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Histoire et territoires

Les chênes remarquables de la tranchée du chêne des partisans de Saint-Ouen-les-Parey (Vosges)

Résumé

La mise en place du quart de réserve des forêts à partir de l’Ordonnance de 1669 a permis la production d’arbres aux dimensions majestueuses dans toutes les forêts de France. Dans le département des Vosges, le quart de réserve de la commune de Saint-Ouen-lès-Parey a connu l’existence de cinq chênes majestueux, dont un seul subsiste aujourd’hui. Cette synthèse bibliographique a pour objectif de proposer une description dendrométrique et historique de ces chênes plusieurs fois centenaires.

Abstract

The setting-up of “quarts de réserve” in forest following the Ordinance of 1669 produced trees with exceptional dimensions in all French forests. In the Vosges department, the “quart de réserve” of Saint-Ouen-lès-Parey used to harbour five outstanding oaks, among which only one is still standing today. This bibliographical synthesis proposes a dendrometric and historical description of these centuries-old oaks.

Introduction

Les vieux arbres remarquables sont appréciés pour le qr valeur patrimoniale et pour la continuité des habitats grâce aux micro-habitats qu’ils possèdent (Fay, 2001). Ils sont favorables au maintien d’une biodiversité spécifique tout comme les arbres morts et dépérissants. La conservation de ces arbres est réalisée afin de préserver leurs intérêts paysager, ornithologique et muscicole (Office national des forêts, 2010). Pour le public, les arbres remarquables sont cantonnés dans les parcs ou jardins, privés ou publiques. La forêt est rarement mentionnée alors que les arbres forestiers remarquables représentent un patrimoine naturel le plus souvent insoupçonné (Vanwijnsberghe, 2014). Des associations existent pour référencer ces arbres, l’une d’entre elles, A.R.B.R.E.S. (Arbres Remarquables : Bilan, Recherche, Études et Sauvegarde), a pour objectif de stimuler les recherches sur la biologie, l’histoire ou le folklore sur les arbres remarquables et de développer un label afin de les protéger (A.R.B.R.E.S., 2021). Cette association recense aujourd’hui plus de 500 arbres remarquables en France métropolitaine au travers du label « Arbre Remarquable de France ».

Dans la forêt communale de Saint-Ouen-lès-Parey (Vosges), qui occupe la partie centrale d’un massif de plus de 6 000 hectares répartis sur seize communes, cinq chênes plusieurs fois centenaires ont été repérés entre le XIXe et le XXIe siècle, tous autour de la tranchée du chêne des Partisans. Ils se nomment le chêne des Partisans, le chêne Charles X, le chêne de la République, le chêne Henry et le chêne Claudot (seul à subsister aujourd’hui).

Le présent article vise d’une part à préciser la chronologie de l’histoire des chênes de la tranchée du chêne des Partisans, en apportant une vision la plus globale et la plus exhaustive possible, et d’autre part à affiner la localisation de deux d’entre eux, pour lesquels il ne reste aucun vestige. La littérature écrite entre 1781 et 2010 a permis de rassembler des informations sur l’origine de leur nom, leur baptême, leur localisation, leurs mensurations, l’année de leur mort et quelques anecdotes les concernant.

Les chênes sur les cartes

L’histoire de ces chênes n’est que très peu décrite dans la littérature. Les informations sont disséminées dans des articles de revues anciennes, et parfois elles sont incohérentes en ce qui concerne les données dendrométriques (Carriere, 1887 ; Watier 1896). Les cartes produites sur le territoire de la France apportent aussi quelques informations. En effet, le scan 25 actuel de l’Institut national de l’information géographique et forestière localise la tranchée du chêne des Partisans, le chêne des Partisans et le chêne Henry. Le chêne Claudot, encore vivant, n’est pas localisé sur les cartes récentes. Sur la carte d’état-major de 1866, la latitude et la longitude du chêne des Partisans sont précisées dans la cartouche. La latitude et la longitude de cinq points d’amer autour du chêne des Partisans ont été comparées avec les coordonnées en Lambert 93. Les points d’amer ont été réalisés sur des clochers car leur localisation est précise sur la carte d’état-major. Le décalage de géoréférencement entre la carte d’état-major et les coordonnées actuelles du chêne des Partisans est d’environ 630 m avec un azimut 162,17°.

