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Nouveaux défis, nouvelles approches : Foster Forest, un jeu sérieux pour simuler et stimuler l’adaptation aux changements climatiques

Résumé

Malgré d’intenses recherches, la capacité d’adaptation aux changements climatiques des forêts et des forestiers demeure incertaine. Face à ces incertitudes, les forestiers privés et publics tentent de diversifier leurs pratiques, mais se concentrent principalement sur des actions de technique sylvicole. Le jeu sérieux Foster Forest vise à compléter ces approches techniques à partir d’adaptations socioéconomiques imaginées par les participants. Développée par une équipe de recherche interdisciplinaire, il s’agit à notre connaissance de la première simulation participative de l’évolution d’un massif forestier tempéré dans un scénario d’incertitudes économiques et climatiques. L’article présente la genèse, le déploiement et les apprentissages des ateliers Foster Forest tenus à travers la France. Une nouvelle version « Prospective », gratuite et téléchargeable en ligne, est aussi introduite à l’intention des structures d’animation, de coordination ou de formation forestières.

Abstract

Despite in-depth research, the capacity of forests and foresters to adapt to climate change still remains uncertain. Faced with these uncertainties, private and public foresters try to diversify their practices, but they mainly focus on technical forestry practices. The serious game Foster Forest is aimed at supplementing these technical approaches based on socioeconomic adaptations invented by the participants. This simulation tool was developed by an interdisciplinary team of researchers. To our knowledge, it is the first such citizen-science-based tool aimed at assessing the evolution of a temperate forest stand within a scenario of economic and climatic uncertainties. The article presents the creation, the deployment and the learnings of the Foster Forest workshops held in various places in France. A new, free-of-charge, “prospective” online version for forest management or training structures is also presented.

Introduction

Si l’existence des changements climatiques est désormais établie et documentée, l’intensité et l’étendue spatiotemporelle précises des conséquences de ces changements, notamment sur les massifs forestiers, restent pour le moins incertaines. Il est ainsi établi que les événements extrêmes (sécheresses, inondations, etc.), les attaques de pathogènes, et les reconfigurations de la composition des espèces forestières augmenteront en fréquence et en intensité, sans qu’on connaisse toutefois leur localisation et leur rythme avec certitude (GIEC, 2022).

Le secteur forestier pourrait s’appuyer sur la capacité d’adaptation des essences forestières pour faire face aux changements climatiques, quelle que soit leur ampleur ; malheureusement, le niveau d’adaptabilité des arbres, en tant qu’individu et en tant qu’espèce, est lui aussi incertain (ONERC, 2015). De ce fait, les gestionnaires forestiers1(1) qui souhaitent maintenir un ou plusieurs biens et services écosystémiques2(2) n’ont d’autre choix que de faire évoluer leurs pratiques sylvicoles, le choix des essences qu’ils privilégient et la connaissance des stations.

Face à toutes ces incertitudes, chercheurs et forestiers recommandent avant tout de suivre l'adage conseillant de « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier »… En d'autres termes, les forestiers ont tout intérêt à miser sur une dilution du risque visant à minimiser les pertes, plutôt qu'à vouloir augmenter la « performance » de leurs parcelles au travers d'une stratégie unique. Quelques enquêtes récentes ont d'ailleurs cherché à mesurer l'état d'avancement des adaptations que les forestiers déploient sur le terrain. Que ce soit en France (Banos & Deuffic, 2020 ; Fouqueray et al., 2020) ou ailleurs en Europe, toutes soulignent la priorité donnée aux changements techniques (comme le remplacement et le mélange d'essences, la diminution de la densité des peuplements ou le raccourcissement des cycles sylvicoles), avant tout pour préserver la production de bois.

Ce rapide état des lieux mène à deux conclusions. Premièrement, les interactions entre les acteurs de la foresterie sont un facteur d'adaptation encore très peu examiné. Pourtant, un propriétaire ou gestionnaire forestier qui modifie ses pratiques peut en retour affecter la gestion des parcelles avoisinantes. Par exemple, raccourcir les cycles sylvicoles à un endroit peut réduire la densité de vieux arbres, qui constituaient jusqu'ici un corridor écologique pour une espèce protégée dans les parcelles voisines. Par ailleurs, un forestier peut être inspiré des nouvelles pratiques mises en place par un proche ou un collègue, ou bien ils peuvent élaborer ensemble des solutions d'adaptation qu'ils n'auraient pas trouvées séparément. Les interactions entre acteurs de la foresterie constituent donc un facteur d'adaptation important. Deuxièmement, de nombreuses adaptations socioéconomiques peuvent compléter les approches principalement techniques (Hallegatte, 2009 ; Jacobs et al., 2015 ; Naumann et al., 2011). Les gestionnaires privés et publics des forêts tirent en effet la plupart de leurs revenus de la production de bois. Or, cette production est menacée par les changements climatiques, comme le montrent des études projetant une baisse de la productivité moyenne des forêts européennes, liée à une détérioration de l'état sanitaire des arbres (Roux & Dhôte, 2017). Pour diversifier leurs revenus et équilibrer leurs dépenses, certains forestiers pourraient donc adopter des approches économiques émergentes en France ou ailleurs. Celles-ci sont variées : réviser les contrats d'approvisionnement pour préciser que faire en cas d'événement climatique, ou bien développer des systèmes assurantiels climatiques, ou plus simplement encore favoriser une production de bois à plus haute valeur ajoutée — ce qu'illustrent les récentes créations d'appellation d'origine protégée pour des filières bois locales. Propriétaires et gestionnaires publics pourraient aussi diversifier leurs revenus grâce à d'autres services écosystémiques que la seule production de bois, ce dont témoigne l'émergence des contrats pour stockage de carbone en forêt (Fouqueray et al., 2021 ; Tronquet et al., 2017).

