Libre évolution et naturalité en forêt : définitions et métriques associées
Résumé
Depuis son apparition dans la conservation de la nature, la notion de naturalité est très souvent employée pour les écosystèmes forestiers. La multitude de termes pour caractériser les forêts “naturelles” reflète la complexité de ce concept. Nous proposons dans cet article d’analyser les relations entre libre évolution et naturalité, et de distinguer les deux grands types de naturalité : biologique et anthropique — la naturalité anthropique comprenant la notion de libre évolution ou de spontanéité des processus. Nous proposons ensuite une synthèse des métriques employées dans la littérature scientifique pour mesurer ces deux types de naturalité en forêt. Les métriques liées à la naturalité biologique se focalisent sur les stades âgés et sénescents, celles concernant la naturalité anthropique sont plus centrées sur les prélèvements de bois passés (durée depuis la dernière exploitation, intensité des prélèvements…). Nous discutons enfin de ces notions considérées dans un contexte plus large — pas uniquement forestier ; cela nous amène à aborder les biais relatifs au choix des métriques, le lien entre biodiversité et naturalité, l’état de référence dans un contexte de changement global et la relation entre libre évolution et ré-ensauvagement.
Abstract
Since the notion of naturalness was first used for nature conservation, it has been used quite often for forest ecosystems. The multitude of terms used to characterise “natural” forests reflects how complex the concept is. In this article, we propose to analyse the relationships between long time unmanaged forests and naturalness, and to distinguish between the two main types of naturalness, namely biological naturalness and anthropogenic naturalness — anthropogenic naturalness including the notions of absence of management or of process spontaneity. Then, we propose a summary of the metrics used in the scientific literature to measure these two types of naturalness in forests. The metrics linked to biological naturalness are more focused on aged and senescent stages, while the metrics linked to anthropogenic naturalness are more focused on past wood cuts (the time elapsed since the last cutting campaign, logging intensity). Finally, we discuss these notions within a wider context – not just a forestry context. This leads us to discuss the biases related to the choice of the metrics, the link between biodiversity and naturalness, the reference state in a global change context, and the relationship between long time unmanaged forests and rewilding.
Chapeau
De façon à ne pas alourdir trop le texte et à rendre la lecture plus fluide, et à la demande de la rédaction de la Revue, seules quelques références ont été conservées dans ce texte. La version complète du manuscrit avec l’ensemble des références est disponible auprès des auteurs.
Introduction
Les forêts naturelles font partie des écosystèmes terrestres les plus proches de leur état originel. Elles représentent ainsi non seulement des refuges indispensables à la conservation de la biodiversité forestière, mais elles peuvent servir également de références pour la gestion. Les forêts naturelles ont été une des sources d’inspiration des forestiers, notamment français. En témoigne la citation « Imiter la nature, hâter son œuvre » de Parade, une des citations identitaires phares des forestiers français utilisée pour des objectifs variés, mais qui incite les forestiers à imiter la nature. Conscients que la plupart de nos forêts portaient à l’époque de Parade et portent toujours la marque de l’emprise humaine, l’administration des Eaux et Forêts a ainsi été une force motrice de la mise en place de différentes politiques de préservation de la nature. Par exemple, c'est Yves Bétolaud, ingénieur des Eaux et Forêts, qui fut chargé d'élaborer le projet de loi sur les parcs nationaux. Toutefois, dans l'esprit des fondateurs, il était plus question de protéger des paysages en partie façonnés par les hommes que la nature en libre évolution. Ainsi, les forêts publiques situées dans les cœurs des parcs nationaux sont loin d'être toutes protégées de façon intégrale. Les forestiers publics français se sont aussi investis dans le développement progressif de réseaux de réserves forestières, dont des réserves biologiques intégrales qui sont laissées en libre évolution. Ces réserves intégrales émargent à la plus haute catégorie de protection de l’UICN, à savoir “Ia”, qui correspond aux aires protégées gérées principalement à des fins scientifiques ou de protection des ressources sauvages.
Le terme de naturalité a fait une apparition remarquée en 2019 lors de la conférence de presse présidentielle donnée à l’issue de la réunion à Paris des experts de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Il a été question de la création d’aires protégées “en pleine naturalité”. Même si ce terme ne figure pas dans l’actuelle stratégie nationale pour les aires protégées 2030 (adoptée en janvier 2021), les gestionnaires ont la possibilité d’opter pour la libre évolution, notamment dans le cadre de la mesure 18 qui assigne aux aires protégées d’être aussi des sites de référence pour le suivi des écosystèmes. Au niveau européen, de nombreuses initiatives sont prises depuis plus d’une décennie en faveur d’un ré-ensauvagement de certains territoires où la libre évolution est mise en avant.
Si le terme de « pleine naturalité » semble efficace sur le plan de la communication auprès du grand public, il pose des questions de définition auprès des professionnels de la nature et de la forêt — et n’est d’ailleurs pas défini sur un plan scientifique. Nous choisirons plutôt dans cet article de partir des notions de libre évolution et de naturalité et d’en établir les liens, entre elles et avec différents autres termes ou concepts — issus du monde forestier ou du monde de l’écologie. Cela nous amènera à identifier les termes naturalité anthropique et naturalité biologique comme centraux — mais trop axés dans la sphère forestière sur l’exploitation du bois et sur les arbres — et à les enrichir par des notions faisant référence à d’autres composantes de l’écosystème (consommateurs primaires, prédateurs) ou à des pressions humaines sur les écosystèmes autres que l’exploitation du bois. Dans un second temps, nous ferons le point sur les paramètres et métriques utilisés pour quantifier ces notions de libre évolution et de naturalité. Enfin, nous analyserons les partis pris et hypothèses sous-jacentes à ces différents concepts et métriques, afin d’en assurer une meilleure compréhension et d’en révéler les limites.
La naturalité : un concept adapté aux forêts
Afin de définir la naturalité des forêts, il faut d'abord expliciter la notion de « naturalité ». Une définition simple n'est guère possible. La naturalité caractérise l’état naturel ou spontané, de ce fait elle est très souvent associée à la libre évolution. Le caractère naturel ou spontané est opposé à l’artificialité, à savoir ce qui est produit par la technique. La notion de naturalité peut alors soit séparer ce qu’on mettra dans le pôle naturel et ce qu’on mettra dans le pôle "artificiel" — dans le cadre d’une vision binaire des écosystèmes, soit qualifier ou quantifier la distance des écosystèmes à ces deux pôles. C’est très souvent cette seconde vision plus continue et liée à la notion de gradient de naturalité qui prévaut quand on utilise cette notion. Pourtant, au-delà de cette apparente simplicité conceptuelle, quand on y regarde de plus près, notamment dans la littérature scientifique, le contenu sémantique de la notion de naturalité n'est pas stable (Winter, 2012).
À l’origine de la naturalité
Les premières idées formalisées relatives à la naturalité remontent au début du XXe siècle avec la notion de climax de Clements, état théorique d’un écosystème s’il était parvenu au bout de sa succession dans un milieu abiotique constant et sans intervention humaine, puis à la moitié du XXe siècle quand Tüxen (1956) définit la végétation naturelle potentielle, celle qu’on obtiendrait dans les conditions actuelles s’il n’y avait pas d’influence humaine. Il s’agit d’une construction statique et hypothétique, consistant à reconstituer la communauté climacique naturelle qu’on obtiendrait dans les conditions abiotiques actuelles et en l’absence d’influence humaine, et à la comparer à des communautés réelles (Reif & Walentowski, 2008). Ce n’est que plus tard, à partir des années 1970 à 1990, que l’observation du fonctionnement des forêts vierges d’une part et l’émergence d’une écologie se démarquant des équilibres de la nature et accordant une importance structurante aux régimes de perturbations qu’ont subi les écosystèmes au cours du temps d’autre part, que des modèles plus dynamiques de forêt naturelle ont émergé, avec la distinction d’un petit cycle successionnel, marqué par des perturbations de petite taille (mort d’un ou quelques arbres dominants), et d’un grand cycle successionnel, initié par des perturbations de plus grande taille (tempêtes, feux, dépérissements biotiques massifs) (Reif & Walentowski, 2008). Ainsi, les stades de la succession faisant suite à des perturbations naturelles intenses de peuplements de composition naturelle pouvaient aussi être considérés comme des forêts naturelles. Cela a amené aussi à évaluer la naturalité à des échelles paysagères plutôt qu’à celle de la parcelle (Reif & Walentowski, 2008). Ces deux visions de la naturalité mettent clairement l’accent sur le végétal. Elles ont été complétées dans les années 1990 par des modèles donnant plus de place aux processus zoologiques, et notamment ceux liés aux grands herbivores. La vision qui en résulta fut baptisée la théorie de la mosaïque cyclique ; elle insiste sur le fait qu’à cause d’une pression plus forte des herbivores liée à une densité d'animaux plus forte et à la présence d’espèces aujourd’hui absentes (bisons, aurochs…), les phases ouvertes de la succession forestière étaient autrefois beaucoup plus longues qu’aujourd’hui ; il en résulte une dynamique forestière (régénération) plus lente dans les trouées importantes et un paysage forestier globalement plus ouvert. Cette théorie affirme que si ces types de forêt ont disparu, c’est parce que l’homme moderne a détruit la mégafaune dès qu’il pénétrait dans un nouveau territoire. D’autres travaux palynologiques, entomologiques et historiques semblent indiquer qu’avant le Néolithique, la forêt européenne était dense à l’exception des zones humides (tourbières, lacs, marécages et marais salés côtiers) et les ouvertures par défrichement ou par le feu ont été le fait des activités humaines, favorisant des densités d’herbivores bien supérieures à ce que pouvaient abriter les forêts primaires. On voit ainsi que suivant le point de vue théorique choisi — accent mis sur le climax végétal, le cycle de la végétation forestière, la prise en compte du rôle des grands herbivores et des grands carnivores, et l’impact des hommes — les forêts désignées comme naturelles sont très variables. Cela amène Reif et Walentowski (2008) à reconnaître que la définition des différents niveaux de naturalité et le choix des noms de ces différents niveaux ont une dimension politique (ou culturelle ou “idéologique”) qu’il ne faut pas négliger, du moins tant que la paléoécologie n’aura pas tranché la question.