Le plan cadastral parcellaire de la commune de Saint-Ouen-lès-Parey, établi le 12 septembre 1840, localise le chêne des Partisans sur la section C – 4e feuille et apporte des renseignements sur sa circonférence, sa hauteur et son envergure. Enfin, la carte de Cassini (1760) ne mentionne pas l'existence de ces arbres. Il s'agissait de la première carte localisant les forêts, les arbres individuels et les petits massifs n'étaient pas représentés (Vallauri et al., 2012).

L’histoire des chênes

Le chêne des Partisans

Ce colosse a disparu depuis bientôt 100 ans, et pourtant, il est dans toutes les mémoires des locaux qui ne l’ont pas connu (photo 1). L’attachement des personnes à cet arbre est lié à ses dimensions hors normes acquises au cours des siècles qu’il a traversés, mais aussi à l’âge que pouvait avoir cet ancêtre de nos forêts. Son nom reste un mystère. Selon Serval (1863), il peut s’agir d’un point de ralliement des partisans à la couronne de Lorraine, qui subirent les sièges de La Mothe en 1634 et 1645. La première référence au chêne des Partisans pourrait être antérieure à 1634, se situant au début du XVe siècle (Anonyme, 1824). Il est aussi émis l’hypothèse que son origine remonte au règne de Philippe-Auguste (n. 1165, c. 1179, d. 1223) (Société nationale des sciences, de l'agriculture et des arts de Lille, 1852).

Les dimensions de ce chêne sont connues d’une lettre de M. Viard, géomètre et arpenteur forestier, à M. Laurent, sous-préfet de Neufchâteau, le 24 avril 1833 (duplicata de Melle Dufour, 1833, cité par Vilminot, 1929) : « Ce chêne a, de circonférence, à sa base, 13 mètres ; à un demi-mètre de terre, 9 m ½ de circonférence ; à un mètre plus haut, 7 mètres de circonférence ; à 2 mètres de terre, 6 mètres de circonférence. Enfin, 5,70 m à la naissance de ses principales branches, qui se développent à 7 m ½ du sol. L’élévation de cet arbre est de 33 m 96 centimètres (101 pieds ½ de France) et son envergure de 25 mètres. »

Selon une Société de gens de lettres, de géographes et d’artistes en 1839, le tronc de ce chêne, quoique fortement conique, n’est point caverneux (Société de gens de lettres, de géographes et d'artistes, 1839). Ce qui n’était plus le cas en 1895. En effet, cet arbre a été dévoré de l’intérieur par un feu allumé par un apiculteur voulant déloger un essaim situé au creux de l’arbre (Charles, 2010). Afin de réparer les dégâts de l’incendie, du ciment fut coulé dans le chêne. Aujourd’hui, l’empreinte en ciment de l’arbre est l’unique vestige qui nous soit parvenu.

Suite à deux tempêtes des 24 octobre et 7 novembre 1926, il ne restait à l’emplacement du chêne qu’une chandelle de six mètres. C’est ainsi que se termine la vie multicentenaire du chêne des Partisans. Quel âge pouvait-il avoir ? Nicolas Viard l’estimait à 340 ans, ce qui lui confèrerait un âge de 433 ans en 1926. Cet âge est relativement modeste car cela signifierait que, lors du siège de La Mothe en 1634, le chêne des partisans n’était âgé que de 141 ans. Cet âge n’aurait pas fait de lui un point de ralliement des partisans car il n’aurait été qu’un chêne parmi les chênes (Charles, 2010). La taille de ce chêne reste exceptionnelle. Elle pourrait être le résultat de la fusion de plusieurs individus (Carierre, 1887). Selon l’auteur : « Cet arbre n’est pas un sujet unique ; il est le résultat de trois arbres qui se sont greffés latéralement et ont fini par former l’arbre gigantesque que l’on va voir aujourd’hui ». Cependant, cette caractéristique lui confèrerait un âge beaucoup plus bas et cela impliquerait que plusieurs forestiers dont Nicolas Viard en 1833 n’aient pas remarqué cet élément.