Cependant, les sciences forestières ont jusqu'ici très peu considéré ces deux réflexions dans l'étude de l'adaptation aux changements climatiques. L'objectif de cet article est donc de présenter un outil original permettant d'imaginer des solutions d'adaptations socioéconomiques lors d'ateliers collectifs favorisant des interactions entre acteurs forestiers. Les forestiers sont en effet friands d'outils de simulation, qui leur permettent d'évaluer les résultats de choix de gestion sans en subir les conséquences sur le terrain. Ces outils se montrent particulièrement utiles pour faire face à des changements climatiques (ou d'autre nature : sophistication de la machinerie, évolution des marchés du bois, etc.), ou pour la formation professionnelle. Les plateformes de modélisation forestière comme Capsis ou Heterofor sont un des outils les plus répandus pour des questionnements fondamentaux ou des approches socioéconomiques plus contextualisées (voir par exemple Orazio et al., 2015). Des simulations semi-informatisées offrent des approches complémentaires, à l'instar des martéloscopes ou des jeux sérieux. Les martéloscopes sont des « pseudo-martelages » durant lesquels les participants parcourent une parcelle déjà cartographiée et inventoriée pour y noter les arbres qu'ils destineraient à la coupe. Les choix des différentes personnes sont ensuite comparés à la lumière d'un logiciel qui en analyse les répercussions, prémices d'une discussion collective. Dans le même esprit, les jeux sérieux combinent la plupart du temps un support informatique et une interface représentant un écosystème géré par les humains. Alors que les jeux sérieux sont désormais connus et reconnus pour leur capacité à susciter réflexion et apprentissages dans de nombreux domaines (pratiques agricoles, érosion littorale, ruissellement et bassin versant, etc.), leur application aux milieux forestiers reste encore étonnamment modeste dans l'hémisphère nord. Ainsi, plusieurs jeux sérieux collectifs concernent les milieux tropicaux ou encore le risque d'incendie dans le pourtour méditerranéen, mais très rares sont ceux qui se penchent sur la gestion des forêts tempérées (ComMod, 2022).

Pour le cas présent, l’outil recherché est ainsi une simulation qui répond à un triple cahier des charges :

— être prospective et applicable à l’échelle régionale, à laquelle sont négociées et affinées les politiques publiques forestières (MAAF, 2017) ;

— incorporer des adaptations techniques, mais en limiter artificiellement l’efficacité pour encourager les réflexions sur le développement complémentaire d’adaptations socioéconomiques ;

— et permettre le test d’idées émergeant spontanément de la part des participants.

Ce cahier des charges a conduit à la création d’un outil intitulé Foster Forest, qui combine un programme informatique et un jeu de rôles, lors de sessions multi-acteurs d’une demi-journée.

Cet article présente la genèse et la conception de Foster Forest, puis le déroulement type d'une partie. Il décrit ensuite les principaux résultats issus de neuf ateliers menés à travers la France. Enfin, une nouvelle version prospective de Foster Forest, librement accessible à tout organisme de formation ou de concertation forestière, est décrite. Les propos développés reprennent, dans une version adaptée à un public forestier francophone, l'article paru dans la revue Environmental Modelling and Software (Fouqueray et al., 2022).

Construire collectivement une simulation participative de la gestion forestière

Simulations participatives et enjeux forestiers

Les simulations participatives ont l'intérêt d'encourager la compréhension et l'engagement des participants dans les décisions prises, et sont utilisées à la fois pour la recherche, la formation ou pour débattre de plans d'aménagement (Abrami et al., 2015). Les simulations sont bien connues des sciences forestières, qui les utilisent pour prévoir la croissance des forêts ou les conséquences de tel ou tel scénario de gestion. Pourtant, il est encore très rare de trouver des simulations participatives3(3), où des acteurs de la gestion forestière décident d'eux-mêmes de tout ou partie des scénarios climatiques, socioéconomiques ou politiques, ainsi que des mesures concrètes de la gestion forestière.

Foster Forest devait répondre à un triple cahier des charges :

— un plateau de jeu représentant une échelle territoriale, en l’occurrence un petit massif forestier de 250 ha ;

— que les joueurs puissent d’eux-mêmes choisir leurs itinéraires sylvicoles durant l’atelier ;

— et permettre de proposer et tester des stratégies d’adaptations collectives. Ces caractéristiques auront structuré le jeu en lui donnant sa forme finale (tableau I, figure 1).

Tableau 1 Composantes du jeu Foster Forest


Composant

Caractéristiques

Précisions

Humain

5 joueurs : deux propriétaires privés, un élu d'une commune forestière, un gestionnaire d'espace naturel protégé, un forestier public.

Chaque participant joue son propre rôle (agent de l'ONF = forestier public, maire = élu communal, etc.).

Spatial

Un massif forestier de 250 ha, divisé en propriétés publiques (domaniale et communale) et privées, elles-mêmes décomposées en parcelles.

Les décisions de gestion sont prises à l'échelle de parcelles (5 ha).

