Travaux actuels d'inventaire des forêts à forte naturalité à l'échelle nationale et européenne
Résumé
Divers travaux menés à différentes échelles concernent la distribution des forêts anciennes et matures, mais il n’existe pas à ce jour de cartographie complète au niveau national. Au niveau européen, le récent rapport du Joint Research Centre de l’Union européenne donne quelques éléments. Au niveau national, la cartographie des forêts anciennes (continuité de l’état boisé) progresse, et parallèlement, le projet CARTNAT envisage le niveau de naturalité toutes occupations du sol confondues. Une récente étude de l’INRAE a permis de modéliser la distribution des forêts selon leur date de dernière exploitation. Les réserves biologiques intégrales créées en forêt publique, maintenues en libre évolution sur 27 000 ha en métropole, ont fait l’objet en 2020 d’un bilan complet de leur contenu en termes d’habitats forestiers. En Nouvelle-Aquitaine, une méthode croisant diverses données géographiques et d’inventaires a permis de situer des zones à fort potentiel de naturalité au sein des forêts anciennes. Les forêts récentes, férales, liées à la recolonisation spontanée par une végétation forestière de zones en déprise font maintenant l’objet d’un suivi spécifique dans les protocoles de l’Inventaire forestier national.
Abstract
Several works have addressed the distribution of old-growth and mature forests at different scales, but a complete mapping at the national scale is not available. At the European scale, the recent report by the Joint Research Centre of the European Union provides some data. At the national scale, the mapping of old-growth forests (continuousness of the forested state) is making progress; in parallel, the CARTNAT project assesses the level of naturalness, all land uses included. A recent study by the INRAE modelled the distribution of forests according to the latest cutting date. The integral biological reserves created in public forests and maintained unmanaged across 27,000 hectares in mainland France were fully assessed for forest habitats in 2020. In the Nouvelle-Aquitaine region, a method relying on diverse geography and inventory data made it possible to localise zones with a high potential for naturalness within old-growth forests. Recent, feral forests linked to spontaneous recolonisation of abandonment zones by forest vegetation are now the object of specific monitoring as part of the protocols of the national forest inventory.
Introduction
L’intérêt porté à la connaissance et à la préservation des forêts à fort niveau de naturalité s’est fortement développé ces dernières années, mais la description précise de leur répartition et de leur fréquence en France métropolitaine n’est pas encore acquise.
La naturalité d'une forêt fait référence à son niveau d'intégrité biophysique (situation des milieux sur un gradient qui va d'un milieu artificiel à un milieu originel ou primaire), à sa spontanéité (essences indigènes, état actuel du milieu peu influencé par l'homme) et sa continuité spatiotemporelle (taille du massif, connectivité des massifs et ancienneté de la forêt) (Aplet et al., 2000 ; Guetté et al., 2018). L'ancienneté témoigne de cette continuité de l'état boisé dans le temps sur le territoire étudié. La maturité relève de l'intégrité biophysique. Les forêts à la fois anciennes et matures sont qualifiées de vieilles forêts.
La stratégie biodiversité de l’Union européenne (UE) pour 2030, publiée en mars 2020, prévoit que 10 % des terres devraient être strictement protégées. Elle précise que « dans le contexte de cette protection stricte, il sera essentiel de définir, cartographier, surveiller et protéger strictement toutes les forêts primaires et anciennes (ici au sens de vieilles
Au niveau national, les services de l’État en charge de l’instruction des demandes d’autorisations de défrichement souhaitent pouvoir disposer d’informations géolocalisées et précises sur les forêts anciennes. Dans le cadre de la nouvelle stratégie des aires protégées 2020-2030, l’objectif de mise en place de mesures de protections fortes sur 70 000 ha de forêts rend souhaitable la production d’une information précise sur la localisation des vieilles forêts.
La mise en place de politiques publiques spécifiques aux forêts à la fois anciennes et matures suppose donc de répondre à plusieurs questions : quel est le niveau d’abondance de ces vieilles forêts ? Où sont-elles localisées ? Sont-elles suffisamment protégées ?
Le Commissariat général au développement durable (CGDD) anime actuellement un comité chargé de piloter la conception d’un plan d’actions en vue d’une meilleure connaissance et préservation des forêts subnaturelles
En France métropolitaine, des projets ont déjà été menés dans certaines régions visant à inventorier et décrire les vieilles forêts, à la fois anciennes et matures, notamment dans les Pyrénées (Savoie et al., 2015 ; Savoie et al., 2011), intégrant une analyse des cartes historiques (Cassini, état-major) et des investigations de terrain. Mais la quantification de la fréquence de ces peuplements matures au niveau national et européen doit s'appuyer sur les données existantes à large échelle, plus ou moins adaptées à cet objet d'étude, et qui, le plus souvent, n'ont permis qu'une approche imparfaite de leur situation. Toutefois, récemment, des travaux sont conduits, qui combinent notamment les données de l'Inventaire forestier national (IFN) avec d'autres jeux de données et permettent de nouvelles approches.
