Biologie et écologie
Écoulements de résine et nécroses chez le Cèdre de l'Atlas : analyse des symptômes dans un dispositif sylvicole expérimental
Résumé
Un suivi des écoulements de résine sur troncs de cèdre associés à des nécroses cambiales a été réalisé entre 1992 et 2017 dans un dispositif sylvicole. Le taux d'arbres atteints a progressivement augmenté jusqu'à 50 % en 2015 avec une différence marquée entre traitements sylvicoles en 2004 (densité et hauteur d'élagage et interaction). En 2017, une analyse sur 84 arbres a montré que les nécroses se développent de préférence à la base du houppier vivant, à un âge cambial de 21-22 ans. Les nécroses et canaux résinifères apparaissent les années plutôt humides, notamment 2008. Les nécroses cicatrisent pour la plupart en 2-3 ans. L'intervention d'un champignon est suspectée.
Messages clés :
• Des écoulements de résine associés à des nécroses cambiales sont signalés sur Cèdre.
• Dans un dispositif expérimental sylvicole, les arbres à houppier développé (éclaircie forte, sans élagage) sont transitoirement plus touchés.
• Les symptômes apparaissent préférentiellement à la base du houppier vivant (âge cambial de 21-22 ans) et plutôt les années humides.
• On suspecte l'intervention d'un champignon.
Abstract
Sap dripping of cedar trunks associated with cambial necrosis was monitored in a silvicultural system set up between 1992 and 2017. The rate of damaged trees gradually increased up to 50% in 2015, with a marked difference between silvicultural conditions (density, pruning height, and their interaction) in 2004. In 2017, an analysis of 84 trees showed that necroses preferentially developed at the basis of the living crowns and at a cambial age of 21-22 years. Necroses and resiniferous canals rather appeared during humid years, especially in 2008. Most of the necroses healed in 2-3 years. A fungus is suspected.
Highlights:
• Sap dripping associated with cambial necroses have been reported on cedar.
• In an experimental silvicultural setup, the trees with a well-developed crown (following strong clearing and no pruning) were transiently most severely hit.
• Symptoms preferentially first appeared at the base of the living crown (cambial age 21-22 years) and in humid years.
• A fungus is suspected.
Introduction
Chez les conifères, les écoulements de résine interviennent fréquemment en réaction à une agression extérieure comme une blessure ou une attaque d’insectes xylophages. C’est un mécanisme adaptatif destiné à isoler et expulser un bio-agresseur potentiel des tissus sains.
Depuis quelques années, les signalements d’écoulement de résine sur Cèdre se sont multipliés. Sur les cinq dernières années (2017-2021), 45 signalements d’écoulement de résine (hors attaque de scolytes) et de nécroses sur tronc ont été rapportés sur Cèdre de l’Atlas par les correspondants-observateurs du Département de la santé des forêts au niveau national, avec une nette augmentation depuis 2019. Ils représentent 16 % des observations sanitaires sur Cèdre sur cette période avec une répartition régionale très variable : cette problématique pèse pour 50 % des signalements en Bourgogne-Franche-Comté, 30 % en Auvergne-Rhône-Alpes et en Nouvelle-Aquitaine et seulement 6 % dans le quart sud-est, région d’implantation principale du Cèdre en France. Un dispositif expérimental, testant différentes intensités d’éclaircie et d’élagage dans le Gard, a été affecté très tôt par des écoulements de résine. Le suivi de ces symptômes a été l’occasion d’évaluer l’importance du phénomène, de suivre sa progression et d’identifier un éventuel effet du traitement sylvicole. Dans un deuxième temps, l’abattage d’arbres a été l’occasion de procéder à une reconstitution des localisations et dates d’apparition grâce à une analyse dendrochronologique.