Temporel

Le jeu dure de 3 à 5 tours, chacun représentant 10 années.

Un atelier dure environ 4 heures.

Ludique

Chaque joueur reçoit un livret de jeu résumant ses objectifs et les actions possibles.

Les livrets sont personnalisés par rôle.

Informatique

Le plateau de jeu (massif forestier) est en fait une carte informatisée du massif forestier, projetée sur un mur. Y sont indiqués les inventaires forestiers par parcelles ainsi que des informations sur l'état des sols, les parcelles éligibles au programme de conservation, etc.

La carte est actualisée à chaque tour de jeu en fonction des décisions de gestion prises au tour précédent, mais aussi d'un scénario climatique pessimiste.

Figure 1 Déroulement d’un atelier Foster Forest
Durant l’introduction, l’animateur précise que les interactions entre joueurs sont encouragées et peuvent avoir lieu à tout moment. Dans les faits, elles sont principalement concentrées durant les phases « Actions des joueurs » et « Affichage des indicateurs », puis lors du compte rendu oral.

Modéliser la gestion forestière : simplifier sans caricaturer

Le modèle structurant Foster Forest comporte cinq protagonistes représentant des acteurs majeurs de la gestion forestière en France (figure 2, p. 000). Les trois premiers représentent la forêt publique : un(e) élu(e) d’une commune forestière (« édile »), une personne de l’Office national des forêts (ONF) (« forestier public »), un(e) gestionnaire d’espaces naturels protégés (ex : responsable de sites Natura 2000). Les deux autres sont des propriétaires privés, suppléés au besoin par des experts forestiers ou agents du Centre national de la propriété forestière (CNPF). Durant un atelier, chaque participant joue son propre rôle, ce qui facilite la prise en main du personnage et la comparaison avec l’expérience personnelle des joueurs, riche d’enseignements pour les chercheurs.

Les joueurs ont des objectifs similaires : éviter d’avoir une trésorerie négative, et travailler à l’équilibre forêt-gibier de ses parcelles. Certains se voient attribuer en sus des objectifs personnalisés : l’élu(e) doit préserver la qualité de l’eau et maintenir des paysages plaisant à ses administrés (harmonisant résineux et feuillus) ; le forestier public doit récolter 70 % de la production biologique ; et le gestionnaire d’espace naturel protégé doit à la fois inscrire 15 % du massif à un programme de conservation des vieux arbres, et encourager le stockage de carbone.

En début de partie, chaque participant reçoit une propriété composée de plusieurs parcelles sur lesquelles il décide de mener des actions ou de ne rien faire. Les actions sont sylvicoles (régénérer naturellement ou par plantation, faire des éclaircies et des coupes définitives plus ou moins importantes), foncières (acheter des parcelles, ou en vendre dans le cas des propriétaires privés), cynégétiques (louer la chasse selon des baux plus ou moins rémunérateurs et réduisant plus ou moins la population de cervidés) ou collectives (adhérer au programme environnemental du gestionnaire d’espaces naturels protégés, faire certifier ses parcelles). Par ailleurs, les joueurs sont aussi libres de proposer toute autre action qui leur viendrait à l’esprit afin qu’elle soit mise en place dans la mesure des contraintes informatiques du jeu.

Les parcelles sont donc regroupées en propriétés, caractérisées par une pression de chasse jouant in fine sur la croissance des arbres (figure 2). Toutes les parcelles du jeu mesurent 5 ha, et diffèrent en termes de qualité du sol et de carbone stocké. La qualité du sol combine la fertilité naturelle de la station forestière avec la compaction causée par d’éventuelles négligences lors de travaux forestiers. Le volume de carbone stocké dépend de la qualité du sol et de l’inventaire forestier de la parcelle.

Figure 2 Modèle statique de Foster Forest
Par souci de ne pas alourdir la représentation, les dynamiques ne sont pas indiquées, bien que de nombreuses interactions relient les différents composants du modèle. À titre indicatif, un joueur choisissant une faible pression de chasse sur sa propriété causera un déséquilibre forêt-gibier traduit par une hausse de la mortalité des jeunes arbres (essences forestières).

La carte du massif affiche sur chaque parcelle un inventaire forestier précisant le nombre d’arbres par essence et par catégorie de diamètre. L’une des plus fortes simplifications de Foster Forest est de n’inclure que cinq essences à l’échelle du massif : le Chêne pédonculé (Quercus robur), le Chêne sessile (Quercus petraea), le Hêtre commun (Fagus sylvatica), le Pin sylvestre (Pinus sylvestris) et le Douglas (Pseudotsuga menziesii). Ce panel d’essences a été fait de sorte à refléter avec parcimonie la diversité des paramètres biologiques (taux de croissance, reproduction, mort), économiques (prix de vente par diamètres), et de sensibilité aux changements climatiques des essences métropolitaines. Tous ces paramètres changent selon l’essence et la catégorie de diamètre (s’étalant de 7,5 cm à plus de 60 cm, figure 2). Ainsi, les petits arbres se reproduiront moins, et seront plus sensibles aux sécheresses que les plus grands arbres. La plupart de ces paramètres évolue aussi au fur et à mesure de l’avancement du jeu, du fait des scénarios économiques et climatiques. Les scénarios d’évolution économique ou climatique, eux, sont librement inspirés d’études préexistantes (ex : projections du GIEC ou de la Banque mondiale) et prennent pour parti de donner à voir des effets concrets très marqués des dérèglements climatiques sur les activités forestières : sécheresses conduisant à de forts taux de mortalité, volatilité des prix du bois, hausse du prix de la tonne de carbone, etc. Ces scénarios, volontairement pessimistes, ont été retenus pour encourager la réflexion quant aux adaptations à un contexte d’incertitude. Les divers contributeurs sollicités lors de la conception du jeu ont ainsi validé l’approche (voir paragraphe “Une conception pas-à-pas…”).