En étudiant l’architecture du chêne (photo 1, p. 000) et en émettant l’hypothèse qu’il s’agisse d’une anastomose de trois chênes, il est possible de deviner les trois individus. Le premier individu serait la branche basse sur la gauche et les deux autres se sépareraient plus haut en deux individus fourchus. La comparaison de ce chêne avec celui de la forêt des Andaines (Orne) dénommé le chêne des six frères permet de mettre en évidence que la fusion d’individus de chênes au travers des siècles permet la création d’un individu à tronc unique.

Photo 1 Architecture du chêne des Partisans
(Limédia Galerie, https://galeries.limedia.fr/ark:/18128/dm9gk34f0stkpnhm/)

Le chêne Charles X

La localisation de ce chêne d’après la littérature est très hasardeuse. Il est mentionné une fois dans les bois communaux de la Vacheresse (Carierre, 1887), une autre fois dans la forêt sectionale de Saint-Ouen-lès-Parey (Watier, 1896). La limite entre les deux communes étant proche, la confusion de territoire est envisageable. À notre connaissance, la littérature n’apporte pas d’information sur l’origine de son nom (parfois nommé Charles VIII), ni la période à laquelle ce nom est apparu. Cet individu avait une circonférence de 9 m au sol, de 6 m à 1 m du sol, une bille de 8 m jusqu’à sa première ramification et un diamètre de houppier estimé entre 18 et 20 m (Carierre, 1887). Une estimation à partir des dates de parution des articles permet de penser que cet arbre a disparu après 1909 (Reclus, 1909) et avant 1922 (Marot, 1922).

Le chêne de la République

Situé à 800 m du chêne des Partisans au lieu-dit « Grand Cuveau » existait le chêne de la République. Il doit son nom à l’établissement de la Deuxième République en 1848 (Garnier, 1907). Les mesures réalisées sur ce chêne ont permis d’établir les données suivantes : 5,0 m de circonférence à 1,30 m du sol ; une bille de 18 mètres et une hauteur totale de 34 m (Garnier, 1907). Il disparut en 1926, quelques mois avant le chêne des Partisans. Douze bœufs ont été nécessaires pour acheminer la principale bille de bois en gare de Martigny-les-Bains, à 8 km de son emplacement. Le fût a été ensuite acheminé par train à Jarville (Meurthe-et-Moselle) (Vilminot, 1929).

Le chêne Henry

Après le chêne des Partisans, le chêne Henry (parfois écrit Henri, Henrys ou Henry IV) est celui dont la vie est la mieux renseignée. Ce géant est situé à environ 200 m du chêne des Partisans dans la parcelle en face de la tranchée. Il porte le nom de l’inspecteur des forêts de Neufchâteau de 1850 à 1868 à qui ce chêne fut dédié (photo 2).

Photo 2 Le chêne Henry
(Limédia Galerie, https://galeries.limedia.fr/ark:/18128/dhhxpksfm8r4lw04/)

Les données dendrométriques récoltées (Carierre, 1887 ; Garnier, 1907 ; Vilminot, 1929) sont différentes mais coïncident dans la chronologie. Cependant, les informations de fût et de hauteur totale de Garnier (1907) ont des valeurs inférieures à celles des autres auteurs (jusqu’à 4 m). Les mensurations moyennes que nous pouvons retenir pour cet individu sont 5,60 m de circonférence à 1,30 m du sol, 20 à 24 m de fût jusqu’aux premières ramifications et une hauteur totale comprise entre 30 et 32 m. Cet arbre a aujourd’hui disparu, il est tombé en 1954 suite à de forts coups de vent (Meray, 1986) à un âge estimé de plus de 600 ans (Vilminot, 1929). Ce chêne a été vendu aux adjudications générales de 1954 pour un volume total de 29,82 m3 (pour la somme de 600 000 anciens francs). Le volume de la bille de pied (longueur 8 m – diamètre au milieu 1,61 m) était de 17,10 m3, la surbille 5,49 m3, les branchages 7,24 m3 et le bois d’affouage 20 stères (cf. Révision d’aménagement 1962-1981) (Direction des Eaux et Forêts, 1962). Grâce aux informations de la carte IGN et de la distance au chêne des Partisans, j’ai réalisé une prospection de terrain. Une souche en état de décomposition avancé de 5,90 m de circonférence à la base a été retrouvée. La souche retrouvée est à 195 m de distance du chêne des Partisans, ce qui est en adéquation avec les 200 m annoncés par Carierre. Cette souche a un fort intérêt écologique car elle est plus humide que du bois mort sur pied. Les champignons lignivores, certaines mousses et des insectes saproxyliques apprécient ces milieux frais. Enfin, les souches de chênes sont l’habitat de faune vivant au sol, telle que le Lucane cerf-volant (Lucanus cervus).

