Résumé

Dans cette mise au point sémantique, nous proposons de formaliser une série de définitions des termes les plus fréquemment utilisés pour qualifier une forêt selon son degré d’anthropisation. La forêt est appréhendée ici sous sa dimension écosystémique, incluant biotope et biocœnose. Dans un souci de robustesse conceptuelle, nous nous appuyons sur quatre théories scientifiques : la théorie des communautés végétales, la théorie des successions écologiques, la théorie des perturbations et la théorie de la hiérarchie, dont les contributions sont brièvement analysées. Sur cette base, nous reprenons un certain nombre de définitions et en proposons de nouvelles, de manière à qualifier une forêt selon quatre attributs fondamentaux : son origine et sa genèse ; son degré de naturalité ; son historicité et sa morphologie. Chaque définition est explicitée, argumentée et illustrée à l’aide d’exemples concrets. Nous concluons par une réflexion ouverte sur le concept d’état de référence pour une forêt.

Abstract

In this semantic update, we formalise the definitions of a number of terms commonly used to qualify forests depending on the impact of human activities. The forest is considered as an entire ecosystem, including not only the biocenosis, but also the biotope. For the sake of conceptual robustness, we relied on four scientific theories, namely 1) the theory of plant communities, 2) the theory of ecological successions, 3) the theory of disturbances, and 4) the hierarchy theory, and briefly discussed their respective inputs. Then, we revisited a number of definitions and proposed new ones to qualify forests according to four basic attributes: their origin and genesis, their degree of naturalness, their historicity, and their morphology. The background and the rationale behind each definition are discussed, and a few concrete examples are given. The conclusion opens onto the notion of a “reference state” of forests.

Introduction

Que ce soit dans la littérature scientifique, la documentation technique à usage des gestionnaires ou dans divers médias « grand public » abordant la question des forêts, il est fréquent de rencontrer les mots « primaire », « vierge », « naturelle » et bien d'autres qualificatifs du même type. Mais ces termes sont souvent galvaudés, utilisés de manière imprécise voire abusive, si bien qu'il n'est pas toujours évident de comprendre ce qu'ils sont censés désigner. À l'ère anthropocène, où les activités humaines ont un impact global sur la dynamique de la biosphère, il est légitime de questionner l'existence même de milieux « naturels » : l'anthropisation est globale et n'épargne aucun écosystème, donc aucune forêt. Il n'existe plus de « nature » qui ne soit, au moins indirectement, impactée par les humains. Dire qu'il existe une nature sans humain ne peut par conséquent signifier qu'elle est soustraite à toute influence humaine, mais tout au plus qu'elle ne subit pas directement cette influence. Il n'en reste pas moins intéressant, sinon nécessaire, de qualifier, voire de quantifier, le degré de naturalité d'une forêt — ou son complément, le degré d'artificialité (ou degré d'artificialisation, que nous mettrons en synonymie de degré d'anthropisation dans la suite de cette contribution). Nous établissons donc une distinction entre la nature d'une part, qui est l'objet de recherche des écologues et des pratiques des gestionnaires, depuis l'échelle de l'écosystème jusqu'à celle de l'ensemble de l'écosphère, et, d'autre part, la qualification de son degré d'anthropisation. L'ambiguïté entretenue entre ces deux notions est la cause de nombreux malentendus. De même, l'humain est pour nous un élément faisant partie intégrante du système étudié — sans aller jusqu'à dire que c'est une espèce comme les autres ! —, entretenant d'étroites relations de dépendance et de contrôle avec les autres éléments, et nous n'entrerons pas dans les débats, philosophiques, sur le schisme cartésien entre nature et culture (Descola, 2005). Ceci posé, il est légitime de considérer que la nature existe, mais sous des formes plus ou moins anthropisées : c'est une « technonature » au sens de Larrère & Larrère (1997), constituée d'« objets hybrides », à la fois naturels et sociaux (Latour, 1991). C'est à juste titre qu'aujourd'hui le terme de socio-écosystème prend le pas sur celui d'écosystème : parce qu'il habite la nature dont il dépend, l'Homme interagit avec elle et la transforme, bien que différant de ce que les écologues appellent une « espèce ingénieur » (Jones et al., 1994) par sa capacité à influencer les trajectoires dynamiques à une échelle plus globale et dans des temps plus courts. Comme le soulignent Larrère & Larrère (1997), « Le fait social n'interrompt ni les processus naturels nécessaires à la vie, ni ceux que mobilise la technique, mais il s'inscrit, lui-même, dans la nature ». Dans la suite de cet article, nous faisons le choix de considérer les conditions écosphériques de l'ère anthropocène comme les actuelles conditions naturelles, fussent-elles en partie déterminées par des activités humaines. Autrement dit, nous ne rejetons pas l'idée d'une nature « vierge » sur une planète globalement anthropisée, lorsque celle-ci n'a pas été directement impactée par des activités humaines locales ou régionales.

Une préoccupation majeure à l'ère anthropocène concerne l'érosion sans précédent de la biodiversité et avec elle, l'effondrement des écosystèmes, qui ne peuvent dès lors plus fournir biens et services aux sociétés humaines (Haddad et al., 2015 ; Newbold et al., 2016). Par exemple, ce sont 3,3 millions de km² d'espaces sauvages de la planète qui ont été perdus au cours des deux dernières décennies du XXe siècle, soit deux fois plus que la surface mise en protection dans le même temps (Watson et al., 2016). Renverser ces tendances suppose une réduction des impacts humains sur les écosystèmes, notamment forestiers, ce qui passe par des mesures de préservation des espaces jugés les plus naturels et de restauration des milieux dégradés (Watson et al., 2014). Dans un tel contexte, il nous semble opportun de qualifier, voire de quantifier, l'importance de l'anthropisation d'un écosystème, actuelle mais aussi passée. Cela implique de faire la part des choses entre une anthropisation qui résulte d'une intervention directe de l'humain sur l'écosystème, et une anthropisation indirecte liée au fait que l'écosystème interagit inévitablement avec des facteurs humains proximaux, régionaux ou globaux. Qualifier ou quantifier le degré de naturalité n'est d'ailleurs pas une préoccupation récente. Le modèle Urbs – Hortus – Ager – Saltus – Silva (von Thünen, 1826) ou la triade Silva-Saltus-Ager (Kuhnholtz-Lordat, 1938) en proposent une typologie fondée sur la nature des activités humaines, qui altèrent les écosystèmes naturels de manière plus ou moins marquée (Decocq, 2015a).

L’objectif est ici de proposer une mise au point terminologique sur les attributs d’une forêt liés à sa dynamique, son histoire et son degré d’anthropisation, qui s’appuie sur des fondements scientifiques issus de l’écologie, de manière à ce que les critères utilisés soient les plus objectifs possible. Le terme « forêt » désigne ici l’écosystème forestier dans son ensemble, incluant biotope et biocœnose, et non la seule formation végétale. Cet article, à but principalement pédagogique, propose des choix raisonnés de définitions pour les termes actuellement utilisés dans le domaine de la dynamique forestière sous l’effet des impacts anthropiques. En cela, il prolonge les travaux de Rameau, auxquels nous renvoyons le lecteur pour une présentation plus générale des termes et concepts liés à la dynamique forestière en général (Rameau, 1993a ; Rameau, 1993b). Nous commencerons par mobiliser quatre théories écologiques en vue de placer notre démarche dans un cadre conceptuel robuste. Nous proposerons ensuite une définition pour chacun des termes les plus couramment utilisés pour qualifier une forêt sur la base de ses attributs génétiques, fonctionnels, historiques et morphologiques. Ces définitions seront explicitées et illustrées à l’aide d’exemples concrets. Nous conclurons par une réflexion sur le concept d’état de référence, fréquemment mobilisé dans les domaines de la quantification du degré d’anthropisation, de la conservation et de la restauration des écosystèmes.

Fondements théoriques et conceptuels

Apports de la théorie des communautés végétales

La première théorie que nous mobilisons est celle expliquant l'assemblage des espèces en communautés. Nous nous restreignons ici aux communautés végétales, dans la mesure où ce sont elles qui servent de support et confèrent leur physionomie aux écosystèmes terrestres. Les processus sous-jacents au développement d'une communauté végétale (c'est-à-dire un ensemble d'individus appartenant à plusieurs espèces qui cohabitent à un temps donné sur une portion délimitée de l'espace) sont parfois désignés par « règles d'assemblage » (Wilson et al., 2019). À une échelle locale, ces processus peuvent être représentés sous la forme d'une superposition de filtres (Lortie et al., 2004 ; Decocq, 2019) (figure 1). Toute communauté végétale observable localement s'inscrit dans un contexte régional. Autrement dit, les espèces observées localement sont un sous-ensemble de la flore régionale (ou réservoir régional d'espèces), dont la composition dépend de l'histoire biogéographique et évolutive (Zobel, 1997). Pour participer à une communauté végétale locale, l'espèce doit non seulement être présente régionalement, mais aussi pouvoir se disperser depuis un site-source où elle est déjà présente vers le site à coloniser (Primack & Miao, 1992) ; c'est ce qui peut être représenté par le filtre de dispersion, qui agit à l'échelle d'un paysage. Autre prérequis : les exigences autécologiques de cette espèce doivent coïncider avec les conditions environnementales du site à coloniser, pour permettre son recrutement (Graae et al., 2004) ; c'est ce qui est représenté par le filtre environnemental (également appelé filtre abiotique). En d'autres termes, les conditions écologiques de l'habitat doivent coïncider avec la niche fondamentale de l'espèce (Chase & Leibold, 2003). Enfin, dernière condition, les autres espèces déjà présentes localement doivent permettre l'établissement et la persistance de cette espèce immigrante ; c'est ce qui peut être représenté par un filtre biotique, qui agit via des interactions directes avec les espèces déjà en place (p. ex. compétition interspécifique, parasitisme, mutualisme). C'est ce filtre biotique qui définit la niche réalisée d'une espèce et explique la différence observée par rapport à sa niche fondamentale (Chase & Leibold, 2003).

FIGURE 1 REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE DU PROCESSUS D'ASSEMBLAGE DES ESPÈCES EN COMMUNAUTÉS VÉGÉTALES SELON LE MODÈLE DES FILTRES (adapté de Lortie et al., 2004).
Selon ce modèle conceptuel, les espèces présentes régionalement doivent franchir successivement trois filtres pour former une communauté locale, mais ces filtres ne sont en réalité pas hiérarchisés. Les éclairs rouges indiquent les différents niveaux auxquels les activités humaines peuvent modifier le processus, avec quelques exemples donnés à titre indicatif (d'après Decocq, 2015a).