Le présent article propose un tour d’horizon non exhaustif des travaux d’inventaire des forêts à forte naturalité dans un contexte européen et français.
Le contexte européen
Au niveau européen, Sabatini et ses collègues ont publié en 2018 un premier état des lieux des dernières forêts « primaires » (figure 1)
Figure 1 Zones avec la plus forte probabilité d'occurrence de forêt primaire en Europe à une résolution de 1 x 1 km
Les 5 % de pixels les mieux classés sont surlignés en violet et le 90-95e percentile en bleu. Les forêts sont signalées en gris (Sabatini et al., 2018).
À l'échelle européenne, ce sont les inventaires forestiers nationaux (IFN ou NFIs pour National forest inventories) qui sont la principale source d'informations sur l'état et les tendances des forêts. Beaucoup d'études européennes se basent sur une harmonisation de ces données nationales notamment : Chirici et al. (2012) pour estimer la biodiversité des forêts ; Rondeux et al. (2012) pour évaluer les quantités du bois mort ou encore McRoberts et al. (2012) en ce qui concerne la naturalité des forêts européennes. Faisant le constat d'un manque de données multidimensionnelles permettant une bonne connaissance et évaluation des forêts européennes notamment en matière de biodiversité, des chercheurs ont initié le développement d'une base de données européenne (ICP Forests LI-BioDiv) dans le cadre du projet BioSoil Forest Biodiversity. Cette base de données est organisée comme une géodatabase forestière multidimensionnelle qui contient des données sur la structure forestière et la végétation recueillies dans 19 pays européens au cours de la période 2005-2008. Les données ont été acquises à partir de 3 311 parcelles géocodées où plusieurs catégories de données différentes ont été recueillies : informations générales au niveau du peuplement, mesures sur les arbres, bois mort, fermeture de la canopée et composition floristique (Galluzzi et al., 2019).
Depuis 2011, une initiative de l'agence européenne de l'environnement vise à définir et développer un indicateur de naturalité forestière exprimée en indice « High Nature Value Forests » sur le modèle des indicateurs High Nature Value (HNV) Farmland
Figure 2 Cartographie d'un indice de probabilité de naturalité des forêts dans les hêtraies européennes
(Bastrup-Birk et al., 2014)
Le concept d'IFL (intact forest landscapes
Enfin, le récent rapport de synthèse du Joint Research Centre de l'Union européenne (Barredo Cano et al., 2021) présente une évaluation des connaissances et des données spatiales documentées sur les forêts primaires et vieilles dans l'Union européenne, ainsi que dans certains pays voisins. Cette synthèse s'inscrit dans l'objectif d'élaborer des lignes directrices pour la définition, la cartographie, le suivi et la protection stricte de toutes les forêts primaires et vieilles qui subsistent dans l'Union européenne. Après un travail terminologique, le constat est fait que ces forêts sont rares dans l'Union européenne. Petites et fragmentées, elles représentent moins de 3 % de la surface forestière totale de l'Union européenne. Environ 90 % de ces forêts primaires et vieilles signalées dans l'Union européenne se trouvent en Suède, en Bulgarie, en Finlande et en Roumanie. Environ 93 % de celles qui sont actuellement cartographiées font partie du réseau Natura 2000.
La création d'une base de données concernant 33 pays issue de jeux de données locaux et d'images Landsat (1985 à 2018) ouvre des perspectives intéressantes pour une information harmonisée sur les forêts non exploitées depuis au moins 30 ans en Europe (Sabatini et al., 2020b).
Cartographies nationales de la naturalité
Un des premiers critères de naturalité en forêt est la continuité du couvert boisé, qui peut être évaluée à partir de l’ancienneté des forêts (sur ce sujet, voir le numéro thématique de la Revue forestière française piloté par Bergès et Dupouey en 2017). En France métropolitaine comme dans la plupart des pays européens, à une longue période de déboisement, depuis le Néolithique, a succédé une « transition forestière » de reconquête du territoire par la forêt, vers la seconde moitié du XIXe siècle. La notion de forêt ancienne fait ainsi référence dans notre pays à cette période du « minimum forestier » vers 1850 : les forêts qualifiées d’anciennes sont celles qui ont connu une continuité de l’usage forestier du sol au moins depuis cette date.