Matériel et méthodes
Présentation du dispositif
Le dispositif expérimental étudié s’étend sur 3,4 ha de la forêt communale de Valliguières dans le Gard, à 260 m d’altitude (latitude 44°01’18"N ; longitude 4°37’24"E). Le sol peut être rattaché à la fois aux calcisols et aux peyrosols pierriques selon le Référentiel pédologique (Association française pour l’étude du sol, 2008)
Le peuplement d’origine est une plantation réalisée en 1968 à 1 200 plants par hectare (4,6 m x 1,7 m). Quatre intensités de première éclaircie, réalisée à 25 ans en 1992, ont été appliquées :
— témoin : les 1200 arbres/ha sont conservés ;
— éclaircie faible : on enlève en moyenne 1 arbre sur 3 ; il reste environ 800 arbres/ha ;
— éclaircie moyenne : on enlève en moyenne 1 arbre sur 2 ; il reste environ 600 arbres/ha ;
— éclaircie forte : on enlève en moyenne 2 arbres sur 3 ; il reste environ 400 arbres/ha.
Quatre intensités d’élagage ont été pratiquées :
— témoin : aucun élagage ;
— élagage faible : élagage des branches jusqu’à 2 m de hauteur de 400 à 450 arbres/ha en 1992 à 25 ans ;
— élagage moyen : élagage des branches jusqu’à 2 m de hauteur de tous les arbres en 1992 et de 400 à 450 arbres/ha jusqu’à 4 m en 1996 à 29 ans ;
— élagage fort : élagage des branches jusqu’à 2 m de hauteur de tous les arbres et jusqu’à 4 m de 400 à 450 arbres/ha en 1992 puis jusqu’à 6 m en 1996.
Au moment de la première éclaircie et du premier élagage, la hauteur dominante était comprise entre 8,6 et 9,6 m selon les placettes. Ces interventions ont été pratiquées bien avant ce qui est usuellement pratiqué en gestion où la première éclaircie intervient entre 16 et 18 m de hauteur dominante. Le couvert étant loin d’être refermé, l’élagage a concerné pour l’essentiel des branches bien vivantes du houppier fonctionnel.
Chaque modalité d’élagage est appliquée dans chaque modalité d’éclaircie, ce qui donne 4 x 4 = 16 combinaisons éclaircie x élagage. 8 placettes de 15 à 24 ares ont été délimitées, chacune d’elle étant entourée d’une zone tampon d’une dizaine de mètres de large, soumise au même traitement que la zone intérieure. Chaque modalité d’éclaircie est installée dans deux placettes, les modalités d’élagage étant installées par demi-placette (photo 1, p. 000).
Photo 1. Dispositif sylvicole expérimental de Valliguières. Vues de la modalité « éclaircie à 400 tiges/ha en 1992 et élagage à 4 m en 1992, remonté à 6 m en 1996 »
Photos prises en 1996 (à gauche) et en 2010 (à droite). La perche, appuyée sur le tronc de l’arbre au premier plan, donne l’échelle
Photos © F. Courbet
Climat
Le climat est de type méditerranéen, avec une température de 14,1 °C et une pluviométrie de 785 mm (moyennes annuelles sur la période 1969-2017 couvrant la croissance du peuplement). Elle est irrégulièrement répartie avec deux mois secs en juillet et août (figure 1). La hausse de la température moyenne annuelle a été de plus de 2 °C sur la période 1969-2017 (figure 2a). L’évolution de la pluviométrie annuelle ne marque pas de tendance significative (figure 2b).
Figure 1. Diagramme ombrothermique caractérisant le contexte mésoclimatique du dispositif expérimental établi à partir des données de deux postes Météo France voisins du dispositif (période 1996-2017) : Cavillargues à 13 km au nord (latitude 44°06’42"N ; longitude 4°31’06"E ; altitude 131 m) et Meynes à 20 km au sud (latitude 43°51’36"N ; longitude 4°31’30"E ; altitude 71 m
On note la présence de deux mois secs au sens de Gaussen et Bagnouls (courbe plus haute que l’histogramme correspondant à P < 2T).
Figure 2. Évolution de la température moyenne (a) et de la pluviométrie annuelle (b) du site de Valliguières à partir des données 1969-2017 des postes Météo-France voisins (Cavillargues et Meynes)
Des tests en bootstrap avec tirage aléatoire de l’ordre des années ont permis d’établir que la hausse des températures était significative au seuil de 1 pour 1 000.
