Aménagement et gestion
Effet de la sylviculture sur les potentialités de production du Pin d'Alep (Pinus halepensis Mill.) dans l'Aurès algérien. Établissement de tables de production pour deux itinéraires sylvicoles
Résumé
L’étude menée sur 230 placettes temporaires de Pin d’Alep (Pinus halepensis Mill.) dans l’Aurès (Algérie) a pour objectif de construire deux tables de production pour deux itinéraires sylvicoles différents. Quatre classes de fertilité ont été définies avec des hauteurs dominantes à 70 ans de 19,50 m, 16,50 m, 13,50 m et 10,50 m, respectivement. Les effets de l’itinéraire sylvicole ne changent pas la production totale de bois en volume mais modifient la répartition des catégories de diamètre avec une proportion de gros bois de plus en plus élevée, ce qui permet une meilleure valorisation économique des peuplements.
Messages clés :
• Deux tables de production ont été construites pour le Pin d’Alep en Algérie.
• Ces tables intègrent deux itinéraires sylvicoles.
• Selon l’itinéraire choisi, la valorisation économique est différente.
Abstract
The study led on 230 temporary Aleppo Pine (Pinus halepensis Mill.) plots in the Aurès region (Algeria) was aimed at constructing the production charts of two different silvicultural itineraries. Four fertility classes were defined, with dominant heights of 19.5, 16.5, 13.5 and 10.50 m at 70 years of age, respectively. The effects of the silvicultural itineraries did not change the volume of total production, but modified the distribution of the diameter categories, with a greater and greater proportion of big wood allowing for better economic valorisation of the stands.
Highlights:
• Stands with favourable water conditions were most exposed to the 2003 drought.
• Decreasing stand density increased Quercus petraea resistance, recovery and resilience.
• This effect was particularly marked under the driest stand conditions.
Introduction
Le Pin d'Alep (Pinus halepensis Mill.) a une aire de répartition circumméditerranéenne qui s'étend essentiellement de la Grèce au Maghreb. C'est une essence qui revêt une importance considérable en Algérie de par la superficie qu'elle occupe. En effet, elle couvre 35 % des surfaces boisées de l'Algérie du Nord, soit environ 900 000 ha (Mezali, 2003). Considéré comme la première essence forestière algérienne, le Pin d'Alep domine par ses peuplements répartis sous forme de grands massifs sur l'ensemble du Tell algérien. Cette espèce, localisée dans la majorité des variantes bioclimatiques méditerranéennes de l'Algérie, peuplant même les zones les plus hostiles à la limite du Sahara, forme des forêts importantes avec des valeurs écologiques appréciables (Quézel, 1986). Ciancio (1986) souligne que le Pin d'Alep peut être utilement employé pour la restauration des forêts dégradées. Il paraît s'adapter à toutes les conditions écologiques, même les plus contraignantes (Brochiero et al., 1999). Au regard de sa plasticité et de ses exigences minimes quant à la disponibilité en eau et à la fertilité chimique des sols, il peut aisément tenir sa place comme essence objectif, autant en peuplement naturel que dans les opérations de reconstitution ou de conservation forestières. Malgré la sensibilité des peuplements de Pin d'Alep au feu, c'est la seule essence susceptible de reconstituer en peu de temps un couvert forestier dans les milieux les plus défavorables ou fortement dégradés. Sa valeur écologique apparaît donc dans sa capacité à coloniser les milieux les plus pauvres. Cependant, en Algérie, ses potentialités de production et son intérêt économique ne sont pas encore cernés et l'espèce n'est pas valorisée.
Dans l’Aurès, le Pin d’Alep est très commun. Il forme de beaux peuplements qui occupent de grands massifs, tels celui des Béni-Imloul avec 75 000 hectares et des Ouled-Yakoub et Béni-Oudjana avec plus de 40 000 hectares. Dans cette zone où l’espèce prédomine, ses potentialités de production seraient élevées nécessitant une sylviculture appropriée.
En plus de son rôle écologique, le Pin d'Alep possède un potentiel productif notable qui ne peut être négligé vu l'importance des surfaces occupées. Dans l'Aurès, la forêt des Béni-Imloul produit un volume de 40 000 m3 par an. Celles de Ouled-Yakoub et Bén-Oudjana peuvent produire une possibilité de plus 8 500 m3 par an (BNEF, 1984). L'accroissement moyen en volume de la pinède de Ouled-Yakoub varie de 0,5 m3/ha/an à 4,8 m3/ha/an. Le diamètre d'exploitabilité valable pour une production de bois d'œuvre est généralement supérieur à 35 cm. À Ouled-Yakoub, ce diamètre est obtenu entre 70 et 90 ans selon les sites. Il correspond à un volume sur pied de 153 à 172 m3/ha. Pour une zone de fertilité moyenne, le diamètre de 35 cm correspond à un âge d'exploitabilité de 70 ans (Bentouati & Bariteau, 2005). Les recherches sur les débouchés du bois ne sont pas nombreuses étant donné que cette essence ne jouit pas d'une excellente réputation dans l'ensemble du pourtour du bassin méditerranéen. En France, cette essence est cependant maintenant considérée à part entière comme une ressource en bois d'œuvre. En effet, le bois de Pin d'Alep est normé comme bois de construction utilisable en structure (NF B52-001-1 "avril 2018") (Fabrègue, 2020). Il est envisagé aussi que le Pin d'Alep soit dirigé vers l'industrie papetière, l'ameublement, la construction, le déroulage (contreplaqué) ou la trituration (Neveux et al., 1986 ; Daoui et al., 2007). Les résultats de Elaieb et al. (2017) indiquent que le bois de Pin d'Alep de Tunisie possède une grande stabilité dimensionnelle et une résistance élevée à la compression. À chaque classe de résistance mécanique du bois sont associées des débouchés possibles. Selon Siméoni (2020), les classes à forte résistance mécanique (C24-C18) sont destinées aux charpentes traditionnelle et industrielle et en lamellé-collé et comme ossature. Par contre, les classes à faible résistance mécanique (C14) sont orientées vers les palettes, caisseries et emballage. D'après les résultats de Montibus (2016), l'aubier de Pin d'Alep est considéré imprégnable. Le duramen quant à lui est réfractaire. La durabilité naturelle déterminée pour le Pin d'Alep appartient à la “classe 4 – peu durable”.