Les principales sources cartographiques à couverture nationale disponibles sur l’occupation du sol historique sont de trois types : la carte de Cassini (échelle du 1/86 500, production de 1749 à 1790), le cadastre napoléonien (échelle ½ 500, 1812-1850) et la carte d’état-major (échelle 1/40 000, 1818-1866). Pour des usages opérationnels de cartographie de l’usage du sol historique, la carte de Cassini est trop imprécise (mauvais recalage, contours souvent erronés des zones forestières) et le cadastre napoléonien trop lourd à mettre en œuvre pour de grands territoires. C’est la carte d’état-major qui constitue la référence pour la distribution historique des forêts françaises. Les dates de production de la carte d’état-major étant proches du minimum forestier français (vers 1850), on peut supposer que les forêts actuelles qui figurent déjà sur cette carte ancienne sont effectivement des forêts depuis une beaucoup plus longue période. Des archives forestières plus locales peuvent également être exploitées, notamment pour vérifier la continuité effective de l’état boisé depuis le milieu du XIXe siècle (Lathuillière et Gironde-Ducher, 2017).
Dans le but d'homogénéiser les pratiques de vectorisation, le ministère de l'Environnement a confié à l'IGN la rédaction d'une méthodologie nationale, validée en 2016, à destination des organismes publics et privés souhaitant se lancer dans la documentation historique des forêts anciennes à partir des cartes de l'état-major (Lallemant et al., 2017). Les cartographies de forêts anciennes se sont fortement développées en France métropolitaine ces dernières années (figure 3), notamment grâce à l'avancement de la production de la BD CARTO® État-major de l'IGN (qui concerne toutes les catégories d'occupation du sol), mais aussi grâce à des travaux centrés exclusivement sur la forêt et débutant par la vectorisation des cartes historiques sur de grands territoires, comme le récent projet conduit par l'IGN et le CBN Sud-Atlantique en Nouvelle Aquitaine. Ces cartographies sont diffusées par leurs producteurs, qui sont identifiés sur le site Cartofora (http://www.gip-ecofor.org/cartofora/).
Figure 3 Avancement de la cartographie historique de l’occupation du sol. Janvier 2021
Les autres critères de l’état de naturalité en forêt, et à plus forte raison la situation de libre évolution, qui n’est pas un état mais une forme de gestion, sont difficiles à appréhender à large échelle.
Toutefois, d’autres critères que la continuité temporelle de l’occupation du sol ont pu être développés pour mesurer la naturalité de l’ensemble des habitats de manière homogène.
Actuellement, le projet CARTNAT a pour objet le développement d'une méthode de quantification et de cartographie d'un continuum allant des espaces les plus anthropisés aux espaces ayant le plus haut degré de naturalité, à l'échelle de la France métropolitaine (UICN France, 2018). Le projet vise à identifier les espaces de haute naturalité afin de mener une réflexion sur leurs statuts de protection, en confrontant les espaces de haute naturalité identifiés avec les mesures réglementaires de protection de la nature. Afin de produire la cartographie nationale du gradient de naturalité, la méthodologie repose sur trois facettes complémentaires de la naturalité : l'intégrité biophysique de l'occupation du sol, qui traduit un état d'éloignement d'un paysage de ce qu'il serait sans transformation anthropique ; la spontanéité des processus, qui évalue le degré d'intervention humaine sur les dynamiques naturelles ; et les continuités spatiales, qui correspondent au degré de connectivité des paysages (pour une présentation détaillée des trois facettes, voir Guetté et al., 2018). La carte finale de naturalité correspondra à la synthèse de ces trois facettes de naturalité. Les premières cartes départementales ont été produites à une résolution de 20 mètres.
Le résultat cartographique doit être interprété avec précaution et certaines limites inhérentes à la méthode doivent être précisées. Tout d’abord, la méthode présentée dans ce document a été développée avec une vision pragmatique et opérationnelle notamment au regard de l’existence et de la disponibilité des données. Par conséquent, différentes pressions anthropiques qui servent à évaluer la spontanéité des processus n’ont pas pu être prises en compte dans ce travail (par exemple, le type de gestion forestière pour les habitats forestiers, ou la quantité d’intrants utilisés pour les espaces de cultures agricoles). Une étape de vérification in situ ou d’analyse par photo-interprétation permettrait de mieux déterminer et caractériser les types d’espaces identifiés grâce à la méthodologie. Il faut préciser également que la méthode cartographique repose sur une échelle relative de 0 à 255, c’est-à-dire que les valeurs sont étalonnées sur un gradient dépendant de l’emprise d’étude.