L’ensemble des paramètres (volume de carbone stocké, inventaires forestiers des parcelles, coefficients de croissance, etc.) sont initialisés à partir des données moyennes des forêts tempérées françaises. Par exemple, la proportion de parcelles privées ou publiques, ou bien la distribution initiale d’essences feuillues ou résineuses, sont basées sur les données de l’Inventaire forestier national.

Il a été extrêmement complexe de calibrer l’ensemble des paramètres, scénarios et règles pour parvenir à une simulation plausible, jouable, et ouverte aux idées nouvelles pouvant venir des participants. De fait, deux tests réalisés avec des étudiants et des chercheurs ont permis d’effectuer les réglages finaux de Foster Forest et de parachever des choix de conception.

Une conception pas à pas, en lien avec de nombreux acteurs de la gestion forestière

La première étape fut de répondre à diverses questions pour construire le modèle conceptuel de la gestion forestière : quel pas de temps envisager pour un tour de jeu ? Quels acteurs de la foresterie intégrer ? Devait-on inclure indirectement les acteurs qui n'étaient pas représentés (comme par exemple les promeneurs et habitants locaux) par des cartes « événements » ? Une première version du modèle a ainsi été élaborée à partir d'enquêtes de terrain préalables sur l'adaptation des forestiers français aux changements climatiques (Fouqueray et al., 2020).

Cette version initiale a ensuite été améliorée grâce aux retours de nombreux experts forestiers de l’ONF, des communes forestières, de l’union de la coopération forestière française, des parcs naturels régionaux (PNR) de France, du laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, et de France Nature Environnement — qu’ils en soient ici encore remerciés. La version améliorée a elle-même été discutée lors d’un atelier collectif organisé par Jean-Claude Génot et ses collègues du parc naturel régional des Vosges du Nord en septembre 2018. Le travail du groupe, composé d’élus de communes forestières et de forestiers publics et privés, a là encore été décisif pour épurer le modèle sous-tendant Foster Forest.

Ces boucles d'améliorations « par experts » et « en collectif » ont grandement permis d'affiner et de simplifier le modèle structurant Foster Forest. À titre d'exemple, elles ont permis de trancher pour une représentation progressive des changements climatiques. Ceux-ci se concrétisent par l'évolution des paramètres de croissance, germination et survie des arbres, en excluant les aléas climatiques extrêmes (feux, tempêtes…). Les gestionnaires forestiers étant amenés à travailler sur le long terme, il fallait en effet éviter un biais cognitif connu, à savoir qu'on s'adapte plus facilement en réaction à un aléa extrême vécu récemment qu'à des évolutions lentes (Morin et al., 2015).

Ce modèle final a enfin été programmé informatiquement grâce au logiciel de simulations multi-agents « COmmon-pool Resources and Multi-Agent Simulations » (Becu et al., 2016). La survie, la reproduction et la croissance moyennes des arbres ont été simulées à l'échelle de la parcelle en tenant compte de processus écologiques comme la compétition asymétrique pour la lumière, l'impact de l'abroutissement, etc. (figure 3). L'ensemble des paramètres et choix d'encodage est détaillé dans Fouqueray (2019).

Figure 3 Éléments pris en compte dans la croissance des peuplements
Schéma tiré du livret des joueurs.
* L’influence de ces paramètres sur la croissance varie selon les essences (ex : l’ombrage affecte moins la croissance du Hêtre que celle des Chênes).

Combiner simulation informatique et rencontres physiques

Cette partie présente le déroulement global d’un atelier Foster Forest (introduction, jeu à proprement parler, puis compte rendu oral ; figure 1), et plonge dans le détail des interactions entre joueurs, animateur et programme informatique.

Déroulement type d’un atelier Foster Forest

Un atelier Foster Forest a lieu en présence des cinq joueurs (figure 4). Il se déroule en trois étapes : une introduction présentant les objectifs et les règles du jeu, puis le jeu à proprement parler, et enfin une étape de discussion collective (figure 1). Un animateur (« maître du jeu ») explique les règles de fonctionnement, et joue des rôles supplémentaires au besoin (expert climatique, représentant de l’État, etc.).

Figure 4 Dispositif de l’atelier Foster Forest
À gauche : des participants consultent leur livret de jeu. Au centre de la table : microphone enregistrant les échanges des joueurs. En haut à droite : capture de la carte des propriétés projetée sur le mur.

Le discours introductif décrit les rôles, leurs objectifs et les actions possibles. Le discours présente aussi les informations consultables : livrets personnalisés de jeu pour chaque joueur, bulletins de prix du bois et de prédictions climatiques affichés au mur, et projection murale de la carte du massif forestier (figure 5). En plus des inventaires forestiers à la parcelle, cette carte peut indiquer, à la demande des participants, la qualité du sol, les parcelles éligibles au programme de conservation des vieux arbres, la propriété foncière, etc.