Au niveau international, y compris dans la littérature scientifique, on rencontre une multiplicité de façons de qualifier des forêts à haute valeur naturelle, celles qui sont restées plus ou moins à l'abri des activités humaines : on les dit anciennes, climaciques, indigènes, intactes, vieilles, naturelles, originelles, sur-matures, multiséculaires, primaires, primitives, vierges, ou reliques (Eea, 2014). C'est pourquoi Buchwald (2005) avait proposé une réflexion conceptuelle et terminologique intéressante permettant de déboucher sur la définition de 14 types de forêt se positionnant de manière hiérarchique et ordonnée par rapport à différents aspects de naturalité. Dans son système, parmi bien d'autres critères, la première distinction relève de la différence entre espèces d'arbres exotiques et autochtones et la seconde entre régénération artificielle (plantations ou semis) et régénération naturelle. Le continuum proposé balaie notamment: les forêts primitives (primeval en anglais), les forêts vierges, les forêts presque vierges, les vieilles forêts (old-growth en anglais), les forêts non touchées depuis longtemps, les forêts non touchées depuis peu, les forêts avec une gestion spéciale (peu intensive), les forêts naturelles exploitées, les forêts plantées naturelles, les forêts plantées partiellement naturelles, les forêts plantées natives, les forêts plantées exotiques, les forêts exotiques issues de régénération naturelle. Les définitions exactes de ces différents types de forêts impliquent différentes considérations associées à différents types de naturalité et à différentes échelles d'espace et de temps auxquelles appliquer ces critères. Cette typologie des forêts a d'ailleurs été utilisée par Sabatini et al. (2018) pour identifier les dernières forêts primaires d'Europe — définies comme faisant partie des catégories se situant entre forêts primitives et forêts non touchées depuis longtemps.
Typologies de la naturalité
La naturalité en forêt a fait l'objet de plusieurs autres typologies. Ainsi Peterken (1996) évoque cinq types de naturalité (naturalness en anglais), dont une que nous redéfinissons pour la rendre plus compréhensible (naturalité du passé) : la naturalité originelle qui a existé avant que l'homme ne devienne un facteur écologique significatif, c'est-à-dire avant le Néolithique ; la naturalité du présent qui prévaudrait si l'homme n'était pas devenu un facteur écologique majeur pour la forêt (soulignant en cela que les sols et le climat — depuis 5 000 ans — ont changé et que les forêts naturelles actuelles diffèreraient des forêts originelles même en l'absence d'influence humaine directe ou indirecte) ; la naturalité du passé qui est celle de forêts actuelles non ou peu perturbées par l'homme dans le passé mais ayant subi les influences indirectes de l'homme (par exemple pollution, extinction d'espèces, développement des infrastructures, plus récemment changement climatique…) ; la naturalité potentielle qui serait celle obtenue si l'influence humaine s'interrompait et le résultat de la succession était obtenu en un instant (comme dans la notion de végétation naturelle potentielle de Tüxen 1956; cf. supra), et enfin la naturalité future qui apparaîtrait si l'influence de l'homme s'interrompait subitement et de façon permanente, reconnaissant que la composition en espèces a pu être altérée par des extinctions et des introductions, que les sols peuvent changer au fur et à mesure de la succession et que le climat va continuer à changer. Du Bus de Warnaffe et Devillez (2002) définissent la naturalité comme le degré de proximité d'un site à son système naturel potentiel en termes de composition, de structure et de fonctionnement, s'approchant en cela de la définition de la naturalité potentielle de Peterken et de celle d'intégrité biophysique (Guetté et al., 2018). Dans ce contexte, la naturalité est souvent considérée selon un gradient de naturalité, du plus artificiel au plus naturel. On parle alors du degré de naturalité d'un écosystème (Eea, 2014).
Dans son avis sur la stratégie nationale pour les aires protégées 2020-2030, le comité français de l'UICN associe la naturalité à l'intégrité biophysique des milieux, la spontanéité des processus écologiques et les continuités spatiotemporelles (Guetté et al., 2018). Considérée sous l'angle de la spontanéité, la naturalité reflète un degré d'interférence entre l'homme et la nature (Siipi, 2004). Cette notion de spontanéité est très proche de celle de féralité, qui est le phénomène par lequel un milieu utilisé par l'homme revient à l'état sauvage, c'est-à-dire en libre évolution. Celle-ci se caractérise par des processus spontanés et une dynamique évolutive des espèces, en interrelation par de multiples mécanismes fonctionnels. Quant à l'intégrité biophysique, « souvent désignée dans la littérature comme l'approche biologique de la naturalité » (Guetté et al., 2018), elle est d'après ces auteurs associée à la notion de “nativité” des espèces composant l'habitat (indigénat ou autochtonie, voire endémisme), à celle d'hémérobie dont la valeur dépend du degré de pression humaine mesuré au travers de l'usage des sols, de la structure des paysages et des assemblages d'espèces (Roche et Campagne, 2017). L'hémérobie est liée à la magnitude de la modification anthropique de la composante végétale d'un espace par rapport à un habitat théorique originel ou potentiel ou à celle de la naturalité de l'occupation du sol (par exemple le cas de forêts gérées avec de la régénération naturelle).
Naturalité anthropique et biologique
En France, des premiers travaux forestiers sur les forêts naturelles ont vu le jour dans les années 1990 (Mortier, 1990), et les premiers écologues à évoquer le concept de naturalité sont issus du Cemagref (Greslier et al., 1995) et du réseau forêt de Réserves naturelles de France. Olivier Gilg (2004) rédige un cahier technique sur les forêts à caractère naturel et précise le concept de naturalité. Puis Daniel Vallauri (2007) du WWF France applique la naturalité à l'évaluation des forêts et de leur gestion. Il n'y a rien d'étonnant à voir le concept de naturalité appliqué en premier à la forêt puisque celle-ci constitue un stade d'évolution naturelle de nombreux milieux modifiés dans notre pays.
Dans la suite de notre propos, nous allons largement nous appuyer sur l'analyse de Gilg (2004) pour proposer des mises à jour des définitions, issues de la mise en perspective de différents apports. Nous ferons le lien pour partie entre les différents types de naturalité et les métriques associées à la notion de libre évolution. Gilg (2004) a défini deux sous-concepts distincts : la naturalité anthropique qui, selon l’auteur, « est maximale en l’absence de perturbations d’origine humaine et est donc favorisée par une gestion passive » et la naturalité biologique « qui est maximale lorsque les équilibres biologiques sont intacts, quelle que soit la gestion ».
Le projet de recherche GNB (Gestion, Naturalité et Biodiversité), mené par INRAE, l'ONF et RNF, a quant à lui repris ces deux termes mais en définissant la naturalité biologique différemment : « la naturalité biologique… n'est pas intrinsèquement liée à l'arrêt de l'exploitation mais plutôt au fait que l'écosystème présente des caractéristiques semblables à celles des milieux non exploités » (Gosselin et al., 2017).