Dans le cadre de cette synthèse où la naturalité des forêts est abordée, nous nous intéressons au degré d’anthropisation des communautés végétales. Selon le cadre conceptuel évoqué ici, on peut considérer qu’il y a anthropisation de la végétation dès lors qu’une modification d’origine anthropique affecte au moins un des quatre niveaux mentionnés ci-dessus (Decocq, 2015a) :

    — au niveau du réservoir régional d’espèces : c’est ce que l’Homme a fait lorsqu’il introduit, volontairement ou accidentellement, une espèce exotique, que celle-ci soit envahissante ou pas. Il peut s’agir d’arbres forestiers (p. ex. Cerisier tardif, Chêne rouge, Acacia dans les forêts françaises) ou de plantes herbacées (p. ex. Impatience à petites fleurs, Raisin d’Amérique, Aster à feuilles de saules) ;

    — au niveau du filtre de dispersion : c’est ce qui se produit lorsque les vecteurs des diaspores des plantes sont entravés dans leur parcours. Par exemple, la fragmentation forestière réduit considérablement les possibilités de migration de nombreuses espèces herbacées à faible capacité de dispersion (espèces dont les graines sont dispersées par la gravité ou les fourmis) (Brunet & von Oheimb, 1998). La présence d’infrastructures peu perméables (autoroutes, canaux, lignes ferroviaires à grande vitesse, etc.), comme le contrôle des populations sauvages par la chasse, altèrent les mouvements des mammifères qui dispersent de nombreuses espèces épi- ou endozoochores. Inversement, les activités humaines peuvent faciliter l’arrivée d’espèces dans les milieux forestiers, lors des travaux sylvicoles par exemple, par le transport des graines par les engins forestiers (agestochorie) ou simplement par l’ouverture des peuplements, qui accroît la pluie de graines au sol. Plus généralement, l’Homme, par ses activités et ses déplacements, constitue un vecteur de dispersion biotique (hémérochorie), capable de disperser des diaspores sur de très longues distances (Bullock & Pufal, 2020) ;

    — au niveau du filtre environnemental : les modifications des propriétés physicochimiques de l’habitat forestier induites par les activités humaines sont très diverses ; elles seront envisagées au chapitre suivant ;

    — au niveau du filtre biotique : c’est ce que l’Homme a fait lorsqu’il intervient pour modifier directement la composition floristique ou l’abondance relative entre les espèces présentes, ce qui est évidemment le cas en sylviculture.

Apport de la théorie des successions écologiques

La deuxième théorie que nous proposons de mobiliser est la théorie des successions écologiques. Celle-ci trouve ses racines dans les travaux de Cowles (1899) sur les chronoséquences des dunes du lac Michigan, mais a surtout été développée et formalisée par Clements (1916). C'est notamment Cowles qui introduit le concept de climax comme stade ultime d'une succession, mais c'est Clements qui le formalise, comme représentant la communauté en « équilibre » avec le climat en l'absence d'intervention humaine (cf. annexe). Une succession végétale peut être définie simplement comme tout changement séquentiel et directionnel de la composition floristique. Si ce changement est observé de manière diachronique (au cours du temps) en un site spatialement délimité et fixe, on parle de succession temporelle. Si pendant longtemps on a considéré, comme Cowles, que les séquences observées dans l'espace le long d'un gradient d'ancienneté (de manière synchronique) étaient identiques à celles se déroulant au cours du temps, ce postulat d'une correspondance entre espace et temps est loin d'être vérifié (Decocq, 2004), a fortiori en contexte de changements globaux, où même le concept de climax perd de sa pertinence (Chiarruci et al., 2010).

Dans le cas des communautés végétales et en lien avec la phytosociologie, les successions ont été modélisées qualitativement par l'approche systémique (Gillet et al., 1991 ; Decocq, 2000). Dans ce modèle, le passage d'une communauté A à une communauté B se fait par une transformation, qui coïncide avec un changement significatif de composition végétale. Toute transformation possède 4 caractéristiques fondamentales : sa direction, son état, son origine et sa nature (tableau I).

La direction d'une transformation peut être dans le sens d'une maturation, qui se traduit souvent par une complexification architecturale, une augmentation de la biomasse et une certaine stabilisation de la composition (ce qui correspond à un rapprochement du « climax ») ; elle est dite progressive. C'est typiquement le cas lorsqu'une ancienne prairie en déprise se boise spontanément ou dans une régénération naturelle laissée à son libre cours. Si au contraire, la transformation provoque un « rajeunissement » de la communauté, avec simplification architecturale et réduction de la biomasse (ce qui correspond à un éloignement du « climax »), elle est dite régressive (une coupe forestière par exemple). C'est par exemple le cas lorsqu'un bois est défriché pour mettre un terrain en pâture. On peut utiliser le terme de transformation déviante pour caractériser des successions pouvant se produire avec ou sans variation de l'architecture et de la biomasse, mais correspondant à un changement irréversible de trajectoire. On a dans ce cas un éloignement du « climax » initial en même temps qu'un rapprochement vis-à-vis d'un nouveau « climax » (par exemple, suite à une altération irréversible du biotope, à une eutrophisation, ou à l'invasion par une espèce exotique qui incorpore durablement l'écosystème ; Decocq, 2000) ; ce nouveau « climax » représente un état stable alternatif du système (Suding et al., 2004).

L’état dune transformation concerne le type de succession dans lequel elle intervient : la transformation est dite primaire si elle s’inscrit dans une succession primaire, c’est-à-dire une succession qui débute dans un milieu exogène, régi uniquement par des facteurs physicochimiques (p. ex. climat, roche-mère) et au cours de laquelle un milieu endogène se met en place progressivement, en dehors de toute intervention humaine (cf. annexe). La transformation est dite secondaire si elle intervient après destruction directe d’origine anthropique de tout stade de la succession primaire, après qu’un milieu endogène se soit déjà constitué, c’est-à-dire un milieu accueillant déjà des êtres vivants et dont les facteurs physicochimiques (p. ex., substrat, microclimat) ont été modifiés par des facteurs biotiques. Par exemple, une succession prenant place sur une île volcanique récemment formée ou sur le front de retrait d’un glacier met en jeu des transformations primaires, tandis qu’une succession se déroulant au niveau d’une prairie en déprise fait intervenir des transformations secondaires.

L’origine dune transformation peut être intrinsèque à la communauté végétale, en dehors de toute modification brutale des conditions abiotiques du milieu ; elle est alors autogène, comme dans le cas de la maturation d’une forêt ou de la chute d’un arbre sénescent. Elle peut aussi être induite par un facteur externe qui modifie plus ou moins brutalement les conditions abiotiques ou biotiques du milieu ; elle est dans ce cas allogène, comme par exemple lorsqu’un sol est fertilisé ou chaulé, ou lors d’une tempête.

La nature de la transformation renvoie aux propriétés du milieu qui sont modifiées et qui induisent le changement de composition floristique. Une transformation peut être de nature édaphique lorsque ce sont les propriétés du sol qui sont modifiées (p. ex. acidification / alcalinisation, érosion / approfondissement, eutrophisation / oligotrophisation) ; de nature climatique en cas de changement des facteurs (micro-)climatiques (p. ex. aridification / ombrophilisation, réchauffement / refroidissement, éclaircissement / obscurcissement) ; de nature biotique si un organisme vivant intervient de manière directe (p. ex. pâturage, fauche, déprise, coupe forestière). Toutes ces transformations peuvent directement ou indirectement être d’origine anthropique (Decocq, 2015a). Ces différentes transformations affectent principalement le filtre environnemental ; mais si l’on se réfère à la théorie des communautés végétales évoquée précédemment, toute modification qualitative ou quantitative du réservoir régional d’espèces ou de l’un des trois « filtres » (dispersion, environnemental, biotique), peut théoriquement induire une succession d’une communauté vers une autre. Ainsi, la théorie des communautés végétales, qui pourrait donner l’impression d’une vision « statique » et déterministe des communautés, trouve-t-elle ici sa dimension temporelle : puisque chaque composante (réservoir et filtres) connaît des modifications permanentes, les communautés végétales ne sont pas stables mais au mieux, en « équilibre dynamique ».

Tableau I Description synthétique des quatre caractéristiques fondamentales d’une transformation écologique, avec le qualificatif correspondant de la transformation et quelques exemples


Caractéristique

Description

Nom

Exemples

Direction

Complexification architecturale, accumulation de biomasse (maturation de la communauté)

Progressive

Colonisation forestière d’une ancienne prairie en déprise, régénération naturelle laissée à son libre cours

Simplification architecturale, réduction de biomasse (rajeunissement de la communauté)

Régressive

Coupe forestière, défrichement d’un bois pour mise en pâture

Modification de composition sans altération de l’architecture ni de la quantité de biomasse

Déviante

Eutrophisation, invasion durable par une essence exotique

État

Depuis un milieu exogène ou endogène non modifié par l’homme

Primaire

Colonisation forestière suite au retrait d’un glacier, d’une nouvelle île volcanique

Depuis un milieu endogène modifié par l’homme

Secondaire

Recolonisation forestière d’une prairie en déprise

Origine

Induite par la communauté elle-même (intrinsèque)

Autogène

Cicatrisation d’une trouée de chablis

Induite par un facteur extérieur, le plus souvent anthropique (extrinsèque)

Allogène

Coupe forestière, fertilisation, régénération post-tempête

Nature

Induite par une modification des propriétés du sol (pH, trophie, humidité, salinité…)

Édaphique

Acidification, eutrophisation, drainage, désalinisation

Induite par une modification des propriétés climatiques (température, hygrométrie, lumière…)

Climatique

Réchauffement climatique, aridification, éclaircie

Induite par une modification des facteurs biotiques

Biotique

Mise en pâturage, coupe forestière, abandon de la gestion, augmentation de la densité d’ongulés, attaque d’insectes

Apports de la théorie des perturbations

La troisième théorie utilement mobilisable est la théorie des perturbations. En écologie, une perturbation est définie comme un événement qui détruit une partie ou la totalité de la biomasse présente en un site donné (Grime, 1974). Elle survient en général mais pas exclusivement, de manière brutale et imprévisible (à l’échelle des pas de temps sur lesquels la dynamique spontanée d’un écosystème se déroule). Ce faisant, la perturbation libère de l’espace physique et des ressources auparavant utilisés par la végétation résidante, qui deviennent par conséquent disponibles pour de nouvelles plantes, déjà présentes (dans la communauté exprimée ou dans la banque de diaspores du sol) ou arrivant nouvellement, par dispersion. La perturbation « rebat les cartes », en altérant — au moins temporairement — les abondances relatives des espèces présentes, voire la composition floristique de la communauté végétale et les conditions abiotiques et biotiques locales. Une perturbation enclenche une succession régressive relativement rapide, qui sera relayée par une nouvelle succession progressive une fois que ses effets se seront éteints (figure 2).

FIGURE 2 REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE DES INTERACTIONS ENTRE PERTURBATIONS ET SUCCESSIONS ÉCOLOGIQUES
(a) Une perturbation de courte durée (A), ou transitoire (B-D), comme une tempête ou un incendie, survenant au temps t0 fait dévier la succession de sa trajectoire progressive initiale vers une trajectoire régressive. L’amplitude de cette déviation dépend aussi de l’intensité et de l’étendue spatiale de la perturbation. Quand celle-ci s’interrompt (à tf pour A), le système tend à revenir vers sa trajectoire initiale, mais peut « payer sa dette d’extinction » (DE), certaines espèces pouvant continuer à disparaître à cause de la perturbation pendant le retour vers l’état initial. Quand le système a recouvré sa trajectoire initiale et une certaine stabilité (à tr pour A), il peut néanmoins continuer à recevoir des espèces qui arrivent avec retard, au fur et à mesure qu’il « perçoit son crédit de colonisation » (CC). Si la perturbation se poursuit au-delà d’un certain seuil d’irréversibilité, qui dépend de l’élasticité du système (qui traduit sa capacité de résilience maximale), le retour à la trajectoire initiale est impossible et le système suivra une autre trajectoire progressive une fois que la perturbation cessera (notée "?").
(b) Lorsqu’une perturbation devient permanente ou chronique (E), elle s’apparente à un stress : le système franchit également un seuil d’irréversibilité et se stabilise dans un état alternatif en équilibre dynamique avec le régime de perturbations. C’est le cas par exemple d’une forêt soumise à un sylvopastoralisme millénaire. Adapté de Decocq (2015a, 2019).