Le projet CARTNAT qui va s’achever en 2021 concerne la cartographie de la naturalité de l’ensemble de la France métropolitaine (figure 4, p. 000), et pas seulement des forêts. Plusieurs types de données sont mobilisés pour modéliser la couche d’intégrité biophysique de l’occupation du sol, incluant la BD TOPO V3, la BD Forêt V2, le Registre Parcellaire Graphique, la BD TOPAGE, l’indice de Naturalité des cours d’eau (ONB), les données OSO (CESBIO) sur l’occupation du sol, ainsi que les cartes historiques de Cassini et de l’état-major quand elles sont disponibles. Dans la version finale du projet, la naturalité des forêts sera évaluée en fonction de la probabilité d’ancienneté (par croisement avec les données historiques) et de la naturalité des formations végétales. Pour ce dernier critère, une note de naturalité a été attribuée à l’ensemble des formations végétales recensées dans la BD forêt V2 en fonction de leur contexte biogéographique (à partir du découpage des grandes régions écologiques, GRECO, IGN) par un groupe d’experts réuni par l’UICN. Bien que ces résultats représentent une avancée dans l’évaluation de la naturalité des forêts et dans l’identification des espaces forestiers les plus « naturels », certains éléments restent encore non pris en compte. On peut notamment citer la difficulté de distinguer les forêts exploitées matures des forêts en libre évolution qui ne font pas l’objet d’un inventaire national. Par ailleurs, si l’on peut considérer les jeunes forêts spontanées comme étant des forêts de forte naturalité (Schnitzler & Génot, 2012), ces espaces, à l’image de l’ensemble des espaces de déprise agricole restent également mal documentés (Guetté et Carruthers-Jones, 2022). Une connaissance plus fine de ces dynamiques permettrait d’améliorer l’évaluation du critère « spontanéité des processus » de la définition de la naturalité retenue dans ce projet.
Figure 4 Cartes intermédiaires CARTNAT, des trois facettes de naturalité (non publiées)
La carte à gauche représente « l’intégrité biophysique » du territoire qui a été mesurée en déterminant l’Hemeroby de l’occupation et de l’usage du sol ; la carte de droite représente la « pression humaine » qui a été mesurée par le cumul d’indicateurs d’influence humaine sur les paysages ; et la carte en-dessous représente les « continuités spatiales », calculées par un modèle de connectivité écologique (UICN France, 2020).
Une approche nationale à partir des seules données de l’Inventaire forestier
Au niveau national, le jeu de données représentatif de la forêt française est issu de l’Inventaire forestier national (IFN), inventaire systématique, mis en œuvre par la description d’échantillons annuels indépendants successifs. Les variables collectées sur les placettes sont nombreuses : description du peuplement (couverts par essence), contexte topoclimatique, mesures dendrométriques sur les arbres (espèce, circonférence, hauteurs, derniers cernes annuels), description de la flore, du sol et de l’habitat forestier.
Parmi les indicateurs de gestion durable des forêts, publiés tous les cinq ans, les indicateurs du critère 4 portent sur la diversité biologique. Un indicateur issu de l’Inventaire forestier national décrit l’origine naturelle ou artificielle des forêts (87 % de forêts semi-naturelles, c’est-à-dire non issues de plantations ; IGD, 2020). Un autre indicateur ajoute une estimation en surface des peuplements dont l’étage dominant comporte des arbres « très âgés ». L’âge seuil considéré est variable selon l’essence principale du peuplement et est fixé relativement à un âge d’exploitabilité habituel (seuil à 240 ans pour le Chêne rouvre, 180 ans pour le Hêtre). Cet indicateur est fourni pour les futaies régulières et toutes structures confondues. Ces surfaces restent faibles : moins de 200 000 ha pour les futaies régulières, environ 400 000 ha toutes structures confondues, soit environ 2 % de la forêt française. Ce critère d’âge n’ayant pas été associé à un critère d’indigénat, ces peuplements âgés ne sont pas dans tous les cas des peuplements spontanés, même si ces critères d’âges excluent naturellement de nombreux peuplements artificiels implantés plus récemment.
Cette quantification de la fréquence sur la base d’un inventaire statistique permet une estimation globale mais n’inclut pas une approche géographique. Des travaux récents ont utilisé les données de l’IFN et d’autres sources de données pour permettre une détection de la distribution des forêts non exploitées.