Propositions de définitions de la naturalité biologique et de la naturalité anthropique
La naturalité biologique d’un écosystème forestier est définie par sa composition en espèces (flore, faune, fonge), sa structure et ses dynamiques de perturbations, ou ses processus écologiques (production primaire, herbivorie, prédation, nécrophagie, décomposition de la matière organique) ressemblant à ceux de forêts jamais exploitées ou non exploitées depuis longtemps se trouvant dans les mêmes conditions écologiques. Pour une forêt, qu’elle soit exploitée ou en libre évolution, la naturalité biologique peut être estimée à l’aide de métriques caractéristiques (bois mort, dendro-microhabitats, composition spécifique, structure, phases de la sylvigénèse), qui ont été calibrées à partir de comparaisons entre des forêts exploitées et des forêts à la fois anciennes et protégées en réserve intégrale depuis suffisamment longtemps (cf. partie “Naturalité biologique”).
La naturalité anthropique d’un écosystème forestier est définie par le caractère non entravé par l’influence humaine de la spontanéité des processus écologiques dynamiques actuels et éventuellement passés. La première composante de la naturalité anthropique a trait à la libre évolution et plus exactement à l’origine des perturbations : l’origine des perturbations y est naturelle depuis que l’écosystème est en libre évolution, mais la naturalité biologique de cet écosystème peut très bien avoir été modifiée par les activités humaines dans un passé plus ou moins lointain. Pour une forêt, cette composante de la naturalité anthropique est la transcription scientifique de la libre évolution, comprise comme un phénomène pérenne durant un laps de temps suffisamment long de fonctionnement autonome et sans activité extractive. Elle peut comprendre une composante végétale (pas de coupe de bois depuis un certain temps) et une composante animale (ex : pas de chasse depuis un certain temps). Nous proposons aussi d’inclure dans la naturalité anthropique une composante “occupation du sol”, simplement liée au fait que le caractère forestier de l’occupation du sol n’a pas été changé par l’homme depuis très longtemps. La naturalité anthropique comprend enfin une composante “changements globaux diffus” (pas ou peu d’influence du changement climatique, des pollutions, des invasions biologiques ou d’autres pressions anthropiques provenant de l’extérieur de l’écosystème sur la biodiversité). Dans la suite de l’article, nous mettrons souvent l’accent sur la composante “perturbation” de la naturalité anthropique, celle liée à l'absence de gestion sylvicole et à la libre évolution et donc à la composante végétale, car la littérature forestière est centrée sur cette composante. Mais nous reconnaîtrons aussi le caractère plus large de cette notion de naturalité anthropique (cf. partie “Naturalité anthropique”).
Quelles composantes pour la naturalité ?
Les naturalités du passé ou du futur servent à mieux comprendre la chronologie d’une naturalité qui évolue avec le temps. Toutefois, nous nous intéresserons dans cet article essentiellement à la naturalité des forêts actuelles et faisons l’hypothèse qu’une large majorité des métriques existantes de naturalité se restreignent à ce type de naturalité (cf. partie suivante). Le rapide tour d’horizon conceptuel que nous venons de faire contient certaines formes d’incohérences :
— la notion de naturalité biologique telle que définie par Gilg (2004), « qui est maximale lorsque les équilibres biologiques sont intacts, quelle que soit la gestion », nous semble problématique de deux points de vue : d'une part, d'après nos connaissances, toute forme d'intervention humaine va rompre certains équilibres biologiques et donc faire en sorte que naturalité biologique ainsi définie et naturalité anthropique se confondent. D'autre part, la notion d'équilibre est régulièrement remise en cause en écologie et en biologie de la conservation pour lui préférer celle de résistance et de résilience face à des perturbations anthropiques ou naturelles. Dans la suite du texte, nous retiendrons donc la définition de naturalité biologique de Gosselin et al. (2017) (cf. encadré) ;
— nous ne retenons pas la proposition de Guetté et al. (2018) d'identifier une troisième composante de naturalité qui serait liée à la notion de continuité spatiotemporelle. En effet, cette composante n'est selon nous pas un axe indépendant des deux autres (intégrité biophysique et spontanéité des processus) mais plutôt une manière de qualifier ces deux axes. Qu'on l'applique à l'intégrité biophysique (= naturalité biologique ; ex : couvert de forêt d'espèces autochtones en régénération naturelle) ou à la spontanéité (= naturalité anthropique ; forêt en évolution naturelle), il suffit d'évaluer l'ancienneté de cet état (pour la partie temporelle) ou son emprise spatiale, pour distinguer les cas où cet état n'est que très récent ou très local des cas où la forêt est dans cet état depuis très longtemps ou sur une surface importante. À titre d'exemple, dans le projet GNB (Gosselin et al., 2017), ces dimensions spatiales et temporelles ont été appliquées à des métriques de naturalité anthropique. Par ailleurs, comme précisé par Guetté et al. (2018), des choix spatiotemporels sont à effectuer pour rendre plus opérationnels ces deux types de naturalité : par exemple, pour la notion d'espèce autochtone (dans la naturalité biologique), il faut préciser les échelles de temps et d'espace utilisées pour qualifier l'indigénat d'une espèce ;
— la proposition de Buchwald (2005) de placer toutes les forêts sur un gradient unique de naturalité, d’abord défini par le caractère autochtone des espèces, puis par le type de régénération et enfin par différents aspects de naturalité déclinés à différentes échelles temporelles et spatiales nous semble ne pas reconnaître suffisamment clairement les notions de naturalité biologique et anthropique et oblige ainsi à placer les vieilles forêts (old-growth en anglais) comme toujours plus naturelles que des forêts non exploitées depuis longtemps, et des forêts en libre évolution après avoir été plantées comme moins naturelles que des forêts exploitées natives — et ce alors que les forêts classées comme plus naturelles (vieilles et exploitées natives) ont pu être exploitées plus intensivement durant les dernières décennies que les forêts classées comme moins naturelles (forêts non exploitées depuis longtemps et plantations “naturelles”). La distinction entre naturalité biologique et naturalité anthropique permet de résoudre ce type de problème en aidant à reconnaître le caractère multidimensionnel (et au moins bidimensionnel) de la notion de naturalité, permettant de mieux révéler les sous-entendus implicitement induits par la notion de forêt naturelle (figure 1).
Nous proposons donc de retenir comme composantes de naturalité (cf. les lignes et colonnes du tableau I) :
— soit les deux notions de naturalité biologique sensu Gosselin et al. (2017) et de naturalité anthropique telles que nous les avons définies dans l'encadré ci-dessus qui selon nous sont respectivement équivalentes à la notion d'intégrité biophysique et une extension de la notion de spontanéité de Guetté et al. (2018), et à celles de naturalité comme dépendant de caractéristiques trouvées dans des écosystèmes de référence ou des écosystèmes idéaux, et de naturalité comme degré de non-interférence avec les humains de Siipi (2004) ;
— soit les trois notions de naturalité de composition, de naturalité de structure et de naturalité de processus (ou fonctions), qui seraient plus proches des trois composantes classiquement reconnues pour la biodiversité. Pour ces trois types de naturalités, il s’agit de retrouver des caractéristiques semblables à celles des milieux non perturbés par les humains depuis suffisamment longtemps en termes de composition en espèces, de structure de l’écosystème et de processus écologiques (production primaire, herbivorie, prédation, nécrophagie, décomposition de la matière organique, perturbation...). Ces trois distinctions de naturalité sont pour l’essentiel des composantes de la naturalité biologique mais la naturalité de processus est pour partie dans la naturalité anthropique (cf. tableau I) ;
— on pourrait enfin regrouper dans la notion de naturalité d’état les naturalités de composition et de structure, pour les distinguer de la naturalité de processus (ou fonction).
Tableau I Vue synthétique de la relation entre les différents types de naturalité et notamment des différences entre la naturalité anthropique et biologique
↓ Fait partie de → |
Naturalité anthropique |
Naturalité biologique |
---|---|---|
Libre évolution et spontanéité des processus |
Oui |
Non |
Naturalité d’état |
Non |
Oui |
Naturalité de composition |
Non |
Oui |
Naturalité de structure |
Non |
Oui |
Intégrité biophysique |
Non |
Oui |
Naturalité de processus ou naturalité fonctionnelle |
Cela dépend (cf. infra) |
Cela dépend (cf. infra) |
Naturalité des motifs et dynamique de perturbation |
Non |
Oui |
Naturalité de l’origine des perturbations |
Oui |
Non |
Naturalité d’autres processus (prédation, herbivorie, décomposition de la matière organique...) |
Pour partie, oui* |
Pour partie, oui* |
* Cela dépend des options en matière de libre évolution : soit on insiste sur le caractère autonome, spontané, non entravé par l’homme de ces processus, et on est bien dans la naturalité anthropique, soit on réintroduit des prédateurs ou des herbivores et on n’est pas dans la naturalité anthropique mais plutôt dans la naturalité biologique si l’on souhaite par ces réintroductions se rapprocher de la composition ou des processus de forêts non influencées par l’homme depuis longtemps.