La perturbation doit être distinguée du stress, qui désigne tout facteur limitant de manière permanente la production et l’accumulation de biomasse. Une inondation, une sécheresse, une attaque d’insectes, une tempête, une éruption volcanique sont des perturbations ; l’aridité, une forte teneur en sel, un sol engorgé sont des stress. Toutefois la limite entre stress et perturbation n’est pas toujours évidente : dès lors qu’une perturbation intervient de manière récurrente, à intervalles relativement réguliers, la destruction de biomasse empêche son accumulation et s’apparente par conséquent à un stress d’un strict point de vue écologique. C’est le cas par exemple du pâturage, qui peut être une véritable perturbation lorsqu’il s’applique à une communauté végétale auparavant non pâturée, induisant du même coup une succession régressive (cas par exemple de troupeaux que l’on fait nouvellement entrer dans une forêt), mais qui agit plutôt comme stress lorsqu’il est conduit depuis des siècles sur un même site et donc « bloquant » toute succession progressive (cas par exemple des cupressaies pâturées du Bassin méditerranéen) (Decocq, 2015a).

Une perturbation possède 4 caractéristiques fondamentales : son origine, son intensité, sa temporalité et son étendue spatiale, la combinaison des quatre définissant le régime de perturbation auquel est soumis une communauté végétale.

L’origine de la perturbation peut être naturelle ou artificielle (c’est-à-dire d’origine anthropique). Une perturbation naturelle est souvent de nature abiotique (tempête, glissement de terrain, éruption volcanique, inondation, etc.), mais peut aussi être de nature biotique (épidémie, pullulation d’insectes phytophages, etc.). Si la cause directe est naturelle, elle peut néanmoins être indirectement d’origine anthropique (p. ex. inondation amplifiée par des aménagements hydrauliques en aval, glissement de terrain favorisé par des coupes forestières en haut de pente, augmentation de l’intensité des tempêtes en lien avec le réchauffement climatique) ; on pourra parler dans ce cas de perturbation semi-naturelle. Une perturbation artificielle est directement induite par les activités humaines ; elle est souvent de nature biotique (mise en pâturage, coupe forestière, incendie, etc.), mais peut aussi être de nature abiotique (érosion du sol par ouverture d’une carrière, etc.).

L’intensité dune perturbation peut être quantifiée par la quantité ou la proportion de biomasse détruite lors de l’événement.

La temporalité dune perturbation inclut sa durée et sa fréquence. La durée désigne le temps durant lequel un épisode de destruction de biomasse se produit, de quelques secondes dans le cas de la chute d’un arbre sous l’effet d’un coup de vent à quelques années dans le cas d’un essartage suivi de mise en culture. La fréquence correspond à l’intervalle de temps qui sépare deux épisodes d’un même type de perturbation ; par exemple, annuelle, décennale ou centennale pour les crues ; tous les 80 à 150 ans pour les coupes finales en futaie régulière feuillue ; tous les 10 ans pour des tempêtes dans certains couloirs ; etc. Plus la durée ou la fréquence est élevée, moins la communauté végétale a de temps pour connaître une succession progressive. Dans les cas extrêmes où elle intervient de manière semi-permanente ou à intervalles très réguliers, la perturbation devient un stress, comme évoqué précédemment.

La configuration spatiale dune perturbation, qui combine l’étendue spatiale, c’est-à-dire la surface totale affectée par la destruction de biomasse et où une succession écologique pourra se mettre en place, et le grain, c’est-à-dire la dimension des zones effectivement détruites sur cette étendue. Une perturbation peut être de faible étendue, par exemple dans le cas d’un chablis en forêt, jusqu’à couvrir des milliers de kilomètres carrés, par exemple dans le cas d’un feu de forêt. Une tempête qui s’abat sur un massif forestier peut ne laisser aucun arbre debout sur une parcelle ou, au contraire, ne provoquer la chute que de quelques arbres affaiblis dispersés dans cette parcelle ; dans le premier cas, le grain est grossier, dans le second il est fin.

Au vu de ces trois dernières caractéristiques, à des fins de comparaison, il est utile de quantifier une perturbation ou un régime de perturbations par une quantité de biomasse détruite par unité de surface et par unité de temps (figure 3) ; elle peut être comparée ainsi directement à la productivité primaire de l’écosystème considéré, exprimable dans la même unité.

FIGURE 3 REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE DE DIFFÉRENTS RÉGIMES DE PERTURBATIONS ARTIFICIELLES À L’ÉCHELLE D’UNE PARCELLE FORESTIÈRE DANS LE CAS D’UNE CHÊNAIE SUR LIMONS DANS LE NORD DU BASSIN PARISIEN (d’après les données de gestion aimablement fournies par l’Office national des forêts et la Compagnie forestière du Nouvion)
Le taillis-sous-futaie (TSF) implique une coupe de l’ensemble du taillis et d’une partie de la futaie tous les 25-30 ans sur toute l’étendue d’une à quelques parcelles (grain grossier, faible étendue). La futaie irrégulière (FIR) inclut une coupe d’éclaircie tous les 4-6 ans et une récolte sélective « pied à pied » tous les 8-10 ans, dans toutes les parcelles (grain fin, étendue importante). La futaie régulière (FR) par régénération artificielle applique des coupes d’éclaircie importantes tous les 15-20 ans et une coupe à blanc tous les 150 ans (grain moyen, étendue moyenne). En termes de biomasse prélevée par unité de temps et de surface, les valeurs sont similaires entre les trois régimes.

Un autre aspect des perturbations qu’il est utile de mentionner ici est le phénomène d’hystérésis, qui désigne la dissymétrie temporelle inhérente aux systèmes écologiques, dont la trajectoire de recouvrement postperturbation suit une trajectoire différente et plus lente que la trajectoire régressive induite par la perturbation (figure 2a). Lorsqu’une perturbation survient, elle détruit relativement brutalement tout ou partie de la communauté en place, ce qui se traduit par une succession régressive rapide. Lorsque la perturbation s’interrompt et si aucune autre ne survient, la communauté végétale locale va retrouver une succession progressive avec, éventuellement, reconstitution de la communauté d’origine (avant perturbation), mais selon une trajectoire distincte, qui se déroulera sur un temps plus long que le temps qui avait été nécessaire à l’obtention de la communauté régressive. C’est cette inertie des systèmes écologiques que traduit le concept de dette d’extinction, qui désigne l’ensemble des espèces amenées à disparaître d’une communauté à cause de la perturbation, mais qui s’y maintiennent transitoirement malgré des conditions locales défavorables, du fait de leur longévité ; ou son opposé, le concept de crédit de colonisation, fréquemment observé après des opérations de restauration, qui désigne l’ensemble des espèces qui sont prédites comme présentes par la théorie des communautés végétales, mais qui manquent pourtant dans la communauté locale — au moins temporairement —, parce que la configuration du paysage ou les capacités de dispersion de ces espèces ne leur ont pas encore permis de s’implanter (Jackson et Sax, 2010).

Il existe un lien évident entre la théorie des perturbations et la théorie des successions écologiques envisagée précédemment, puisque de manière générale toute perturbation induit une succession, suite aux transformations qui s'exercent sur la communauté végétale initiale. Une succession primaire est uniquement régie par des perturbations naturelles. Dès lors que survient une perturbation artificielle, c'est-à-dire d'origine anthropique, une succession secondaire est induite. En général, une perturbation induit une transformation de multiples natures. Par exemple un incendie de forêt — indépendamment du fait qu'il soit d'origine naturelle ou anthropique — induit, entre autres, un décapage du sol (par élimination de la végétation herbacée en place), une alcalinisation (par les cendres), un éclaircissement (par destruction des strates ligneuses). De même, le pâturage provoque un tassement du sol (qui dépend du poids des animaux) et une eutrophisation (par les déjections), en plus de l'action de prédation sélective de certaines espèces au profit d'autres ; s'il s'agit d'un troupeau itinérant, il joue en plus un rôle de vecteur de dispersion pour d'autres espèces. Un cas particulier mérite d'être mentionné : le changement de régime de perturbations. Cela peut consister en la suppression d'une perturbation chronique (p. ex. arrêt du pâturage, déprise d'une terre agricole), auquel cas une succession progressive s'enclenche. Ce peut être également un changement de l'une ou de plusieurs des caractéristiques de la perturbation, c'est-à-dire une modification de son intensité, de sa temporalité ou de son étendue spatiale. C'est par exemple le cas lorsque l'on convertit un taillis-sous-futaie en futaie (figure 3) : même lorsque la même quantité de biomasse est extraite par unité de temps et de surface, l'intensité, l'étendue spatiale et la fréquence des prélèvements ne sont pas identiques et les effets sur la végétation peuvent être drastiquement différents (Decocq et al., 2004).

Il y a un lien tout aussi évident entre la théorie des perturbations et la théorie des communautés végétales. Une perturbation va altérer un ou plusieurs des trois « filtres » évoqués précédemment : de dispersion, environnemental ou biotique. Par exemple, le pâturage altère simultanément le filtre de dispersion (la dispersion des espèces épi- et endozoochores pouvant être facilitée par les animaux domestiques), le filtre environnemental (notamment par tassement du sol et eutrophisation) et le filtre biotique (la prédation sélective favorisant les espèces rejetées au détriment des espèces appétantes).

Apports de la théorie de la hiérarchie

Une dernière théorie qui peut aider à formaliser les concepts liés à la naturalité des forêts est la théorie de la hiérarchie, telle qu’élaborée par Allen et Starr (1982). Cette théorie permet de placer un niveau de perception ou un phénomène sur une échelle spatiotemporelle, à un niveau qui lui est propre, mais qui n’est indépendant ni des niveaux supérieurs (plus « globaux »), ni des niveaux inférieurs (plus « fins »). Par exemple, les variations de composition floristique d’un bois de quelques hectares dépendent principalement de la dynamique propre à ce bois (souvent associée à la gestion qui en est faite : coupes forestières, créations de clairières et de sentiers, introduction d’essences, etc.), mais ne sont pas indépendantes de ce qui se passe au niveau régional (p. ex. arrivée d’une espèce exotique envahissante dans le réservoir régional d’espèces, augmentation de la densité d’ongulés sauvages, retombées atmosphériques d’azote) et global (p. ex. changements climatiques). De même, ce qui se passe à un niveau local à l’intérieur du bois va inévitablement influencer ce qui peut être observé à l’échelle du bois entier (p. ex. dépérissement d’une essence, chute d’un arbre sénescent, apports de gravats), voire de la région (p. ex. plantation d’une espèce exotique qui vient s’ajouter au réservoir régional d’espèces et qui pourra essaimer vers des habitats distants) (figure 4).

Il existe une certaine corrélation entre échelle d'espace et échelle de temps. En général, des changements ponctuels se produisent rapidement (p. ex. chablis en réponse à une tempête) alors que des changements étendus surviennent sur des temps longs (p. ex. dépérissement d'une essence en réponse aux changements climatiques globaux). Pour faire le lien avec les théories précédemment envisagées, cela signifie que la dynamique d'un écosystème est non seulement influencée par des facteurs locaux affectant tout ou partie de cet écosystème, mais aussi par des facteurs paysagers et régionaux (c'est-à-dire qu'une perturbation touchant un autre secteur géographique de la même région peut indirectement modifier la succession écologique dans laquelle s'inscrit cet écosystème) et des facteurs globaux (qui peuvent, par exemple, modifier le filtre environnemental local ou la composition du réservoir régional d'espèces). Ces niveaux hiérarchiques auxquels le fonctionnement des écosystèmes forestiers peut être appréhendé ont été formalisés par Oldeman (1990) et appliqués aux forêts européennes (Schnitzler-Lenoble, 2002). L'éco-unité, qui correspond approximativement à une unité de régénération (p. ex. une trouée de chablis), est emboîtée dans une écomosaïque, qui rassemble toutes les éco-unités possibles d'un écosystème, elle-même partie d'un écocomplexe, qui est appréhendé à une échelle biogéographique donnée. Cette dépendance d'échelle se retrouve dans la théorie des métacommunautés, qui décrit la dynamique d'écosystèmes fragmentés au sein de matrices paysagères plus ou moins perméables aux mouvements des espèces. La dynamique d'une communauté locale est ainsi sous la dépendance de la dynamique des autres communautés locales, à travers des processus tels que l'effet de masse ou les relations sources-puits (Leibold et al., 2004). L'effet de masse, par exemple, peut expliquer la présence d'une espèce dans une communauté locale où les conditions environnementales lui sont pourtant défavorables (donc pour laquelle la théorie des communautés prédit l'absence) parce qu'une population importante et proche entretient un flux permanent d'arrivée de graines.