Figure 5 Capture d’écran de l’interface informatique de Foster Forest
Projetée au mur, cette carte du massif forestier détaille la propriété foncière et affiche les inventaires forestiers (symboles de couleurs et nombres associés). Les carrés blancs représentent les parcelles des propriétaires de toutes petites surfaces, non inclus parmi les joueurs.

Trois à cinq tours de jeu ont ensuite lieu, chacun correspondant à dix ans (le jeu débute en 2020). Un tour de jeu commence par l’annonce des projections climatiques et des prix du bois et du carbone pour la décennie à venir. Les joueurs échangent librement entre eux et avec l’animateur, et s’adressent à lui dès qu’ils souhaitent entrer leurs actions de gestion dans l’ordinateur. La fin du tour est signalée par une sonnerie qui arrive au bout de 30 à 50 minutes et lance l’actualisation informatisée des cartes et des indicateurs des participants (trésorerie, équilibre forêt-gibier, etc.) et du massif (qualité de l’eau, nombre de parcelles classées dans le programme environnement, etc.). L’animateur prend alors une dizaine de minutes pour présenter les conséquences des actions de gestion du tour écoulé, et pour communiquer les nouvelles projections climatiques et économiques.

La fin d’un tour de jeu est aussi le moment approprié pour discuter d’une action que les joueurs auraient proposée — lors d’un atelier, un élu avait par exemple demandé à mettre en place une opération de sensibilisation du grand public à la gestion forestière. Il existe aussi des options codées dans le programme informatique, mais non annoncées aux participants, qui permettent à l’animateur de répondre à certaines des propositions inattendues des joueurs. Ici, une de ces options « cachées » offrait la possibilité de modifier le paramètre d’acceptabilité sociale des interventions sylvicoles. D’autres options cachées permettaient aussi de suivre les flux de carbone des différentes propriétés, ou encore d’opérer des transferts financiers d’un participant à un autre, utiles dans le cas où ils auraient mis en place un contrat où une subvention serait livrée en échange de l’adoption d’une pratique forestière (ex : diversification des essences financée par les gestionnaires d’espaces naturels protégés). Des propositions de changement trop complexes des joueurs ne pouvaient cependant pas toujours être encodées en direct, comme cela a pu l’être lorsque des participants ont souhaité mettre en place un programme de migration assistée. Il aurait pour cela fallu beaucoup de temps pour encoder l’ajout d’une essence dans le modèle de croissance forestière. La frustration n’a toutefois pas été forte, puisque les joueurs eux-mêmes ont reconnu que la réussite de cette option d’adaptation forestière est encore en cours d’évaluation.

Enfin, une discussion collective d’environ 50 minutes conclut l’atelier. Ce « débriefing » est essentiel car il permet aux participants d’exprimer des retours critiques et comment ils ont vécu l’exercice. Un premier tour de table invite chacun à communiquer le moment le plus marquant de sa partie. L’extériorisation des émotions de jeu, et le rappel de ce qui s’est passé sont autant de moments sur lesquels l’animateur pourra revenir. Un deuxième tour de table poursuit la discussion par trois échanges de vues plus libres, qui font le lien entre les épisodes de l’atelier et le vécu quotidien des participants. Le premier échange porte sur les stratégies que les joueurs ont tenté de mettre en place pour répondre à leurs objectifs. Le deuxième consiste à revenir sur des éléments marquants notés durant le jeu ou le début du débriefing. Le troisième échange propose aux participants de transmettre leurs impressions sur le scénario de changements climatiques et ce qu’il a provoqué chez eux. La plupart du temps, la discussion collective se prolonge sur les intérêts et limitations des simulations participatives.

Lorsqu’il a été utilisé pour des fins de recherche, l’atelier Foster Forest était aussi précédé et suivi de questionnaires interrogeant les participants sur leur sensibilité aux changements climatiques (par exemple pour savoir s’ils avaient récemment vécu des aléas climatiques), sur la gestion forestière en général, et sur leurs impressions « à chaud » sur le jeu. Tous signaient aussi un « contrat de jeu » présentant le projet de recherche publique, et autorisant la captation audio et vidéo de l’atelier pour une analyse ultérieure.

Participer à la simulation : relier actions des joueurs et programme informatique

Les participants décident des actions qu’ils souhaitent mettre en place sur leurs parcelles sur la base des informations du tour de jeu, qu’ils peuvent consulter à l’écran, sur les bulletins de prévisions climatiques et des prix du bois affichés sur un mur, et en consultant leurs livrets de jeu. Une fois qu’ils ont décidé ce qu’ils veulent faire, l’animateur entre leurs choix dans le programme informatique via une interface graphique.

Les joueurs commencent par indiquer s’ils souhaitent louer la chasse sur leur propriété, et le cas échéant avec quel type de bail de chasse : un loyer faible est certes moins rémunérateur, mais il entraîne de plus forts prélèvements, tandis qu’un loyer élevé est justifié par une plus forte densité de gibier, et donc un plus grand déséquilibre forêt-gibier.

Puis, les participants donnent leurs instructions sylvicoles sur chaque parcelle où ils souhaitent intervenir : certification du bois (oui/non), régénération naturelle ou plantation (en indiquant la densité et les essences-cibles), coupes d’arbres (en pourcentage de chaque catégorie essence-diamètre), et dans ce dernier cas s’ils souhaitent prélever ou pas les rémanents de coupe.