Modélisation de la distribution des forêts subnaturelles grâce aux données dendrométriques des réserves forestières et à l’Inventaire forestier national
Le protocole dendrométrique de suivi des réserves forestières (PSDRF) a été lancé en 2005. Son but est d’établir un suivi des dynamiques forestières dans ces espaces protégés, en relevant, en principe tous les dix ans, sur un réseau de placettes permanentes, les quantités d’arbres vivants, de bois mort et de régénération. Une placette du PSDRF correspond à un cercle de 20 m de rayon sur lequel sont effectués les relevés dendrométriques (placette combinant la description d’une surface fixe et un inventaire relascopique). La date de dernière exploitation est en général renseignée pour chaque placette décrite.
4 728 de ces placettes issues de 71 dispositifs répartis sur la majorité du territoire, à l’exception du Sud-Ouest (Landes de Gascogne), ont été utilisées, pour construire un modèle mettant en relation les grandeurs dendrométriques mesurées et la date de dernière exploitation. Les variables utilisées dans le modèle sont la surface terrière, la densité et le volume d’arbres vivants (en distinguant les tiges de franc pied de celles issues de rejet), le volume de bois mort au sol, le volume de bois mort sur pied et leurs stades de décomposition, les dendromicrohabitats sur le bois mort sur pied et les arbres vivants. Pour compléter ces variables dendrométriques, des covariables de contexte ont été sélectionnées, climatiques, topographiques et édaphiques ainsi qu’une typologie de peuplement basée sur la classification de la BD forêts version 2 (IGN, 2019).
Le modèle obtenu, d’estimation de la date de dernière exploitation, a ensuite été adapté (pour le rendre indépendant des dendromicrohabitats qui ne sont pas relevés dans l’IFN) et projeté sur les données de l’IFN dans le but d’obtenir une répartition statistique des forêts non exploitées en France métropolitaine. Les données des campagnes d’inventaire de 2012 à 2018 et relatives à 6 types de peuplements majoritaires ont été utilisées (soient 27 081 placettes).
La projection ainsi réalisée évalue une durée depuis la dernière exploitation moyenne de 26 ans sur l’ensemble des placettes concernant les 6 types de peuplements majoritaires. En sélectionnant une durée depuis la dernière exploitation supérieure à 50 ans, les placettes retenues concernent environ 1 % de la forêt française et se situent majoritairement dans les zones montagneuses (figure 5). Ces travaux confirment que la forêt française se situe à un niveau de maturité globalement peu avancé, avec la présence marquée de taillis anciens abandonnés, la densité de taillis influençant positivement la durée depuis la dernière exploitation ainsi modélisée.
Figure 5 Modélisation de la distribution des forêts selon la durée depuis la dernière exploitation
(Thompson et al., 2021)
Les données de l'IFN ont également été mobilisées par l'ONF en 2020 en complément de son enquête sur la présence de forêts subnaturelles dans les forêts publiques, visant à réactualiser l'inventaire de 1992 réalisée sur l'arc alpin
Qualification des forêts en libre évolution en forêts publiques : la représentativité en types d’habitats du réseau des réserves biologiques intégrales
Un travail conjoint de l’IGN et de l’ONF mené en 2020 a porté sur le réseau des réserves biologiques intégrales (RBI) créées en forêt publique par arrêté interministériel. Ce réseau a été mis en place progressivement, en application d’une instruction du 30 décembre 1998, afin d’obtenir des référentiels de naturalité, selon une logique de représentation des différents grands types d’habitats. Ces lieux d’observation de l’expression libre des cycles sylvigénétiques doivent couvrir en principe plus de 50 ha d’un seul tenant.
Ce réseau de sites forestiers en libre évolution (état des lieux en mars 2020 ne comportant que les réserves effectivement crées par un arrêté ministériel), comprend 65 réserves intégrales et 25 réserves mixtes (considérées ici dans leur partie intégrale) qui couvrent 27 000 hectares. Ces entités en libre évolution couvrent chacune 6 à 2 575 ha, avec une médiane de 118 ha et une moyenne de 293 ha. Quatre d’entre elles dépassent les 2 000 ha : la RBI de la Sylve d’Argenson en forêt domaniale de Chizé, la RBI des Maures, la RBI du Vercors et la RBI de l’Estérel. Sur les 90 réserves concernées, 82 disposent d’une cartographie des habitats naturels, plus ou moins récentes, de formats divers et de spécifications variées (soit pour 93 % des surfaces). Ces cartographies ont été réunies, parfois géoréférencées manuellement, vérifiées dans leur géométrie, et harmonisées dans leur nomenclature afin de constituer une couche d’information géographique unifiée des habitats forestiers présents. Le référentiel utilisé se fonde sur celui des habitats d’intérêt communautaire (niveau générique) et sur CORINE Biotopes pour les habitats n’étant pas d’intérêt européen.