Données récoltées
• Notations des écoulements de résine des arbres sur pied
Le dispositif a fait l’objet d’un inventaire des circonférences à 1,30 m des arbres et de leur état sanitaire tous les ans de 1991 à 2001 puis en 2004, 2008, 2015 et 2017. Les hauteurs totale et de base de houppier vivant ont été mesurées sur un échantillon d’une cinquantaine d’arbres par placette choisis et répartis en 1992 au prorata du nombre d’arbres par classe de circonférence de 5 cm d’amplitude. Les hauteurs des échantillons restant après éclaircie ont été à nouveau mesurées en 1994, 1996, 2000, 2004, 2008, 2015, 2017. Les hauteurs de base de houppier ont été interpolées entre deux mesures pour les années manquantes. Dès 1992, des écoulements de résine sur les troncs, pour la plupart situés à la base du houppier vivant, ont fait leur apparition (photo 2, p. 000). Pour quantifier leur importance et leur évolution, lors de chaque inventaire, on a noté pour chaque arbre, le nombre de mètres de tronc recouvert de résine sur au moins 50 % de leur circonférence. Cette variable est appelée « note » dans la suite de l’article.
Photo 2. Écoulement de résine particulièrement important observé sur un cèdre du dispositif expérimental de Valliguières
Photo © F. Courbet
• Mesures rétrospectives sur arbres abattus
Afin de dater précisément les écoulements de résine et de les localiser dans l’arbre, des mesures rétrospectives ont été pratiquées sur 84 arbres abattus fin 2017. Afin d’assurer une bonne représentation de chaque modalité expérimentale et des différentes tailles d’arbre, cet échantillon a été stratifié selon :
— la densité du peuplement ;
— le niveau d’élagage de l’arbre (absent, 2 m, 4 m et 6 m) ;
— la classe de diamètre (tableau 1).
Tableau 1 Répartition du nombre d’arbres échantillons par traitement expérimental
Intensité d’éclaircie de la placette |
Intensité d’élagage de la placette |
Non élagués |
Élagués à 2 m |
Élagués à 4 m |
Élagués à 6 m |
Total nombre d’arbres par modalité densité x élagage |
Total nombre d’arbres par modalité d’éclaircie |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Témoin |
Moyenne |
- |
4 |
5 |
- |
9 |
17 |
Témoin |
Forte |
- |
4 |
- |
4 |
8 |
|
Faible |
Moyenne |
- |
4 |
3 |
- |
7 |
21 |
Faible |
Forte |
- |
4 |
- |
3 |
7 |
|
Faible |
Faible |
- |
2 |
- |
- |
2 |
|
Faible |
Témoin |
5 |
- |
- |
- |
5 |
|
Moyenne |
Moyenne |
- |
3 |
5 |
- |
8 |
24 |
Moyenne |
Forte |
- |
3 |
- |
5 |
8 |
|
Moyenne |
Témoin |
4 |
- |
- |
- |
4 |
|
Moyenne |
Faible |
3 |
1 |
- |
- |
4 |
|
Forte |
Faible |
- |
3 |
- |
- |
3 |
22 |
Forte |
Témoin |
5 |
- |
- |
- |
5 |
|
Forte |
Forte |
- |
- |
- |
7 |
7 |
|
Forte |
Moyenne |
- |
- |
7 |
- |
7 |
|
Total |
17 |
28 |
20 |
19 |
84 |
84 |
Sur chaque arbre, une rondelle a été prélevée à 1,30 m puis une rondelle tous les deux mètres de hauteur en repérant sur chacune l’orientation nord (tableau 2). Les rondelles ont été poncées et scannées à 600 dpi. Huit rayons équidistants de 50 grades ont été tracés sur chaque rondelle de plus de 25 cm de circonférence, quatre rayons équidistants de 100 grades pour les rondelles de 25 cm de circonférence et moins.
Tableau 2 Répartition du nombre de rondelles mesurées par niveau
Hauteur rondelle |
Nombre de rondelles |
---|---|
1,30 m |
84 |
2 m |
84 |
4 m |
84 |
6 m |
84 |
8 m |
84 |
10 m |
82 |
12 m |
78 |
14 m |
53 |
16 m |
14 |
18 m |
1 |
Total |
648 |
L’abattage des arbres et le prélèvement de rondelles ont été l’occasion d’observer que les écoulements de résine sont liés à des nécroses cambiales qui finissent par cicatriser dans le temps, l’écorce se détachant localement du tronc (photo 3, p. 000).