La mise au point de techniques d’aménagement durable et d’exploitation rationnelle de la ressource forestière doit impérativement être fondée sur la connaissance des potentialités de croissance et de production de la forêt en relation avec les conditions du milieu. Les travaux de recherche sur la productivité et la croissance du Pin d’Alep dans l’Aurès algérien sont rares. Les seules études effectuées sur cette espèce sont réalisées dans le cadre des aménagements forestiers. Ces travaux se résument au calcul du volume et à l’estimation de la possibilité. On peut citer à cet effet uniquement les tables de production établies par Franz et Forster pour les pinèdes de Béni-Imloul (Franz & Forster, 1979).
C’est dans cette optique que s’inscrit ce travail, qui constitue une continuité des études relatives à la croissance et à la sylviculture des pinèdes de l’Aurès algérien (Bentouati, 2005 ; Bentouati & Bariteau, 2005). Cette étude a pour objectif l’établissement de deux tables de production. La première tient compte de l’état observé des peuplements, la seconde est issue d’une sylviculture plus dynamique. L’intérêt porté pour les tables de production réside dans le fait qu’elles constituent un outil de gestion facile pour le forestier. Elles permettent en effet de décrire le peuplement forestier et son évolution en fonction de la sylviculture pratiquée. L’effet de celle-ci sur la production de bois de dimension appréciable a été quantifié par des modèles de distribution de tiges qui expriment la structure du peuplement. Ces modèles traduisent aussi la réaction des peuplements aux conditions de croissance et aux opérations sylvicoles pratiquées. La recherche de modèle mathématique s’ajustant à la distribution du nombre de bois par catégories de diamètre permet l’estimation de la quantité de matériel ligneux par type de produit et la simulation de scénarios sylvicoles.
Cadre d’étude et acquisition des données
Contexte géologique et climatique
Du point de vue géologique, la pinède étudiée repose sur le Crétacé supérieur (Lafitte, 1939). Le Turonien est présent sous forme d’un arc assez large qui se prolonge dans le synclinal de djebel Aurès et la vallée de Tamza au sud, avec un faciès à prédominance calcaire. Même si la région n’a pas fait l’objet d’études cartographiques exhaustives, les sols sont globalement squelettiques et de faible profondeur, inférieure à 20 cm. Sur les fortes pentes, les sols sont peu évolués et la végétation herbacée s’installe difficilement avec une érosion souvent très intense provoquant un décapage en surface des sols. La couche humifère est pauvre avec souvent un humus très peu décomposé (aiguilles de Pin, feuilles de Chêne vert et diverses espèces arbustives). Dans les replats, le sol est assez profond et la strate herbacée est très présente. La zone se caractérise aussi par des sols calcimorphes de type rendzine (Bentouati, 2005). Quant au climat, la région se caractérise globalement par un climat continental montagnard qui tire son originalité d’une part, de l’altitude responsable des conditions climatiques contrastées et d’autre part, de l’exposition qui peut influencer le régime des précipitations. Le massif est soumis dans sa partie sud à des influences sahariennes. La région est confinée dans le bioclimat semi-aride à hivers frais et froids.
La pluviométrie est en général faible et présente une grande variabilité mensuelle. La station de Bouhmama située à une altitude 1 150 mètres au piémont Sud du massif étudié reçoit moins d’eau (382 mm/an, période de référence 1970-2001) que celle de Foum El Gueis située au nord du massif qui est mieux arrosée (451 mm/an). Les versants nord sont nettement mieux arrosés que ceux situés sur l’exposition Sud et les précipitations décroissent progressivement vers le Sud. Le nombre de jours de pluie ne dépasse guère 90 jours par an. Globalement, les massifs d’Ouled Yakoub et des Béni-Oudjana évoluent dans des limites de températures moyennes annuelles allant de 13,6 à 14,9 °C. L’hiver est rigoureux comme en témoignent les moyennes mensuelles de températures. Le mois de janvier est le mois le plus froid, alors que la température des mois les plus chauds (juillet - août) dépasse les 30 °C. La station de Foum El Gueiss est légèrement moins froide (9,3 °C) que celle de Bouhmama (7,2 °C) en ce qui concerne la température moyenne du mois de janvier. L’amplitude thermique qui marque le degré de continentalité est beaucoup plus accentuée au niveau de ce secteur. Cette continentalité du climat se traduit par de fortes chaleurs alternant avec des froids rigoureux (fortes amplitudes thermiques saisonnières).
Échantillonnage des peuplements
Un dispositif aléatoire pur tel que décrit par Duplat et Perrotte (1981) a été mis en place dans la pinède d’Ouled-Yakoub, située dans le grand massif de l’Aurès (est algérien) (figure 1) dans lequel 230 placettes circulaires de 10 ares ont été installées. Les placettes retenues sont situées dans des peuplements purs, normalement denses et sans trouées. L’inventaire des placettes a concerné les mesures de circonférence à 1,30 m et de hauteur totale de tous les arbres dont le diamètre à 1,30 m était supérieur ou égal à 7 cm. L’arbre de surface terrière moyenne de chaque placette a été sondé à 50 cm du sol à l’aide de la tarière de Pressler pour estimer l’âge de la placette (supposée équienne) (tableau 1).
