Introduction

Bien qu’une politique forestière commune ne soit pas expressément mentionnée dans les Traités européens, beaucoup d’actions communautaires concernant les forêts et le bois ont pu se développer dans l’ombre de la politique environnementale de l’Union européenne durant les dernières trente années. Comment cela a-t-il été possible ?

En évitant autant que possible d’entrer dans les détails de toute la complexité de la gouvernance européenne, l’auteur de cet article fait revivre les discussions et conclusions du fondement légal de certaines actions forestières communautaires sur la base de ses expériences professionnelles personnelles à l’intérieur des institutions européennes en utilisant du mieux possible un vocabulaire accessible. L’article ne constitue donc en aucun cas une étude juridique ou scientifique approfondie.

En mettant en évidence l’odyssée juridique des mesures communautaires de protection des forêts dont les bases légales dans les Traités étaient successivement les politiques européennes de l’Agriculture et de l’Environnement, il apparaît clairement que les changements consécutifs du cadre institutionnel de la construction européenne — notamment les modifications des Traités européens successifs et parallèlement la consolidation progressive de la politique de l’Environnement — ont eu des incidences considérables sur le fondement juridique et l’ampleur des actions communautaires concernant les forêts.

En 1957, un traité fondateur qui n’inclut pas les forêts, mais leur laisse des espaces dans certaines politiques communautaires

L’Union européenne dispose d’un ensemble de règles pour son fonctionnement qui sont inscrites dans les Traités européens, celui fondateur de 1957 et ceux qui ont suivi. Ceux-ci ont été librement et démocratiquement approuvés ainsi que successivement modifiés par les États membres. Ils définissent en particulier les objectifs et la mise en œuvre des politiques de l’Union européenne, le fonctionnement des institutions européennes, les procédures à suivre pour prendre des décisions de même que les relations entre l’Union européenne et les États membres.

Tableau I Les principaux traités européens


Principaux traités européens

Signature

Entrée en vigueur

Traités de Rome (CEE et Euratom)

25 mars 1957

1er janvier 1958

Acte unique européen

17-28 février 1986

1er juillet 1987

Traité de Maastricht

7 février 1992

1er novembre 1993

Traité d’Amsterdam

2 octobre 1997

1er mai 1999

Traité de Nice

26 février 2001

1er février 2003

Traité de Lisbonne

13 décembre 2007

1er décembre 2009

Toute action communautaire est censée découler d’un ou plusieurs articles des Traités. La Commission européenne, qui dispose presque exclusivement du droit d’initiative législative, ne peut pas proposer de légiférer dans un domaine politique qui ne relève pas expressis verbis des Traités.

Les États membres ont invariablement essayé de garder leurs prérogatives sur leurs ressources forestières au plan national ou même régional pendant toutes les phases de la construction européenne. Pour cette raison, on ne trouve pas dans les Traités de compétences spécifiques à la forêt, et le bois ne figure pas parmi les produits dérivant de la Politique agricole commune. À première vue, le secteur forestier devrait donc échapper au tissu réglementaire de l’Union européenne. Or, force est de constater qu’en réalité, depuis plus de trente ans, l’emprise de l’Union européenne sur les forêts et le bois a augmenté de manière implicite dans certaines politiques sectorielles, notamment dans les domaines de l’environnement, du développement rural, du climat, de l’énergie, du commerce, du marché intérieur, de la recherche, de la coopération ou de l’industrie. Deux politiques communautaires ont surtout donné lieu à des tirs croisés autour des conflits juridiques : la politique agricole commune et la politique de l’environnement de l’Union européenne.

Au cours des années 1980-1990, l’Union européenne intervient dans la protection des forêts dans le cadre de sa politique agricole

Les péripéties réglementaires durant les années 1980 et 1990 des deux mesures de protection des forêts — le règlement relatif à la pollution atmosphérique (CEE n° 3528/86) et le règlement relatif aux incendies (CEE n° 3529/86) — constituent un exemple phare des batailles juridiques auxquelles la recherche dans les Traités d’une base appropriée pour les actions forestières au niveau de l’Union européenne a donné lieu.

