Introduction

Avertissement : cet article reflète la vision du président du groupe de travail, pas nécessairement en tous points celle de la totalité de ses membres, compte tenu notamment de la diversité des centres d’intérêt et des analyses concernant la wilderness ou la nature férale.

Texte

L’adoption par le Parlement européen, le 3 février 2009, à une quasi-unanimité1(1), à l’initiative d’un parlementaire hongrois, d’une résolution préconisant une politique communautaire de la wilderness est passée à peu près inaperçue en France, à l’exception bien entendu de celles et ceux qui étaient déjà fortement investis dans ce sujet. Cette relative invisibilité2(2) a notamment empêché les forestiers et les associations de protection de la nature en France de prendre conscience de la manière dont cette résolution révélait à la fois un nouveau paysage politique et culturel européen3(3) et une appropriation communautaire assumée d’un débat dont les termes semblaient jusqu’alors limités au seul contexte nord-américain.

L’article « Le retour du débat sur la wilderness4(4) », publié par la Revue forestière française dans son premier numéro de 2010, en suscitant une certaine curiosité et des critiques, a permis l’ouverture de premières discussions sur l’enjeu de fédérer une réflexion française sur ce sujet, au-delà du débat sur la naturalité que le WWF France a réussi à animer et promouvoir (cf. les deux colloques de Chambéry, en 2008 et 2013). La commission « Aires protégées » du comité français de l’UICN, alors présidée par François Letourneux, mit cette question à son ordre du jour, lors d’une réunion en décembre 2011. Sur la base de ces échanges, le conseil d’administration du comité français de l’UICN décida de créer un groupe de travail technique, dans l’orbite de la commission « Aires protégées » dont le nouveau président était Michel Badré, et d’en confier la présidence à Christian Barthod, assisté techniquement par Thierry Lefebvre.

Le nom même du groupe “Wilderness et nature férale” exprime bien cette volonté initiale de considérer dans le champ de la réflexion à la fois les approches conservatoires de la nature « sauvage » (relictuelle) et la dimension du ré-ensauvagement d'espaces, lié à la déprise agricole et forestière, fondée sur des processus écologiques s’exprimant librement. Il est intéressant de noter que le terme de libre évolution, dont l'usage a fait progressivement consensus au sein du groupe, a été mis en exergue pour la première fois (à notre connaissance) par l’établissement public du parc national des Cévennes pour faciliter l'acceptation sociale de son projet de création d'espaces de protection intégrale. Ainsi le mandat de ce groupe de travail considère également légitimes une vision patrimoniale classique des écosystèmes historiquement très peu modifiés par l’homme (avec le vocabulaire de la wilderness, de la nature sauvage, de la nature « vierge », de la « haute naturalité », selon les traductions choisies) et une vision nettement prospective du développement en cours, un peu partout en Europe, d’espaces anciennement marqués (et parfois très profondément marqués) par l’action humaine, mais désormais évoluant sans « projet d’aménagement ou de gestion » et presque sans intervention humaine, ce que l’on appelle la nature férale5(5).

La volonté affirmée derrière ce choix était de ne pas enfermer la réflexion des experts et des acteurs dans la seule considération de l’héritage du passé et de la rareté, et donc dans une approche marquée par l’exception que représente ce que l’on sous-entend (au moins en Europe occidentale) derrière la wilderness. Il s’agit aussi de privilégier une réflexion orientée vers l’avenir écologique, sociétal et économique de nos territoires ruraux déjà touchés ou possiblement concernés par une déshérence forte découlant des jeux du marché et des politiques publiques des soixante dernières années6(6). Les forestiers savent voir, dans certaines régions, les traces encore discrètes pour le grand public, d’une « déprise forestière », mais peinent à souhaiter autre chose qu’un retour à une gestion active. C’est pourquoi le groupe de travail a ultérieurement mis en avant le concept unifiant et dynamique de « trajectoire », son intérêt et les multiples questions qu’il pose, aussi bien pour la wilderness que pour la nature férale (cf. annexe, p. 000). Cette logique de trajectoire met en avant à la fois la libre expression et la « relative » complétude des processus écologiques, et donc s’intéresse plus à un « potentiel7(7) » en devenir, qu’à la photographie donnée par les inventaires de biodiversité à un moment donné : dans un contexte incertain (changement climatique, paysages en évolution, évolution des usages du sols, ...), miser prioritairement sur les fonctionnalités écologiques s’exprimant dans le cadre d’une libre évolution dans certains territoires en déshérence semble un pari très raisonnable8(8), même si cela passe inévitablement par une certaine relativisation des listes d’espèces ou d’habitats naturels en forte régression, qui motivent aujourd’hui beaucoup de projets territoriaux de protection de la nature ou de politiques publiques de protection de la nature9(9). Privilégier la trajectoire des écosystèmes conduit nécessairement à donner une place prépondérante aux questions sur les évolutions des écosystèmes et de leurs fonctionnalités en lien avec le changement climatique.