Figure 1 Carte de situation géographique des Aurès et de la pinède d’Ouled-Yakoub (Bentouati, 2005)
Tableau 1 Caractéristiques des variables dendrométriques mesurées et calculées (230 placettes)
La répartition de toutes les placettes par catégories de grosseur fait apparaître une distribution globale en forme de cloche (figure 2a). Par conséquent, les classes extrêmes (petits et gros diamètres) sont faiblement représentées où les classes de diamètre supérieur à 55 cm représentent moins de 2 % des placettes échantillonnées. Globalement, l’échantillonnage correspond essentiellement à des placettes appartenant aux classes de diamètre (15-45 cm), la faible représentation des classes dont le diamètre est inférieur à 15 cm et supérieur à 45 cm est due à leur faible fréquence, respectivement de 7 % et de 16 %.
La densité moyenne des peuplements est de 385 tiges/ha avec une faible proportion dépassant les 700 tiges/ha (figure 2b).
Figure 2 Répartition des 230 placettes par classe de diamètre moyen (2a) et par classe de densité (2b)
Démarche de construction de table de production
La figure 3 synthétise la démarche suivie, les modèles utilisés et les variables impliquées pour l’établissement des tables de production.
Figure 3 Démarche de construction de table de production
• Liaisons entre les variables dendrométriques (modèles)
Pour le choix des modèles, plusieurs formes d’équations mathématiques ont été testées. L’erreur quadratique moyenne (RMSE) a été retenue comme critère de choix du meilleur modèle :
Où sont respectivement les valeurs, observée et estimée et n est l’effectif de l’échantillon. La faible valeur de RMSE indique une bonne adéquation du modèle aux données expérimentales.
Croissance en hauteur dominante et classes de fertilité
La hauteur dominante à un âge donné constitue un indice de productivité encore largement utilisé. Cette loi garde un intérêt pratique, étant donné que l'écart de production observé est de l'ordre de 10 % à 15 % (Décourt, 1972b ; Rondeux, 1993). L'utilisation de l'indice de fertilité comme approximation de la productivité des peuplements repose sur l'hypothèse que la production cumulative est une fonction monotone spécifique à l'espèce (éventuellement à la région) de l'indice de fertilité. Cependant, la validité de cette notion est en partie remise en question actuellement car il a été montré que les trajectoires cumulatives “surface terrière brute – indice de fertilité” au sein de peuplements peuvent être affectées partiellement par les traitements sylvicoles (Trouvé et al., 2019) et que le climat et ses changements pouvaient aussi influencer cette productivité notamment à travers des modifications asymétriques entre croissance en hauteur et en diamètre (Bontemps et al., 2012 ; Charru et al., 2017). De telles divergences entre la façon dont la croissance radiale et en hauteur réagit aux facteurs climatiques remettent en question la capacité de la croissance en hauteur (ou hauteur à un âge donné, c'est-à-dire l'indice de fertilité) à être un indicateur fiable de la productivité du site (Skovsgaard & Vanclay, 2008 ; Bontemps & Bouriaud, 2014).
Les données expérimentales (couples Hd - âge) des placettes échantillonnées ont été ajustées mathématiquement à partir du modèle de croissance de Chapman-Richards de forme :
Avec Hd : hauteur dominante (m) ; b1 : la valeur de l’asymptote horizontale du modèle (c’est-à-dire la valeur de la hauteur dominante quand l’âge tend vers l’infini) ; b2 et b3 : les coefficients d’ajustement des courbes.
Relations dendrométriques indépendantes de l’âge et de la productivité de la station
Ces relations définissent l’état des peuplements et de leur évolution avant et après éclaircie. Pour différentes situations, plusieurs modèles ont été ajustés :
— la hauteur moyenne (Hm en m) en fonction de la hauteur dominante (Hd) : Hm = f(Hd) ;
— la circonférence moyenne quadratique (Cg en cm) en fonction de la densité du peuplement (N en nombre de tiges par ha) et de la hauteur dominante : Cg = f(N, Hd)
— le volume total (V en m3) en fonction de la densité du peuplement, de la hauteur dominante (ou la hauteur moyenne) et de la circonférence moyenne quadratique : V = f(N, Hd, Cg)
Le volume de bois fort a été calculé par le biais d’un tarif de cubage individuel. L’échantillon qui a servi au calcul de ce tarif provient des chantiers d’exploitation. Pour l’établissement de ce tarif, 350 arbres choisis parmi les arbres exploités ont fait l’objet de mesures de la hauteur totale, de la hauteur du bois fort arrêté à 7 cm, des diamètres à la souche, à 1,30 m et au milieu. Pour tous ces arbres, le volume du bois fort a été calculé par la méthode des billons successifs à partir des diamètres mesurés de 25 en 25 cm sur les deux premiers mètres et de 50 en 50 cm jusqu’à une découpe de 7 cm au fin bout. Les billons ont été cubés par la formule de Newton-Simpson sélectionnée et le volume total de l’arbre est obtenu par la sommation du volume de tous les billons qui le constituent. Le tarif de cubage individuel obtenu est le suivant :
V = 0,052 + 0,282d²Ht
avec RMSE = 2,014 m3
Le volume (V) en m3, le diamètre à 1,30 m (d) en m et la hauteur totale (Ht) en m.