Tout le monde se rappelle le phénomène très médiatisé du dépérissement des forêts dans les années 1980. En 1985, les États membres s’étaient engagés dans un programme paneuropéen de surveillance des forêts (ICP-Forêts) et s’étaient tournés vers le niveau communautaire pour trouver les financements nécessaires. En même temps, ils avaient trouvé un accord visant à renforcer les investissements pour la prévention des incendies de forêts qui détruisaient chaque année de 300 000 à 500 000 ha de forêts, surtout dans le sud de l’Europe. Ainsi, sur proposition de la Commission, le Conseil adoptait le 17 novembre 1986 deux règlements de protection des forêts pour une durée de 5 ans en conformité avec la périodicité de la programmation budgétaire communautaire.

Les moyens budgétaires nécessaires pour la mise en œuvre de ces mesures avaient été dénichés dans le budget de l’agriculture. Il était donc essentiel de créer un lien étroit entre la protection des forêts et la Politique Agricole Commune (PAC). Ainsi les objectifs des deux règlements mettaient en évidence non seulement leur dimension environnementale mais aussi leurs bienfaits sur l’agriculture en indiquant par exemple dans l’article 1 : « … pour accroître la protection des forêts dans la Communauté et contribuer ainsi notamment à la sauvegarde du potentiel de productivité de l’agriculture ».

La base légale principale utilisée pour les deux mesures était l’Agriculture avec l’article auxiliaire des « compétences implicites ». Comme la politique européenne de l’Environnement n’en était à ce moment qu’à ses premiers balbutiements, elle n’était pas encore identifiée comme fondement juridique dans les règlements. Les procédures se cantonnaient entre la Commission (qui propose un projet de loi) et le Conseil (qui peut adopter ou rejeter un projet de loi). Le rôle de l’Assemblée européenne, car la dénomination de « Parlement européen » n’existait pas encore à ce moment, se limitait à délivrer un avis « légalement non contraignant » au même titre que le Comité économique et social.

En 1992, la prolongation de la durée des deux règlements s’imposait à l’agenda des institutions. Certaines circonstances politiques générales avaient changé entretemps par l’entrée en vigueur le 1er juillet 1987 d’un nouveau traité européen, « l’Acte Unique». Parmi les changements apportés par ce traité, l’Union européenne instaurait une politique environnementale spécifique qui précisait que les défis environnementaux devaient être pris en compte dans toutes les politiques communautaires.

Suite à cette nouvelle donne, sur proposition de la Commission, le Conseil prolongeait la durée des deux mesures de protection des forêts en se servant à la fois des articles du Traité relatifs à l’Environnement et à l’Agriculture :

— la politique de l’environnement parce que la thématique de la protection des forêts avait une dimension environnementale évidente,

— la PAC parce qu’on voulait conserver les liens étroits des deux mesures avec le développement rural et d’une façon plus pragmatique, parce qu’on continuait à utiliser les moyens budgétaires de la PAC.

Les procédures d’adoption entre institutions — c’est-à-dire la Commission propose, le Conseil décide, le Parlement donne un avis non contraignant — ne changeaient pas par rapport à l’adoption des deux mesures en 1986.

Mais comme « rien n’est permanent sauf le changement », en 1997, le contexte devenait beaucoup plus complexe pour la prolongation subséquente des deux règlements de protection des forêts. L’entrée en vigueur du Traité de Maastricht en novembre 1993 avait chamboulé fondamentalement les rôles des institutions dans les procédures de décision des actes législatifs européens. Le Parlement avait obtenu notamment le droit de codécider avec le Conseil sur un certain nombre de politiques communautaires, dont la politique de l’Environnement. Par contre, la PAC restait à ce moment encore sous décision exclusive du Conseil (c’est seulement le Traité de Lisbonne en 2009 qui devait introduire la codécision du Parlement européen pour l’agriculture).