Il faut noter que naturalités anthropique et biologique sont partiellement corrélées, en ceci que des forêts non exploitées depuis longtemps (forte naturalité anthropique) ont toutes les chances d'avoir une forte naturalité biologique. De même, on peut tout à fait utiliser des options de naturalité anthropique (ne plus couper d'arbre, ne plus chasser…) pour arriver à des états (ex : volume de bois mort) ou processus (ex : prédation) qui font partie de la naturalité biologique ; à l'inverse, des composantes de naturalité biologique (par exemple des sols) influencent la dynamique et les processus qui sont à l'œuvre dans la spontanéité de la naturalité anthropique. En tout cas, notre proposition, en séparant la naturalité biologique de la naturalité anthropique, consiste à reconnaître d'un côté la naturalité liée à la non-emprise humaine ou la spontanéité du fonctionnement de l'écosystème (Guetté et al., 2018), quels que soient l'état et les fonctions de l'écosystème — probablement la partie de la naturalité la plus proche des sciences humaines et sociales et notamment de la philosophie —, et de l'autre la naturalité caractérisée sur la base de propriétés plus strictement écologiques, que l'on peut relier à la notion d'intégrité biophysique de Guetté et al. (2018). Ces deux types de naturalité semblent pour partie rejoindre les termes allemands de Natürlichkeit — pour naturalité anthropique — et Naturnähe — pour naturalité biologique (Winter, 2012). Cette distinction entre les deux types de naturalité nous semble clarifier les termes des débats abordant la naturalité des forêts, à la fois dans le domaine académique et dans le domaine de la gestion ou des politiques publiques. Selon nous, évoquer la naturalité sous-entend d'avoir conscience de ses deux composantes principales : biologique et anthropique.
Figure 1 Proposition de positionnement schématique des types de forêts définis par Buchwald (2005) le long des deux axes de naturalité définis dans le présent article
La considération de ces deux axes de naturalité biologique et anthropique nous amène à ordonner ces types de forêts sur ces deux axes, en séparant les types de forêts essentiellement caractérisées par leur naturalité biologique (vieilles forêts ; couleur jaune), de celles caractérisées à la fois par leur naturalité biologique et leur naturalité anthropique (forêts plantées exotiques, forêts plantées natives, forêts exotiques à régénération naturelle ; couleur marron), de celles à amplitude très large sur les deux axes (forêts plantées partiellement naturelles ; couleur bleue) et de celles d’abord définies par un niveau de naturalité anthropique (tous les autres types ; couleur verte). Cette représentation montre qu’il est difficile de classer tous ces types suivant un seul axe de naturalité, comme proposé par Buchwald (2005), démontrant l’utilité de séparer deux axes de naturalité; et que certains types sont probablement non exclusifs (essentiellement entre les vieilles forêts et les trois types avec lesquels l’intersection est non vide)
Paramètres et métriques de naturalité et libre évolution dans le contexte forestier
Afin de dresser un tableau aussi objectif que possible des différentes manières de mesurer la libre évolution en forêt et les différents types de naturalité associés (cf. partie “La naturalité : un concept adapté aux forêts”), nous avons fait une recherche bibliographique dans la littérature internationale, que nous avons complétée par les références dont nous avions connaissance par ailleurs. Nous avons ainsi effectué début août 2020 une recherche bibliographique sur le moteur de recherche bibliographique Scopus dont nous donnons les mots-clés en note de bas de page
Naturalité biologique
La majorité des articles visait l’étude des caractéristiques des écosystèmes qui sont associées à la libre évolution. Ces travaux étaient principalement fondés sur des comparaisons empiriques entre des forêts laissées en libre évolution et des forêts exploitées.
De nombreux articles insistent sur les caractéristiques dendrométriques liées à la libre évolution, qui sont autant de composantes potentielles de naturalité de structure ou de composition. Les caractéristiques suivantes ont été très souvent relevées comme étant plus élevées dans des peuplements en libre évolution : abondance des très gros bois (Paillet et al., 2015) et dimensions maximales des arbres dans le peuplement (du Bus de Warnaffe &Devillez, 2002), abondance du bois mort, avec de nombreuses métriques (volume total : du Bus de Warnaffe et Devillez, 2002 ; Liira et Sepp, 2009 ; Paillet et al., 2015 ; ratio du volume de bois mort sur le volume de bois vivant ou le volume total : Lombardi et al., 2012 ; Bouget et al., 2014 ; nombre de types de bois morts : Bouget et al., 2014) ou en insistant sur certains types de bois mort (bois morts debout ; bois morts de grande dimension: Paillet et al., 2015), enfin abondance d'arbres porteurs de microhabitats ou de certains types de microhabitats (cavités, fructifications de champignons…) (Bouget et al., 2014). La composition en espèces d'arbres — et notamment le caractère autochtone des espèces — constitue une autre caractéristique dendrométrique majeure utilisée pour rendre compte de la naturalité biologique (Reif & Walentowski, 2008). D'autres caractères ont aussi été mentionnés comme favorisés par la libre évolution, mais dans un moins grand nombre de cas : hétérogénéité verticale du couvert (du Bus de Warnaffe & Devillez, 2002 ; Lombardi et al., 2012), hétérogénéité horizontale du couvert (du Bus de Warnaffe & Devillez, 2002) et présence de dynamique à base de petites trouées (Lombardi et al., 2012), diversité des classes de diamètres (Lombardi et al., 2012), surface terrière ou volume du peuplement (Lombardi et al., 2012), arbres de formes caractéristiques et plus variables (Liira & Sepp, 2009).
Une très riche littérature s'est intéressée à ce qu'on pourrait classer dans la naturalité de composition, en étudiant les variations de biodiversité entre forêts en libre évolution et forêts exploitées. Nous renvoyons ici le lecteur aux synthèses bibliographiques (Gosselin, 2004) ou méta-analyses (Paillet et al., 2010) qui ont fait le point sur la question. Nous référons aussi le lecteur aux résultats du projet GNB (Gestion, Naturalité et Biodiversité) qui aborde la question dans le contexte français (voir les articles du dossier spécial de Rendez-vous Techniques de l'ONF consacré à ce projet, dont Gosselin et al., 2017). L'un des résultats principaux était que la réponse variait suivant les groupes taxonomiques, avec des groupes favorisés de manière consistante par la libre évolution comme les bryophytes forestières et les champignons lignicoles.
Moins d’études ont abordé les caractéristiques structurelles du sol, indiquant une plus forte proportion de macro- voire de méso-pores du sol, plus de matière organique et de cations échangeables, une densité du sol plus faible, et une plus grande hétérogénéité spatiale des propriétés du sol en forêts en libre évolution.
Certains auteurs se tournent vers des perspectives plus “fonctionnelles” pour comparer peuplements exploités et peuplements en libre évolution. Plusieurs insistent ainsi sur les caractéristiques des perturbations du peuplement d'arbres. De fait, McCarthy et Burgman (1995) ont montré à travers des travaux de simulation combien, à niveau de perturbation constant, le fait que les perturbations naturelles sont normalement plus aléatoires que les perturbations d'origine humaine, avait un impact sur le pourcentage de forêt âgée dans le paysage : celui-ci est plus élevé s'il est soumis à des perturbations aléatoires que s'il est confronté à des perturbations déterministes. Plusieurs outils ont ainsi été utilisés pour étudier les processus de perturbation en forêts exploitées et en libre évolution. En premier lieu, l'analyse des cernes d'arbres semble permettre d'accéder à des informations très précieuses pour distinguer peuplements matures exploités et en libre évolution. Ces méthodes permettent d'accéder à des informations fonctionnelles variées (nombre et durée des phases de compression, synchronicité entre arbres des relâchements de compétition — ou fins de périodes de compression de croissance —, âge d'accession à la canopée…) inaccessibles via les informations dendrométriques classiques et montrant des valeurs nettement différentes entre forêt matures exploitées et forêts matures en libre évolution. Les méthodes de télédétection peuvent aussi permettre d'accéder à des métriques spatiotemporelles liées pour partie au régime de perturbation permettant de distinguer ou pas forêts exploitées et forêts en libre évolution (Sommerfeld et al., 2018). Des métriques telles que la taille moyenne des éco-unités, l'équilibre des stades de croissance (du Bus de Warnaffe & Devillez, 2002) ou le ratio entre périmètre et surface perturbée (Sommerfeld et al., 2018) semblent ainsi être pertinentes pour étudier la différence entre forêts exploitées et non exploitées. Il reste à vérifier que les cibles proposées par du Bus de Warnaffe et Devillez (2002) sont universelles : en effet, dire que les forêts en libre évolution ont des tailles d'éco-unités moyennes plus petites que les forêts exploitées dépend d'abord du type de gestion pratiquée — notamment de son caractère régulier ou non — et dans un second temps du régime de perturbation naturelle, donc du type de forêt (Seymour et al., 2002). De fait, les résultats obtenus par télédétection par Sommerfeld et al. (2018) montrent que les différences entre forêts protégées (catégories UICN I et II, donc essentiellement en libre évolution) et forêts non protégées en termes de surface d'éco-unité ou de ratio entre périmètre et surface — respectivement plus petite et plus élevé en forêt protégée — disparaissaient dans les contextes où les régimes de perturbation étaient les plus intenses. De même, viser un plus grand équilibre entre stades de développement est valide dans les cas — très fréquents — où les stades sénescents sont quasi absents en forêt exploitée, mais cela ne prend pas en compte le fait que les peuplements naturels peuvent être non équitables en termes de répartition de classes d'âge simplement à cause de la nature stochastique des perturbations (McCarthy & Burgman, 1995) mais aussi de la durée de ces stades.