FIGURE 4 REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE DE LA THÉORIE DE LA HIÉRARCHIE
Chaque niveau hiérarchique est sous la dépendance des processus se déroulant aux niveaux supérieurs, mais subit également des rétroactions des niveaux inférieurs. Par exemple, la dynamique d’un écosystème forestier local est bien sûr régie par les facteurs locaux, mais également par des facteurs paysagers et globaux, tout en étant influencée par des facteurs affectant uniquement un individu ou une espèce au sein du système.

Concepts et proposition de définitions

Qualifier l’origine et la genèse d’une forêt (encadré 1)

Selon la théorie des successions, une forêt peut s’inscrire dans une succession primaire (c’est-à-dire une trajectoire dynamique ayant débuté dans un milieu exogène, non influencée par des perturbations anthropiques directes) ou dans une succession secondaire (c’est-à-dire une trajectoire dynamique induite par une action anthropique, ayant débuté dans un milieu endogène après destruction partielle ou totale de la végétation primaire) (figure 5).

Une succession primaire progressive correspond à la colonisation d’un substrat géologique nu (milieu dit abiotique ou exogène) par la végétation, suivie d’un enchaînement de stades de plus en plus complexes structurellement, avec développement simultané d’un sol à l’interface substrat-végétation et modifications biotiques des conditions environnementales, dans un milieu devenu endogène. On peut observer des successions primaires sur des milieux du type coulée de lave, île volcanique, moraine glaciaire, éboulis alpin, etc. Selon les conditions environnementales, notamment climatiques, la succession primaire conduit à un stade « final » complexe, non pas stable dans le temps, mais en équilibre dynamique avec les conditions environnementales. Pour environ les deux tiers des surfaces terrestres, ce stade ultime est une végétation forestière dont la complexité structurelle augmente avec la quantité d’énergie disponible, depuis les zones boréales à la zone intertropicale, en passant par les zones tempérées. Dans les secteurs géographiques connaissant un fort stress hydrique ou thermique, la complexité structurelle est limitée et ce stade ultime n’est pas forestier (p. ex., steppe, matorral, pelouse alpine).

Dans le cours de la succession primaire progressive, une perturbation naturelle peut survenir et détruire tout ou partie de la végétation en place, faisant retourner le système à un stade de moindre complexité structurelle (p. ex., passage d’une forêt à une clairière après une tempête, passage d’une garrigue à une végétation pionnière après incendie) : la perturbation induit une succession primaire régressive. Une fois la perturbation terminée, la succession progressive qui reprend reste considérée comme une succession primaire, même si elle redémarre dans un milieu endogène, puisque celui-ci n’a pas subi d’intervention humaine directe et que la végétation primaire n’a pas été complètement détruite. Si en revanche c’est une perturbation artificielle (= d’origine anthropique) qui intervient dans le cours de la succession primaire progressive, la succession régressive (p. ex., coupe forestière) ou déviante (p. ex. fertilisation) induite — parfois au bout d’un certain délai — est dite succession secondaire. Une fois la perturbation terminée, ce qui peut intervenir rapidement (incendie d’origine anthropique, coupe forestière) ou à très longue échéance (mise en culture), une succession primaire progressive ne peut reprendre, c’est une succession secondaire progressive qui la remplace, le milieu endogène ayant été artificiellement modifié. Ainsi, une succession secondaire correspond à la complexification (succession progressive) ou à la simplification (succession régressive) structurelle de la végétation établie dans un milieu endogène (milieu régi par des facteurs à la fois abiotiques et biotiques) modifié par des perturbations artificielles.

Sur cette base, il nous semble légitime de qualifier une forêt de « primaire » ou de « secondaire », dès lors qu’elle s’inscrit dans une succession primaire ou une succession secondaire, respectivement. Deux remarques s’imposent. Premièrement, le caractère primaire ou secondaire d’une forêt ne préjuge en rien de son degré de maturité : une bétulaie ou une saulaie pionnière peut être aussi bien primaire que secondaire selon les circonstances, tout comme une hêtraie. Deuxièmement, lorsqu’une perturbation anthropique « mime » une perturbation naturelle, succession primaire et succession secondaire peuvent ne pas différer significativement dans leurs trajectoires. C’est le cas, par exemple, entre un feu de forêt d’origine humaine et un feu de forêt initié par la foudre.

FIGURE 5 REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE DES DIFFÉRENTES TRAJECTOIRES TEMPORELLES ABOUTISSANT À UN ÉCOSYSTÈME FORESTIER ACTUEL
(de haut en bas : forêt primaire, forêt secondaire, forêt tertiaire)

Il nous semble utile d’introduire le concept de forêt tertiaire pour rendre compte d’un troisième type de forêt, qui est clairement distinct des forêts primaires et secondaires, tant par sa genèse que par son cortège d’espèces associées. Il s’agit du cas où la végétation initiale (primaire ou secondaire) a été complètement détruite par une perturbation artificielle, au point que le milieu endogène a localement complètement disparu ou presque. La succession débute dans un milieu proche d’un milieu exogène, comme dans le cas d’une succession primaire, mais ce milieu abiotique est d’origine anthropique et les processus de recolonisation par la végétation sont largement influencés par des facteurs humains, comme dans le cas d’une succession secondaire (p. ex. recolonisation forestière d’une ancienne carrière, boisement d’alluvions exondées suite au détournement d’une rivière, colonisation forestière spontanée d’un terril ou d’anciens champs longtemps cultivés). De plus, ce type de succession est souvent beaucoup plus rapide qu’une véritable succession primaire du fait de la présence de sources proches de diaspores dans le paysage. À noter que cette notion de végétation « tertiaire » a été initialement introduite pour les pelouses se reconstituant sur d’anciens terrains cultivés (Boullet, 1986).

Deux autres termes sont parfois utilisés et souvent mis en synonymie pour désigner une forêt en fonction de son origine : ceux de « forêt originelle » et de « forêt primordiale ». De fait, étymologiquement, originel (= qui remonte jusqu’à l’origine) et primordial (= qui est à l’origine) possèdent des significations très proches. Appliqués à la forêt, ces qualificatifs trouvent difficilement un rationnel scientifique et relèvent davantage d’une vision « littéraire », sinon romantique, voire biblique (le paradis terrestre perdu ; Arnould, 1993), de la forêt.

Encadré 1 : Proposition de définitions pour la caractérisation des forêts d’après leur origine et leur genèse

Forêt primaire = forêt issue d’une succession primaire non significativement impactée par des activités humaines directes.

Forêt secondaire = forêt issue d’une succession secondaire qui s’est mise en place après destruction directe d’origine anthropique, partielle ou totale, d’une végétation primaire.

Forêt tertiaire = forêt issue d’une succession secondaire, mais qui s’est mise en place après destruction totale de la végétation et du milieu endogène initiaux au sein d’un paysage par ailleurs composé de végétations secondaires.

Qualifier la naturalité dune forêt (encadré 2)

Le caractère « naturel » d'une forêt renvoie à la nature des processus sous-jacents à sa dynamique actuelle et passée, et à leur indépendance de toute influence humaine directe significative (Peterken, 1996). Il existe un continuum entre une forêt naturelle et une forêt très artificielle ; la position entre ces deux extrêmes correspond au degré de naturalité, défini comme le degré de proximité à un état naturel hypothétique d'une forêt (souvent un état historique caractérisé à partir d'approches archéologiques et paléoécologiques, mais parfois aussi un état présent ou futur modélisé ; Hickler et al., 2012 ; Hengl et al., 2018), ou à son complément, le degré d'anthropisation (ou degré d'artificialité ou degré de rudéralité ou degré d'hémérobie ; Jalas, 1955, Hill et al., 2002), toujours obtenu par comparaison à cet état naturel hypothétique. Le long de ce gradient de naturalité/artificialité, on peut utiliser plusieurs qualificatifs que nous allons définir.

Par définition, une forêt primaire est naturelle, mais une forêt secondaire peut également présenter un haut degré de naturalité. Selon nous, deux dimensions doivent être prises en compte pour qualifier le degré de naturalité d’un écosystème forestier (figure 6) :

— la naturalité de sa biocœnose, qui suppose que la forêt secondaire ait été laissée en évolution libre depuis un temps suffisamment long. Ce temps « suffisamment long » pour atteindre une forte naturalité de la biocœnose peut être fixé comme une durée supérieure à la durée d’un cycle sylvigénétique normal, généralement déterminée par la longévité des espèces ligneuses structurantes. Si ce temps peut être relativement court dans le cas de forêts à bois tendre (p. ex. peupleraies, saulaies, bétulaies dans les régions tempérées ou boréales), de l’ordre du siècle, il est beaucoup plus long pour beaucoup de forêts tempérées, de plusieurs siècles (p. ex. hêtraies, chênaies, sapinières). Dans le cas où une forêt auparavant exploitée est laissée en évolution libre (suite par exemple à une mise en réserve), il faudra donc attendre, au minimum, que la totalité des individus ligneux initialement présents aient été remplacés pour considérer que la biocœnose est devenue naturelle. Elle se caractérise alors par une représentation simultanée de toutes les phases du cycle sylvigénétique : phase d’innovation (= phase de régénération), phase d’aggradation (= phase de croissance), phase biostasique (= phase de vieillissement) et phase de dégradation (= phase de sénescence) (Bormann & Likens, 1979 ; Oldeman, 1990). L’étendue spatiale nécessaire à l’expression de ces différentes phases, tout comme le délai nécessaire à leur mise en place dépendent étroitement du biome considéré et de la distribution spatiotemporelle des perturbations naturelles. Si dans une forêt tropicale l’ensemble des phases peut se mettre en place sur des surfaces relativement réduites et des temps relativement courts, dans une forêt boréale il nécessitera des surfaces beaucoup plus importantes et, bien que le nombre de phases soit réduit, souvent des temps plus longs.

— la naturalité de son biotope, qui suppose que la forêt se soit développée dans une portion de l'espace libre (ou libérée) de tout impact anthropique significatif, hors changements globaux induits par les activités humaines (cf. Introduction). Cela exclut d'emblée les biotopes artificiels (p. ex. terrils, construction) ou récemment artificialisés (p. ex. pollutions du sol par des métaux lourds ou des dépôts atmosphériques, même si la source est distante). Si le site qui héberge une forêt a été le siège d'activités humaines depuis longtemps révolues, celles-ci ont pu durablement affecter les conditions environnementales et même si une biocœnose à forte naturalité occupe désormais le site, la composition et le fonctionnement de celle-ci peuvent toujours être déterminées partiellement par les activités humaines du passé (Dupouey et al., 2002 ; Dambrine et al., 2007 ; Plue et al., 2008). C'est typiquement le cas de certaines parties de la forêt amazonienne, aujourd'hui occupées par une forêt, « vierge » en apparence parce que sa biocœnose est naturelle (c'est-à-dire qu'elle s'est spontanément mise en place à partir du réservoir régional d'espèces), mais pour laquelle les données archéologiques et l'analyse des sols montrent que c'est une forêt secondaire qui a recolonisé d'anciens habitats humains, d'anciennes terres cultivées ou d'anciens pâturages (Van Gemerden et al., 2003 ; Clement et al., 2015). La naturalité d'une biocœnose ne garantit donc pas la virginité de l'écosystème, ce qui doit être pris en compte dans les termes utilisés pour qualifier une forêt. La naturalité du biotope suppose donc, dans le cas d'une forêt secondaire, l'effacement des modifications édaphiques et biotiques d'origine anthropique.