En parallèle, les données collectées lors du suivi temporel des habitats forestiers mené dans le cadre de l’Inventaire forestier national ont permis de calculer la fréquence relative des différents types d’habitats dans la forêt française, la forêt publique et la forêt domaniale. Cette analyse comparative montre que l’ensemble des habitats les plus répandus dans la forêt française sont présents dans le réseau des RBI, mais dans des proportions qui peuvent varier. Le réseau des RBI se situant en grande majorité dans les forêts domaniales, l’examen de sa représentativité a principalement été conduit par rapport à la distribution en habitats des forêts appartenant à l’État.
La comparaison des surfaces par habitat en forêt domaniale et dans les RBI (figure 6) fait apparaître de fortes différences de représentation des différents types d’habitats naturels dans ce réseau d’espaces protégés. Pour chaque type d’habitat a été mesuré l’écart de représentation entre forêt domaniale et RBI.
On peut remarquer ici la très forte représentation des habitats méditerranéens [notamment forêt à Quercus suber (HIC 9330) et forêt à Quercus ilex et Quercus rotundifolia (HIC 9340)] dans les RBI, alors qu’ils ne couvrent chacun que 1 à 2 % des forêts domaniales.
A contrario, les chênaies-charmaies (non HIC, 41.2) et les chênaies acidiphiles (41.5) qui couvrent chacune environ 100 000 ha en forêt domaniale, soit environ 7 % de la surface totale, représentent respectivement 1 et 0,3 % du réseau de réserves biologiques intégrales. Ces habitats sont majoritairement situés dans le domaine biogéographique atlantique où les réserves biologiques intégrales sont moins nombreuses. Ils ont été peu visés par les RBI, ils concernent respectivement 8 et 3 réserves alors qu’ils font partie des habitats majoritaires en forêt domaniale, autant que les hêtraies du Luzulo-fagetum (9110) par exemple qui sont représentées dans 13 réserves.
Ces éléments seraient utiles à prendre en considération dans la politique d’extension du réseau afin de cibler certains habitats peu représentés et d’éviter de créer des réserves souvent semblables.
Figure 6 Niveau de représentation des différents types d’habitats dans le réseau des réserves biologiques intégrales
Surface de l’habitat dans les RBI par rapport à la surface de l’habitat dans les forêts domaniales, les habitats au-dessus de la diagonale sont fortement représentés dans les RBI par rapport à leur fréquence en forêt domaniale.
(Drain, 2020)
La recherche des forêts à fort potentiel de naturalité sur de vastes territoires : le cas de la Nouvelle-Aquitaine
La région Nouvelle-Aquitaine, première région forestière française avec 2,8 millions d’hectares de forêts, était en 2019 très peu couverte par des cartographies de forêts anciennes. Une opération a été engagée par l’IGN, en partenariat avec le Conservatoire botanique national (CBN) sud-atlantique, pour cartographier les forêts présumées anciennes (forêts actuelles déjà présentes sur les cartes d’état-major, sans vérification de la continuité du boisement sur des millésimes intermédiaires) sur la totalité de la région. Ce travail de cartographie s’est accompagné d’une caractérisation de la physionomie de ces forêts grâce aux données de l’Inventaire forestier national, par grandes entités géographiques au sein de la région. Une enquête participative a été conduite en parallèle visant à recueillir des témoignages sur l’existence de vieilles forêts (à la fois anciennes et matures), même de faibles dimensions.
Sur l’ensemble de la région, ce travail a été complété par l’identification, au sein des forêts présumées anciennes, de zones à fort potentiel de naturalité en combinant des critères géographiques liés à l’isolement ou la difficulté d’exploitation (distance au bâti et à la desserte et pentes fortes calculés avec les BD Topo® et BD Alti® de l’IGN), l’identification d’agrégats de placettes d’inventaire comportant des indices de maturité (gros bois mort, très gros bois, dryades, absence de traces de gestion) et des éléments issus d’inventaires naturalistes fournis par le CBN.
La carte résultante (figure 7) permet d’identifier des secteurs à enjeux au niveau régional, qui pourraient utilement faire l’objet de prospections complémentaires, sur le terrain, ou par l’utilisation des données issues du projet national d’acquisitions Lidar Haute Définition en cours de démarrage dans la moitié sud de la France.