Relations dendrométriques exprimant le type de sylviculture et le choix du régime d’éclaircie
Les recommandations sylvicoles résultent d’une part, des pratiques sylvicoles appliquées sur le Pin d’Alep dans la région et d’autre part, de la structure observée des peuplements étudiés. Ces relations sont définies par les rotations, l’intensité et le type ou la nature des interventions. La rotation de l’éclaircie est déterminée à partir de l’accroissement en hauteur moyenne ou en hauteur dominante. L’éclaircie est donc fixée chaque fois que la hauteur dominante aura atteint une valeur donnée. Il s’agit de définir l’évolution de la densité du peuplement en fonction de la hauteur dominante ou de la hauteur moyenne et de l’âge du peuplement :
N = f (Hd, âge)
La nature de l’éclaircie est représentée par le coefficient k défini comme le rapport du volume moyen des arbres éliminés en éclaircie au volume moyen des arbres du peuplement avant éclaircie (Décourt, 1972b ; Rondeux, 1993) :
Ce rapport caractérise la nature de l’éclaircie et indique si celle-ci est par le haut ou par le bas. Pour une éclaircie par le haut, le coefficient d’éclaircie k s’approche de la valeur 1, et dans le cas d’éclaircie par le bas, il est de l’ordre de 0,7 à 0,8 voire moins (Décourt, 1972a ; Schütz, 1990). Dans le massif des Béni-Imloul (Aurès), Franz et Forster (1979) ont pratiqué une éclaircie forte par le haut. Ce choix était justifié principalement, à cette époque, par l’âge avancé de la majeure partie de la pinède et l’état sanitaire des arbres fortement attaqués par le polypore.
La table de production offre la possibilité d’élaborer des simulations de gestion sylvicole. Rondeux (1993) estime qu’il est parfaitement possible de construire une table de production selon des sylvicultures différentes et d’établir des équations théoriques destinés à simuler le développement d’un peuplement soumis à telle ou telle éclaircie ou à préciser quantitativement l’éclaircie à effectuer pour atteindre un objectif déterminé. La production totale en volume dépend peu de l’intensité d’éclaircie ou du type de sylviculture (Zarnovican, 1986 ; Rondeux, 1993). L’objectif de celle-ci est d’aboutir à une production qualitative en termes de grosseur des tiges. Pour la sylviculture proposée dans cette étude, nous avons opté pour l’utilisation de l’indice d’espacement de Hart-Becking (Wilson, 1946), qui exprime l’espacement moyen entre les arbres en fonction de la hauteur dominante en partant du principe selon lequel l’espacement augmente avec la hauteur. Cet indice est très employé en peuplements résineux équiennes afin de servir de guide pour doser les éclaircies. L’expression suivante est utilisée pour déterminer cet indice exprimé en % :
où S est l’indice de Hart-Becking, Hd la hauteur dominante en mètres et N le nombre d’arbres par hectare. Le principe est de choisir une évolution de la densité pour garder constante la distance relative entre les arbres. Cette distance relative est exprimée en pour cent de la hauteur dominante. Quand la hauteur dominante augmente, la distance absolue entre les arbres augmente également, mais la distance relative reste constante. Un S élevé traduit une faible concurrence entre les tiges. L’indice d’espacement de Hart-Becking (S) a été calculé pour chacune des 230 placettes échantillonnées. Une relation de cet indice en fonction de l’âge de la placette (âge) et de l’indice de station à 70 ans (I0) a été ajustée : S = f (âge, I0).
Les structures en diamètre des peuplements ont fait l'objet de modélisation. De nombreuses distributions théoriques ont été utilisées pour modéliser la structure des peuplements forestiers (Bailey & Dell, 1973). Des modèles de distribution de tiges ont été établis pour les mêmes peuplements (Rabhi et al., 2021).
Présentation des résultats
Modèle de croissance en hauteur dominante et classes de fertilité
L’ajustement du modèle de Chapman-Richards aux données expérimentales a permis d’obtenir la relation suivante (équation (1), Hd en m et l’âge en année) :
(1)
La qualité de l’ajustement du faisceau expérimental est acceptable avec RMSE = 2,53 m. Le modèle établi a permis de définir quatre courbes de croissance d’amplitude égale à 3 m, correspondant à des hauteurs dominantes à 70 ans (indice de fertilité “I0”) de 10,50 m, 13,50 m, 16,50 m et 19,50 m (figure 4, p. 000). Le tableau 2 décrit les quatre classes de fertilité obtenues.
La première classe est de bonne fertilité dont l’indice de station moyen dépasse 18 m. Cette classe est constituée principalement de peuplements jeunes encore en pleine croissance dont la densité dépasse 400 tiges/ha. Les deuxième et troisième classes sont intermédiaires et sont constituées principalement de peuplements adultes. Ces deux classes représentent 70 % des peuplements inventoriés et la hauteur dominante dépasse rarement 17 m à 70 ans. La quatrième classe est de fertilité médiocre et d’âge assez élevé, son indice de fertilité moyen à 70 ans est de 10,50 m. Le volume sur pied est assez faible. Cette classe, peu représentée (16 %), comporte des peuplements peu productifs et ayant dépassé l’âge d’exploitabilité. Il est noté une absence d’exploitation régulière touchant tout le massif suivant un plan d’aménagement, les coupes constatées sont l’œuvre des populations riveraines pour le besoin des ménages (bois de chauffage et de construction).