Ces deux composantes étant définies, nous pouvons essayer de positionner le long du gradient de naturalité/artificialité (diagonale sur la figure 6) les différents termes habituellement utilisés dans la littérature pour qualifier une forêt. Les méthodes de mesure de la distance entre l’état présent d’un écosystème forestier (biocœnose et biotope) et la référence choisie pour évaluer son degré de naturalité sont l’objet de recherches relativement récentes. La façon de qualifier et de nommer les différents niveaux de naturalité est donc amenée à évoluer et nos définitions sont des propositions.

Les états de plus forte naturalité correspondent aux définitions de forêt vierge et de forêt naturelle. Dans son sens littéral « vierge de toute influence humaine depuis que l’espèce humaine existe », une forêt vierge est nécessairement une forêt primaire telle que nous l’avons définie plus haut, n’ayant jamais été significativement affectée par les activités humaines. Toutefois, nous proposons d’inclure sous ce même vocable les forêts primaires que des humains « habitent » sans en modifier significativement le biotope et la biocœnose, c’est-à-dire sans induire de succession régressive (cas par exemple des forêts exploitées de manière extensive par des chasseurs-cueilleurs). Dans le cas d’une forêt secondaire, c’est le terme de forêt naturelle qui devrait être utilisé, dès lors qu’à la fois sa biocœnose et son biotope sont naturels (c’est-à-dire qu’il y a eu renouvellement complet du peuplement forestier sans influence humaine et effacement complet des modifications anthropiques du biotope). Il faut insister sur le fait que nous nous démarquons ici du sens américain du terme forêt vierge, qui signifie une forêt « épargnée par le développement industriel » (Nash, 2014). L’utilisation habituelle de ce qualificatif est très empreinte du romantisme du XIXe siècle et renvoie indubitablement à la vision idéalisée d’une forêt primaire où l’Homme n’aurait jamais pénétré. Si l’on considère que l’espèce humaine a déjà modifié toutes les forêts de la planète qui lui étaient accessibles, il est probable qu’il n’existe plus aucune forêt vierge ancienne de nos jours, sauf peut-être dans certaines régions inaccessibles ou peu habitées, comme dans les forêts boréales. En revanche, certaines forêts primaires récentes pourraient être considérées comme vierges, dès lors qu’elles n’ont pas été modifiées significativement par les activités humaines (p. ex. forêts pionnières sur coulées de lave récentes). Dans tous les autres cas où une forêt est « vierge de toute influence humaine » depuis longtemps, mais ne l’a pas toujours été, il serait plus juste de parler de forêt naturelle. La forêt naturelle ne diffère dans ce cas de la forêt vierge que par son caractère secondaire, qui lui confère une composition et un fonctionnement propre, puisque la trajectoire dynamique initiale a été infléchie sous influence anthropique par rapport à celle d’une forêt primaire.

Avant que le stade de forêt naturelle ne soit atteint, une forêt laissée en évolution libre (cf. point A sur la figure 6) acquiert des caractères de forêt naturelle, notamment au niveau de sa biocœnose. Empiriquement, on peut constater d'importants changements structurels dans les décennies qui suivent une mise en réserve (p. ex. complexification architecturale, accumulation de bois mort au sol, arbres sénescents), avant d'atteindre une longue phase durant laquelle les changements structurels et de composition sont plus lents et subtils (cf. point B sur la figure 6) : durant cette phase, la forêt peut être qualifiée de forêt à caractère naturel et peut alors être de deux types. Si le biotope et la biocœnose sont naturels ou en voie de le devenir (soit entre les points B et C sur la figure 6), nous proposons d'utiliser le terme de forêt subnaturelle (à noter que la forêt subnaturelle a parfois été définie comme une forêt secondaire naturelle ; Cateau et al., 2015). Si en revanche le biotope est artificiel (p. ex. terril, friche industrielle) ou durablement anthropisé (p. ex. ancienne terrasse de culture épierrée), mais que la biocœnose est naturelle, nous proposons d'utiliser le terme de forêt semi-naturelle. De manière symétrique, on peut utiliser le même terme de forêt semi-naturelle pour une forêt qui s'est développée dans un biotope à forte naturalité, mais dont la biocœnose est au moins en partie artificielle (p. ex. vieux arbres issus de plantation ou dont les caractéristiques sont héritées d'une sylviculture ancienne ; Rotherham, 2017). Remarquons que le qualificatif « semi-naturel » s'applique également à des écosystèmes non forestiers, issus d'une succession régressive (Machado, 2004). En foresterie, ce terme est parfois utilisé comme antonyme de forêt artificielle (c'est-à-dire plantée ou composée d'essences allochtones) pour désigner des forêts exploitées quand elles sont composées d'essences autochtones et régénérées naturellement ; d'un point de vue écologique, il est plus pertinent de qualifier ce type de forêt de forêt domestiquée (cf. ci-dessous).

FIGURE 6 CATÉGORISATION DES ÉCOSYSTÈMES FORESTIERS EN FONCTION DE LEUR POSITION LE LONG DE DEUX GRADIENTS ORTHOGONAUX DE NATURALITÉ, DU BIOTOPE ET DE LA BIOCŒNOSE
La diagonale représente le gradient de naturalité de l’ensemble de l’écosystème forestier ; il présente trois points de rupture : A = passage en évolution libre ; B = passage de changements rapides à des changements lents, caractéristiques des forêts à caractère naturel ; C = renouvellement complet du peuplement forestier depuis A et effacement complet des modifications anthropiques du biotope.
Les flèches bleues indiquent les transitions possibles.

Avant d’atteindre cette phase de changements lents et progressifs, même si elle est en évolution libre, la forêt reste sous l’influence marquée de facteurs anthropiques d’un passé plus ou moins récent. On peut appliquer à ce type de forêt le terme de forêt férale, qui peut désigner toute forêt secondaire laissée en évolution libre (Schnitzler & Génot, 2020), mais dont nous excluons ici les forêts semi-naturelles, subnaturelles et naturelles évoquées précédemment (figure 6). Autrement dit, une forêt férale est une forêt en évolution libre qui conserve des attributs évidents (composition, structure, fonctionnement) de sa domestication ou de son artificialisation passée.

Pour les forêts exploitées, qui subissent une anthropisation contemporaine, constituées d’espèces autochtones et qui se sont initialement mises en place plus ou moins spontanément (c’est-à-dire lorsque la régénération naturelle domine) dans un biotope peu modifié (c’est-à-dire dont les propriétés ne sont pas majoritairement déterminées par les activités humaines), nous proposons de les qualifier de forêt domestiquée. Nous étendons ici la notion de domestication, habituellement réservée aux espèces, à l’écosystème forestier dans la mesure où la gestion forestière transforme une forêt initialement sauvage en une forêt exploitée par les sociétés humaines, en vue de lui fournir des biens et des services. À l’instar de l’espèce domestiquée, l’écosystème domestiqué est caractérisé par l’acquisition, la perte ou la modification de certains caractères (p. ex. espèces, strates), du fait de l’interaction prolongée avec l’Homme, de la sélection de certaines essences au détriment d’autres, du contrôle de certains paramètres biotiques et abiotiques. Cette définition rejoint celle de sylvofaciès (Houzard, 1988), un même type de forêt pouvant donner lieu, suite à la domestication, à plusieurs faciès aux compositions, structures et fonctionnements différents, selon l’itinéraire technique suivi. Par exemple, une hêtraie-chênaie subatlantique européenne peut se décliner en chênaie-charmaie sous l’effet du traitement en taillis-sous-futaie, en hêtraie équienne sous l’effet du traitement en futaie régulière ou en chênaie-hêtraie-frênaie-pessière en futaie irrégulière.

Vers l’extrémité basse du gradient de naturalité, les forêts présentant les degrés d’anthropisation les plus importants sont à regrouper sous le vocable de forêt artificielle. Comme pour les forêts naturelles, les deux mêmes dimensions doivent être prises en compte pour qualifier le degré d’anthropisation d’une forêt artificielle :

l’artificialité de sa biocœnose, qui peut être plus ou moins importante. Une plantation d’essences exotiques (p. ex. sapin de Douglas en France) ou de cultivars (p. ex. peuplier hybride, eucalyptus transgénique) représente un degré d’artificialisation plus fort qu’une régénération artificielle d’essence autochtone. Le type de sylviculture intervient également dans le degré d’anthropisation : une exploitation intensive (p. ex. taillis à courte rotation de saule, populiculture intensive) artificialise davantage la biocœnose qu’une gestion plus extensive (p. ex. conduite en futaie d’une plantation de chênes, pinède non entretenue avant récolte).

l’artificialité de son biotope, qui couvre un gradient d’artificialisation croissant depuis les sols forestiers fortement modifiés avant plantation (p. ex. dessouchage, travail du sol, fertilisation, usages de pesticides) jusqu’aux substrats artificiels (p. ex. terrils, friches urbaines), en passant par le boisement de sols non forestiers (cf. forêt tertiaire).

Ici aussi, c’est la combinaison de ces deux dimensions qui va permettre de qualifier le degré d’anthropisation : une plantation de Robinier sur un terril représente un exemple extrême d’artificialité par rapport à une régénération artificielle de Chêne conduite en futaie régulière sur sol forestier travaillé, bien que dans les deux cas il s’agisse d’une forêt artificielle.

Si une forêt artificielle vient à être abandonnée, une succession secondaire se met en place, qui conduit à une complexification structurelle et une accumulation d'espèces : le degré de naturalité augmente, et la forêt rentre dans le périmètre de la définition d'une forêt férale. Toutefois, elle se distingue des forêts férales issues d'une forêt domestiquée par le fait que l'espèce structurante reste — au moins temporairement — celle initialement plantée. Pour qualifier ce type particulier de forêt férale qui se développe à partir d'une forêt artificielle laissée en évolution libre, il a été proposé d'utiliser le terme de néo-écosystème forestier (traduction de l'anglais novel ecosystem ; Hobbs et al., 2009) ou, tout simplement, de néo-forêt. Ce même terme s'applique également aux forêts domestiquées connaissant une invasion par une espèce allochtone envahissante, que celle-ci soit arrivée spontanément ou ait été introduite volontairement, lorsque l'espèce envahissante prolifère au point de devenir suffisamment abondante pour modifier significativement le fonctionnement de l'écosystème forestier, voire devenir l'espèce dominante de la canopée (p. ex. forêt dominée par le Cerisier tardif, Prunus serotina, en Europe). La néo-forêt peut représenter un état stable, issu d'une succession déviante, qui peut s'auto-entretenir, notamment quand l'espèce structurante se régénère spontanément ou quand le biotope est artificiel ou altéré de manière irréversible. Dans les autres cas, où les espèces plantées ou exotiques sont spontanément remplacées par des espèces autochtones ou les altérations anthropiques du biotope s'effacent, la néo-forêt évolue à terme vers une forêt semi-naturelle.