Le fait que les deux mesures de protection des forêts décidées en 1992 étaient basées sur les politiques de l’Agriculture et de l’Environnement embrouilla considérablement les procédures de prorogation en 1997. Le Parlement, conscient de ses nouveaux droits fournis par Maastricht, insistait sur le principe de codécision puisque l’environnement était une des bases légales des deux mesures de protection des forêts. Or, impossible de renoncer à la base légale de l’Agriculture car le budget des deux mesures découlait de la PAC. Cependant un cumul des bases juridiques des politiques de l’Agriculture et de l’Environnement devenait inadéquat car les procédures de décision entre institutions prévues pour l’une ou l’autre base légale étaient incompatibles. Par conséquent, les juristes de la Commission devaient trouver une base juridique unique pour le projet de loi prolongeant les règlements de nouveau pour cinq années. Pour déterminer une seule base juridique appropriée, il fallait apprécier si les mesures considérées se rattachaient principalement à un domaine d’action, les effets sur d’autres politiques ne présentant qu’un caractère accessoire. Ne perdant pas de vue l’aspect budgétaire, la Commission, suivie par le Conseil se prononça pour l’adoption des deux règlements de protection des forêts en prenant comme base juridique appropriée la politique de l’Agriculture. De cette façon, le Conseil contournait aussi le droit de codécision du Parlement, le rôle de celui-ci étant réduit dans ce cas précis à donner un simple avis.

Par la suite, il n’est pas surprenant que le Parlement se soit senti court-circuité. La contestation des députés européens de la décision du Conseil sur les deux mesures de protection des forêts n’était pas tellement à chercher du côté d’une « affinité » particulière pour les forêts, mais plutôt de ne pas accepter « comme un précédent juridique » la tentative du Conseil de vouloir contourner le droit de codécision du Parlement à la première occasion venue. Deux mois après la ratification des deux mesures de protection des forêts, le Parlement demandait à la Cour de Justice européenne l’annulation des deux règlements en argumentant que la base juridique de l’agriculture était inappropriée, « ayant pour conséquence une atteinte à ses prérogatives ».

Le tournant : en 1999, un arrêt de la cour de justice européenne rattache les règlements relatifs à la protection des forêts à la politique environnementale

Les différends juridiques entre le Parlement d’une part et le Conseil ainsi que la Commission d’autre part ayant été portés devant la Cour de Justice européenne à Luxembourg, les audiences des parties adverses se déroulèrent fin 1998 et début 1999 :

— Le Parlement plaida que les mesures de protection des forêts adoptées le 17 février 1997, tant par les objectifs qu’elles poursuivaient que par leur substance, constituaient des actions spécifiques en matière d’environnement qui n’avaient sur la PAC que des conséquences indirectes et marginales. Par conséquent, le Parlement européen demandait la base légale de la politique de l’Environnement du Traité pour les deux règlements.

— Le Conseil admit que les bois issus des forêts ne figurent pas au nombre des produits agricoles énumérés dans l’Annexe II du Traité. Il fonda son argumentation sur l’idée que la PAC ne se réduit pas à un marché commun de produits, mais comprend également une politique structurelle ; c’est pourquoi le Conseil soutint que le régime d’aides au boisement des superficies agricoles, mis en place à partir de 1992 dans le développement rural sur le fondement de l’article du Traité de l’Agriculture, avait inauguré une stratégie forestière tendant à associer de plus en plus étroitement les agriculteurs à la mise en valeur des forêts ;

— La Commission fit valoir que les arbres, et par conséquent les forêts, doivent être considérés comme des produits énumérés à l’Annexe II du Traité pour lesquels la compétence repose sur l’article de l’Agriculture. Elle s’appuyait pour ce faire sur l’inscription « plantes vivantes et produits de la floriculture » qui apparaissait comme comprenant aussi les arbres forestiers.

Dans les conclusions des « Affaires jointes C-164/97 et C-165/97 », la Cour de Justice a pris l’arrêt suivant le 25 février 1999 :

— L’argument selon lequel les arbres et les forêts constitueraient dans leur ensemble des produits agricoles régis par l’Annexe II du Traité « n’apparaît pas fondé ». La Cour se référait à cet égard à la nomenclature du tarif douanier commun qui comprend sous cette rubrique uniquement les produits fournis habituellement par les horticulteurs, les pépiniéristes ou les fleuristes en vue de la plantation ou de l’ornementation.

— Si les mesures peuvent avoir certaines retombées positives sur le fonctionnement de l’agriculture, ces conséquences indirectes sont accessoires par rapport à l’objet primordial de l’action communautaire de protection des forêts, qui tend à la conservation et à la mise valeur du patrimoine naturel que représentent les écosystèmes forestiers sans se borner à prendre en considération leur utilité pour l’agriculture.