Le chêne Claudot

Le chêne Claudot (photo 3) est le seul subsistant de cette lignée de grands chênes, il est situé à proximité du feu chêne Henry. Il est ainsi dénommé par M. Mougin, inspecteur principal des Eaux et Forêts à Paris, lors de sa tournée d’inspection le 29 juin 1926. Il rappelle le souvenir de M. Claudot, inspecteur des Eaux et Forêts à Mirecourt, conservateur honoraire, qui cessa ces fonctions en 1927. Ses mensurations étaient de 3,90 m de circonférence à 1,30 m du sol, une hauteur de 30 m dont 8 m de fût au début du XXe siècle pour un âge estimé à 300 ans (Vilminot, 1929). Les mesures actualisées de cet arbre sont présentées dans le tableau I. La circonférence à 1,30 m du sol a augmenté de 100 cm en 90 ans. Ce qui représente un accroissement annuel en diamètre d’environ 0,35 cm sur ces 9 dernières décennies.

Photo 3 Le chêne Claudot
(Crédit photo : Patrice Thirion)

Tableau I Mesures dendrométriques du chêne Claudot


Mesure

Axe

(en degrés)

Hauteur

(en m)

Mesure à

Circonférence (en cm)

Cime

310°

36,5

la base

775

Cime

130°

36,1

0,5 m

570

Cime

80°

36,3

1 m

510

Cime

230°

35,3

1,30 m

490

1re branche

310°

9,6

1,50 m

490

2e branche

310°

10,7

2 m

470

Houppier

310°

13,4

le 06/04/2019

Le chêne Pied-Cornu

« À peine moins beaux sont le chêne Henri, le chêne Charles X et le chêne Pied-Cornu ; le tout dans une forêt de 302 hectares d’étendue » (Reclus, 1909). La partie méridionale de la forêt communale de Saint-Ouen-lès-Parey mesurant précisément 296 ha, quel était donc cet arbre et pourquoi n’était-il que si peu cité par les auteurs ? La réponse nous est apportée par la Société d'Emulation du département des Vosges (1888) qui précise : « N’oublions pas soit à l’allée, soit au retour, le chêne du Pied-Cornu, de belle dimension déjà se trouve en deçà du saut de la Chèvre, derrière cette lisière de sapins et en face cette simple croix de bois marquant la place où est mort dans la neige un bûcheron de l’endroit » (Société d'Emulation du département des Vosges, 1888). L’étude des cartes scan 25 a permis de localiser le Saut de la Chèvre, il s’agit d’un vallon situé sur le territoire de la commune de Martigny-lès-Bains (à une distance de 2,7 km du chêne des Partisans). Le chêne Pied-Cornu, bien que cité pour ses dimensions honorables, ne fut pas situé sur la tranchée du chêne des Partisans. Cependant la confusion est possible suite à la communication de Reclus.

Des chênes de renommée nationale et internationale

Au cours des siècles, ces arbres ont acquis une renommée sans cesse grandissante. Connus depuis toujours par les locaux, ils furent une attraction au XIXe siècle. L’établissement des eaux de Contrexéville proposait des excursions au chêne des Partisans, en stipulant que les environs de la station thermale n’offraient pas de sites très pittoresques. Le chêne était l’un des trois sites locaux à visiter (Joanne, 1868). Les excursions du chêne des Partisans se font également depuis l’établissement hydro-minéral de Martigny-lès-Bains (Louis, 1887).