Un autre souci était de ne pas réduire la réflexion à la seule dimension des aires protégées, et ipso facto à la question du statut juridique des territoires concernés, quelque légitime que soit cette approche dans le contexte des stratégies internationales, nationales et régionales de création d’un réseau d’aires protégées. Même si les outils juridiques actuels permettent la création d’aires protégées en « réserve intégrale », le défi pour certains territoires concernés par un processus de déshérence ne peut être réduit à cette seule dimension juridique. Il est probablement inévitable que l’évolution des réflexions et l’expérience des projets territoriaux fassent émerger une manière nouvelle d’aborder certaines questions comme la responsabilité civile, les obligations de débroussaillement (dans le contexte de la prévention des incendies de forêt) et les impacts territoriaux de certaines espèces sauvages de grands herbivores ou carnivores, voire la rédaction de certaines « obligations réelles environnementales » (ORE). Néanmoins la volonté était de ne pas se focaliser d’entrée de jeu dans de telles questions, juridiquement complexes, souvent socialement conflictuelles, et de pouvoir commencer librement à réfléchir à des approches spatiales variées, y compris sur de vastes territoires pour lesquels les outils juridiques actuels relatifs aux aires protégées ne sont pas toujours les plus performants.

Le contexte de la création de ce groupe de travail était également marqué par la méfiance et les a priori, tant de forestiers que de protecteurs de la nature. À l’amont, puis au sein du groupe de travail, se sont manifestées des craintes qu’une réflexion sur la wilderness10(10) et la nature férale ne réanime les incompréhensions, tensions et conflits qui ont marqué la mise en place du réseau Natura 2000, puis de la trame verte et bleue (TVB). Alors que le climat social et politique semblait évoluer de manière plus positive et pragmatique sur ces deux grands chantiers, fallait-il prendre le risque de proposer aux héritiers du « groupe des neuf 11(11) » un nouveau chiffon rouge ? Alors que le débat sur la gestion des sites Natura 2000 avait fait émerger un quasi-consensus sociétal sur la compatibilité possible entre le bon état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation d’un site, et une gestion active réfléchie et assumée, respectueuse des activités de production, fallait-il prendre le risque de donner à celles et ceux qui avaient eu le courage de négocier et passer des compromis, le sentiment de les désavouer en prônant, dans certains territoires, la « libre évolution » ? Une autre raison des réticences exprimées par certains protecteurs de la nature tient au fait que la valorisation de la libre évolution vient heurter une culture profondément interventionniste au sein du monde de la conservation, qui témoigne implicitement d'une volonté de contrôle de la nature qui n’est pas le seul fait des forestiers.