— Des mesures de défense de l’environnement forestier contre les risques de destruction et de dégradation tenant aux incendies et à la pollution atmosphérique font de plein droit partie des actions en faveur de l’environnement pour lesquelles la compétence communautaire est fondée sur les articles de l’Environnement du Traité.

Par conséquent, la Cour de Justice décida d’annuler les deux règlements de protection des forêts en maintenant leurs effets en vigueur jusqu’à ce que le Conseil puisse arrêter, dans un délai raisonnable, de nouveaux règlements ayant le même objet.

Les répercussions de ce jugement de la Cour de Justice européenne ont été résumées par la juriste Isabelle Michallet de l’Université de Lyon lors d’un colloque organisé les 5 et 6 décembre 2002 sous le titre « Le droit de la forêt au XXIe siècle » (Cornu & Fromageau, 2004) :

— « … L’absence de politique forestière commune dans les Traités UE constitue une autre justification à une intervention communautaire minimale. Cependant en matière de protection des forêts, cette lacune est juridiquement sans incidence comme l’indique la jurisprudence de la CJE. »

— … fait référence à l’arrêt de la cour du 25/2/1999 et continue : « … l’article ENV du Traité instituant la Communauté Européenne constitue donc le fondement légal de toute mesure communautaire ayant pour finalité de défendre l’environnement forestier. Il n’est pas nécessaire, pour protéger les forêts de l’Union, d’instaurer une politique forestière commune » (Michallet, 2004).

Sur la scène européenne, beaucoup d’actions concernant les forêts et le bois ont proliféré pendant les dernières décennies dans l’ombre de plusieurs politiques sectorielles

En général, la genèse des actions forestières de l’Union européenne se situe principalement dans le sillage d’une série de politiques communautaires, elle ne ressort nullement d’une volonté spécifique de créer une politique sectorielle communautaire distincte pour la forêt et la filière bois. Parmi les politiques de l’Union européenne, un nombre considérable d’actions communautaires courantes affectent régulièrement les politiques forestières des États membres et le marché du bois sans provoquer nécessairement des allergies anti-européennes dans le secteur forestier. Cela peut concerner des mesures forestières cofinancées par les programmes de développement rural ou le financement des projets de recherches forestiers jusqu’aux normes du marché intérieur pour les graines et plants forestiers et les produits en bois. Les cercles d’experts qui tournent autour des affaires européennes connaissent bien toute cette panoplie d’actions forestières de l’Union européenne. Mais celles-ci, fréquemment dissimulées dans des programmes plurisectoriels, passent malheureusement souvent inaperçues chez la grande majorité des forestiers du terrain par manque de visibilité.

Figure 1 Vision panoramique des actions communautaires touchant à la forêt, tout en différenciant les responsabilités des Directions Générales respectives à la Commission européenne
Présentée à la Conférence des Propriétaires Forestiers sur la stratégie forestière, Vienne, 11/10/2021
Source : CEPF (Confédération européenne des propriétaires forestiers, www.cepf-eu.org), traduit par R. Flies

Comme la préoccupation des citoyens de l’Union européenne pour l’environnement s’est accentuée considérablement durant les trente dernières années, on peut constater sans surprise dans l’inventaire juridique de l’Union européenne une proportion et une dimension plus importante des actions forestières communautaires relatives à la politique environnementale de l’Union européenne comme l’illustre la figure 1. En France par exemple, en règle générale environ 20 % des lois adoptées ont une origine européenne selon la Commission européenne. Cette proportion peut cependant atteindre 40 % dans le domaine de l’environnement (Commission européenne, 2019). Et en prenant pour base l’importance des institutions publiques pour le secteur forestier et la filière bois, le poids relatif de l’environnement devient prééminent. Cette tendance semble d’ailleurs se confirmer aussi bien pour les États membres que pour la Commission européenne selon une étude récente (Bonin & Kleinschmit von Lengefeld, 2019), comme illustré par la figure 2.