Figure 7 zones de forêts anciennes à fort potentiel de naturalité
En rouge, zones obtenues par combinaison de critères géographiques et naturalistes et en rose, zones d’agrégats de placettes IFN comportant des caractéristiques de maturité/naturalité.
Cependant, cette approche reste à large échelle, et l’existence de forêts matures est fortement liée à l’histoire des propriétés, qui peut se dérouler tout à fait indépendamment des critères objectifs d’isolement géographique. Il est donc fortement probable que, très localement, des forêts à forte naturalité puissent exister en dehors des zones potentielles ainsi identifiées.
La nature férale et transition forestière
La nature férale comprend les milieux ayant fait l’objet d’un usage agro-sylvo-pastoral ou industriel puis abandonnés et laissés à la dynamique spontanée. Dans cet ensemble, les forêts très récentes, issues du « réensauvagement » de zones en déprise agricole ou pastorale, sont de fait en évolution libre, sans présenter aucune caractéristique de maturité.
Les travaux réalisés à partir des données historiques de l'inventaire forestier ont bien montré la dynamique de la transition forestière toujours en cours dans notre pays (en métropole). La récente thèse de Anaïs Denardou, conduite au sein du laboratoire d'inventaire forestier de l'IGN, a montré que cette expansion séculaire des forêts françaises est dominée par l'accroissement du stock sur pied qui n'est probablement pas achevé (Denardou et al., 2017).
Si on peut caractériser globalement la transition forestière sur un pas de temps long, l’inventaire forestier national français ne permet pas actuellement de suivre précisément les flux de surfaces entre les différents types d’occupation du sol (expansion de la forêt par ensauvagement spontané, plantations sur terres agricoles, déforestation et changement net). Dans le rapport d'évaluation des ressources forestières mondiales de la FAO (FRA), cet indicateur n’est pas renseigné pour la France.
Afin, notamment, de mieux appréhender et qualifier la dynamique de colonisation forestière d’anciennes terres agricoles, l’inventaire a fait évoluer récemment son protocole d’enquête par l’identification de points changeants de type de couverture du sol. La première phase de l’inventaire forestier national français est une phase de photo-interprétation de l’occupation et de l’usage du sol, sur environ 55 000 nouveaux points chaque année, sur l’ensemble du territoire métropolitain, toutes occupations du sol confondues. Cette qualification de l’occupation du sol comporte 9 modalités
Depuis 2015, une méthode de ré-examen des points photo-interprétés cinq ans auparavant a été mise au point, et concerne les points dont la première occupation du sol observée a été qualifiée en « autre végétation ». Tous les points ainsi revus, sur des images aériennes plus récentes et dont la couverture du sol est potentiellement devenue boisée ou lande ligneuse dans l'intervalle (boisé fermé ou ouvert, peupleraie ou lande ligneuse sur photo), sont identifiés et systématiquement visités au sol par les opérateurs de terrain de l’inventaire. Ces vérifications sur le terrain permettent de valider les évolutions réelles et d’exclure les évolutions issues de biais (problèmes de seuils ou d’images) ou d’erreurs d’appréciation. La méthodologie précise de ces observations géolocalisées du « passage à la forêt » est maintenant stabilisée. Cependant, les estimations statistiques indispensables pour l’exploitation quantitative de ces observations n’ont pas pu encore être menées à bien. Cette évolution méthodologique ouvre des perspectives pour une meilleure qualification de la transition forestière mais le calcul des flux de surface n’est à ce jour toujours pas possible.
De manière complémentaire, à l’échelle européenne, et à une résolution adaptée à cette échelle, l’identification des espaces de boisement spontanés a été envisagée à partir de l’inventaire biophysique de l’occupation des sols CORINE Land Cover (CLC). Grâce aux différents millésimes (1990, 2000, 2006, 2012 et 2018) harmonisés à l’échelle européenne, il serait en théorie possible de détecter les dynamiques de déprise et d’apparition de boisements spontanés par l’analyse des transitions d’occupation du sol entre les dates. Une première tentative a été réalisée à l’échelle de la France métropolitaine pour cartographier les espaces de déprise agricole non boisés entre 1990 et 2018 (Guetté et Carruthers-Jones, 2022). Ces résultats encourageants ouvrent la perspective d’étendre l’analyse aux espaces en transition forestière aux différentes dates.