Nous avons trouvé peu de références permettant d'éclairer les caractéristiques “fonctionnelles” de la naturalité liées à la libre évolution en dehors du thème des perturbations (cf. supra). Une première caractéristique est évidente : il s'agit de la régénération naturelle (du Bus de Warnaffe & Devillez, 2002), en ce sens que les peuplements en libre évolution ne se régénèrent pas par plantation. D'autres publications se focalisent sur le ratio entre production et biomasse, sur la densité moyenne du bois, plus forte en forêt primaire tropicale qu'en forêt exploitée. Pour ce qui est des stocks de carbone, ils sont clairement plus élevés en forêt non exploitée qu'en forêt exploitée, alors que les flux sont équivalents, mais davantage concentrés dans la partie aérienne de l'écosystème en forêt exploitée (Noormets et al., 2015).
Naturalité anthropique
La première composante de la naturalité anthropique, et de loin la plus développée dans le monde forestier, a trait à la libre évolution des peuplements arborés. Une première manière assez simple mais restrictive de quantifier cette composante de la naturalité anthropique correspond au cas des réserves intégrales (catégorie “Ia” d’aire protégée de l’UICN), dans lesquelles aucune gestion du peuplement d’arbres (coupe d’arbres, export de bois ou d’arbres, plantation d’arbres…) n’est permise actuellement et dans le futur — compte tenu d’engagements collectifs, par exemple des arrêtés ministériels. Dans ce cas, on peut attribuer à ces forêts le label "en libre évolution” actuellement et dans le futur. Cependant, cela dit peu de choses sur les forêts n’ayant pas ce statut : elles peuvent tout à fait être en libre évolution depuis un certain nombre d’années.
Une seconde manière de jauger la libre évolution d’une parcelle est de considérer la durée depuis la dernière opération sylvicole, ou une durée minimale de non-intervention. Cependant, l’accès à ce type de données est souvent assez difficile et dépend de la consignation rigoureuse des opérations sylvicoles dans un document précis — comme les sommiers en forêt publique française. Il est à notre connaissance plus difficile d'accéder à ces types d’informations à l’échelle du paysage — et donc à la composante spatiale de cette manière de mesurer la naturalité anthropique — compte tenu de la multiplicité des propriétaires et de la manière de consigner l’information relative aux opérations sylvicoles passées — sauf à utiliser des outils de télédétection si on ne remonte pas trop loin dans le passé et si ces outils peuvent détecter les différents types d’opérations sylvicoles.
Ces approches de quantification de la naturalité anthropique mettent en évidence les dimensions temporelles et spatiales de la libre évolution :
— des aspects temporels de naturalité anthropique : depuis quand la forêt est en réserve intégrale, et même plus: depuis quand elle n’a pas subi de coupe d’arbre ;
— des aspects spatiaux de naturalité anthropique : par exemple la surface en libre évolution statutaire ou non autour de la forêt concernée ou, pour une forêt en libre évolution, la distance à la forêt hors réserve intégrale la plus proche ou à des occupations du sol non forestières (et la distance à la forêt en libre évolution la plus proche pour les forêts exploitées).
Les composantes temporelle et spatiale de naturalité anthropique ont par exemple été retenues dans le cadre du projet GNB (par exemple Gosselin et al., 2017a). On voit ainsi apparaître les composantes spatiotemporelles de naturalité au sein de la notion de naturalité anthropique et non comme une composante à part (cf. partie précédente).
Ces premières quantifications de la naturalité anthropique ne permettent pas vraiment de bien prendre en compte la nature et l’intensité des opérations sylvicoles passées — et de placer les forêts sur un gradient continu de libre évolution ou qualifier la libre évolution à partir de l’intensité de la gestion forestière préalable à la libre évolution. Le cas limite à cet égard est celui de forêts gérées par coupe rase et plantation et sans intervention sylvicole (ou très peu) entre la plantation et la coupe rase. Plusieurs autres métriques peuvent alors être utilisées à la place ou en complément des précédentes pour mieux appréhender l’intensité de gestion plus ou moins forte :
— Une approche par l’intensité de la perturbation des arbres par l’exploitation forestière. Elle utilise des métriques comme le ratio du volume de bois exporté de la parcelle — ou coupé — sur la production naturelle potentielle — ou sur le volume sur pied ou le volume total reconstitué —, le tout pendant une période spécifiée (du Bus de Warnaffe & Devillez, 2002 ; Kahl & Bauhus, 2014). Cette approche requiert soit des archives de coupe assez précises ainsi que de pouvoir calculer la production naturelle potentielle (du Bus de Warnaffe & Devillez, 2002), soit de faire une mesure précise des souches issues de coupe, du bois mort dans la parcelle et du peuplement vivant (Kahl & Bauhus, 2014). Cette dernière méthode semble relativement séduisante mais suppose :
— qu’on puisse facilement faire un relevé de souches, ce qui n’est pas le cas dans toutes les configurations forestières,
— que la sylviculture laisse les souches en place, ce qui n’est plus systématiquement le cas,
— et que la durée de décomposition des souches soit constante — estimée à entre 30 et 40 ans par Kahl et Bauhus (2014) —, alors qu’elle dépend des conditions stationnelles et du stade sylvicole.
Une alternative pourrait être d'appliquer cette approche dans une visée de long terme à des données issues de placettes permanentes avec un relevé spatialisé des arbres, permettant d’accéder aux différentes quantités utiles pour calculer cette métrique. Toutes ces méthodes doivent être interprétées avec précaution, en ayant en tête les différentes sources de variations influençant ces métriques (par exemple : stades sylvicoles).
— Des approches qui essaient de quantifier directement l’intensité de la gestion forestière (cf. nombreuses références dans Schall & Ammer, 2013), basées par exemple sur les intrants de la gestion forestière (par exemple énergie dépensée, Anderson, 1991), la fréquence de passage ou la durée d’une rotation. Selon Schall & Ammer (2013), il n’y a toutefois pas de méthode stabilisée pour combiner de manière satisfaisante les différents facteurs de gestion en une mesure simple d’intensité de gestion forestière.
Parmi ces métriques d'intensité de gestion, les premières associées à l'approche par l'intensité de la perturbation des arbres par l'exploitation forestière, notamment via des relevés sur placettes permanentes, nous semblent plutôt les plus convaincantes pour être reliées à la naturalité anthropique. Elles rejoignent une métrique qui émerge au niveau macroscopique, l'”appropriation humaine de la production primaire nette” (HANPP: Human Appropriation of Net Primary Production ; Haberl et al., 2007). Il s'agit de quantifier sur un espace donné et pendant une période donnée la biomasse des récoltes faites par l'homme ainsi que les pertes ou gains de production primaire nette issus de la conversion humaine des habitats naturels. La somme de ces deux dernières quantités est souvent divisée par la production primaire nette du type de végétation naturelle, et résulte alors en une proportion de production primaire nette contrôlée par l'homme. Cet indice prend donc en compte deux effets : l'intensité de la récolte dans le type d'écosystème actuel ; et l'impact en termes de production primaire induit la conversion par l'homme du type d'écosystème naturel en type d'écosystème actuel. Il permet donc de combiner des métriques des deux premières composantes de naturalité anthropique définies ci-dessus (liés à l'exploitation de l'écosystème et au changement de type d'occupation du sol ; cf. encadré) (Haberl et al., 2007).