Figure 2 Institutions impliquées dans les politiques publiques forestières au niveau Union européenne et en France (selon Bonin & Kleinschmit von Lengefeld, 2019)

La politique de l’environnement de l’union européenne est devenue de fait la pierre angulaire de la stratégie forestière de l’union européenne 2030

Incontestablement, depuis plus de trente ans, les enjeux environnementaux liés aux biens publics (changement climatique, biodiversité, eau…) et leur déclinaison dans des politiques territoriales (agriculture, forêts, aménagement du territoire) ont été fortement sollicités et s’imposent aujourd’hui à toutes les échelles de pouvoir. Même s’il y a pratiquement l’unanimité autour des objectifs généraux pour protéger les multiples services écosystémiques, il devient plus problématique de traduire ces objectifs en mesures particulières. Il les faut décliner sur le terrain, trouver les financements correspondants et se mettre d’accord sur les méthodes de sylviculture. Il va de soi que, dans ce processus, les discussions entre administrateurs et gestionnaires du terrain risquent de devenir conflictuelles. Dans ce contexte, l’Europe peut nous fournir quelques exemples intéressants tirés de la mise en œuvre de Natura 2000. Après des débuts difficiles et des débats parfois houleux entre les différents protagonistes concernés, plusieurs États membres ont su développer une concertation correcte entre les différents acteurs sur le terrain.

La stratégie du « Green Deal » de la Commission européenne a placé en 2019 les thématiques environnementales au cœur de l’élaboration des politiques de l’Union. Les actions relatives aux forêts se focalisent surtout dans les grandes thématiques environnementales suivantes :

— la stratégie de la biodiversité avec notamment les directives « Oiseaux » et « Habitats » qui forment le réseau Natura 20001 ou très récemment la proposition de la Commission sur la restauration de la nature ;

— les efforts d’atténuer les effets du changement climatique, en particulier la réduction des émissions de gaz à effet de serre avec le règlement sur l’utilisation des terres, la foresterie et l’agriculture ;

— une réduction de la part des énergies fossiles dans notre consommation d’énergie, avec la directive sur les énergies renouvelables (RED) ;

— la lutte contre la déforestation au niveau mondial, notamment par le programme FLEGT, le règlement « Bois » interdisant la mise sur le marché européen de produits de bois provenant de coupes illégales ou le projet de règlement récent de la Commission relatif à la « déforestation importée ».

Les défis européens actuels du secteur forestier s’articulent donc grosso modo au sein d’un triangle équilibré enveloppant les thématiques environnementales du climat, de la biodiversité et de la bioéconomie. Mais force est de constater que la stratégie forestière européenne 2030 se présente plutôt comme un sous-fief de la stratégie Biodiversité. Et pour éviter tout malentendu, tout en reconnaissant que la protection de la biodiversité est cruciale pour un bon fonctionnement des écosystèmes forestiers, on aurait pu espérer que l’Europe fasse un effort similaire dans les domaines jumelés du changement climatique et de la bioéconomie. Beaucoup de nos forêts ont perdu en résilience au cours des dernières décennies face à des perturbations comme de longues périodes de sécheresse, des incendies de grande envergure et des attaques massives d’insectes. On vit dans une période pleine d’incertitudes et, d’ici 50 ans, la structure des forêts pourrait avoir complètement changée. La grande majorité des sylviculteurs a pris conscience qu’ils ne peuvent plus gérer leurs propriétés comme avant, ils sont en train d’expérimenter des méthodes sylvicoles innovantes ou alternatives pour augmenter la résilience des écosystèmes forestiers en prenant soin de diversifier la composition et la structure de leurs peuplements et en essayant de régénérer la forêt naturellement. La stratégie forestière par contre concentre beaucoup d’efforts à trouver des définitions de forêts primaires et anciennes au niveau européen ou à développer des lignes directrices pour des pratiques forestières plus proches de la nature au risque de négliger un nombre de problèmes concrets des gestionnaires du terrain. Pour reprendre seulement l’exemple de la régénération naturelle, les forestiers attendent depuis des années des initiatives concrètes de l’Europe aidant à diminuer la surpopulation quasi générale des ongulés dans nos forêts qui met en péril dans beaucoup de régions toute tentative de régénération naturelle. Le milieu forestier européen a besoin maintenant de l’Europe pour accompagner tous ces changements brutaux. Le secteur forestier a besoin d’un appui conséquent, une sorte de « plan Marshall » encourageant et stimulant notamment tous les efforts sur le terrain pour améliorer la résilience de nos écosystèmes forestiers et accompagner à moyen terme l’adaptation de nos peuplements au changement climatique.