Figure 4 Présentation de la hauteur dominante (Hd) en fonction de l’âge des peuplements de Pin d’Alep de la forêt d’Ouled-Yakoub dans l’Aurès
Les quatre classes de fertilité (10,50 m, 13,50 m, 16,50 m et 19,50 m) ont été établies à un âge de référence de 70 ans.
Tableau 2 Description des classes de fertilité établies par l’ajustement de l’équation 1
Modèles ajustés indépendants de l’âge et de la productivité de la station
Le jeu de données a permis d’ajuster les équations suivantes (2), (3) et (4) :
(2)
avec RMSE = 1,4933 m
(3)
avec RMSE = 22,4866 cm
(4)
avec RMSE = 56,4139 m3
Table de production pour l’état observé des peuplements
L’équation (5), exprimant l’évolution de la densité, a été ajustée pour établir une table de production observée.
(5)
avec RMSE = 189,2 tiges/ha.
En plus de l’équation (5), les autres relations ajustées (équations 1 à 4) permettent de simuler l’évolution des différents paramètres dendrométriques en fonction de l’âge et de calculer les différents accroissements nécessaires pour l’élaboration de la table de production observée des peuplements en place pour chacune des quatre classes de fertilité identifiées pour les peuplements de Pin d’Alep de la forêt d’Ouled-Yakoub dans l’Aurès algérien (tableau 3).
Tableau 3 Table de production pour le Pin d’Alep de la forêt d'Ouled-Yakoub dans l’Aurès algérien : état observé
Table de production pour une sylviculture proposée
L’estimation de l’indice d’espacement de Hart-Becking (S) en fonction de l’âge et de l’indice de fertilité à 70 ans (I0) a été réalisée par le modèle suivant (équation 6) :
(6)
avec RMSE = 7,9437
Par le biais de l’équation (6), le même indice d’espacement a été estimé par classe d’âge et par classe de productivité en considérant pour l’âge le centre de classe. Le tableau 4 présente les valeurs moyennes observées et les valeurs estimées de l’indice d’espacement par classes d’âge et par classes de productivité. L’écart entre les valeurs observées et celles estimées surtout pour les arbres jeunes peut être expliqué par l’utilisation du centre de classe comme variable explicative tandis que les valeurs observées représentent les moyennes de toutes les placettes par classe d’âge. Les valeurs de cet indice paraissent augmenter avec la fertilité de la station indiquant que les bonnes conditions de croissance réduisent les effets négatifs de la concurrence.
Pour choisir la valeur de l’indice d’espacement à utiliser pour doser les éclaircies à effectuer dans les peuplements de chaque classe de productivité, Sghaier et Ammari (2012) proposent de prendre en compte les points suivants :
— la densité initiale simulée à l’âge de 10 ans pour chaque classe de productivité dans le cas de la table de production observée (tableau 3) ;
— les valeurs observées et estimées de l’indice d’espacement de Hart-Becking dans les peuplements jeunes de pin d’Alep par classe de productivité (tableau 4) ;
— les travaux déjà réalisés sur cette essence (Ciancio, 1986 ; Douheret, 1992 ; Bentouati, 2005 ; Sghaier & Ammari, 2012), indiquant que la densité doit se stabiliser entre 700 et 900 tiges à l'hectare pour un âge compris entre 20 et 30 ans selon les stations. Ce choix est justifié par le fait que le Pin d'Alep est une essence de lumière qui ne permet pas une densité des peuplements très importante. Il se caractérise aussi par une croissance relativement lente. À ce propos, Chomel et al. (2016a) notent que la croissance de cette essence est de l'ordre de 2-5 m3/ha/an sur les stations les plus fréquentes dans le sud de la France. Elle peut atteindre 7 m3/ha/an sur les meilleures stations.
Tenant compte des trois points cités ci-dessus, les indices d’espacement de 38, 42 et 50 ont été appliqués à partir de l’âge de 20 ans pour les trois premières classes de productivité et pour les peuplements avant éclaircie. Quant à la dernière classe de fertilité où l’objectif de protection est privilégié, une production de bois ne peut être envisagée dans ces stations fragiles et relativement dégradées. Nous proposons de laisser évoluer naturellement les peuplements avec une attention particulière à la protection des versants et de la végétation en place. Des projets de restauration et d’amélioration par plantation sont recommandés.
Tableau 4 Répartition des valeurs moyennes observées et des valeurs estimées de l’indice d’espacement de Hart-Becking (S) par classe d’âge et par classes de productivité
La table de production pour la sylviculture proposée est construite sur la base des modèles qui ont servi à l’élaboration de la table pour l’état observé (tableau 3) à l’exception de la densité (N). L’évolution de celle-ci étant fonction de l’âge, elle a été simulée par la fonction suivante (7) qui représente l’inverse de la formule de l’indice d’espacement de Hart-Becking :
(7)
où N désigne le nombre de tiges par hectare, S indique l'indice d'espacement de Hart-Becking exprimé en pour cent de la hauteur dominante Hd. Les valeurs appliquées de l'indice S sont comme citées ci-dessus : 38, 42 et 50 pour respectivement la première, la deuxième et la troisième classe de productivité. Nous proposons pour le Pin d'Alep de l'Aurès que les coupes d'éclaircie se succèdent à une rotation de 10, voire de 15 ans lorsque les conditions de station sont mauvaises. L'intensité des éclaircies est matérialisée par la diminution du nombre de tiges à chaque éclaircie. Vu l'état stationnel dans lequel évoluent les peuplements, les éclaircies sont de faible intensité et ne doivent pas être brutales. Dans des zones moins dégradées, une intensité forte peut être préconisée. Pour la pinède étudiée, les éclaircies proposées seront sélectives et par le bas. L'itinéraire sylvicole nommé "Dynamique sans investissement" établi par Chomel et al. (2016b) pour les pinèdes du sud de la France semble plus adéquat au contexte de L'Aurès algérien. Les auteurs préconisent une première éclaircie précoce qui permet de concentrer l'accroissement sur des tiges de qualité à moindre frais, grâce à la valorisation des produits en bois d'énergie. La réalisation de trois éclaircies permet des interventions assez douces, limitant la déstabilisation du peuplement. Ce choix préconise un dépressage avec une densité-objectif de 700 à 1 600 tiges/ha dans les jeunes peuplements issus de régénération naturelle (dont la densité initiale peut atteindre 10 000 tiges/ha).