Les considérations précédentes sur la naturalité anthropique s'attachent à ne considérer l'influence humaine que sur le peuplement forestier (coupe, plantation…). Une première extension de la naturalité anthropique à l'occupation du sol (cf. paragraphe “Naturalité anthropique et biologique”, seconde composante de la naturalité anthropique) nous amène à reconnaître la durée de l'état boisé — et donc la notion de forêt ancienne telle qu'elle a été définie en France — comme une métrique possible de ce type de naturalité anthropique. Par ailleurs, l'influence de l'homme entravant la libre évolution des écosystèmes forestiers comporte d'autres composantes majeures — même si elles sont parfois plus indirectes — comme la pratique ou non de la chasse et plus généralement de toute sorte de prélèvement de la faune et de la flore, mais aussi l'impact de l'homme sur la composition atmosphérique et sur le climat (dépôt d'azote atmosphérique, sécheresse,…), sur le régime de perturbation régional (ex : contrôle de l'incendie), sur la fragmentation des milieux (en particulier les infrastructures de transport terrestres) et enfin la fréquentation humaine des écosystèmes forestiers (cf. paragraphe “Naturalité anthropique et biologique”, principalement la troisième composante de la naturalité anthropique). Certains de ces aspects ont été incorporés dans la notion d'empreinte humaine (human footprint, Sanderson et al., 2002), de gradient de modification humaine (Kennedy et al., 2019) ou, dans un contexte forestier, dans la liste de du Bus de Warnaffe & Devillez (2002). Ces différentes métriques font bien sûr des hypothèses sur la manière de quantifier chacun des types d'emprise humaine et sur la manière de les coupler. Ces métriques pourraient utilement élargir la notion de naturalité anthropique définie ci-dessus pour qu'elle comprenne les “types et degrés d'influence humaine” (Götmark, 1992) sur les écosystèmes et la biodiversité.
La plupart des métriques précédentes de naturalité biologique et anthropique étaient développées en vue de distinguer des peuplements forestiers ou des collectifs de peuplements forestiers à partir de différents types d'informations sur ces peuplements. Les mêmes métriques peuvent être aussi appliquées à des territoires (ou paysages) forestiers plus larges, en estimant la moyenne ou la variance de ces valeurs ou la surface couverte par des forêts avec diverses caractéristiques naturelles — comme le caractère “vierge” des forêts (du Bus de Warnaffe & Devillez, 2002 ; Sabatini et al., 2018). Ce passage à l'échelle du paysage permet aussi d'accéder à des métriques d'une autre nature qui n'ont de sens qu'à cette échelle (du Bus de Warnaffe & Devillez, 2002), comme la densité de lisières entre stades successionnels différents qui serait plus faible dans les forêts en libre évolution ou le couple taille moyenne des surfaces en régénération/intervalle de temps entre régénérations (Seymour et al., 2002).
Métriques intégrées pour décrire la naturalité et la libre évolution
Dans les deux parties précédentes, nous avons présenté différentes métriques permettant de rendre compte de la naturalité biologique puis de la naturalité anthropique. Nous nous posons maintenant la question de savoir s’il n’existerait pas de système de notation proposant d’intégrer ces différentes dimensions dans une approche commune, et éventuellement dans un indice unique, permettant de placer les peuplements sur un gradient de plus ou moins grande naturalité. Sur la base de nos analyses précédentes, nous essaierons de privilégier les métriques qui sont claires sur un plan conceptuel, et notamment qui identifient bien naturalité biologique et naturalité anthropique.
L’approche de l’Agence européenne de l’Environnement pour développer un indicateur de naturalité forestière dans l’aire de répartition du Hêtre (European Environment Agency, 2014) s’est placée sous la contrainte de ne travailler que sur des variables disponibles sur un SIG, ce qui réduit fortement les possibilités méthodologiques. La notion de naturalité utilisée semblait se rapprocher davantage de la naturalité biologique que de la naturalité anthropique, puisque le but était de pouvoir bien classer en forêt naturelle des vieilles forêts (old-growth forests ; cf. figure 1). Les variables retenues comprenaient le volume sur pied, le pourcentage de Hêtre dans le peuplement, l’accessibilité, la connectivité et la distance à des zones artificialisées. Ces variables sont assez éloignées de celles mentionnées dans la partie “Naturalité biologique“ compte tenu de la contrainte “cartographique”. Clairement, ce type d’indicateur n’est utile que dans le cadre d’une contrainte cartographique forte : si on peut obtenir des données de terrain, d’autres métriques sont à privilégier.
Une première métrique de ce type bien connue des forestiers français est l’IBP (Indice de biodiversité potentielle). Comme son nom l’indique, cet indice vise davantage la biodiversité que la naturalité. Il n’en demeure pas moins que plus de la moitié de ses composantes ont été évoquées dans la partie “Naturalité biologique“ comme étant des métriques de naturalité biologique, plus exactement de type naturalité de composition et de structure (relatives notamment aux espèces autochtones, au bois mort, aux très gros arbres et aux dendro-microhabitats). Une autre de ses composantes - la continuité temporelle de l’état boisé - est par ailleurs une métrique de naturalité anthropique appliquée à l’occupation du sol (cf. partie “Naturalité anthropique“). Un sous-indice issu de l’IBP — duquel on aurait soustrait les composantes associées à l’ancienneté de l’état boisé, aux milieux aquatiques et rocheux — pourrait ainsi être un candidat intéressant d’indice local simple de naturalité biologique.
Un autre système de notation a été proposé par du Bus de Warnaffe & Devillez (2002) ; il sépare une note de naturalité d'une note de valeur conservatoire. Pour chacun des deux axes, deux échelles sont distinguées : l'échelle de la parcelle et celle du massif. Les deux indices de naturalité incluent des composantes de naturalité biologique (dont de nombreuses mentionnées en partie “Naturalité biologique“) et de naturalité anthropique (estimée de manière continue à partir du régime sylvicole ou du ratio entre l'exportation de bois sur la production biologique), chacune évaluée à partir de la moyenne de plusieurs indicateurs dont la valeur augmente avec le degré de naturalité. Si certaines métriques sont sujettes à discussion (cf. partie “Naturalité biologique“), ce système semble un candidat intéressant de quantification de la naturalité, au sein duquel les naturalités biologique et anthropique pourraient assez facilement être distinguées. La méthode proposée par Liira et al. (2007) est assez proche mais se concentre au niveau de la parcelle (plus exactement sur un rayon de 60 m autour du centre du peuplement) et calcule un indice d'intensité de gestion à partir de l'observation ou non de différents signes d'activités humaines (souches d'exploitation, chemins ou pistes forestières, coupe rase, détritus, fossés…), dans les 30 m entourant le centre puis dans la couronne entre 30 et 60 m. Cette approche semble se rapprocher de la naturalité anthropique, mais avec une vision plus large que le seul contrôle du peuplement, impliquant différentes traces d'activité ou emprise humaine. Les propositions de Liira et al. (2007) peuvent être envisagées comme des traits d'union entre la conception purement "gestion forestière” de la naturalité anthropique et des métriques beaucoup plus générales d'empreinte ou d'emprise humaine (human footprint de Sanderson et al., 2002, ou gradient de modification humaine Kennedy et al., 2019), qui nous semblent conceptuellement proches.
En synthèse, pour la naturalité biologique de composition et de structure, il semble bien qu’il n’y ait pas une métrique “universelle” qui suffise à elle seule à évaluer cette naturalité. Pourtant, un jeu de métriques centrées autour de la composition en espèces, du bois mort (volume et diversité), des dendro-microhabitats et des très gros arbres vivants, devrait assez bien résumer les nombreux travaux existants sur la naturalité biologique. À l’échelle du peuplement, ces paramètres de naturalité biologique recoupent ceux de l’Indice de biodiversité potentielle (IBP) (cf. supra). Nous avons aussi identifié d’autres métriques, certaines plus fonctionnelles, dynamiques ou paysagères, qui mériteraient d’être davantage promues au sein de la naturalité biologique. Les métriques liées à la libre évolution concernent souvent la durée depuis l’arrêt de l’exploitation, la surface de la forêt en évolution naturelle mais aussi des métriques plus graduelles qui se rapprochent de la notion d’intensité de gestion, prenant en compte les prélèvements de bois dans les forêts. À cet égard, l’utilisation de placettes permanentes permettant d’accéder à l’historique de chaque arbre semble être un outil de choix qui manque dans le dispositif français de surveillance des forêts. Enfin, quelques métriques multicomposantes permettent d’avoir un point de vue quantitatif, pluriel sur la naturalité tout en gardant les idées claires sur les parties de naturalité visées.