Photo 3. Vues externe (a) et interne (b) d’une nécrose cambiale cicatrisée
Photos © F. Courbet
La résine est produite par des cellules spécifiques, les canaux résinifères. Par endroit, on a pu aussi observer l’apparition de canaux résinifères sans nécrose cambiale associée (photo 4). Or on sait que le bois des espèces du genre Cedrus ne contient habituellement pas de canaux résinifères. Ils se forment uniquement à la suite d’un traumatisme (Trouy, 2015).
Photo 4. Écoulements de résine à la suite de la formation de canaux résinifères traumatiques
Photo © F. Courbet
On a pu aussi observer dans certains cas un développement préférentiel de la duraminisation vers la nécrose cambiale allant parfois jusqu’en limite de cette nécrose (photo 5).
Photo 5. Duramen développé jusqu’en limite d’une nécrose cambiale
Photo © F. Courbet
Sur chaque rondelle, ont été relevés :
— chaque nécrose cambiale en datant et notant la partie du cerne dans laquelle la nécrose a été initiée (bois de printemps ou bois d’été) ainsi que l’azimut en grades des rayons situés de part et d’autre de la zone nécrosée, le nord repéré sur chaque rondelle correspondant à l’azimut 0. Chaque nécrose a été ensuite orientée selon la valeur du point cardinal le plus proche de son axe médian : nord, est, nord-est, sud-est, sud, sud-ouest, ouest et nord-ouest. Pour chaque nécrose, on a noté l’âge cambial du cerne concerné, mesuré en comptant le nombre de cernes qui le séparent de la moelle. L’âge cambial d’un cerne formé l’année n diminue donc avec la hauteur dans l’arbre ;
— le nombre d’années de croissance manquantes qui se sont écoulées avant la cicatrisation complète, c’est-à-dire la formation d’un nouveau cerne annuel continu sur la zone nécrosée ;
— chaque fois qu’un des 4 ou 8 rayons équidistants recoupait une zone de canaux résinifères sans nécrose, l’année du cerne dans lequel ils se sont formés.
Résultats
Écoulements de résine : de plus en plus d’arbres atteints et un effet fugace du traitement sylvicole
Pour l’ensemble du dispositif expérimental, le pourcentage d’arbres atteints a progressivement augmenté de 1992 (2 %) à 2017 (56 %), d’abord rapidement jusqu’en 2008 et plus lentement ensuite. Si le nombre d’arbres touchés a nettement augmenté, ils n’ont, en moyenne, pas été affectés plus gravement (figure 3).
Figure 3. Évolution du taux d’arbres affectés et de l’importance des écoulements de résine dans le dispositif de Valliguières sur la période 1992-2017
La note représente le nombre de mètres de tronc recouvert de résine sur au moins 50 % de circonférence. La résine sèche et disparaît vite de la surface du tronc, à la faveur des intempéries. Les écoulements observés et notés à chaque passage sont pour l’essentiel des écoulements qui se sont produits depuis la notation précédente.
En 1998, alors que le pourcentage global d’arbres atteints est encore modéré (11 %) (figure 3), il n’y a pas de différences entre les traitements (figure 4a). Mais, en 2004, il apparaît une relation entre le taux d’arbres affectés par les écoulements de résine et les traitements expérimentaux (effets éclaircie et élagage avec une forte interaction densité x élagage) (figure 4b). Les arbres élagués sont moins touchés que les arbres non élagués, mais cette relation est d’autant plus marquée que la densité est faible. L’élagage a pour effet d’inverser la tendance constatée sur la densité : les arbres non élagués sont d’autant plus atteints que la densité est faible alors qu’on constate l’inverse pour les arbres élagués à 6 m qui sont d’autant plus atteints que la densité est forte. En 2015, le pourcentage d’arbres atteints est élevé (49 %) et ne semble plus varier beaucoup entre traitements (figure 4c).
Figure 4. Évolution du pourcentage d’arbres affectés par les écoulements de résine en fonction du traitement sylvicole (éclaircie et élagage) en 1998 (a), 2004 (b) et 2015 (c)
Au cours du développement du peuplement, nécroses et canaux résinifères apparaissent de plus en plus haut dans l’arbre
Le nombre de nécroses (924) pourtant notées en plein sur les rondelles est bien inférieur au nombre de zones à canaux résinifères (16 123) seulement notées si elles étaient recoupées par les 8 rayons. Sur les 924 nécroses notées, 914 (99 %) concernent le bois d’été et 10 (1 %) seulement le bois de printemps. Il n’y a pas d’orientation préférentielle dans le développement des nécroses ou des canaux résinifères (tableau 3).