La table de production pour la sylviculture proposée est présentée dans le tableau 5.
Tableau 5 Table de production pour le Pin d’Alep de la forêt d'Ouled-Yakoub dans l’Aurès algérien : sylviculture proposée
Répartition des tiges par catégories de grosseur
Les paramètres de la distribution de Weibull (b et c) sont simulés en fonction des variables de peuplement où le diamètre moyen arithmétique ( en cm) ressort comme étant le meilleur descripteur des deux paramètres de la distribution. Pour le détail des méthodes statistiques et des tests de qualité des modèles, se reporter à Rabhi et al. (2021). Les modèles obtenus sont les suivants (8 et 9) :
(8)
avec RMSE = 1,845.
(9)
avec RMSE = 1,047.
En relation avec les tables de production construites, les modèles de répartition des tiges par catégories de grosseur ont été établis dans l’objectif d’illustrer les points suivants :
— la forme de la distribution et la répartition des tiges pour des peuplements âgés respectivement de 40, 70, 100 et 120 ans, appartenant à la première classe de fertilité (19,50 m) pour l’état observé des peuplements ;
— la comparaison de la forme de la distribution et la répartition des tiges pour les peuplements âgés de 70 ans et appartenant à la première classe de fertilité (19,50 m) pour les deux tables de production (état observé et sylviculture proposée). La même comparaison est aussi réalisée pour des peuplements âgés de 120 ans.
Le tableau 6 présente les principales caractéristiques dendrométriques des peuplements choisis et les paramètres estimés de la fonction de densité de probabilité (FDP) de la distribution de Weibull (équations 8 et 9).
Tableau 6 Principales variables dendrométriques des peuplements et paramètres estimés de la fonction de densité de probabilité (FDP) de Weibull
La figure 5a, présentant l’évolution de la structure en fonction de l’âge, affiche une tendance à droite du faite d’un gain en grosseur avec l’âge. L’aplatissement des distributions avec l’âge renseigne sur une baisse progressive des effectifs d’arbres. De ce fait, l’évolution des structures avec l’âge obéit au schéma théorique qui prévoit une baisse des effectifs et un aplatissement des structures avec l’âge (Lanier, 1986). Durant la vie d’un peuplement, l’évolution du nombre de bois par catégories de grosseur donne lieu à un ensemble de courbes dissymétriques, celles-ci étant souvent à gauche pour les jeunes peuplements pour devenir en principe à droite aux âges avancés (Rondeux, 1993).
L’objectif étant de montrer l’effet du type de sylviculture sur l’évolution de la forme de distribution, la figure 5b montre des différences de structure des peuplements de même âge subissant deux modèles de sylviculture différents (état observé et sylviculture proposée). Il en ressort essentiellement que la distribution des tiges par catégories de diamètre d’un peuplement âgé de 120 ans laissé évoluer naturellement (état observé) se rapproche d’un peuplement beaucoup plus jeune (70 ans) mais en appliquant une sylviculture plus dynamique (proposée).
Figure 5a Évolution avec l’âge de la forme de la distribution des tiges des peuplements appartenant à la classe de productivité 19,50 m, cas de l’état observé des peuplements
Figure 5b Effet du modèle de sylviculture observée ou proposée (Obs, Prop) sur la forme de la distribution des tiges des peuplements de même âge (70 et 120 ans) appartenant à la classe de productivité 19,50 m
Figure 5c Proportions des tiges par catégories de grosseur pour deux peuplements qui ont atteint l’âge d’exploitation (70 ans), appartenant à la classe de fertilité 19,50 m pour les deux types de sylviculture : l’état observé (70-I-Obs) et sylviculture proposée (70-I-Prop)
Discussion
Productivité du Pin d’Alep
Les relations de hauteur dominante en fonction de l’âge ont permis d’obtenir quatre classes de fertilité pour lesquelles deux tables de production ont été construites. La table de production pour l’état réel observé tient compte de l’évolution naturelle (sans interventions) des peuplements. Celle pour la sylviculture proposée est basée sur un dosage des éclaircies par l’application de l’indice d’espacement de Hart-Becking. Souvent, le sylviculteur fixe la durée de rotation et le rapport d’éclaircie, de ce fait, d’autres tables de production peuvent être établies selon le type de conduite des peuplements choisi. Le tableau 5 montre, pour une sylviculture proposée, un accroissement annuel moyen (AAM) maximal de 7,1 m3/an/ha à 70 ans pour la première classe de productivité. Il descend à 3,2 m3/an/ha pour la troisième classe de fertilité. Pour la table de production observée (tableau 3), l’AAM varie de 7,3 m3/an/ha (1re classe de fertilité) à 3,3 m3/an/ha (3e classe de fertilité) au même âge. Les peuplements de première classe de fertilité représentent 13 % de l’échantillon total. Ceux de la deuxième et troisième classe de fertilité sont dominants avec 70 % des peuplements échantillonnés. Ceux-ci montrent, en moyenne, un AAM de 4,2 m3/an/ha.