Discussion
Naturalité biologique et ré-ensauvagement : des regards biaisés dans des directions opposées
C'est parce que l'exploitation forestière réduit les stades âgés que les scientifiques ont porté leur intérêt sur les phases de sénescence, et les métriques associées (cf. partie “Naturalité biologique”), très présentes dans les vieilles forêts à caractère naturel. De ce fait, ils ont négligé d'autres phases de la sylvigenèse dans les métriques de la naturalité, notamment celle de régénération et ont introduit un biais dans le regard porté sur les forêts naturelles. Or les stades jeunes des forêts exploitées comportent bien des différences avec ceux des forêts naturelles qui comportent de nombreux éléments hérités des stades de sénescence naturels (Hansen et al., 1991) et constituent un stade important pour la biodiversité (Thorn et al., 2020). Les métriques de naturalité biologique évoquées dans la partie “Naturalité biologique” ne permettent pas de bien rendre compte de ces différences tout simplement parce qu'elles ont la plupart du temps été développées en prenant comme référence naturelle les vieilles forêts (old-growth forests). Ces métriques seraient peut-être un peu plus compliquées à concevoir, mais des connaissances existent pour aller dans ce sens, et les mêmes paramètres que pour les stades âgés pourraient être impliqués (par exemple bois mort ; Hansen et al., 1991), ce qui est encourageant. Un second biais de la naturalité, notamment biologique, est de mettre l'accent sur le monde végétal — et notamment les arbres — au détriment du milieu abiotique et des animaux — et notamment des grands ongulés et des grands carnivores, sans oublier les microorganismes.
Les biais inverses — en faveur des stades jeunes et des forêts plus ouvertes, et du règne animal — semblent sous-tendus par le ré-ensauvagement, qui fait la part belle à l’introduction ou la réintroduction d’herbivores sauvages ou domestiques au nom de la fonctionnalité à travers l’herbivorie. Une de ces expérimentations est menée par Franz Vera aux Pays-Bas à l’est d’Amsterdam, sur un polder clôturé de 5 600 ha. Pour son initiateur, il s’agit d’une reconstitution d’un milieu du Pléistocène par sa densité en herbivores sauvages ou domestiques ensauvagés (bovidés, cervidés et chevaux), et permettrait de créer des forêts plus proches de leur état préhistorique (cf. partie “À l’origine de la naturalité”). L’auteur de cette opération a ainsi voulu démontrer que le retour des arbres était bloqué en installant artificiellement une très forte densité d’herbivores. D’autres réintroductions d’herbivores ont lieu en pleine nature mais là encore, le but visé est souvent de maintenir des milieux ouverts par l’herbivorie et d’empêcher le retour de la forêt dense.
Utilisant comme outil principal les introductions et réintroductions d’espèces, le ré-ensauvagement semble ainsi s’opposer à la naturalité anthropique, c’est-à-dire la libre évolution sans intervention humaine, y compris des introductions ou réintroductions d’espèces. Même si ces expériences à large échelle peuvent être scientifiquement intéressantes dans un domaine où on connaît peu de choses, les conditions de ce type d’expérience s’écartent d’un fonctionnement naturel des écosystèmes puisqu’elles se font souvent dans des milieux clôturés et en l’absence de grands prédateurs. Reste que la réintroduction d’espèces à rôle fonctionnel clé avant de laisser la libre évolution fonctionner — par exemple pour prendre en compte les impacts passés de l’homme sur ces forêts — reste une option ouverte.
Le positionnement pratique en faveur de ces différentes perspectives dépendra de ce qu’on pense être les mécanismes limitants qui conditionnent le fonctionnement d’écosystèmes forestiers “naturels”, entre le monde végétal (la succession végétale et les perturbations abiotiques) et le monde animal (herbivorie voire prédation par les grands carnivores dans des expériences de ré-ensauvagement). Les deux visions doivent pouvoir trouver leur place au sein d’une gestion écocentrée, qui pourra utiliser comme choix de gestion la libre évolution — une forme passive de restauration — mais en acceptant au préalable des interventions humaines pour compenser les influences anthropiques extérieures ou historiques (Jordan & Lubick, 2011).
État de référence et impact des changements globaux : mieux vaut se tourner vers l’avenir
La naturalité biologique renvoie à un état écologique de référence comme la végétation naturelle potentielle ou la structure dendrométrique caractéristique des forêts en évolution naturelle. Mais compte tenu des multiples modifications intervenues sur les milieux naturels, certains écologues ne font plus référence à une situation passée pour juger du degré de naturalité, estimant que l'état de référence est illusoire (Reif & Walentowksi, 2008). Des scientifiques ont estimé que sous l'effet des changements globaux (augmentation des températures et du gaz carbonique, polluants chimiques et radiologiques de l'air, des sols et de l'eau, introduction d'espèces exotiques et changement d'usage des sols), de très nombreux espaces en libre évolution sont devenus des nouveaux écosystèmes dont la composition en espèces ou le fonctionnement écologique a changé et ces changements ne sont pas réversibles, ce qui implique l'impossibilité d'un retour vers un état antérieur (Hobbs et al., 2013). Dans le cas d'un nouvel écosystème forestier dont la composition aurait changé, dont le sol aurait subi des modifications dues à des apports azotés ou phosphorés et soumis au réchauffement climatique, la naturalité anthropique s'éloigne de la naturalité biologique. Dans un monde soumis aux changements globaux, le concept de naturalité biologique doit être reconsidéré car il peut devenir problématique, mais en même temps il pointe des métriques qui pourront rester intéressantes dans un contexte non plus stationnaire mais transitoire.
Reste que le concept de naturalité n’est pas le seul concept pouvant orienter la gestion écocentrée (ou de manière plus générale la gestion forestière en faveur de “la biodiversité"). Reif et Walentowksi (2008) proposent de ne pas fonder la conservation de la nature en forêt essentiellement (ou uniquement) sur la notion de naturalité pour lui préférer les notions d’originalité, de niveau de menace et de restaurabilité. Il s’agirait ainsi de guider la conservation de la nature en forêt par la recherche du maintien ou du développement d’éléments originaux (actuels ou passés), par la protection d’éléments menacés de disparition et par la capacité à revenir en arrière, c’est-à-dire à restaurer l’écosystème. Reif et Walentowksi (2008) donnent plusieurs exemples, et notamment le cas d’une forêt sur sol drainé qui était originellement une aulnaie : la perspective naturalité conduirait à laisser cette forêt évoluer naturellement (naturalité anthropique) ou à développer des compositions, structures et fonctionnements typiques de forêts naturelles (naturalité biologique), alors que les considérations originalité et niveau de menace conduiraient peut-être à boucher les drains pour revenir à une aulnaie. En tout état de cause, Reif et Walentowksi (2008) nous rappellent après d’autres qu’on doit garder une vision large de la gestion forestière, même quand elle vise des objectifs écocentrés, qui pourra utiliser dans certains cas la naturalité anthropique ou la naturalité biologique comme critères ou la libre évolution comme moyen, mais qui aura aussi grand intérêt à se poser la question dans chaque situation si la naturalité est le concept le plus adapté.
Liens biodiversité-naturalité
Dans le vocabulaire de la conservation de la nature, le concept de naturalité est plus récent que celui de biodiversité. La biologie de la conservation utilise ce concept uniquement parce qu'il se conçoit le long d'un gradient allant d'un extrême (milieu entièrement naturel) à un autre (milieu entièrement artificiel), qui sont des abstractions selon Angermeier (2000 dans Siipi, 2004). C'est parce que certaines forêts sont plus naturelles que d'autres en fonction des métriques considérées que le concept de naturalité prend tout son sens. Si la naturalité paraît aussi difficile à définir que la biodiversité, la libre évolution semble plus facile à appliquer que certaines modalités de gestion en faveur de la biodiversité. On peut se demander dans quelle mesure les deux concepts de naturalité anthropique ou libre évolution, et biodiversité sont corrélés. Comme la naturalité, la biodiversité a de nombreux sens et perceptions. Sur le plan de l'évolution des espèces, la naturalité anthropique devrait permettre de diversifier à l'échelle des territoires les pressions de sélection dans nos écosystèmes forestiers, favorisant ainsi la diversité génétique des espèces forestières au niveau des territoires. Pour ce qui est de la diversité spécifique, les résultats sont équilibrés entre des groupes d'espèces qui sont en moyenne plus diversifiés en forêt exploitée — comme la flore vasculaire — et d'autres, notamment liés aux forêts âgées, comme les champignons lignicoles ou les coléoptères saproxyliques, qui sont favorisés par les forêts en libre évolution (Gosselin, 2004 ; Paillet et al., 2010). Les résultats actuels du projet GNB sont davantage en faveur des forêts non-exploitées puisqu'aucun groupe d'espèces n'était plus diversifié en forêt exploitée, tandis que plusieurs préféraient les forêts non-exploitées, dont deux fortement — les bryophytes forestières et les champignons lignicoles menacés d'extinction. Ce même projet a révélé que les métriques liées à la naturalité biologique (notamment associées au bois mort) étaient plus fortement associées à certaines métriques de biodiversité que les métriques de naturalité anthropique, rejoignant les composantes de naturalité biologique choisies pour faire partie de l'IBP (cf. partie “Métriques intégrées…”).