Les indicateurs du participant sont alors automatiquement modifiés par le logiciel. La trésorerie évolue en fonction des coûts des travaux (main-d’œuvre, achat de plants, abattage, débardage, taxes, etc.) et des revenus de la vente du bois. Les indicateurs écologiques progressent selon les choix techniques : prélever les rémanents, par exemple, diminue la qualité du sol et réduit le volume de carbone stocké dans le sol ; la qualité de l’eau, elle, varie en fonction de la qualité moyenne des parcelles du massif, de la proportion feuillus/résineux, et de la quantité de coupes rases effectuées.

Enfin, le participant qui le souhaite peut émettre des propositions de vente foncière, ou s’inscrire dans le programme de conservation des vieux arbres — il s’engage alors à les laisser sur pied durant 30 ans en échange d’une compensation financière.

Évolution informatisée de la forêt et des indicateurs selon la gestion et les scénarios

Une fois les décisions de tous les joueurs entrées dans l’ordinateur, l’animateur signale la fin du tour de jeu. D’un clic, il fait passer le logiciel à la phase suivante, qui actualise en moins d’une minute un tableau de bord des indicateurs des joueurs (trésorerie, équilibre forêt-gibier de chaque propriété, etc.). Sur ces entrefaites, chaque joueur peut apprécier les conséquences des décisions du tour venant de s’écouler.

Le logiciel met aussi à jour les inventaires forestiers et les cartes des parcelles (propriété, éligibilité au programme environnemental, qualité des sols, etc.). Le calcul de la croissance des arbres de chaque parcelle est un processus écologique complexe, qui a été réduit dans Foster Forest à un système d’équations différentielles. Les participants étaient prévenus des simplifications et des potentielles imprécisions engendrées, malgré l’intégration de nombreux paramètres (figure 3).

Retours des parties jouées dans toute la France

Un atelier générique qui a fonctionné sur tout le territoire métropolitain

Au total, neuf ateliers à visée de recherche ont eu lieu de mai à juillet 2019 : en Normandie (à Rouen et Louviers), et dans les parcs naturels régionaux des Vosges du Nord, des Pyrénées ariégeoises, du Perche, des Boucles de Seine normande, des Volcans d’Auvergne. Le recrutement des participants et l’hébergement des ateliers ont grandement été facilités par le soutien des fédérations des parcs naturels régionaux de France et des communes forestières de Normandie. Ce partenariat leur permettait d’évaluer l’intérêt d’une simulation participative comme outil de sensibilisation et de réflexion sur l’adaptation aux changements climatiques.

Disposer d’un jeu applicable à de nombreux massifs forestiers aura nécessité un travail de paramétrage délicat, mais permet à l’atelier d’être rapidement déployé et comparé dans des contextes régionaux différents. Un autre avantage de l’apparente « généralité » de Foster Forest est de stimuler la prise de recul. Plutôt que de se focaliser sur le détail précis de leurs problèmes, les gestionnaires et propriétaires forestiers sont encouragés à réfléchir au cadre social et économique dans lequel ils opèrent. Cette réflexion a été visible lors des discussions des participants, systématiques durant les tours de jeu : les échanges, spontanés et nombreux, permettaient aux uns d’interroger les raisons des choix de gestion des autres. Ces discussions ont renforcé l’empathie et la compréhension entre joueurs, par exemple avec des propriétaires privés qui disposaient ainsi d’exemples précis de dépérissements ayant lieu en forêt publique, ou avec des élus municipaux qui saisissaient mieux les difficultés financières auxquels des forestiers publics font face.

L’adaptation aux changements climatiques : importante, mais pas à court terme

Dans les parties « recherche » de Foster Forest, les bulletins climatiques annoncés en début de chaque tour de jeu mettaient fortement l’accent sur les impacts des changements climatiques. Pour autant, les deux principales préoccupations des joueurs étaient l’équilibre sylvo-cynégétique, ainsi que la perception qu’avaient les habitants des opérations forestières. Propriétaires privés comme gestionnaires publics déploraient ainsi les nombreuses plaintes reçues « dans la vraie vie » par des riverains ou promeneurs soucieux des paysages forestiers. Ce sentiment de pression sociale était particulièrement fort dans les régions hautement touristiques.

En comparaison, les réactions verbales des participants aux changements climatiques étaient moindres qu’escomptées. Les joueurs scrutaient surtout le taux de régénération naturelle, très faible du fait du fort scénario de changement climatique. Par contraste avec ce changement climatique progressif, les joueurs s’exprimaient beaucoup sur les tempêtes et attaques parasitaires qu’ils avaient connues en dehors du jeu. Au-delà de ces réactions, les joueurs adaptaient leurs itinéraires techniques, surtout en remplaçant des essences ou en diminuant la densité des parcelles, et principalement pour maintenir la production de bois. Cette priorité des adaptations techniques s’affirmait dans l’expression, très souvent entendue, du « bon arbre au bon endroit ». Certains joueurs demandaient même à l’animateur des solutions clés en main, comme de disposer d’autres essences résistant mieux aux sécheresses, voire l’interrogeaient sur ce que pouvait faire pour eux le Centre national de la recherche scientifique. Qu’il s’agisse de forestiers privés ou publics, cette quête d’essences « adaptées » était partagée : parmi les joueurs s’adaptant, la plupart considérait qu’attendre les résultats de la recherche prendrait trop de temps. Ils cherchaient avant tout à éviter les parcelles monospécifiques, réputées trop sensibles aux parasites. Les incertitudes climatiques se reflétaient donc par l’éclosion de stratégies similaires de dilution du risque (par le mélange d’essences) dans des régions très différentes, soulignant le réalisme de Foster Forest.