L’enjeu était clairement de « pacifier » le débat qui allait s’ouvrir, de donner la parole à des experts et acteurs variés, enracinés dans des contextes différents, de permettre à chacun de se situer tant au regard des réflexions européennes et des réalisations pratiques dans d’autres pays, qu’au regard des travaux scientifiques12(12) et des expérimentations de terrain, souvent peu connues mais bien réelles en France. Le défi passe par le fait de dépasser le seul horizon culturel des « sachants » motivés par ces questions, et de « banaliser » les questions, réflexions et projets, en montrant ce qui se fait déjà sur le terrain, les innombrables expérimentations qui n’osent pas toujours dire leur nom13(13), en donnant envie à d’autres décideurs et acteurs de profiter de cet acquis, aussi bien dans ses réussites que dans les limites identifiées. S’il est incontestable que l’ONF a su se situer historiquement comme pionnier avec la création de réserves biologiques intégrales (RBI), dans un cadre qui n’était alors pas impulsé par le ministère de l’Environnement, puis comme « bras armé » de l’État dans ce domaine14(14), son expérience et son cadre de travail ne peuvent pas être considérées à même d’« épuiser » les besoins. Il y a de la place pour innover, notamment en dehors des forêts relevant du régime forestier. Ce qui se passe sur le terrain le démontre. Il est notamment intéressant de noter l'implication croissante du foncier privé dans le débat sur la renaturation : Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), réseau des Conservatoires d’espaces naturels (CEN), réserve des Monts d'Azur, Obligations réelles environnementales (ORE) créées par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de 2016. Le groupe de travail a assuré un suivi continu de ces initiatives et contribué, dans une certaine mesure, à leur reconnaissance et à la diffusion de leurs idées et initiatives.

Dès lors, après des débats animés durant les premières réunions, le groupe de travail a décidé de ne pas s’aventurer sur le terrain des définitions et du cahier des charges de ce qui était reconnu comme « ayant le plus de valeur » en termes de wilderness ou de nature férale15(15). Le risque était en effet de rejeter alors hors du champ d’intérêt du groupe de travail des projets et réflexions enracinés dans des compromis au cas par cas, tout en participant à la visée générale d’acclimater en France une revalorisation de la libre évolution. Cette option a été incontestablement frustrante pour certains membres du groupe de travail, dont la réflexion était incontestablement beaucoup plus achevée que la moyenne des membres, y compris que le président. Mais elle a permis de faire cheminer le groupe de manière plus progressive, respectueuse de la diversité des approches, des motivations des acteurs et des spécificités des territoires concernés. Les experts qui étaient irrigués par les travaux de « Wild Europe16(16) » ont eu l’humilité d’accepter de contribuer au groupe de travail, sans revendiquer de le piloter, et ce fut un atout précieux. Le groupe de travail a pu ainsi établir un dialogue constructif avec des initiatives qui démarraient, les conforter, les mettre en réseau et les légitimer, les faire connaître, même si tous les points de leur cahier des charges pouvaient ne pas satisfaire tous les experts.

En s’intéressant à la libre évolution de certains milieux, comme une option légitime au sein de la palette des choix possibles pour l’avenir d’un territoire donné, la question de la proportion de surface que pourrait occuper une telle option est incontournable et suscite inévitablement des appréhensions : s’agit-il d’un pour-cent17(17) (au niveau national ? de chaque région administrative ou écorégion ?, ...) du territoire, ou bien de 10 %18(18), voire plus si on ne se limite pas aux espaces dotés d’un statut juridique d’aires protégées ? Le groupe de travail a décidé de ne pas s’aventurer sur ce terrain, tout en suivant bien sûr avec intérêt les débats politiques internationaux, communautaires et nationaux19(19) sur les objectifs de surface pour les aires protégées et sur les critères de représentativité afférents. Mais comme le groupe ne considère pas que la libre évolution soit réductible à la problématique des aires protégées, ce débat lui semble prématuré pour l’objet qu’il poursuit. Par ailleurs, en promouvant la légitimité de reconnaître de façon significative et visible des espaces en libre évolution, il est stratégiquement inévitable que certains acteurs territoriaux en profitent pour demander la reconnaissance « parallèle » des modes de gestion les plus intensifs possibles, en termes de travail, d’intrants, de simplification du milieu et d’artificialisation, qui n’est pas facile à admettre dans le cadre d’une gestion durable, notamment des forêts. Ce débat sur l’affichage d’objectifs en surface ne présente donc actuellement que des dangers, sans enjeu concret immédiat et sans base technique suffisamment mâture. Il est par contre clair que dans le contexte actuel de l’évolution des marchés et des politiques publiques affectant les territoires ruraux à forte contraintes techniques, l’enjeu peut se révéler à moyen terme potentiellement important en surface : c’est bien le discours qui émerge au niveau communautaire, mais en dehors de la direction générale en charge de l’agriculture.