Un cas très particulier de néo-forêt mérite d’être mentionné : la néo-forêt primaire, qui se met en place spontanément au cours d’une succession primaire, à partir d’un réservoir régional d’espèces entièrement ou majoritairement artificiel, principalement sur des îles isolées, dépourvues d’espèces végétales indigènes ou presque. Le cas de l’île de l’Ascension a été particulièrement bien étudié ; s’y sont développées à la fois des forêts férales à partir d’anciennes plantations d’arbres européens, et d’authentiques néo-forêts primaires sur des zones intactes colonisées spontanément par des espèces exotiques introduites volontairement ou accidentellement, formant des assemblages d’espèces totalement originaux (Wilkinson, 2004).

Pour conclure sur cette partie dédiée à la naturalité, précisons que celle-ci ne peut s’évaluer que sur une superficie significative. En première approximation, cette superficie minimale pourrait correspondre à la surface minimale nécessaire pour que les différentes phases du cycle sylvigénétique puissent s’exprimer à laquelle il faut ajouter une bande « tampon » de l’effet lisière large de quelques centaines de mètres. Par exemple, les îlots de vieillissement et de sénescence qui sont mis en place comme mesures favorisant la biodiversité dans des massifs forestiers exploités restent des portions — importantes en termes de conservation de la biodiversité — de forêt domestiquée, puisque tant la composition que les processus dynamiques restent majoritairement influencés par des facteurs humains locaux (effet rémanent de la gestion antérieure) et proximaux (effet lisière et des pratiques de gestion du reste de la forêt).

Encadré 2 : Proposition de définitions pour la caractérisation des forêts d’après leur naturalité

Forêt vierge = forêt primaire dont la composition et le fonctionnement n’ont jamais été altérés directement par les activités humaines depuis qu’elle s’est installée.

Forêt naturelle = forêt issue d’une succession secondaire non significativement impactée par des activités humaines directes depuis au moins l’équivalent d’un cycle sylvigénétique complet.

Forêt à caractère naturel = forêt en évolution libre issue d’une succession secondaire, significativement impactée par des activités humaines présentes ou passées, mais dont le fonctionnement reste majoritairement déterminé par une dynamique spontanée et des processus naturels.

Forêt subnaturelle = forêt à caractère naturel dont la biocœnose ou le biotope conservent l’empreinte d’activités humaines du passé.

Forêt semi-naturelle = forêt à caractère naturel qui s’est spontanément mise en place dans un biotope complètement ou partiellement artificiel.

Forêt domestiquée = forêt issue d’une succession primaire ou secondaire, dont le fonctionnement est majoritairement déterminé par des interventions humaines actuelles (p. ex. : forêt exploitée).

Forêt artificielle = forêt issue de plantations et exploitée de manière intensive (p. ex. : taillis à courte rotation, peupleraies, futaie équienne de hêtre, pessières de plaine) ou installée dans un biotope fortement anthropisé (p. ex. : terril, ancien champ, friche urbaine), dont le fonctionnement est majoritairement déterminé par des interventions humaines.

Forêt férale = forêt laissée en évolution libre après suppression de l’influence humaine, issue d’une succession secondaire à partir d’une forêt artificielle ou domestiquée, mais n’ayant pas encore acquis un caractère naturel.

Néo-forêt = forêt dont la biocœnose ou le biotope sont au moins partiellement d’origine artificielle

Qualifier l’historicité d’une forêt (encadré 3)

L’historicité d’une forêt revêt deux dimensions distinctes mais souvent confondues : d’une part, l’âge du milieu endogène forestier (biotope forestier sensu lato) ou ancienneté ; d’autre part, l’âge du peuplement forestier (biocœnose forestière) ou maturité (figure 7).

L’ancienneté d’une forêt renvoie à la continuité de l’état boisé d’un site donné au cours des derniers siècles. Elle permet de distinguer les forêts qui ont continuellement existé au cours des derniers siècles, de celles qui se sont établies plus récemment, sur des terrains jadis agricoles ou pastoraux. Le concept d’ancienneté est découplé des attributs associés à l’origine et à l’âge d’une forêt : une forêt primaire peut être récente si elle s’est installée sur un substrat d’apparition récente (p. ex., coulée de lave d’un siècle) ; une régénération de dix ans après une coupe forestière « à blanc » dans une forêt pluriséculaire reste une forêt ancienne (mais jeune !). L’ancienneté d’une forêt correspond à deux gradients temporels concomitants, l’un de maturation du milieu endogène, l’autre d’effacement progressif des traces de perturbations anthropiques ayant précédé l’occupation forestière. À noter que le seuil d’ancienneté est souvent fixé par la disponibilité des cartes les plus anciennes représentant les massifs forestiers et qu’il peut donc varier d’un pays à l’autre (Hermy & Verheyen, 2007). En France, la carte nationale la plus ancienne est celle de Cassini, qui date de la fin du XVIIIe siècle. Cependant, il lui est souvent préféré la carte d’état-major, plus récente (milieu du XIXe siècle), mais plus précise et plus proche du dernier minimum forestier national connu (Bergès & Dupouey, 2017). En France, sont par conséquent considérées comme des forêts anciennes, celles présentes depuis environ 1850, avec l’hypothèse qu’une forêt existant au moment de ce minimum forestier a une forte probabilité d’avoir déjà été présente antérieurement. Par opposition, une forêt, qui n’est pas représentée sur la carte la plus ancienne ou qui a été remplacée temporairement par des cultures ou des prairies au cours des deux derniers siècles, est considérée comme une forêt récente. Dans l’absolu, il est tout à fait légitime de caractériser l’ancienneté par rapport à toute autre date de référence.

Figure 7 Catégorisation des forêts en fonction de leur continuité temporelle et de l’âge du peuplement ligneux

Il existe évidemment un rationnel scientifique derrière cette notion d'ancienneté des forêts. Plus une forêt est ancienne, plus elle a eu de temps pour accumuler des espèces à faible capacité de dispersion (p. ex. espèces barochores dont les graines sont dispersées par la gravité, espèces myrmécochores dont les graines sont dispersées par les fourmis) ; pour sélectionner des espèces spécialistes, adaptées au milieu endogène forestier, caractérisé notamment par une faible luminosité et par une épaisse couche de litière au sol, au moins une partie de l'année, au détriment d'espèces plus généralistes et moins tolérantes à l'ombre. Une forêt récente se distingue par l'absence ou la rareté des espèces à capacité de dispersion ou de recrutement limitée. À noter que la connectivité spatiale interagit avec la connectivité temporelle (connectivité spatiotemporelle) de telle sorte que les limites de dispersion sont magnifiées dans le cas d'une forêt récente isolée spatialement des forêts anciennes, celles-ci jouant le rôle de sources de diaspores d'espèces spécialistes pour la colonisation de la forêt récente (qui représente un puits). Plus la connectivité spatiotemporelle augmente (c'est-à-dire plus la surface forestière ancienne à proximité de la forêt récente est élevée au cours du temps), plus la forêt récente recevra de diaspores et sera colonisée rapidement par des espèces forestières selon une dynamique source-puits (Verheyen et al., 2006).

La maturité d’une forêt est un attribut de sa biocœnose, dont la partie la plus visible est le peuplement ligneux qui la structure. Quand l’ancienneté renvoie à la continuité de l’état boisé d’un site donné, la maturité qualifie le nombre d’années écoulées depuis la mise en place du peuplement forestier actuel. En première approximation, l’âge d’une forêt correspond à l’âge moyen du peuplement ligneux qui domine la strate arborescente (et non pas l’âge maximal, car la seule présence de quelques vieux arbres dans un peuplement jeune — comme p. ex. dans le cas de la recolonisation forestière postdéprise d’une prairie ponctuée de vieux arbres — ne saurait faire de l’ensemble une forêt mature). Le caractère âgé d’une forêt dépendant étroitement de la longévité des essences dominantes, il est plus opérationnel de déterminer l’âge d’une forêt d’après l’existence des différentes phases de la sylvigenèse spontanée (Bormann et Likens, 1979) : phase pionnière de régénération (= phase d’innovation sensu Oldeman, 1990), phase de croissance (= phase d’aggradation), phase de maturation (= phase biostasique) et phase de sénescence (= phase de dégradation). Une forêt très âgée est forcément en évolution libre, puisque, dans une forêt exploitée, la sylvigenèse est volontairement bloquée de manière à récolter les arbres au début de la phase de maturation, avant un vieillissement trop important (synonyme d’altération des grumes) ou qu’une perturbation naturelle ne vienne endommager le peuplement. Ainsi une forêt exploitée sera le plus souvent une jeune forêt, au sens écologique. Selon les écosystèmes, une vieille forêt pourra être âgée d’un siècle environ (cas des forêts naturelles à bois tendre, p. ex. peupleraies boréales, saulaies riveraines, et de certaines forêts tropicales) à plus d’un millénaire (cas des forêts naturelles à gymnospermes en milieu aride, p. ex. pinède à pin longévif des Montagnes blanches en Californie, junipéraies rupicoles des canyons calcaires européens). À noter que le terme de maturité ne s’applique ici ni à la maturité sexuelle (= âge de la première reproduction sexuée), ni à la maturité sylvicole (= âge auquel le diamètre d’exploitabilité est atteint) des arbres, mais comme le seuil au-delà duquel il n’y a plus d’accroissement significatif de biomasse du peuplement forestier. La forêt entre alors dans une phase de vieillissement, caractérisée par l’apparition d’arbres de très gros diamètre, la présence accrue de microhabitats, au niveau des arbres les plus âgés : cavités, fentes, bois morts, etc., favorables aux insectes sapro-xylophages, aux bryophytes et lichens épiphytes, aux champignons saprotrophes et parasites, dont certaines espèces servent d’indicateurs de forêt mature. Le stade de forêt mature correspond donc au stade précédant la forêt sénescente et son délai d’atteinte dépend des espèces ligneuses structurantes qui dominent la canopée. Nous insistons une fois encore sur le fait que ces critères s’apprécient à l’échelle de l’écosystème, sur une superficie suffisante. Ainsi, laisser vieillir certains arbres au sein d’une forêt exploitée ne fait pas de cette forêt une vieille forêt.

Encadré 3 : Proposition de définitions pour la caractérisation des forêts d’après leur historicité

Forêt ancienne = forêt dont la continuité temporelle est attestée sur une longue période (qu’il faut préciser ; conventionnellement au moins deux siècles en France), quels que soient l’âge des peuplements et le niveau des perturbations.

Forêt récente = forêt établie postérieurement à une date récente (qu’il faut préciser ; conventionnellement, moins de deux siècles en France) sur des terrains auparavant utilisés pour des usages non forestiers (agricole, pastoral ou, plus rarement, urbain).

Vieille forêt = forêt dominée structurellement par une canopée d’arbres matures à sénescents.

Jeune forêt = forêt dominée structurellement par une canopée d’arbres immatures, dont la biomasse croît annuellement de manière significative.

Forêt mature = phase de la sylvigenèse débutant à l’arrêt de croissance en hauteur des arbres structurant la canopée forestière et à l’atteinte d’une asymptote dans l’accroissement annuel de la biomasse du peuplement forestier, et se terminant lorsque les arbres entrent en sénescence.

Forêt sénescente = phase de la sylvigénèse débutant lorsque les arbres structurant la canopée forestière commencent à se dégrader, la biomasse du peuplement forestier décroissant annuellement jusqu’à l’effondrement.