Des innovations socioéconomiques dans la vision de comment gérer les forêts

Les adaptations les plus fréquentes concernaient des actions menées par des participants sur leurs propres parcelles. Cependant, quelques ateliers ont aussi vu émerger des adaptations collectives. Les innovations se fondaient sur le constat que les revenus des joueurs dérivaient principalement de la vente de bois, rendue très incertaine par le scénario de changements climatiques. L’adaptation collective la plus fréquente était la mise en place d’un système de paiement pour stockage de carbone favorisant le mélange d’essences, pour diversifier les revenus des joueurs. De manière assez inattendue, les innovations provenaient très peu des professionnels de la foresterie, mais plutôt des gestionnaires d’espaces naturels protégés qui y voyaient le moyen de favoriser le stockage de carbone et le programme de conservation de vieux arbres. Grâce aux débriefings collectifs, nous avons pu mettre en avant l’importance de ces acteurs de la gestion de l’environnement pour le développement d’idées nouvelles et l’application, en forêt, de projets pilotes conduits dans diverses régions françaises.

Ce type de proposition collective visant à diversifier les revenus rencontrait la plupart du temps l’adhésion des participants. Cela pouvait être pour des raisons économiques, comme en témoigne un propriétaire privé : « Le jour où je suis payé 50 € par hectare et par an pour stocker du carbone, je plante des bouleaux, des noisetiers, des bananiers même si c’est ce que vous attendez de moi ! ». Toutefois, il s’agissait le plus souvent d’une occasion de financer la bascule vers des pratiques plus durables et résilientes aux changements climatiques.

Du dispositif de recherche à l’outil prospectif libre d’accès

Retours des participants sur le dispositif

Les discussions collectives clôturant les ateliers ont permis de rassembler de nombreuses remarques et idées d’améliorations. Dans l’ensemble, les participants ont grandement apprécié l’atelier et ont validé le choix du modèle structurant Foster Forest. Malgré quelques longues discussions sur la manière de représenter la qualité du sol ou sur le calibrage des scénarios climatiques, ils ont considéré que le niveau de simplification était adéquat : « Ce n’est pas juste un jeu avec des hypothèses fantaisistes, c’est plutôt réaliste et correspond bien à la réalité. »

Les discussions ont aussi souligné la force de Foster Forest, à savoir son déploiement possible dans des contextes variés. Les stratégies déployées par différents gestionnaires d’espaces naturels protégés illustrent bien cela : partant des mêmes conditions et objectifs, ils ont développé des approches variées pour appliquer du mieux possible le programme de conservation des vieux arbres. Certains jouaient d’abord sur la corde économique auprès des propriétaires privés, tandis que d’autres ciblaient avant tout les forestiers publics (ONF et élus) qui géraient plus de parcelles et pouvaient ainsi plus facilement en dédier une au programme environnemental.

Le détournement dans le jeu de termes professionnels a été perçu comme un atout pour une atmosphère ludique. Ils provoquaient un décalage avec le quotidien : Météo-France devient « Climato-France », les certifications PEFC et FSC fusionnent en « PFSC », les prix du bois sont émis par un courtier nommé « M. du Ramesne », etc.

Enfin, les débriefings ont permis de recueillir des idées d’amélioration sur l’ergonomie du jeu. Si l’environnement de jeu (salle où se tenait l’atelier, coin café, etc.) était très bien perçu, le volume d’informations techniques initiales était considéré comme trop important par les participants non-professionnels de la foresterie. Le choix avait en effet été fait de favoriser les participants avec une formation forestière, pour reproduire l’asymétrie d’informations qui peut résulter d’une rencontre entre eux et des propriétaires privés ou élus moins au fait de la gestion forestière. Un élu n’a pas manqué de résumer la situation : « On n’est pas des techniciens, nous ! ». Une autre partie des questions portait sur le calibrage du modèle de croissance forestière, les participants ayant du mal à discriminer les parts respectives des changements de pratiques sylvicoles et des changements climatiques dans l’évolution de leurs parcelles. Cette difficulté confirme cependant que Foster Forest restitue bien le sentiment d’incertitude sur les effets précis des changements climatiques et sur l’efficacité des mesures d’adaptation.

La version prospective, récente évolution de Foster Forest

Les neuf parties ont démontré l’importance de prendre en compte les aspects collectifs et les innovations socioéconomiques pour aborder les incertitudes des changements climatiques dans la gestion forestière. La complémentarité de ces approches avec les adaptations individuelles et techniques ont convaincu, comme le soulignait un participant pyrénéen : « On a besoin de tout et de tout le monde pour ce défi ! ». Les ateliers et les débriefings avaient par ailleurs clairement mis en avant le rôle incontournable des intermédiaires territoriaux (élus, gestionnaire d’espaces naturels protégés) dans l’accompagnement et la promotion de ces adaptations collectives. De ce fait, les structures d’animation et de développement du territoire impliquées dans l’organisation des ateliers (parcs naturels régionaux et communes forestières de Normandie) ont émis le souhait de disposer d’une version de Foster Forest utilisable à des fins de sensibilisation et de prospective sur l’adaptation aux changements climatiques.