Dans sa stratégie « Bioéconomie » et « économie circulaire », la Commission met bien en évidence les grands objectifs visant la transition vers une économie neutre en carbone. Il va sans dire que la filière bois et ses industries européennes offrent des solutions multiples pour contribuer à atteindre les objectifs de neutralité carbone. Le bois est un matériau renouvelable et réutilisable, sa transformation émet peu de CO2, les produits de bois contribuent temporairement au stockage du carbone. Cependant, la stratégie forestière 2030 reste loin derrière les attentes de la filière bois pour inciter et encourager l’utilisation du bois dans la construction, l’emballage, l’ameublement et beaucoup d’autres domaines de notre vie quotidienne. Elle se limite plutôt à décrire quelques projets en cours, particulièrement dans le domaine de la recherche, au lieu de créer des conditions économiques et écologiques plus propices permettant de substituer du bois et produits en bois à d’autres matières premières beaucoup plus polluantes.

Une politique forestière commune est une fausse bonne idée pour s’engager rapidement dans le processus de la transition écologique de l’union européenne

La stratégie forestière de l’Union européenne évoque dans son chapitre 6 intitulé « Un cadre de gouvernance forestière de l’UE inclusif et cohérent » « … une structure de gouvernance forestière de l’UE plus inclusive et mieux coordonnée ». L’idée classique d’introduire une politique forestière commune revient dans ce contexte de temps en temps à l’agenda. Au stade actuel, une telle discussion risque de ne pas mener très loin. Le Traité de l’Union européenne qui définit les compétences de l’Union pour légiférer ne prévoit pas de base légale distincte pour fonder une politique forestière commune. C’est pourquoi le secteur forestier a le choix entre :

— rattacher la forêt à une politique Union européenne existante comme la politique environnementale ou la Politique Agricole Commune ; on peut douter que ces deux éventualités puissent recevoir une très large adhésion au sein du secteur forestier européen, certes pour des raisons très différentes ;

— envisager une modification du Traité en introduisant un chapitre additionnel « Forêts », ce qui nécessiterait l’unanimité des vingt-sept États membres ; en tenant compte des discussions difficiles au sein de « Forest Europe » pour créer un instrument légalement contraignant pour les forêts au niveau paneuropéen qui ont finalement échoué, je vois mal une telle initiative être couronnée de succès au niveau de l’Union européenne au stade actuel.

Une opportunité : la mise en place d’un système communautaire de suivi des forêts proposée dans la nouvelle stratégie forestière de l’union européenne

La mise en place d’un « monitoring des forêts au niveau européen » sera un vaste chantier mais pourrait se développer comme un pilier puissant de la transition écologique en matière forestière. Personne ne conteste aujourd’hui l’impact intense du changement climatique sur les forêts et le stress hydrique dû aux longues périodes de sécheresse des dernières années, aggravé par toute sorte d’infestations de ravageurs et de maladies. Le monde scientifique n’a pas chômé durant les vingt dernières années. De vastes percées ont ainsi été faites dans différentes disciplines scientifiques étudiant les dynamiques des écosystèmes forestiers sous différentes conditions de milieu et des progrès notables ont été réalisés pour analyser les interdépendances du milieu vivant à l’intérieur d’un écosystème. Par ailleurs, grâce aux innovations technologiques, on a pu développer des modélisations complexes pour des stations forestières distinctes en intégrant une multitude de paramètres concernant le sol, les écosystèmes, le climat ou la géographie. De telles avancées peuvent probablement fournir des aides à la décision précieuses pour les sylviculteurs face aux changements climatiques. La collecte, l’analyse et le transfert d’informations au niveau européen, concernant notamment l’état de santé des forêts, leur capacité d’adaptation, leurs services écosystémiques représentent déjà en soi une tâche titanesque. Et pour trouver les bonnes réponses aux défis et enjeux environnementaux majeurs, ces travaux nécessiteront une collaboration intense et permanente non seulement entre scientifiques, gestionnaires forestiers et administrations forestières mais aussi une participation active de la part d’autres disciplines comme climatologues, biologistes ou écologues. La clé de réussite de ce projet législatif de la Commission dépendra du degré d’investissement et d’engagement du secteur forestier et des États membres ainsi que d’une coopération étroite et permanente entre tous les acteurs concernés.

