premières. Une telle action serait à mener sur un pas de temps de 10 ans, voire plus (sachant que la valeur des dispositifs forestiers augmente avec leur durée de suivi). Des suivis et des expérimentations menés sur des opérations diversifiées permettront, sur un plan pragmatique, d’acquérir des références sur des modèles plus naturels ou plus interventionnistes et sur la manière de doser les mélanges.

Raisonner territorialement, impliquer davantage les acteurs

[FR] Les incitations à adapter les forêts au changement climatique et aux enjeux de biodiversité, se traduiront significativement dans les faits, si elles permettent la mobilisation du plus grand nombre d’acteurs concernés par les forêts dans les territoires. Il s’agit donc de raisonner et de décliner l’adaptation des forêts à l’échelle territoriale, en tirant le meilleur parti des savoirs des opérateurs et des parties prenantes, et en s’appuyant sur l’initiative de déclinaison territoriale du Programme national de la forêt et du bois (Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, 2017). La concertation entre acteurs au sein des territoires autour de projets de développement forestier permettrait de lever plusieurs verrous, tels que le partage des résultats de la recherche, ou l’explicitation des attentes des usagers. La recherche d’un équilibre forêt-gibier, important pour l’adaptation des forêts, pourrait découler de telles concertations. Les opérateurs privés peuvent, par exemple, être amenés à faire des expérimentations selon des protocoles rigoureux, ou bien compiler des retours d’expériences dont les résultats nourrissent les futures opérations. La coopération à l’échelle territoriale peut établir un échange symétrique des informations et le partage des connaissances, définir des stratégies de coopération et des synergies économiques régionales, en lien avec les acteurs de recherche et développement. Elle peut enfin rendre possible une intégration multifonctionnelle, non seulement entre filières, entre acteurs privés et publics, mais aussi au regard des enjeux écologiques des forêts.

Des approches participatives et des actions négociées permettraient également d’amplifier l’impact de mesures d’adaptation des forêts en s’appuyant sur les réseaux d’acteurs locaux et sur leurs différents projets vis-à-vis de ces écosystèmes. Cette capacité à tirer parti des demandes sociales et des processus sociaux à l’œuvre serait particulièrement pertinente pour le suivi-évaluation des mesures d’adaptation des forêts. Les propriétaires privés, usagers et opérateurs forestiers pourraient être associés pour élaborer des stratégies de collecte de données. Elles le seraient aussi pour la production collective de connaissances par partage d’expériences, notamment dans des actions participatives de définition de plans régionaux d’adaptation des forêts au changement climatique et à la protection de la biodiversité. Enfin, c’est également à un niveau territorial que peut être menée une réflexion sur le choix des objectifs de gestion en fonction des types de forêts et de services, y compris écosystémiques, recherchés. Ce qui commence à se mettre en place dans les schémas régionaux de gestion sylvicole en forêt privée.

Connecter les enjeux nationaux aux enjeux économiques mondiaux

Sur un pas de temps plus long encore, la question de l'adaptation des forêts françaises au changement climatique et à la protection de la biodiversité devrait être replacée dans une perspective plus large de dynamique historique d'usages des sols et d'interdépendance des économies mondiales. L'accroissement des surfaces forestières françaises depuis plus de 150 ans est avant tout le fait d'une contraction des espaces agricoles. L'importance actuelle des forêts françaises dans la question climatique est fortement tributaire de l'arbitrage entre différents usages de sols, entre espaces cultivés et forêts par exemple, de l'échelle globale à l'échelle locale. À une époque où les marchés des produits agricoles et des produits ligneux sont mondiaux et où les entreprises opèrent à des échelles qui dépassent presque toujours les frontières nationales, la question de cet arbitrage doit être posée à l'échelle mondiale, comme dans le cas de la déforestation importée (Pendrill et al., 2019b). Du fait des interdépendances des économies mondiales, les changements d'utilisation des terres en un lieu ont des impacts à longue distance sur des lieux disjoints dans l'espace mais fonctionnellement connectés par les échanges de biens.

Raisonner l'adaptation de la filière forêt-bois en tenant compte des couplages entre l'échelle nationale et l'échelle mondiale a plusieurs avantages. D'abord elle permet de se donner des points de repères pour l'analyse des coûts-bénéfices. Pour avoir une vision plus juste des transitions forestières, il faudrait par exemple mettre le coût environnemental de la production locale de matériaux bois en regard de celui des matériaux importés des pays du Sud (Pendrill et al., 2019a). La lutte contre les facteurs indirects de déforestation au Sud peut être compatible avec la fixation d'objectifs de production plus élevés au Nord, objectifs que rend possible l'augmentation régulière des volumes de bois sur pied sur le dernier siècle. Elle ouvre aussi la possibilité de raisonner la multifonctionnalité des forêts au-delà du niveau national, pour aborder les questions de biodiversité, de protection et de partage des terres, « land sparing » et « land sharing », de spécialisation ou de multifonctionnalité.