Néanmoins, la version développée pour la recherche comportait certaines lourdeurs à son utilisation prospective. Ainsi, chaque participant devait remplir un questionnaire avant et après l’atelier. Dans la même veine, la version recherche laissait les joueurs décider d’une pression de chasse, ce qui ajoutait encore une charge à gérer et ralentissait l’avancement du jeu. Malgré l’importance des questions d’équilibre forêt-gibier, les débats sur la chasse n’avait qu’une faible pertinence au regard des questions d’adaptation aux changements climatiques. Enfin, plusieurs participants déploraient le manque de photographies aux côtés des informations cartographiques numériques, eux qui fondent nombre de leurs décisions de gestion sur l’inspection visuelle des parcelles.

Après plusieurs mois de travail, une deuxième version de Foster Forest, allégée, a vu le jour pour réduire ces défauts. Disponible depuis 2020, la version « Prospective » compte 32 parcelles et non plus 50 ; son interface de prise de décision est plus intuitive, et la chasse n’est plus l’apanage des joueurs. Innovation la plus importante, quatre actions collectives susceptibles de contribuer à l’adaptation de la gestion forestière aux changements climatiques sont intégrées. Sont ainsi introduits au début du deuxième tour : un projet de sensibilisation du grand public à la foresterie, un programme de paiement pour stockage de carbone, la mise en place d’une appellation d’origine protégée du bois qui accroît la qualité des produits vendus (et donc les revenus qui en découlent), et enfin l’expérimentation de la migration assistée pour les chênes pédonculés. Il est par ailleurs possible d’attribuer aux joueurs un autre rôle que celui qu’ils occupent au quotidien.

Un site internet, www.fosterforest.fr, permet aussi d’accéder à de nombreuses informations sur Foster Forest. Le site permet de télécharger gratuitement le logiciel de Foster Forest, et comporte plusieurs tutoriels vidéos ainsi qu’une foire aux questions pour guider pas à pas les nouveaux utilisateurs.

Une version prospective aux multiples vocations

Cette deuxième version de Foster Forest a déjà suscité l’intérêt pour des usages différents. Dans le milieu éducatif, des responsables de formations de techniques ou d’ingénierie forestières ont pu tester l’atelier. Le CNPF a fait connaître le concept aux propriétaires forestiers dans le cadre d’une visite forestière départementale de sensibilisation aux changements climatiques.

Ces utilisations ne sont qu’une des multiples destinations que peut prendre Foster Forest, voué à alimenter les débats préalables à l’actualisation d’une charte forestière de territoire, à ouvrir une formation FOGEFOR, ou encore à jeter une autre lumière sur l’élaboration de stratégies d’adaptations à des échelons départementaux, territoriaux, ou de massif.

Conclusion

Les simulations participatives sont un moyen original d’envisager rapidement diverses adaptations aux changements climatiques, sans prendre de réels risques écologiques ou économiques. Foster Forest fournit des conditions d’apprentissage nouvelles dans le domaine de la gestion forestière, avec une démarche d’essai-erreur instantanée. En ce sens, Foster Forest permet de tester rapidement des approches socioéconomiques complétant les trajectoires d’adaptations techniques les plus répandues. En subissant ensemble un fort scénario de changements climatiques, les participants disposent d’une base commune de discussion pour tenter de surmonter de manière originale les défis des incertitudes environnementales, sociales et économiques qui se posent à eux.

Bien que l’équilibre entre jouabilité et réalisme de la démarche soit toujours délicat, il importe de considérer qu’un atelier Foster Forest doit servir de socle commun, voire de prétexte pour ouvrir la discussion sur les enjeux et opportunités de l’adaptation. Au-delà des considérations climatiques, il s’agit en effet d’une occasion rare de prendre du recul sur les relations et partenariats tissés entre acteurs de la gestion forestière, dans une atmosphère conviviale.

Il reste maintenant à Foster Forest à faire ses preuves comme outil de sensibilisation, d’éducation et de prospective territoriale. Sa gratuité et son accessibilité en ligne ont été souhaitées dans cet objectif.

Remerciements

L’auteur tient à chaleureusement remercier toutes les personnes ayant contribué de près ou de loin à la conception du jeu, et en particulier Nathalie Frascaria-Lacoste, Julie Lombard-Latune, Michel Trommetter, Émile Huguet, ainsi que les nombreux participants sans qui les ateliers n’auraient pas eu lieu. Merci aussi à l’équipe éditoriale et aux relecteurs pour la qualité de leurs commentaires.

Notes

  • (1) L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.
  • (2) Les biens et services écosystémiques (BSE) réfèrent aux bénéfices que les sociétés humaines tirent de la nature ; en l’occurrence, de la production de bois, d’activités récréatives, du stockage de carbone, etc.
  • (3) Bien qu’on puisse les distinguer, les termes « atelier collectif », « simulation participative » et « jeu de rôles » seront utilisés indistinctement dans la suite de l’article.

Références

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Auteurs


Timothée Fouqueray

timothee.fouqueray@uqo.ca

Affiliation : Ecologie, Systématique Evolution, CNRS, AgroParisTech, Université Paris-Saclay

Pays : France

Biographie :

Adresse postale : Ecologie, Systématique Evolution, CNRS, AgroParisTech, Université Paris-Saclay - -F-91405 Orsay

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