Cette renommée était aussi internationale car le chêne des Partisans accompagné des chênes Henrys et Charles X sont cités dans un article en anglais de la revue The Indian Forester en 1897 (Gleadow, 1897). Un article en allemand de 1825 de la revue Allgemeine Forst und Jagd Zeitung détaille lui le chêne des Partisans.

L’âge du chêne Claudot

Aucun de ces arbres n’a été étudié par dendrochronologie ou du moins par un comptage fiable des cernes d’accroissements annuels. Cela aurait permis de déterminer l’âge réel des arbres et de fournir des informations sur leurs conditions de croissance.

La révision d’aménagement 1962-1981 de la section de Saint-Ouen définit l’âge d’exploitabilité des chênes à 195 ans, pour un diamètre à 1,30 m du sol, de 70 cm (soit 219,9 cm de circonférence). Ce qui correspond à la courbe de croissance I d’après la figure 1 (Bernard et André, 1957).

Ces courbes de croissance pour le chêne ont été produites à partir d’une campagne de comptage de cernes sur 7 045 chênes traités en taillis sous futaie jusqu’au milieu du XIXe siècle dans des peuplements de la moyenne vallée de la Saône, comme le quart de réserve de la section de Saint-Ouen. Ce travail a été effectué par le personnel de l’inspection de Gray, sous la direction de monsieur l’Ingénieur des Travaux André (Bernard et André, 1957). Ces chênes étaient situés sur des sols argilo-sableux des limons des Plateaux ou sur des formations calcaires du Rauracien recouvertes de placages tertiaires donnant des sols peu évolués à humus actif. La courbe déduite de ces comptages porte le numéro III (figure 1). Les autres courbes des chênes (I, II, IV, V et VI) ont été établies en admettant qu’elles reflétaient l’expression de sols de fertilité inférieure ou supérieure et que chaque classe de fertilité provoquait une variation de circonférence de 20 cm sur un chêne de 120 ans.

FIGURE 1 COURBES DE CROISSANCE DES CHÊNES DE L’INSPECTION DE GRAY
(selon Bernard et André, 1954)

Les sols de la tranchée du chêne des Partisans sont de qualités inférieures car il s'agit de sols limoneux à sableux, plus ou moins hydromorphes, acides (Maillant et al., 2016). Avec 220 cm de circonférence à 190 ans, il peut être admis l'utilisation de la courbe I pour représenter le chêne Claudot. Il est probable qu'il ait obtenu une circonférence d'environ 240 cm à 1,30 m du sol, soit 76,4 cm de diamètre en 220 ans (courbe I). L'accroissement moyen en diamètre serait de 0,35 cm/an.

Selon Bernard et André, les chênes de 240 cm de tour et au-dessus ont une croissance jugée excessive suite à la position dominante de leur houppier dans le couvert. Il est peut-être admis une seconde hypothèse que la croissance du chêne Claudot fut régulière tout du long de sa position de dominant comme ce fut le cas de 1929 à 2019 avec une croissance moyenne en diamètre de 0,35 cm/an. Les accroissements moyens en diamètre sur les 220 premières années et sur les 90 dernières années de la vie de l’arbre sont identiques, l’âge du chêne Claudot pourrait être estimé par la formule suivante :

âge2019=diamètre2019accroissement moyen annuel

où diamètre 2019 = 156 cm et l’accroissement moyen annuel = 0,35 cm.

Cependant cette méthode a une limite car il s’agit de la vitesse de croissance entre les 220 ans du chêne et 1929, soit environ le tiers de la vie de l’arbre. Selon Bernard et André, la vitesse de croissance entre 220 et 240 ans est de 0,16 cm/an contre 0,35 mm/an selon l’hypothèse de croissance régulière en tant qu’arbre dominant. Cela représente une transition brutale de croissance et donc que l’estimation de l’âge de l’arbre serait plus élevée.