Pour amplifier les mesures d’adaptation de la filière forêt-bois au changement climatique et à la protection de la biodiversité, en tirant parti des processus économiques, il serait nécessaire de mieux caractériser les interdépendances entre l’économie forestière française et celles des autres pays, dans un contexte où la France reste le troisième importateur de bois en Europe après l’Allemagne et l’Italie, et présente aussi le troisième solde négatif de la balance des imports/exports après les Pays-Bas et l’Italie (Forest Europe, 2015). Une telle action gagnerait énormément à être couplée à la mise en place d’un programme de recherche.

Conclusions

Les mesures pour l’adaptation des forêts au changement climatique et à la protection de la biodiversité devront être prises sur la durée. Les efforts à accomplir sont de grande ampleur. Ils demanderont d’engager des changements à un rythme élevé en veillant à la diversité des solutions proposées, à plusieurs échelles de temps et d’espace, avec une diversification des essences qui doit s’opérer sur des surfaces plus réduites que celles proposées. Des difficultés d’ordre technique pour l’ingénierie de la sylviculture devront être levées comme par exemple dans l’ingénierie du mélange d’essences, dans l’échelonnement dans le temps des plantations, et globalement dans l’adaptation des itinéraires techniques, sans oublier les enjeux de maintien de la qualité des habitats, de la biodiversité et des services écosystémiques portés ou rendus par les forêts. Le rôle central de la biodiversité pour l’adaptation au changement climatique, la résilience des écosystèmes et la dilution des risques climatiques devra être reconnu sur la base des résultats scientifiques acquis dans ce domaine. Nous y voyons un point de vigilance majeur sur les mesures forestières prévues en 2021-2022 dans le plan de relance. De manière concrète, pour adosser les actions à plus long terme proposées dans cette note aux actions qui seront entreprises dans le volet forestier 2021-2022 du plan relance, il nous semble absolument nécessaire qu’une évaluation des mesures forestières de 2021-2022 soit réalisée dans le cadre du plan de relance.

Investir dans l’amélioration de nos connaissances sur les processus naturels, sociaux et économiques à même d’amplifier les mesures d’adaptation des forêts nous semble essentiel pour faire face aux changements profonds et de grande envergure que le changement climatique et la perte de biodiversité induira. En effet, de nombreuses connaissances sont déjà disponibles pour engager des mesures volontaristes. Mais plusieurs aspects évoqués dans ce texte pointent un déficit critique de connaissances, encore partielles ou demandant à être consolidées par un important investissement dans la recherche, et le développement de dispositifs de gestion multi-acteurs dans les territoires dont les résultats doivent être régulièrement évalués. Cette production de connaissances nécessitera une triple intégration : cognitive d’abord, entre domaines scientifiques (science du climat, sciences forestières, sciences de l’environnement, sciences humaines et sociales au sens large…) qui permettent de comprendre les changements auxquels sont confrontés les écosystèmes forestiers ; pragmatique ensuite, en rapprochant connaissances scientifiques et savoirs et pratiques de gestion et d’action ; spatiale enfin, en prenant en compte plusieurs échelles d’actions en s’appuyant sur les territoires.

Il est donc urgent, pour l’adaptation des forêts aux changements environnementaux de tirer parti des dynamiques naturelles et de la biodiversité pour limiter les risques, de diversifier les itinéraires de gestion forestière, d’intégrer des itinéraires techniques innovants et plus dynamiques que les pratiques actuelles, d’explorer des solutions qui prennent plus en compte les économies d’eau, et qui fassent varier temps des rotations et taille des unités d’intervention, tout en tirant le meilleur parti des processus fonctionnels, qu’ils soient naturels (dans certains cas de régénération naturelle des arbres, par exemple), sociaux (approches participatives et négociées) ou économiques. C’est une des conditions pour infléchir les dynamiques contraintes par le climat et ses changements et la perte de biodiversité, afin de ne pas subir les dynamiques de changement qui pourraient aboutir à un point de bascule vers des scénarios de risques majeurs non seulement pour la filière forestière, mais aussi pour d’autres filières économiques (agricole, touristique,…) et leurs territoires, et plus globalement pour l’écosystème forestier et ses fonctions écologiques, et au final, mettre en danger la société tout entière.

Remerciements

Les auteurs remercient Éric Nicoloni et Stéphane Guitet pour leur contribution sur le point des plantations tropicales.

Notes