Qualifier la morphologie d’une forêt (encadré 4)

La morphologie d’une forêt est déterminée d’une part, par le modèle architectural et la hauteur des espèces constitutives, d’autre part, par des facteurs environnementaux ou humains. Elle recouvre trois aspects distincts : sa structure verticale (architecturale), et sa structure horizontale (spatiale), caractérisée par le taux de couvert de la canopée, la répartition spatiale des trouées et la connectivité entre les massifs.

Concernant la structure verticale, dans le cas de forêts non anthropisées, il existe un gradient latitudinal (et altitudinal) de complexité structurelle des forêts, dans le sens d'une complexification croissante depuis les pôles vers l'équateur. Les forêts tropicales sont naturellement plus complexes que les forêts tempérées, qui le sont plus que les forêts boréales. À l'intérieur d'un biome donné, la structure d'une forêt peut être très fortement influencée par des facteurs anthropiques, en particulier dans le cas de forêts soumises à une sylviculture. Il existe d'ailleurs tout un vocabulaire forestier pour caractériser la structure des peuplements en forêt de production. Par exemple, en forêt tempérée européenne, un taillis-sous-futaie présente une structure simplifiée par rapport à une forêt non gérée, mais plus complexe que celle d'un taillis simple ou d'une futaie régulière équienne. La structure d'une forêt est par conséquent le plus souvent qualifiée à partir de son architecture verticale, c'est-à-dire du nombre de strates et de leur densité, liées à la diversité des classes d'âge des ligneux en présence. Pourtant, la structure horizontale d'une forêt est au moins aussi importante en matière de fonctionnement de l'écosystème forestier.

Le taux de couvert de la canopée permet de qualifier la forêt le long d’un continuum forêt-savane, qui s’applique aussi bien aux forêts tropicales qu’aux forêts tempérées, ces dernières ayant pu connaître, avant l’extinction des grands herbivores, des phases très ouvertes, proches de savanes (Vera, 2000). À cet égard, le terme de forêt dense est surtout utilisé dans les zones tropicales pour désigner des taux de couvert forestier élevés (parfois fixés à plus de 70 %), par opposition aux forêts claires et aux savanes. En Europe, on parle plutôt de forêt ouverte ou fermée (avec un seuil à 40 % en France). Rappelons que le seuil minimum actuel de couvert définissant la forêt, en France comme à l’international, est très bas puisque de seulement 10 %. Le taux de couvert est déterminé à la fois par des facteurs climatiques et le régime des perturbations, naturelles ou anthropiques.

La connectivité spatiale renvoie à l'environnement de l'écosystème forestier considéré : elle est d'autant plus élevée que la surface forestière environnante est importante. La fragmentation forestière (c'est-à-dire la dissociation d'un massif forestier en plusieurs bois de taille plus faible et distants les uns des autres, augmentant simultanément le linéaire de lisière forestière ; Fahrig, 2017) réduit la connectivité, tandis que la coalescence forestière (c'est-à-dire la fusion de plusieurs bois séparés en un massif forestier unique) l'augmente. Il existe une corrélation positive entre la connectivité spatiale et la connectivité fonctionnelle : à capacité de dispersion égale et à nature de l'habitat les séparant identique, plus la distance entre deux écosystèmes forestiers est faible (c'est-à-dire plus la connectivité spatiale est élevée) et plus les espèces auront de facilité à passer de l'un à l'autre (c'est-à-dire plus la connectivité fonctionnelle est élevée). À surface boisée totale égale, les processus écologiques à l'œuvre dans une forêt fragmentée sont altérés par rapport à ceux ayant cours dans un massif forestier non fragmenté (Fahrig, 2017). Il n'existe pas réellement de consensus sur la taille d'un massif forestier par rapport à celle d'un fragment forestier et conformément à la théorie de la hiérarchie, l'impact de la fragmentation forestière dépend de l'échelle à laquelle on se situe. Un bois de 10 hectares sera un massif pour les arthropodes du sol, mais un fragment pour un cerf. Des incertitudes demeurent sur la profondeur à laquelle l'« effet lisière » affecte les espèces et les processus écologiques (Broadbent et al., 2008). Certains auteurs estiment qu'il peut atteindre 200 à 400 m selon les organismes étudiés et le type de forêt (p. ex. Schneider-Maunoury et al., 2016 ; Pfeifer et al., 2017 ; Pellissier et al., 2013). D'autre part, pour des espèces strictement forestières, il existe une surface minimale d'intérieur forestier nécessaire pour maintenir des populations viables sur le long terme, qui dépend non seulement de l'espèce considérée mais aussi de ses caractéristiques génétiques. Cette surface correspond à celle nécessaire à l'expression d'une éco-mosaïque (sensu Oldeman, 1990) dans son intégralité, et correspond à un intérieur forestier de plusieurs (dizaines de) milliers d'hectares pour une forêt européenne (Schnitzler, 2002).

Encadré 4 : Proposition de définitions pour la caractérisation des forêts d’après leur morphologie

Forêt dense = forêt de plus de 70 % de couvert des houppiers.

Forêt fermée = forêt de plus de 40 % de couvert des houppiers.

Forêt ouverte = forêt de moins de 40 % de couvert des houppiers.

Forêt fragmentée = ensemble forestier constitué de bois de taille variable, plus ou moins distants les uns des autres, mais partageant un même paysage.

Fragment forestier = bois qui provient de la fragmentation per se d’un massif forestier préexistant. Par abus de langage, le même terme est utilisé pour désigner des bois issus de la (re)colonisation par nucléation de terres en déprise.

De la qualification à la quantification

Dans ce qui précède, nous avons proposé une approche surtout qualitative des forêts, en mobilisant quatre dimensions, différentes mais pas indépendantes : origine et genèse ; naturalité ; historicité ; et morphologie. Il peut être intéressant, dans certains cas, d’avoir une approche plus quantitative, notamment lorsqu’il s’agit de hiérarchiser des forêts en fonction d’une ou plusieurs de ces dimensions.

L’origine et la genèse d’une forêt n’ont pas vocation à être quantifiées puisqu’il s’agit d’attributs intrinsèquement qualitatifs.

En revanche, le degré de naturalité, comme son complément le degré d'anthropisation, ont fait l'objet d'un nombre relativement important de travaux visant à leur évaluation (semi-)quantitative. Le concept de naturalité, déjà conceptualisé au XIXe siècle par Thoreau, s'est surtout développé en écologie depuis les années 1970 (Anderson, 1991) et a depuis connu un certain succès dans la sphère des gestionnaires de milieux sub- ou semi-naturels. Plusieurs méthodes ont été proposées, faisant appel à différents critères pouvant être affectés d'une valeur numérique ou d'un score sur une échelle ordinale. Bien souvent, les « indices de naturalité » proposés utilisent des approches multicritères qui dépassent le cadre strict du caractère naturel d'une forêt tel qu'évoqué plus haut, en intégrant des attributs relatifs à l'historicité et à la morphologie des forêts, voire à leur biodiversité (p. ex. Rossi & Vallauri, 2013). Récemment, Guetté et al. (2018) ont proposé de quantifier la naturalité d'une forêt en combinant trois critères : l'intégrité biophysique, qui correspond à la naturalité au sens strict ; la spontanéité, qui désigne l'évolution libre du système, en l'absence d'intervention humaine ; et la continuité spatiotemporelle, qui suppose une taille minimale de ladite forêt, une proximité à d'autres massifs, une densité forestière environnante importante, et une continuité historique de cet état boisé. Cette méthode présente l'avantage d'être applicable à tous les types de forêt. De même, des indices d'anthropisation ont été développés, davantage à une échelle paysagère qu'à une échelle écosystémique, qui reposent sur l'utilisation soit de métriques des activités humaines (p. ex. densité de population humaine, types d'usage du sol, densité des voies de communication, intensité lumineuse nocturne ; Sanderson et al., 2002), soit d'indicateurs végétaux (abondance-dominance des plantes rudérales ; Sukopp et al., 1990), soit encore de descripteurs des interactions Homme-environnement (p. ex. nombre d'espèces exotiques, quantité d'intrants, surfaces artificialisées, fragmentation forestière ; Machado, 2004).

L'historicité d'une forêt est intrinsèquement un attribut quantitatif et est donc plus facile à évaluer de manière quantitative. L'ancienneté d'une forêt peut être exprimée en nombre d'années, de décennies ou de siècles. Parce que la durée de continuité de l'état boisé peut être très variable, il a été proposé d'adjoindre un qualificatif supplémentaire au terme « forêt ancienne » : millénaire, gallo-romaine, médiévale, moderne, selon la période historique depuis laquelle la continuité est attestée (Cateau et al., 2015). D'un point de vue pratique, si la quantification de l'ancienneté sur les deux derniers siècles est facilitée par l'existence de cartes nationales, elle est plus délicate sur des pas de temps plus longs et très dépendante de la disponibilité d'archives ou d'informations archéologiques fiables, si bien qu'elle ne peut se faire avec précision que des sur des aires géographiques restreintes. La maturité d'une forêt est plus facile à quantifier, puisque l'âge des arbres peut être mesuré (comptage des cernes, datation 14C) ou, à défaut, estimé à partir du diamètre et les différentes phases de la sylvigénèse peuvent être cartographiées et donc exprimées en unité de surface par unité de surface forestière totale (p. ex. Emborg et al., 2000). Des grilles d'évaluation quantitative de la maturité d'une forêt ont été élaborées, combinant des critères comme l'âge moyen des arbres de la canopée, le nombre d'arbres de gros diamètre, la quantité et la diversité du bois mort, l'abondance et la diversité de certains dendromicrohabitats (Fuhr, 2018 ; Meyer et al., 2021). Les deux composantes de l'historicité d'une forêt sont souvent incluses dans les indices quantitatifs de naturalité (p. ex. Rossi & Vallauri, 2013 ; Guetté et al., 2018 ; Cateau et al., 2015).

Enfin, la morphologie d’une forêt peut être quantifiée à partir de toute une gamme d’indicateurs : nombre, hauteur et recouvrement des strates, répartition des classes de diamètres, etc. Des mesures de structure entrent dans le calcul de certains indices quantitatifs de naturalité (p. ex. Rossi & Vallauri, 2013), qui doivent être utilisés pour un biome donné, puisque la complexité morphologique dépend étroitement de la quantité d’énergie disponible.

Conclusion : sur la notion d’« état de référence »

La notion d'état de référence a émergé avec la biologie de la conservation (Soulé & Wilcox, 1980) et l'écologie de la restauration (Young et al., 2005). Toute opération de restauration d'un écosystème vise à induire une succession, souvent régressive (p. ex. suppression des ligneux d'une formation herbacée), mais parfois progressive (p. ex. boisement d'une friche), qui a pour objectif la mise en place d'un écosystème cible. Cet écosystème cible est choisi parmi plusieurs états de référence particuliers, dans le cadre d'un consensus de gestion. Les états de référence correspondent aux états (pré)historiques ou futurs de l'écosystème étudié, c'est-à-dire à des stades dynamiques antérieurs ou postérieurs de la succession, dont les caractéristiques peuvent être spécifiées. La déclinaison concrète obtenue sera la plus semblable possible à l'état de référence à défaut de pouvoir être identique (voir McNellie et al., 2020 pour une approche critique). Si l'objectif est de renaturer un écosystème, la cible sera choisie parmi des états de référence à plus fort degré de naturalité que l'état actuel. Mais ce n'est pas toujours le cas ; par exemple, lorsqu'on défriche un coteau calcaire pour retrouver une pelouse sèche, on restaure un état de naturalité moindre, mais de biodiversité plus élevée, souvent pour assurer la conservation d'espèces liées à ce type d'habitat ou conserver des socio-écosystèmes possédant une valeur culturelle. Cette stratégie interventionniste (Decocq, 2015b) s'oppose à l'approche préservationniste qui prévaut dans le cas des écosystèmes forestiers, qui sont ceux qui nous intéressent ici.