L’âge du chêne Claudot pourrait être estimé, selon cette méthode de calcul, à un minimum de 446 ans (naissance avant 1573). Il serait plus correct d’estimer que le chêne Claudot serait né dans la première moitié du XVIe siècle.

Localisation des chênes et conclusion

Comment expliquer la présence de cinq chênes hors normes dans un rayon de 1 000 m autour du chêne des Partisans ? Cette partie de la forêt était le quart de réserve de la commune (Sales, 1781). Il s'agit de la mise en réserve d'un quart de la surface de la forêt communale afin de constituer un capital en bois. L'objectif de cette capitalisation est de pouvoir subvenir à différents besoins (taxes, construction, entretien) (Rochel, 2013). Le quart de réserve fait suite à l'Ordonnance de 1669, renforcé par le Code forestier de 1827. « Il existe dans l'arrondissement de Neufchâteau, département des Vosges, au lieu-dit le Quart de réserve de Saint-Ouen, un chêne énorme que sa dénomination doit faire considérer comme un monument traditionnel du patriotisme des Vosgiens : on l'appelle le chêne des Partisans » (Sénac et al., 1824). La mise en réserve du ban forestier de la commune permet d'expliquer la présence de ces chênes aux dimensions inhabituelles au cours du temps (Salés, 1781). C'est ainsi que le chêne Henry fut, lors d'un martelage d'une coupe dans la forêt de Saint-Ouen-lès-Parey, désigné le plus beau chêne réservé (Marot, 1922). De plus, afin de limiter les pillages, les abroutissements (pastoraux) et les dégradations, les quarts de réserves sont presque systématiquement au plus loin du village (Rochel, 2013). La forêt de Saint-Ouen-lès-Parey ne déroge pas à cette règle puisque la partie méridionale de la forêt actuelle contenant la tranchée du chêne des Partisans est la plus éloignée du village de Saint-Ouen. Avant le 5 mars 1833, Parey et Saint-Ouen étaient deux communes indépendantes. L'étude des données sur les cinq chênes a permis de réaliser une carte de leur localisation plus ou moins précise (figure 2). Les localisations du chêne Claudot et du chêne des Partisans sont les seules issues de repères physiques concrets. La présence d'une souche aux dimensions honorables a permis de repositionner le chêne Henry dans sa parcelle. Les autres sont situés dans des zones approximatives de localisation. Les informations contenues dans la littérature n'étant pas précises, des zones tampons ont été créées autour de ses indications. Les zones tampons du chêne de la République et du chêne Charles X sont de 100 mètres (respectivement à 800 et 1 000 mètres de distance du chêne des Partisans).

FIGURE 2 LOCALISATION DU QUART DE RÉSERVE ET DES CHÊNES

Les politiques forestières de l’Ordonnance de Colbert de 1669 renforcée par le Code forestier de 1827 ont permis l’instauration du quart de réserve aux forêts communales. Cette mise sous tutelle de 25 % du couvert forestier a laissé croître des arbres au cours des siècles derniers. La perte de quatre de ces arbres a entraîné une perte de biodiversité sur l’ancien quart de réserve de la forêt communale de Saint-Ouen-lès-Parey car ces arbres possédaient généralement une diversité de micro-habitats. Nos forêts conservent encore en leur sein quelques-uns de ces géants comme ici le chêne Claudot. Celui-ci n’aurait sans doute pas cette allure et cette fierté sans les hommes qui ont veillé et qui veillent encore sur lui.

Remerciements

Mes sincères remerciements à Messieurs Bernard Joly et Rémi Joly pour les références bibliographiques aux Archives départementales des Vosges et Monsieur Jean-Luc Dupouey pour ses relectures et la découverte des bibliothèques numériques.

Références

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Auteurs


Erwin Thirion

Affiliation : Université de Lorraine, AgroParisTech, INRAE, UMR SILVA, F-54000 Nancy, France

Pays : France

Biographie :

Adresse postale : UMR SILVA - Université de Lorraine, AgroParisTech, INRAE - INRAE Centre Grand Est Nancy - rue d'Amance - F-54280 Champenoux

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