Tableau 3 Répartition des nécroses (sur l’ensemble des rondelles) et des canaux résinifères (sur les rondelles de plus de 25 cm de circonférence) en fonction de leur orientation
Direction |
Nombre de nécroses |
Pourcentage |
Nombre de zones à canaux résinifères |
Pourcentage |
---|---|---|---|---|
Est |
137 |
15 % |
2 134 |
13 % |
Nord-est |
117 |
13 % |
1 896 |
12 % |
Nord |
96 |
10 % |
1 830 |
11 % |
Nord-ouest |
100 |
11 % |
1 901 |
12 % |
Ouest |
119 |
13 % |
1 914 |
12 % |
Sud-ouest |
103 |
11 % |
2 081 |
13 % |
Sud |
120 |
13 % |
2 156 |
13 % |
Sud-est |
132 |
14 % |
2 211 |
14 % |
Total |
924 |
100 % |
16 123 |
100 % |
Il existe une relation nette entre la hauteur d’apparition des nécroses et la hauteur de la base du houppier vivant qui a évolué dans le dispositif du fait de la mortalité des branches basses suite à la fermeture du couvert ou du fait de l’élagage artificiel des branches vertes (figure 5).
Figure 5. Hauteur d’apparition des nécroses par classe de hauteur de base de houppier vivant : moyenne (en bleu) et écart-type (traits verticaux noirs)
Cet effet se retrouve nettement dans la relation avec l’âge cambial du cerne concerné. La relation entre le nombre de nécroses et l’âge cambial montre une courbe de Gauss très régulière (figure 6). L’apparition des nécroses se fait préférentiellement vers 21-22 ans d’âge cambial avec une distribution des fréquences resserrée autour de cette valeur. Cela confirme que les nécroses apparaissent de plus en plus haut, au fur et à mesure que l’arbre pousse en hauteur.
Figure 6. Distribution du nombre de nécroses selon l’âge cambial des cernes concernés
Un effet annuel marqué avec une préférence pour les périodes de végétation plus humides
L’observation des écoulements de résine sur le tronc ne permet pas de dater précisément les nécroses qui sont à leur origine. D’une part parce qu’ils ne sont pas observés tous les ans, d’autre part parce qu’il peut s’écouler un certain temps entre l’apparition de la nécrose et l’écoulement observable de la résine à l’extérieur du tronc. C’est pourquoi un éventuel effet annuel a été recherché sur les nécroses précisément datées et notées sur les rondelles.
En visualisant la distribution par année de la fréquence d’apparition des canaux résinifères et des nécroses (figure 7), on peut noter :
— une montée progressive en importance de la fin des années 1980 au début des années 2000, confirmant l’évolution constatée sur les écoulements de résine ;
— une aggravation du phénomène avec plutôt la formation de canaux résinifères au début de la période dont une proportion de plus en plus importante évolue en nécrose cambiale avec le temps ;
— un effet annuel marqué et identique pour les deux symptômes, observés à des endroits différents dans chaque rondelle, entre lesquels il existe une corrélation marquée. L’année 2008 montre une fréquence d’occurrence des canaux et des nécroses particulièrement élevée suivie ensuite par les années 2011, 2010, 2002, 2013 et 2004. Ces années sont aussi celles où les symptômes se sont le plus aggravés (davantage de proportions de nécroses que de canaux résinifères). Inversement, l’année 2017 a été moins propice à la manifestation de ces symptômes.
Figure 7. Distribution de la fréquence des nécroses et des canaux résinifères par année d’apparition (le total sur la période est égal à 100 %)
Afin de détecter un effet éventuel des conditions climatiques pour expliquer cette variation interannuelle, nous avons recherché les corrélations, au cours de la période 2001-2017, entre le pourcentage de nécroses et les variables suivantes :
— moyennes des températures maximales en juin, juillet, août et de juin à août ;
— moyenne des températures minimales de mars ;
— nombre de jours de gel de janvier, février, mars et de janvier à mars ;
— pluviométrie cumulée sur des périodes variables, comprenant ou pas les pluies de l’automne-hiver précédent ;
— indice d’aridité de De Martonne [pluviométrie totale de la période / (température moyenne de la période + 10)] calculé sur les périodes mars-juin, mars-juillet, mars-août, mars-septembre.