L’approche préservationniste, née aux États-Unis, s’appuyait au départ sur des considérations surtout éthiques et sur une certaine idée d’une « nature sauvage » (wilderness), vierge de toute influence humaine — en tout cas européenne —, correspondant aux représentations qui prévalaient dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’état de référence était un paysage pittoresque davantage qu’un écosystème que l’on souhaitait soustraire aux activités humaines pour le sanctuariser, d’où la création des grands parcs nationaux américains, dont on a exclu les habitants. Les travaux conduits par les historiens de l’environnement et les archéologues ont depuis montré sans ambigüité qu’avant l’arrivée des colons européens, les paysages d’Amérique du Nord (comme ceux d’Amazonie) étaient beaucoup plus ouverts qu’actuellement (et qu’au XIXe siècle). Les peuples autochtones cultivaient la terre, élevaient des animaux domestiques et chassaient les grands herbivores sauvages qui abondaient (notamment l’emblématique bison), exerçant une pression importante sur les écosystèmes et les paysages. L’arrivée des colons européens avec leurs armes à feu et leur cortège d’agents infectieux décimèrent les Amérindiens et les grands herbivores, au point que plus de 50 % de la population précolombienne (estimée entre 50 et 100 millions pour toute l’Amérique) disparut en quelques décennies au début du XVIe siècle, entraînant une déprise sans précédent. Les paysages « sauvages » nord-américains du XIXe siècle, pris comme état de référence, qui ont justifié la création des grands parcs nationaux, n’étaient en fait que le résultat de successions secondaires postdéprise qui s’étaient déroulées au cours des trois siècles précédents.

En matière de naturalité, on peut distinguer trois catégories d'états de référence, selon la date de référence choisie : l'état qu'avait le système avant que l'humain ne l'impacte significativement ; l'état qu'aurait le système actuellement s'il n'avait subi aucun impact humain ; et l'état qu'il atteindrait si on le préservait de toute perturbation humaine à partir d'aujourd'hui. Ce dernier peut être en partie obtenu par la mise en place de réserves intégrales, dans lesquelles toutes les perturbations anthropiques locales sont supprimées afin de ne pas entraver la succession secondaire progressive qui se met spontanément en place ; c'est le cas, dans une certaine mesure, des grands parcs américains précités, encore que la pression touristique et certaines mesures de régulation ne soient pas sans impact sur les dynamiques naturelles. Mais les deux autres ne nous sont pas directement accessibles. Des approches scientifiques, à travers des disciplines comme la paléoécologie, l'écologie historique, l'histoire, la modélisation, peuvent contribuer à une reconstitution objective de la composition et de la structure de ces états (pré)historiques ou futurs, mais ils restent des modèles théoriques. Ceux-ci peuvent néanmoins guider le gestionnaire dans son choix d'un écosystème cible. Le choix d'un écosystème cible reste inévitablement subjectif : il s'inscrit dans un contexte culturel, qui est valable dans une société donnée à une époque donnée. On vient de le voir dans le cas des grands parcs américains. En France, les grands reboisements des terrains de montagne qui furent entrepris à partir de la seconde moitié du XIXe siècle dans les montagnes françaises visaient à lutter contre l'érosion et les inondations en « restaurant » la forêt — sur des arguments scientifiques parfois douteux et quitte à boiser des terrains qui ne l'avaient jamais été (Decocq et al., 2016) —, faisant pour cela appel à de nombreuses essences exotiques. L'état de référence était ici « la forêt », au sens le plus restreint d'un état boisé, que les activités pastorales avaient éliminée ou dégradée depuis des siècles, voire des millénaires en certains secteurs. Le choix de cet état de référence s'inscrivait pleinement dans le contexte politique et socioculturel de l'époque, où, d'un côté, les romantiques appelaient au retour de la « forêt originelle » et, de l'autre, l'Empire voulait asseoir son emprise sur les campagnes les plus reculées (voir Decocq et al., 2016 pour une analyse approfondie). Un siècle plus tard, à la fin du XXe siècle, le contexte socioculturel et politique est différent. L'émergence du concept de biodiversité (et le constat de son érosion grandissante) et une certaine « perte de repères » face à la banalisation des paysages dans un contexte d'urbanisation croissante, d'exode rural et de disparition d'activités agricoles et pastorales perçues comme « traditionnelles », aboutissent à la « patrimonialisation » de certaines espèces et de certains milieux sur le déclin. Un autre état de référence est choisi pour les opérations de restauration : le socio-écosystème lié aux activités pastorales que le second Empire avait voulu éradiquer. Il faut aujourd'hui déboiser les terres jadis herbagères — et prioritairement celles qui ont été enrésinées à l'aide d'essences non indigènes — pour retrouver les pelouses, les prairies et les landes d'antan avec leur cortège d'espèces rares. Dans certains sites, le déboisement a succédé au reboisement selon une même logique de restauration d'un certain état de référence, mais avec un changement de référence, donc de cible. Même les recolonisations naturelles sont considérées, à juste titre, comme une menace pour la biodiversité, comme dans le cas des oiseaux en zone méditerranéenne (Sirami et al., 2008).

En conclusion, compte tenu du fait que, depuis au moins le Néolithique et, a fortiori, depuis le début de l'Anthropocène, les écosystèmes ont été modifiés directement ou indirectement par les activités humaines à une échelle globale, croire que l'on pourrait restaurer un écosystème forestier identique à un état de référence soustrait aux activités humaines serait illusoire. La flèche du temps est irréversible et les conditions environnementales recréées n'ont aucune chance d'être identiques à celles qui ont prévalu à un moment donné de l'histoire (Decocq, 2019). Retrouver une forêt naturelle, lorsque cela est possible, ne peut viser à retrouver un écosystème du passé, ce qui est impossible dans un environnement changeant et quand certaines altérations d'origine anthropique sont définitives sur des pas de temps historiques (Dupouey et al., 2002 ; Chiarucci et al., 2010 ; McNellie et al., 2020), mais tout au plus à se rapprocher d'un état similaire, en termes de conditions abiotiques (biotope) et biotiques (biocœnose) locales, de structure spatiale et temporelle, et de fonctionnement écosystémique. Face à la difficulté d'une telle tâche, une alternative moins exigeante est de privilégier la dernière composante, en restaurant non plus des écosystèmes ou des communautés qui existèrent par le passé, mais plutôt leurs interactions ou leurs fonctions (Griffith et al., 2011). Selon cette stratégie, les opérations de gestion ne doivent pas nécessairement viser à retrouver une composition, mais à remettre en place un fonctionnement « naturel », qui repose sur des perturbations naturelles, une complexification du réseau trophique, et une libre dispersion des organismes (Perino et al., 2019).

Les définitions proposées pour qualifier une forêt constituent une étape importante pour que l’ensemble des acteurs concernés par la gestion et la protection des forêts puissent partager des références communes. Notre mise au point sémantique permet d’ores et déjà de positionner les termes définis selon un gradient de naturalité, à la fois en termes de biotope et de biocœnose. Cependant, les limites entre différents types de forêts restent sujet à débat, en partie parce que nous ne disposons pas encore de tous les indicateurs ou métriques pour quantifier l’état de la forêt, notamment sa naturalité. Un effort de recherche devra être fait pour progresser dans la quantification du degré de naturalité (ou d’anthropisation) des forêts. Cet effort permettra de réaliser une cartographie précise des forêts les plus naturelles et d’assurer leur protection.

Remerciements

Cet article est issu d’une réflexion engagée dans le cadre du Groupe de travail CARTOFORA (http://www.gip-ecofor.org/cartofora/), animé par Guy Landmann du GIP ECOFOR, que les auteurs tiennent à remercier. Les auteurs remercient également Émilie Gallet-Moron (UMR EDYSAN) pour son aide à la réalisation des figures.

Annexe Définitions complémentaires de termes utilisés dans le texte

Déforestation = déboisement d’une terre boisée, quel que soit le type de forêt qu’elle supporte.

Reforestation = boisement spontané ou artificiel d’une terre non boisée par suite d’une déforestation plus ou moins ancienne et ayant par conséquent une vocation forestière.

Autochtone (= natif = indigène) = se dit d’une espèce qui est arrivée spontanément dans le réservoir régional d’espèces, sans intervention humaine.

Allochtone (= exotique) = se dit d’une espèce introduite par l'Homme, volontairement ou non. On distingue les archéophytes, introduites avant l'an 1500, date du début des échanges internationaux, des néophytes, introduites après cette date.

Naturalisée = se dit d’une espèce allochtone dont les populations locales se maintiennent de façon autonome, par migration et recrutement à partir de populations et d'individus non plantés. Si par contre les individus rencontrés en forêt sont issus majoritairement et directement d'individus plantés, le taxon est dit subspontané.

Milieu exogène (= milieu abiotique) = se dit d’une portion de l’espace dont la vie est initialement absente et par conséquent régie uniquement par des facteurs abiotiques tel que, par exemple, le substrat géologique, la topographie ou les facteurs climatiques.

Milieu endogène (= milieu biotique) = se dit d’une portion de l’espace occupée par une communauté d’êtres vivants, notamment végétaux, et par conséquent régie à la fois par des facteurs abiotiques et biotiques et leurs interactions.

Climax = stade théorique marquant la fin d’une succession linéaire, primaire ou secondaire, mais soumis à une succession cyclique interne comprenant des phases de régénération, de croissance, de maturation et de sénescence, en équilibre dynamique avec les conditions climatiques, édaphiques et biotiques.

Métapopulation = ensemble de populations locales, spatialement discrètes et temporellement asynchrones, mais fonctionnellement reliées par des échanges d’individus et de gènes.

Métacommunauté = ensemble de communautés locales, spatialement discrètes et temporellement asynchrones, mais fonctionnellement reliées par des échanges d’espèces potentiellement en interaction.

Effet de masse = mécanisme par lequel une communauté locale produit un grand nombre d’individus d’une espèce donnée qui peuvent se disperser dans une autre communauté locale où des conditions écologiques défavorables, soit conduirait à l’extinction de l’espèce, soit ne permettraient pas son établissement autrement.

Dynamique source-puits = mécanisme par lequel une population locale en croissance (source) peut exporter des individus vers une population en décroissance démographique (puits), empêchant ainsi son extinction.

Références

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Auteurs


Guillaume Decocq

guillaume.decocq@u-picardie.fr

Affiliation : Écologie et Dynamique des Systèmes anthropisés (EDYSAN, UMR CNRS 7058), Université de Picardie Jules Verne, F-80000 AMIENS, France

Pays : France

Biographie :

Adresse postale : Écologie et Dynamique des Systèmes anthropisés (EDYSAN, UMR CNRS 7058) – Université de Picardie Jules Verne - 1 rue des Louvels -F-80037 Amiens Cedex 1


Jean-Luc Dupouey

Affiliation : Université de Lorraine, AgroParisTech, INRAE, SILVA, F-54000 Nancy, France

Pays : France

Biographie :

Adresse postale : UMR SILVA, Université de Lorraine, AgroParisTech, INRAE - INRAE Centre Grand Est Nancy - rue d’Amance - F-54280 CHAMPENOUX


Laurent Bergès

Affiliation : Université de Grenoble Alpes, INRAE, LESSEM, F-38000 SAINT-MARTIN-D’HÈRES, FranUce

Pays : France

Biographie :

Adresse postale : Université de Grenoble Alpes, INRAE, LESSEM - 2 rue de la Papeterie - BP 76 - F-38402 Saint-Martin-d’Hères

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Citations