Conclusion

Le secteur forestier est confronté aujourd’hui à une série de défis qui ne s’arrêtent pas aux frontières des États membres. Le changement climatique avec ses conséquences météorologiques extrêmes, les périodes prolongées de sécheresse, les incendies de forêt, la dégradation des forêts et l’altération de la biodiversité forcent le milieu forestier à sortir de son schéma habituel afin de préserver et d’augmenter l’aptitude des forêts à fonctionner comme des écosystèmes résilients. L’Europe peut jouer sans doute un rôle essentiel pour soutenir ces efforts. C’est donc le moment propice pour convaincre le secteur forestier de se mettre à l’heure européenne en mettant à disposition des instances européennes son savoir et son expertise en matière forestière. Comment ? Ceci fera l’objet de mon prochain article.

Remerciements

Sincères remerciements à M. Bernard Roman-Amat (Secrétaire de la section 2 – Forêts et Bois à l’Académie d’Agriculture de France) pour la relecture et pour ses commentaires personnels.

Références relatives aux actions de l’Union européenne

Traités

Traités principaux : https://eur-lex.europa.eu/collection/eu-law/treaties/treaties-force.html?locale=fr

Traité de l’UE et Traité sur le fonctionnement de l’UE, version consolidée : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/

Règlements de protection des forêts

Règlement du Conseil du 17.11.1986 (CEE) n°3528/86 relatif à la protection des forêts dans la Communauté contre la pollution atmosphérique ; (prolongations n°2157/92 et n°307/97) ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31986R3528&from=fr

Règlement du Conseil du 17.11.1986 (CEE) n°3529/86 relatif à la protection des forêts dans la Communauté contre les incendies ; (prolongations n°2158/92 et n°308/97) ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31987R0525&from=FR

Règlement Forest Focus (2152/2003) couvrant la période 2003-2007 et ayant comme objectif la « mise en place d’une action de surveillance des forêts et des interactions environnementales afin de protéger les forêts de la Communauté ». https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX%3A52010DC0430

Cour de la Justice européenne, Affaires jointes C-164/97 et C-165/97 du 25/2/1999 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:61997CJ0164&from=FR

Communications de la Commission européenne

Une nouvelle stratégie de l’UE pour les forêts pour 2030 : COM(2021) 572 final du 16.7.2021 ; https://ec.europa.eu/info/files/communication-new-eu-forest-strategy-2030_fr

Le Pacte Vert pour l’Europe : COM(2019) 640 du 11.12.2019 ; https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:b828d165-1c22-11ea-8c1f-01aa75ed71a1.0022.02/DOC_1&format=PDF

Représentation de la Commission en France : communiqué de presse du 20/3/2019 ; https://france.representation.ec.europa.eu/informations/80-des-lois-francaises-sont-imposees-par-leurope-vraiment-2019-03-20_fr

« Ajustement à l’objectif 55»: atteindre l’objectif climatique de l’UE à l’horizon 2030 sur la voie de la neutralité climatique, COM(2021) 550 final ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52021DC0550&from=FR

Actions législatives communautaires

Énergie

Directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018L2001

• Recherche

Règlement (UE) 2021/695 du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l’innovation «Horizon Europe» et définissant ses règles de participation et de diffusion ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021R0695&from=FR

PAC – Développement rural – Protection des plantes (article agriculture du Traité)

Règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32013R1305&from=FR

Règlement (UE) 2016/2031 du PE et du Conseil du 26 octobre 2016 relatif aux mesures de protection contre les organismes nuisibles aux végétaux ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016R2031&from=EN

Directive du Conseil du 21 décembre 1999 concernant la commercialisation des matériels forestiers de reproduction ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31999L0105&from=FR

• Environnement et Climat (article environnement du Traité)

Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021R1119&from=FR

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2018/841 relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie dans le cadre d’action en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030 ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018R0841&from=fr

Directive 2009/147/CE concernant la conservation des oiseaux sauvages ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=LEGISSUM:ev0024&from=FR

Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31992L0043&from=FR

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union ainsi qu’à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts COM (2021) 706 ; https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:b42e6f40-4878-11ec-91ac-01aa75ed71a1.0014.02/DOC_1&format=PDF

Règlement (UE) n°995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20/10/2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32010R0995&from=EN

Notes