Une des originalités du groupe de travail a été d’encourager, d’accompagner et de financer (via le comité français pour l’UICN) les travaux cartographiques d’Adrien Guetté (AgroCampus Ouest) et de Jonathan Carruthers-Jones (Université de Leeds, Wildland Research Institute) sur les gradients de naturalité (intitulés Cart-Nat) en France, afin d’identifier les zones où il existe une forte probabilité de processus écologiques accompagnant ou susceptibles d’accompagner une option de libre évolution. Il est à noter que l’UMS patrimoine naturel (MNHN-OFB) a repris certains de ces critères pour les travaux préparatoires à la stratégie nationale des aires protégées.

Le retour du sauvage, spontané ou projeté, suscite un regain d'intérêt du point de vue de la biologie de la conservation tout en soulevant des questionnements nouveaux ou reformulés, de natures éthique, sociale, assurantielle et économique. Partant de ce constat, le groupe a engagé une réflexion pluridisciplinaire sur les usages et les représentations du sauvage, sous la conduite de Raphaël Larrère. Des cycles de journées d'études ont été organisés à partir de 2018 sur les dynamiques transformationnelles induites par le sauvage dans les cadres politiques, sociaux et culturels. Il s'agissait de faire état des travaux de recherche menés en France et dans d'autres pays européens sur les usages et les perceptions de l'ensauvagement, d'analyser les facteurs de perception négative qui s'attachent à cette notion et de réfléchir aux conditions de possibilité d'une culture positive de la féralité en France. Plus de 20 interventions ont été programmées sur les figures historiques du sauvage, les approches comparées des perceptions de la naturalité, les nouvelles sociabilités induites par la cohabitation avec le sauvage, les dynamiques transformatrices de l'expérience du sauvage à l'échelle individuelle, et sur les marges et les espaces délaissés à la recherche de nouveaux usages. Ces cycles de séminaires seront approfondis dans le cadre d'un colloque qui se tiendra à Cerisy en 2023.

La question du rewilding20(20) n’a été qu’effleurée, tout en étant identifiée comme un chantier important qui bénéficie d’une visibilité grandissante au niveau communautaire et de financements de projets dans divers pays européens (Roumanie, Royaume-Uni, Espagne, Pays-Bas, ...). Elle a été vue au travers de quelques projets de réintroduction de grands herbivores (bisons et cheval tarpan, notamment), en France et en Europe centrale. L’autre grande insuffisance des réflexions du groupe de travail a concerné l’enjeu du changement climatique sur les caractéristiques de la wilderness et de la nature férale21(21), dans un contexte scientifique et technique hautement polémique, alimenté par la revendication d’une neutralité carbone par les politiques forestières actuelles, la préconisation d’un raccourcissement des révolutions et d’un changement dirigé des essences forestières, faisant appel à plus d’essences résineuses et à des espèces exotiques. La troisième faiblesse de la réflexion a porté sur les difficultés rencontrées pour bien articuler le débat sur la wilderness et la nature férale, avec des grilles de valeurs actuellement dominantes mais souvent implicites, qui conduisent à prôner une « maximisation » de la biodiversité en forêt et à faire une hiérarchie entre les espèces, considérées en fonction de leur visibilité et de leur capacité à mobiliser l’affect humain, ce qui minimise de facto les enjeux perçus notamment en matière d’arthropodes, de champignons, de bryophytes et de lichens.