Les capacités de production des forêts naturelles de Pin d'Alep en Afrique du Nord sont relativement faibles, de 0,5 à 4 m3/ha/an (Boudy, 1950 ; Soulères, 1975 ; Franz & Forster, 1979 ; Chakroun, 1986). En France, Pardé (1957) rapporte une production de 4 m3/an/ha sur des stations de fertilité exceptionnelle à un âge de 75 ans. Mais, en général les forestiers admettent pour les stations les plus favorables, une productivité moyenne du Pin d'Alep de 2 à 5 m3/ha/an (Bedel, 1986 ; Chomel et al., 2016a). Montero et al. (2001) notent un AAM de 3,6 m3/an/ha pour des pinèdes de bonne fertilité et fortement éclaircies en Espagne. Il est presque similaire (3,1 m3/an/ha) en Tunisie (Sghaier & Ammari, 2012). Dans le même environnement géographique (Bélezma, Aurès), les potentialités de production du Cèdre de l'Atlas sont comparables à celles de l'essence étudiée. Bentouati et Oudjehih (1999) signalent pour le Cèdre de l'Atlas un accroissement annuel moyen de 4,1 m3/an/ha dans les bonnes stations où l'altitude et le substrat sont cités parmi les facteurs déterminant sa croissance. En effet, c'est en haute altitude (supérieure à 1 700 m) sur grès ou sur calcaire dolomitique que les meilleurs accroissements sont notés pour le Cèdre de l'Atlas. Quant au Pin d'Alep, les rendements faibles sont la conséquence des conditions stationnelles souvent difficiles dans lesquelles évolue cette espèce. Par exemple, en Provence calcaire (France), la croissance en hauteur du Pin d'Alep est conditionnée en premier lieu par le bilan hydrique stationnel, comme c'est le cas pour beaucoup d'essences en région méditerranéenne (Vennetier et al., 1999). Le maximum de l'accroissement annuel moyen correspond à l'âge utilisé pour fixer la révolution. Ce repère est atteint à 70 ans pour toutes les classes de fertilité et pour les deux modèles de sylviculture. À partir d'un certain âge, la vigueur du Pin d'Alep diminue et le rythme de croissance en hauteur commence à ralentir (Nicault et al., 2001). Dans les pays méditerranéens de la rive nord, la croissance du Pin d'Alep ralentit à partir de 80 ans (Bedel, 1986). Douheret (1992) estime que la mise en exploitation des peuplements de Pin d'Alep devrait être entamée avant 80 ans pour permettre une régénération naturelle convenable.
Itinéraires sylvicoles et productivité du Pin d’Alep
Le type de sylviculture ne semble pas avoir une influence sur le volume total du bois. L’effet apparaît plus clair sur la grosseur des tiges. L’évolution de la circonférence quadratique (Cg) avec l’âge montre un écart important en faveur de la sylviculture proposée et ce pour les trois classes de fertilité (figure 6). Donc, si la sylviculture proposée n’améliore pas la production de bois en volume, c’est dans le type de bois (catégories de grosseur) qu’apparaît l’effet positif de ce modèle de sylviculture. La figure 5c montre la présence d’effectifs plus élevés pour les gros bois. La figure 6 montre que la production totale en volume d’un peuplement est presque la même quel que soit le type de sylviculture, celle-ci aura un effet sur les dimensions des tiges. À titre indicatif, une circonférence quadratique de 161 cm est atteinte à 70 ans par les peuplements de 1re classe de fertilité sous une sylviculture proposée (tableau 5) alors que cette performance n’est obtenue qu’à l’âge de 85 ans dans le cas des peuplements laissés sans intervention. En évoluant dans des peuplements relativement denses, les tiges de faible grosseur obtenues dans ces peuplements ont subi une forte compétition. La faible diminution de la densité avec l’âge est le résultat de la mortalité naturelle et de quelques coupes sporadiques. Dans ces conditions, la densité est de l’ordre de 400 tiges/ha à 50 ans pour la 1re classe de fertilité (tableau 3). La conduite des peuplements consiste à bien gérer l’espacement entre les arbres de sorte qu’un dosage adéquat des éclaircies permet de contrôler le phénomène de la compétition et d’assurer les meilleures conditions à l’évolution des arbres (figure 7). Cela se traduit par une amélioration qualitative du produit final avec des tiges de gros diamètre, donc de valeur économique plus élevée.
Figure 6 Évolution de la circonférence (Cg) et du volume total (Vt) du Pin d’Alep dans les trois premières classes de productivité pour l’état observé et la sylviculture proposée
Figure 7 Évolution du nombre de tiges en fonction de l’âge (avant et après éclaircie) pour les trois classes de fertilité (I, II et III) et pour les deux modèles de sylviculture (observée “Obs” et proposée “Prop”)
Sylviculture et résistance des peuplements de Pin d’Alep
L’éclaircie joue un rôle sanitaire. C’est la meilleure mesure préventive et curative vis-à-vis des diverses invasions parasitaires. Elle augmente la résistance des peuplements au vent et à la neige (renforcement des empattements). Il y a cependant une brève période critique qui suit immédiatement une intervention relativement forte. L’intensité de l’éclaircie règle l’afflux de la lumière diffuse et de la lumière totale. Elle régit la répartition de la chaleur dans l’atmosphère forestière, dans la litière et dans le sol, ce qui influe sur le développement qualitatif et quantitatif de la flore muscinale et herbacée ainsi que celui de la pédofaune (Boudru, 1989). Plus particulièrement pour les pinèdes de la région méditerranéenne française, Helluy (2020) remarque qu’un sous-bois arbustif relativement dense avait pu se développer sur les placettes éclaircies. L’auteure a pu montrer que si la réduction de la densité des peuplements de Pin d’Alep avait conduit à une amélioration de la teneur en eau du sol, le développement du sous-bois avait, lui, conduit à une réduction de la teneur en eau du sol. En effet, si la canopée jouait le rôle de tampon sur certains facteurs microclimatiques, lorsque la couverture forestière est légère c’est le sous-bois plus développé qui prenait alors ce rôle de tampon. La diminution de la densité de Pin d’Alep conduit en général à une augmentation de la teneur en eau du sol, du déficit de pression de vapeur, de la température de l’air et de la disponibilité en lumière ; cependant l’effet de la strate arbustive sur ces variables dépend d’une part de la densité de Pin d’Alep, mais aussi d’autres paramètres comme les caractéristiques du sol, des espèces composant le sous-bois et enfin du climat.