La meilleure relation a été observée avec l’indice de De Martonne calculé sur la période mars-août (figure 8).
Figure 8. Relation entre le pourcentage de nécroses annuelles rapporté à la période 2001-2017 et l'indice d'aridité de De Martonne [= pluviométrie totale de mars à août / (température moyenne de mars à août + 10)]
Une cicatrisation généralement très rapide des nécroses cambiales
Sur les 924 nécroses cambiales relevées, 725 soit 78 % ont cicatrisé dans l’année (pas de cerne manquant) et 163 (18 %) ont cicatrisé en 3 ans ou moins (figure 9). Le reste des nécroses cicatrisées (15) l’a été entre 4 et 8 ans. Les nécroses non cicatrisées (21) sont en voie de l’être puisque 19 d’entre elles datent de 4 ans ou moins. Une seule nécrose ancienne (de 9 ans) n’était pas encore cicatrisée au moment des mesures.
Figure 9. Distribution du nombre de nécroses par nombre d’années de croissance manquantes
Les 725 nécroses n’ayant pas donné d’année de croissance manquante ne sont pas représentées.
Discussion
Les canaux résinifères, qui secrètent la résine, se retrouvent systématiquement dans le bois de certains genres (Pinus, Picea, Larix, Pseudotsuga) alors que chez d’autres (Abies, Cedrus, Tsuga…), ils ne se développent qu’à l’occasion de traumatisme affectant l’assise cambiale.
On a pu constater au cours de notre étude que le développement des canaux résinifères s’était fait concomitamment avec les nécroses. Si des canaux résinifères traumatiques sont apparus sans donner lieu à des nécroses, les écoulements de résines sont forcément consécutifs à la formation de ces canaux et des nécroses qui permettent au contenu des canaux du bois de l’année en cours de se déverser à l’extérieur. Canaux résinifères et nécroses cambiales sont deux stades du même phénomène.
Les écoulements de résine étant souvent provoqués par les attaques de coléoptères xylophages, des traces d’attaques d’insectes ont donc été recherchées sans succès. En l’absence d’agent biotique identifié, l’hypothèse d’une cause abiotique a été examinée. Aucune trace de blessure (dégâts d’abattage, grêle…) n’a été relevée en relation avec les écoulements. Les coups de soleil, pouvant occasionner des dégâts sur l’écorce, ont été écartés comme cause possible. En effet, les zones les plus exposées (parties élaguées des arbres à faible densité) ont été moins touchées. Tout se passe comme si les écoulements de résine étaient liés à l’importance du houppier des arbres. En 1998, tous les traitements présentaient un couvert ouvert. En 2004, l’effet de l’âge et des éclaircies sur le développement des houppiers est plus marqué et on constate que les arbres à faible densité et à houppiers développés sont plus touchés que les arbres des placettes témoin. On constate que l’élagage artificiel de branches vertes, qui réduit la taille des houppiers, inverse cette tendance de façon d’autant plus nette que la hauteur d’élagage est forte. Cet effet de contre-balancier est d’autant plus marqué que les arbres sont à faible densité et que l’élagage a concerné des branches bien vivantes. En 2015, la fermeture du peuplement, quels que soient la densité et le niveau d’élagage, pourrait expliquer l’uniformisation des symptômes entre traitements.
Cet effet apparent du développement des houppiers sur les écoulements de résine, constaté juste après la canicule de 2003, nous a fait, dans un premier temps, suspecter un effet de la sécheresse. En effet, le développement du houppier intervient beaucoup dans le bilan hydrique par la transpiration, très dépendante de la surface foliaire (Bertin et al., 2016). Cependant, la datation rétrospective des nécroses à l'origine des écoulements constatés n'a pas permis de conforter cette hypothèse. Au contraire, elle a montré que les nécroses se sont davantage produites les années humides. La sécheresse ne peut donc être évoquée comme cause principale. Tout au plus a-t-elle pu intervenir comme facteur prédisposant, augmentant la sensibilité au facteur principal, qui reste à déterminer, par l'affaiblissement des arbres.