D’entrée de jeu, le groupe de travail avait affiché sa volonté de ne pas s’intéresser qu’aux seules surfaces forestières, et désiré élargir sa réflexion aux espaces de très haute altitude, aux cours d’eau, aux zones humides et à la mer. Force est de constater que, même si deux réunions en sept ans ont abordé l’enjeu des cours d’eau (avec le label « Rivières sauvages » et les actions de renaturation des cours d’eau suivies par Gilbert Cochet), la forêt et, dans une moindre mesure, les friches agricoles anciennes se reboisant (pour la majorité d’entre elles) restent l’enjeu emblématique des réflexions sur la libre évolution. Il s’agira probablement d’un des chantiers du nouveau président du groupe de travail « Wilderness et nature férale », Pascal Cavallin, responsable de la coordination scientifique et des missions « Biodiversité » et « Partage de la connaissance » au Conservatoire des espaces littoraux et des rivages lacustres (CELRL)22(22), dont la légitimité personnelle et institutionnelle est forte sur la mer, les zones humides et les rivages lacustres. Par ailleurs, il semble désormais possible et opportun de commencer à discuter avec des élus locaux bien au fait des enjeux environnementaux et à l’écoute de pistes originales pour des modèles innovants de développement intégré écologique, économique et social. Le contexte institutionnel et l’expérience des parcs naturels régionaux en font une enceinte incontournable pour un tel dialogue, ainsi que pour acculturer les gestionnaires d’aires protégées à la libre évolution.

Les objectifs et moyens de la note de problématique adoptée en 2013 n’ont été que très partiellement atteints ou respectés. Mais elle reflète bien l’état d’esprit dans lequel le groupe de travail s’est constamment efforcé de se situer.

Groupe de contact du comité français pour l’UICN « WILDERNESS et NATURE FÉRALE ».
Extraits de la note de problématique adoptée en 2013

Pour la présente note, et dans le contexte sociopolitique européen auquel appartient la France, la « wilderness » sera comprise comme la « nature vierge » à laquelle se réfère la délibération du Parlement européen du 3 février 2009, et la nature férale comme ce qui s’observe, en termes de dynamique des écosystèmes, dans des territoires précédemment exploités plus ou moins intensivement par l’homme, et qui sont actuellement et semble-t-il pour une durée indéterminée, sans « affectation de production » par leur propriétaire, et « abandonnés » par là même au libre jeu de processus naturels depuis un certain temps.

Dans les deux cas, c’est l’intérêt porté à la trajectoire temporelle de ces espaces qui fonde l’originalité du regard porté sur eux, et la valeur qui peut leur être reconnue. Cette trajectoire intègre, le cas échéant, des perturbations exceptionnelles, qui jouent alors un rôle important dans la réorientation de certains écosystèmes. Pour la « wilderness », s’agissant d’une trajectoire passée que l’on espère voir perdurer, l’identification des espaces méritant l’attention portée est a priori facilitée. Pour la nature férale, la question est plus complexe, et suppose d’une part un certain recul sur la nouvelle dynamique enclenchée, d’autre part un pari sur la non-réorientation vraisemblable à court ou moyen terme de l’affectation donnée de fait à ces espaces. Or, en Europe, une telle réorientation dépend à la fois d’une décision du propriétaire et des conditions créées par les pouvoirs publics (par exemple : fiscalité, desserte, …) et par le marché, déterminé notamment par la politique agricole commune et/ou par les politiques publiques énergétiques.

Pour le groupe, il existe un continuum entre les deux « objets », d’autant plus que la « wilderness » est aussi un « objet culturel », désignant en fait des écosystèmes en apparence vierges de toute transformation humaine. Le groupe de contact est particulièrement sensible au fait que certains modes ancestraux d’exploitation par l’homme de grands types d’écosystèmes peuvent avoir significativement transformé la composition phytosociologique, les caractéristiques de fertilité du sol et la distribution des populations animales, sans pour autant être facilement identifiables par un regard non averti, car non formé à la discipline de l’écologie historique. Dans beaucoup de cas, également en Europe, la wilderness peut donc aussi être perçue comme une nature férale ancienne qui s’ignore, faute d’une mémoire suffisante.

Nota : le groupe de contact est conscient que certaines de ses réflexions peuvent, ou pourront à l’avenir, interférer avec celles relatives au « haut degré de naturalité » de certains écosystèmes. Mais à ce stade, il ne s’estime pas outillé pour proposer une analyse faisant le « pontage » entre sa réflexion sur la nature férale et celle lancée sur la « haute naturalité », notamment sous l’égide du WWF.