La naturalité anthropique est synonyme de spontanéité, c’est-à-dire de processus dynamiques et évolutifs non contrariés par l’homme. Son application peut donc conduire à ne pas accorder plus de valeur à l’espèce rare qu’à l’espèce commune et à l’espèce autochtone qu’à l’espèce allochtone, qui fait partie des héritages anthropiques. Les nouveaux écosystèmes caractérisés par une nature férale de plus en plus prégnante en ce début de XXIe siècle comportent des espèces exotiques qui contribuent à certaines fonctions intéressantes pour les écosystèmes (Davis, 2011). Mais l’acceptation des exotiques dans les milieux laissés en libre évolution ne doit pas servir à cautionner toute forme d’introduction ou de commercialisation d’espèces exotiques potentiellement invasives. Le fait d’attribuer une forte valeur intrinsèque à la spontanéité des processus peut conduire à accepter une perte de richesse spécifique pour certains groupes taxonomiques. Il faudrait alors plutôt parler de modification de la biodiversité car la diversité d’autres groupes d’espèces sera favorisée par cette spontanéité (cf. supra). On voit ainsi se profiler une différence entre le concept de naturalité anthropique et celui de biodiversité (et les principes d'originalité, de niveau de menace et de restaurabilité ; cf. supra).
Des valeurs sous-jacentes aux choix des composantes de naturalité et des métriques
La place à accorder à la nature en libre évolution n'est pas une question mineure, elle soulève un débat fondamental sur la place de l'homme dans la nature et sur le fameux dualisme occidental qui veut que l'homme — et la culture — se différencie nettement de la nature. Sur la rupture avec le dualisme, les philosophes qui s'intéressent à la nature sauvage ne sont pas tous d'accord. Ainsi Virginie Maris (2018) ne le rejette pas et voit la nature comme une « extériorité » permettant de « borner notre empire », une altérité avec qui dialoguer et échanger. Alors que Baptiste Morizot (2020), lui aussi ardent promoteur de la libre évolution, souhaite le faire en rompant avec le dualisme en remplaçant les mots « homme » et « nature » par le terme commun « vivant » car pour lui : « ce n'est pas en tant qu'humains qu'on protège une altérité qui serait la « nature », c'est en tant que vivants qu'on défend le vivant, c'est-à-dire nos milieux de vie multispécifiques ». En tout état de cause, la naturalité anthropique et plus généralement la restauration écocentrée sont porteuses d'un sens différent de la relation homme-nature, fondée sur des valeurs autres que les valeurs dominantes centrées sur l'utilitarisme (Jordan & Lubick, 2011). Nous pensons que des valeurs d'existence ainsi que des valeurs relationnelles sont à l'œuvre : pour les premières, le concept de naturalité (anthropique) est fortement sous-tendu par une éthique de la nature qui reconnaît dans les processus biologiques autonomes une valeur intrinsèque et qui conduit l'homme à lâcher prise et laisser faire alors que le réflexe dominant le pousse au contrôle et à la maîtrise ; pour les valeurs relationnelles, une expérience faite sur la perception de la naturalité des forêts de montagne a montré qu'il y avait convergence entre les descripteurs écologiques et la perception sociologique, indiquant une convergence entre les deux (Paillet et al., 2009). Les métriques relevées dans la bibliographie (cf. partie “Paramètres et métriques de libre évolution dans le contexte forestier”) ne relèvent que des sciences de la nature et de la forêt — peut-être à cause d'un biais de nos communautés académiques d'appartenance. Il n'y a pas ou peu de paramètres relevant des sciences humaines pour évaluer la naturalité comme le sentiment de nature identifié par Vallauri (2007). Cette piste, si elle est faisable, complèterait utilement les métriques présentées, en ayant conscience que les choix liés aux sentiments, à l'esthétique et à l'éthique sont variables selon les cultures et les époques. Toutefois, nous sommes d'accord avec Götmark (1992) pour reconnaître que le concept de naturalité — ainsi que ses déclinaisons par exemple le choix des métriques ou le choix des références — n'est pas uniquement du ressort des sciences naturelles mais qu'il contient aussi des composantes sociales, philosophiques et politiques importantes, impliquant des choix ou préférences humains.
Implications de conservation
Les vieilles forêts et les forêts primaires sont menacées dans le monde entier. En France métropolitaine, on dénombre 22 000 ha de forêts domaniales en réserve intégrale soit 0,13 % du couvert forestier national, parmi 1,8 % de surface forestière en protection forte qui comprend d'autres forêts protégées en libre évolution (https://naturefrance.fr/indicateurs/surfaces-forestieres-protegees-en-metropole), ce qui est largement insuffisant pour la conservation des espèces associées. Il faut souhaiter que la stratégie nationale pour les aires protégées qui prévoit 10 % de sites en protection forte (avec statut réglementaire), veille à prendre en compte les vieilles forêts. De même, parmi les 5,1 millions d'hectares de terres sans usage, figurent de très nombreuses forêts spontanées qui méritent également une protection. Les forêts spontanées relevant de la nature férale (voir dans ce numéro l'article consacré à ce sujet de Schnitzler et Génot) ne sont pas des milieux homogènes pauvres en biodiversité comme le pensent à tort de nombreux naturalistes. Une récente thèse consacrée à la comparaison de la biodiversité (végétation, carabes, araignées) des forêts anciennes et des boisements spontanés en Bretagne a montré que les jeunes boisements spontanés possèdent déjà une diversité taxonomique, fonctionnelle et phylogénétique élevée, soulignant ainsi leur intérêt pour la conservation et la restauration de la biodiversité forestière, en particulier dans les territoires très anthropisés d'Europe de l'Ouest (Morel et al., 2019). N'oublions pas que ces boisements spontanés, majoritairement feuillus, constituent un mode de restauration naturelle des milieux anthropiques, qui seront les vieilles forêts à caractère naturel de demain si nous avons la sagesse d'en laisser en libre évolution sur le temps long.
Conclusion
Dans cet article, notre objectif aura été de clarifier les définitions de la naturalité et de préciser les métriques autour de la libre évolution en forêt. Ce travail nous a amené à reconnaître deux dimensions de la naturalité : la naturalité anthropique — qui est la naturalité liée à la libre évolution et à la non entrave par l’homme des processus naturels — et la naturalité biologique — qui peut être conçue comme un indicateur de proximité sur différents aspects de forêts en libre évolution depuis suffisamment longtemps. De nombreuses métriques permettent d’appréhender ces deux dimensions de la naturalité, que nous proposons de bien maintenir séparées conceptuellement. Les caractéristiques floristiques et dendrométriques dominent les indicateurs de naturalité biologique forestière. Pour la naturalité anthropique, les métriques classiques sont associées à la durée depuis la dernière exploitation de bois ou à la notion d’intensité d’exploitation. Nous avons finalement discuté de ces concepts et métriques dans un contexte plus large pour révéler les limites de la notion de naturalité et des biais dans le développement de ses métriques. La naturalité n’est pas un concept relevant purement des sciences de la nature mais elle doit être également envisagée sous l’angle des sciences humaines. Si nous avons insisté sur les approches forestières de la naturalité, nous avons dressé des ponts entre la naturalité anthropique, telle que classiquement envisagée dans la sphère forestière, avec des concepts non uniquement forestiers (proportion de productivité primaire appropriée par l’homme, empreinte humaine...), qui permettent de donner toute son envergure à ce concept tel que nous l’avons redéfini. La notion de naturalité appréhendée dans le monde forestier semble biaisée en faveur d’une vision végétale de l’écosystème là où les adeptes du ré-ensauvagement promeuvent un point de vue animal. C’est pourquoi, dans un contexte de gestion forestière orientée vers la protection de la nature, la naturalité n’est pas l’unique angle d’attaque du gestionnaire, mais elle constitue à la fois un principe important ainsi qu’un moyen parmi d’autres (libre évolution) à considérer, au sein d’approches de gestion écocentrée en complément de ceux de conservation de la biodiversité, d’originalité, ou de prise en compte des niveaux de menace.
Remerciements
Les auteurs souhaitent remercier les éditeurs pour leur invitation à élaborer cet article, ainsi que les relecteurs pour la quantité et la qualité de leurs remarques qui, nous le pensons, nous a permis d'améliorer la qualité de l’article.
Notes
- (1) Quelques commentaires supplémentaires :
- (2) (TITLE ( (metric OR indicator OR measure* OR quantif*) ) AND TITLE-ABS-KEY ( ("natural forest" OR "unmanaged forest" OR "primeval forest" OR "old-growth forest" OR "set-aside forest" OR ("rewild*" AND forest) OR ("wilderness" AND forest) OR (“strictly protected” AND forest) OR (“naturalness” AND forest) OR (“authenticity” AND forest) OR (“integrity” AND forest) OR (“autonom*” AND forest) OR (“hemeroby” AND forest) OR “unharvested forest” OR “uncut forest”) ) ).
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