L’effet de la sylviculture est à confirmer par des observations complémentaires. Dans ce dispositif, il est transitoire. À noter que la partie de ce reboisement située hors dispositif expérimental et soumis à la sylviculture appliquée par l’Office national des forêts (une seule éclaircie un peu plus tardive laissant un arbre sur deux élagué à 4 m) a fait l’objet d’un relevé du Département de la santé des forêts en 2022 qui a constaté que 44 % des 50 arbres notés étaient atteints par des nécroses ou écoulements de résine sur 50 % ou plus de leur circonférence. Ce qui est du même ordre de grandeur que les 56 % observés sur les 1 168 arbres du dispositif expérimental en 2017, tous traitements confondus.
Le cambium cessant de former temporairement du xylème, la croissance de l’arbre s’en trouve naturellement affectée. Toutefois, seule une faible proportion des nécroses observées donne lieu à l’absence locale de cernes. La plupart des nécroses cicatrisent dans l’année ou, au pire, au cours des trois années suivantes. Ces nécroses ont donc très certainement un effet limité sur l’aspect esthétique ou la résistance mécanique des sciages. Nous avons pu constater par ailleurs que des arbres plus anciens, de 100 ans et plus, avaient été touchés par des nécroses du même type sans qu’il soit remonté des problèmes de la part de l’industrie de transformation ou des utilisateurs des produits finis.
Qu’est ce qui pourrait expliquer l’apparition de ces nécroses ?
Chez les résineux, l’écoulement de résine est une réaction adaptative destinée à isoler, expulser ou préserver les arbres et les tissus sains de l’intrusion d’un corps étranger, insecte ou pathogène potentiel. La duraminisation observée du bois qui se développe plus rapidement et en direction des zones nécrosées participe du même principe. Le bois duraminisé n’est plus vivant et ne conduit plus la sève brute. L’amidon disparaît et il s’imprègne de substances variées, notamment des composés phénoliques ou tanins, qui rendent le bois plus résistant aux attaques d’insectes ou de champignons. Comme la formation de canaux résinifères, la duraminisation peut être donc vue dans ce cas comme une réaction permettant de lutter contre la progression d’un parasite.
En l'absence de blessure caractérisée ou de trace d'attaque d'insectes, l'hypothèse de tentative d'intrusion par un champignon pathogène mérite d'être examinée. En effet, certains champignons sont connus pour provoquer chez des conifères la formation de canaux résinifères associés à des nécroses comme Cistella japonica sur Chamaecyparis obtusa (Yamada et al., 2003). Une étude réalisée également sur des analyses de tiges de Pinus strobus a mis en évidence des symptômes rigoureusement identiques à ceux observés sur Cèdre (écoulement de résine, nécroses cambiales qui cicatrisent, Costanza et al., 2020).
L’intervention d’un champignon pourrait expliquer que les nécroses apparaissent préférentiellement les années plus humides. Elle peut aussi permettre de comprendre pourquoi les nécroses apparaissent plutôt à la base du houppier. Quand l’arbre est jeune ou dans les parties jeunes comme le haut du tronc, l’écorce reste lisse. Elle commence à se crevasser plus tard, ce qui peut expliquer l’occurrence des nécroses à l’âge cambial moyen de 21-22 ans et à la base du houppier vivant. C’est à cet âge cambial et à ce niveau que phloème et cambium seraient les plus accessibles aux spores de champignon par les fissures de l’écorce et donc les plus vulnérables aux attaques fongiques.
Parmi les champignons ayant pu causer les symptômes observés à Valliguières, Sphaeropsis sapinea, qui provoque en France des dégâts essentiellement sur les pins (Piou et al., 1991), pourrait être impliqué. Cette espèce a été identifiée localement sur des cônes de cèdres (diagnostic de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, Laboratoire de la Santé des Végétaux, mycologie des ligneux). Et surtout, une parcelle de pins noirs d'Autriche, située à une distance variant entre 50 et 250 m des placettes de cèdre a subi une attaque de ce champignon qui a provoqué une mortalité massive ayant conduit à l'exploitation prématurée de la totalité des pins de cette parcelle. Sphaeropsis sp. est déjà connu pour provoquer des nécroses chez Cupressus sempervirens (Xenopoulos & Tsopelas, 2000). Il a déjà été signalé sur Cedrus libani (Oskay et al., 2018). Dans les cas de nécroses, la présence de Sphaeropsis n'est pas toujours recherchée mais Nageleisen (2007) fait état de multiples cas de nécroses infectées par Sphaeropsis sapinea, sans la preuve qu'il en soit la cause, au cours des vingt dernières années. La base de données du Département de la santé des forêts signale en effet au niveau national une trentaine de cas de Sphaeropsis sur cèdre de 2001 à 2021 dont 24 % présentent des nécroses associées à des écoulements de résine.