Perspectives futures
Au niveau national, le projet d’acquisition Lidar Haute Densité sur l’ensemble du territoire national (métropole et DOM hors Guyane) porté par l’IGN et ses partenaires va apporter des éléments de connaissance nouveaux qui seront déterminants pour la détection des forêts matures. Les acquisitions sont prévues de 2021 à 2025, en hiver et en été, à la densité de 10 points/m2 en moyenne, les données étant rendues disponibles après traitements, plusieurs mois après chaque vol. Les livrables rendus disponibles seront des nuages de points classés (en sol et sursol) mais également des modèles numériques de terrain au pas de 1 mètre et des modèles numériques de hauteur de canopée en forêt. Toutes ces données seront diffusées en « open data » rendant leurs usages possibles par tous les opérateurs intéressés. Les applications à la détection des forêts subnaturelles sont très attendues.
Conclusion
La mise en place de politiques publiques relatives aux forêts à forte naturalité nécessite une amélioration de leur recensement à la fois à large échelle et de façon précise. Il s’agit, en l’état actuel des données disponibles, d’un exercice difficile. Les données de l’Inventaire forestier national présentent de nombreuses limites mais restent irremplaçables, constituant le plus souvent le seul jeu de données représentatif de l’ensemble des forêts. Il témoigne de la rareté des forêts très âgées qui représentent moins de 2 % de la forêt française. Sa combinaison avec d’autres sources d’informations permet des avancées nouvelles sur la distribution des vieilles forêts. Son utilisation dans des travaux régionaux, combinée aux futurs nuages de points Lidar et à des investigations de terrain, constitue une perspective d’avenir associant la couverture de larges territoires et une précision correcte des informations produites. Le plan d’action en faveur de la connaissance et de la préservation des forêts subnaturelles actuellement en cours de construction sous l’égide du Commissariat général au développement durable devrait permettre de préciser les actions et méthodes à mettre en œuvre en France dans les prochaines années. Dans ce cadre, la production d’une base de données géographique nationale et harmonisée et de protocoles de description communs pour les forêts à forte naturalité constituerait une avancée majeure. Au niveau européen, les travaux du groupe « forest and nature » devraient aboutir à des lignes directrices pour la mise en place de politiques publiques spécifiques dans les pays membres.
Cet article s’appuie sur plusieurs projets récents ou actuellement en cours sur la question de l’objectivation de la situation des forêts subnaturelles et des vieilles forêts. Il évoque en particulier deux mémoires de fin d’études réalisés en 2020 :
Pauline DRAIN. Étude des habitats du réseau de réserves biologiques par l’utilisation des données de l’Inventaire forestier national. Mémoire de fin d’études AgroParisTech réalisé au département Écosystèmes forestiers de l’IGN en 2020 (Drain, 2020).
Lucie THOMPSON. Modélisation de la distribution des forêts matures en France métropolitaine. Mémoire de fin d’études Agro Campus Ouest - Université Rennes 1 réalisé à l’INRAE Grenoble en 2020 (Thompson, 2020).
Le projet conduit en Nouvelle-Aquitaine a été mis en œuvre par Claire Godel et Arnaud Desqueyroux (IGN) et par Anna Hover (CBN SA).
Notes
- (1) Vieilles forêts = forêts anciennes et matures.
- (2) Pour l’élaboration de ce plan d’actions par le CGDD les forêts considérées sont les forêts à la fois anciennes et matures. Le fonctionnement d’un groupe de travail spécifique est envisagé dans ce programme pour préciser les questions de définitions.
- (3) Dans cette étude, les auteurs désignent les forêts primaires selon la définition de la FAO qui inclut toutes les forêts de haute naturalité, sans impliquer pour autant que ces forêts n’ont jamais été défrichées ou plus généralement perturbées par les humains. D’après la FAO (2015), une forêt primaire est « naturally regenerated forest of native species, where there are no clearly visible indications of human activities and the ecological processes are not significantly disturbed. »
- (4) Les High Nature Value Farmland (HNV) sont des terres agricoles à haute valeur naturelle définies comme « les zones d'Europe où l'agriculture est l'utilisation dominante des terres et où l'agriculture soutient ou est associée à une grande diversité d’espèces et d’habitats, ou à la présence d'espèces menacées, ou les deux » (Andersen et al., 2003).
- (5) Les « intact forest landscape » sont définis comme « a seamless mosaic of forests and associated natural treeless ecosystems that exhibit no remotely detected signs of human activity or habitat fragmentation and are large enough to maintain all native biological diversity, including viable populations of wide-ranging species » (Potapov et al., 2008).
- (6) Enquête ayant recensé et décrit 30 forêts peu perturbées par l’homme pour un total de 4 000 ha environ sur l’arc alpin français.
- (7) Boisé fermé, boisé ouvert, peupleraie, lande ligneuse, formation herbacée, autre végétation, artificialisé sans végétation, naturel sans végétation, eau continentale.
Références
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