Par-delà la grande diversité des motivations propres à chaque membre du présent groupe de contact, ce dernier revendique un intérêt éthique et scientifique particulier pour la « wilderness » et la nature férale du fait même qu’il s’agit de formes spatialement rares et culturellement peu valorisées à ce jour de la diversité biologique en Europe, présentant en outre un intérêt scientifique découlant soit de l’intérêt pour la trajectoire passée, soit pour la trajectoire escomptée dans le futur, de ces territoires.

S’agissant de l’outre-mer, le groupe de contact identifie l’enjeu de proposer une approche qui permette de réintégrer dans le discours et les politiques de la « wilderness », l’écologie historique, la culture et les besoins des populations dépendant de la forêt, et l’évolution inexorable et légitime des modes de vie de ces populations. Les modes de justification d’une politique « adaptée » de la « wilderness » en Guyane (dans le parc national et/ou en dehors) ne peuvent pas reposer exclusivement sur la vision naturaliste occidentale, et doivent aussi prendre en compte la manière dont les populations concernées du Sud de la Guyane (plus diverses que souvent postulé) vivent leur rapport à leur environnement.

L’intérêt du groupe porte certes sur les milieux forestiers, incontournable figure de proue des réflexions occidentales sur la « wilderness » et la nature férale, mais tout autant sur les autres milieux susceptibles d’être concernés : zones rocheuses et/ou d’éboulis, milieux d’altitude, milieux d’eau douce avec leurs ripisylves, milieux côtiers et marins, …

Au-delà des questions légitimes et souvent âprement débattues de la surface des unités considérées et de la zone tampon souhaitable, il semble également indispensable de s’intéresser à la manière dont ces espaces de « wilderness » ou de nature férale sont fonctionnellement interconnectés à d’autres réservoirs de biodiversité, et d’apprécier le fonctionnement de ces interactions.

* * *

Tout en accueillant avec satisfaction la dynamique lancée par la résolution du Parlement européen, le groupe est néanmoins sensible aux ambiguïtés et difficultés qui pourraient découler :

— d’une vision trop directement calquée sur les concepts anglo-saxons, et qui négligerait la dimension culturelle européenne, à la fois dans ses points communs de l’identité européenne, mais aussi dans ses profondes différences entre pays aux réalités physiques et culturelles distinctes ;

— d’une éventuelle politique communautaire qui, sur la base d’une approche exclusivement technique (techniciste), revendiquerait de définir des critères et des seuils « en soi », valables pour les 27 pays ;

— d’une approche qui, pour légitimer l’urgence à agir pour protéger des zones de « wilderness » menacées en Europe centrale, orientale ou nordique, imposerait à tous les pays de l’Union européenne de définir une politique de « wilderness », sans véritable légitimité et spécificité reconnues à la nature férale qui n’est pas réductible à l’antichambre d’une « wilderness » de demain.

Sans contester nullement la légitimité d’une politique publique de la biodiversité à recourir à des outils réglementaires pour protéger des milieux rares et menacés, ou pour promouvoir la libre évolution de certains écosystèmes, le groupe souhaite néanmoins ne pas se situer prioritairement dans cette perspective. En effet, avant de proposer quelques fondements pratiques pour une politique de protection de la « wilderness et de la nature férale », il lui paraît important de travailler à la compréhension des enjeux et à la recevabilité culturelle et sociale d’une telle politique. C’est pourquoi il se propose, dans un premier temps :

— de travailler à la réhabilitation éthique et culturelle de la « wilderness » et de la nature férale, selon la dynamique lancée par la résolution du Parlement européen ;

— d’aider tous les acteurs concernés à identifier les territoires concernés et leurs trajectoires, à cartographier ces espaces, et à modifier le regard que leurs propriétaires, les élus et toutes les autres parties prenantes leur portent ;

— d’anticiper ce que pourrait être la contribution française à la définition d’une politique communautaire de la « wilderness » et de la nature férale, dans toutes ses composantes, et en prenant en compte tous les outils possibles.

Notes