Conclusion
À l'heure où la place du Cèdre est amenée à se renforcer pour atténuer le changement climatique et adapter les forêts (Courbet et al., 2012), des questions légitimes se posent sur les écoulements de résine qui touchent de nombreuses plantations. Des analyses de tiges ont permis d'associer ces écoulements de résine à des nécroses cambiales consécutives à la formation de canaux résinifères traumatiques. Elles ont permis de préciser l'occurrence préférentielle des nécroses les années plus humides et à la base des houppiers vivants. Une enquête en cours, menée sous la responsabilité du Département de la santé des forêts, devrait permettre de préciser l'importance du phénomène et son lien avec les facteurs liés à l'environnement et aux peuplements. Si Sphaeropsis sapinea est une cause possible des symptômes constatés, la relation de cause à effet entre le champignon, ou un autre, et les nécroses reste à établir.
Remerciements
Les auteurs remercient le RMT Aforce pour son soutien qui a permis la réalisation de ce travail.
Notes
- Il correspond à un sol de type « rendzine » sur calcaire fissuré selon l’ancienne classification de la Commission de pédologie et de cartographie des sols (CPCS).
Références
- Association française pour l’étude du sol (2008). Référentiel pédologique / Coord. Baize, D., & Girard, M.-C. Versailles : Éd. Quæ. 405 p.
- Bertin, S., Balandier, Ph., Becquey, J., Bonal, D., Bréda, N., Perrier, C., Riou-Nivert, Ph., & Sevrin, É. (2016). Le Bilan hydrique des peuplements forestiers. Coord. : Bertin, S. & Perrier, C. Éd. RMT AFORCE. 191 p.
- Costanza, K.K.L., Livingston, W.H., Fraver, S., & Munck, I.A. (2020). Dendrochronological analyses and whole tree dissections reveal Caliciopsis canker (Caliciopsis pinea) damage associated with declining growth and climatic stressors of eastern white pine (Pinus strobus). Forests, 11(3), 347. doi:10.3390/f11030347
- Courbet, F., Lagacherie, M., Marty, P., Ladier, J., Ripert, C., Riou-Nivert, P., Huard, F., Amandier, L., & Paillassa, É. (2012). Le Cèdre en France face au changement climatique : bilan et recommandations. INRAE. 32 p. https://hal.inrae.fr/hal-02811160
- Nageleisen, L.-M. (2007). Les problèmes phytosanitaires du Cèdre en France. Forêt entreprise, 174, 27-31.
- Oskay, F., Lehtijärvi, A., Doğmuş-Lehtijärvi, H.T., & Woodward, S. (2018). First report of Diplodia sapinea on Cedrus libani in Turkey. New Disease Reports, 38, 13. doi:10.5197/j.2044-0588.2018.038.013
- Piou, D., Chandelier, P., & Morelet, M. (1991). Sphaeropsis sapinea un nouveau problème sanitaire des pins en France ? Revue forestière française, XLIII(3), 203-213.
- Trouy, M.-C. (2015). Anatomie du bois - formation, fonctions et identification. Versailles : Éd. Quæ. 151 p.
- Xenopoulos, S., & Tsopelas, P. (2000). Sphaeropsis canker, a new disease of cypress in Greece. Forest Pathology, 30, 121-126. doi:10.1046/j.1439-0329.2000.00195.x
- Yamada, T., Hasegawa, E., & Miyashita, S.-I. (2003). Resinous stem canker development during the growing season of Chamaecyparis obtusa (Hinoki cypress) inoculated with pathogenic fungus Cistella japonica. Forest Pathology, 33, 181-189. doi:10.1046/j.1439-0329.2003.00322.x
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