La sylviculture est liée aux essences que l’on cultive, aux objectifs que l’on poursuit et aux conditions écologiques locales. Le Pin d’Alep colonise des zones de montagne souvent difficiles, caractérisées par de fortes pentes, des sols fragiles et, globalement, une hétérogénéité du milieu rendant compliquée la gestion sylvicole. Celle-ci devrait prendre en compte plusieurs contraintes pour permettre une gestion durable et une pérennité des peuplements. Lorsque l’objectif de protection est plus prépondérant, les interventions sylvicoles doivent être prudentes et sélectives, c’est-à-dire l’âge d’exploitabilité et les éclaircies à effectuer doivent être adaptés aux stations et aux peuplements rencontrés. La sensibilité au risque d’incendie est parmi les contraintes auxquelles la pinède en région méditerranéenne est confrontée. Il est admis que l’incendie se développe d’autant plus facilement que l’enchevêtrement des troncs, tiges, branches, rameaux et feuilles est dense, que les combustibles des diverses catégories sont assez régulièrement distribués du sol aux cimes des arbres (Delabraze, 1986 in Lanier, 1986). La nature et l’importance de la continuité dans cette masse de végétaux conditionnent la vitesse de l’incendie. Des interventions sylvicoles appropriées accélèrent l’évolution des peuplements chaque fois que les réactions de la végétation à ces opérations ne modifient pas rapidement et défavorablement la sensibilité aux incendies (par exemple, un développement important de la strate herbacée suite à une ouverture du peuplement par éclaircie). La fermeture rapide du peuplement assure, d’une part, une bonne couverture du sol, ce dernier une fois adulte devient dominant et compétitif vis-à-vis des strates inférieures. D’autre part, la rareté des bois morts et des débris végétaux dans des peuplements bien éclaircis réduit fortement leur inflammabilité. Dans de telles situations, il est recommandé le maintien d’une densité suffisante pour freiner la reconstitution rapide du sous-bois dans les stations peu productives en conservant un âge d’exploitabilité plus avancé. Toutefois, l’abaissement de l’âge d’exploitabilité sur les stations productives, sans sacrifice sur les dimensions et les volumes à la récolte, pourrait sauver la pinède d’un feu certain par simple réduction du temps d’exposition.
Les effets du changement climatique qui, a priori, s'ajoutent aux nombreuses contraintes conditionnant l'évolution des pinèdes méditerranéennes, deviennent un facteur d'accélération de la croissance dans la rive nord. La croissance du Pin d'Alep s'est accélérée au cours du XXe siècle, indépendamment de l'altitude et du bilan hydrique stationnel (Vennetier et al., 1999). Vennetier et al. (2010) ont souligné que le réchauffement du climat à pluie constante est sans doute un des facteurs déterminant cette accélération puisque le froid reste un facteur limitant la croissance du Pin d'Alep. L'allongement de la saison de végétation — près de 15 jours sur les dernières décennies (Morin & Chuine, 2007) — permet un démarrage plus précoce de la croissance, au moment où l'eau est abondante, et un polycyclisme tardif prolongeant la croissance en hauteur jusqu'en début d'hiver (Girard et al., 2011). Le changement climatique attendu au XXIe siècle pourrait changer l'équilibre de ces facteurs. La simulation de l'accroissement du Pin d'Alep pour la deuxième moitié du XXIe siècle aboutit à une forte réduction. Le scénario le plus pessimiste du changement climatique (augmentation plus rapide des températures et sécheresses répétées) aura comme conséquence un effondrement de la productivité de l'espèce (Vennetier et al., 1999). Dans le contexte actuel, le Pin d'Alep y est dans la partie supérieure de son aire globale de répartition (France). Les pires conditions de chaleur et de sécheresse qu'il y trouve sont loin de ses limites potentielles qui sont proches au Maghreb de 350 mm/an et sept mois de saison sèche avec des températures moyennes annuelles de plus de 19 °C.
Conclusion
L’objectif de la présente étude était d’établir deux tables de production pour deux types de sylviculture. La table de production observée rend compte de l’évolution naturelle des peuplements sans interventions prédéfinies, la diminution du nombre de tiges étant essentiellement due à la sélection naturelle et à la compétition. La sylviculture proposée, plus dynamique et plus ambitieuse, prend en compte les phénomènes de compétition en limitant leur conséquence négative sur la croissance. Le contrôle de la concurrence avait un effet notable sur la qualité des bois obtenus à la récolte dans la mesure où la circonférence dépasse 160 cm pour un peuplement de première classe de fertilité dans le cas de la sylviculture proposée. Les modèles de distribution (structure en diamètre) obtenus ont permis de mieux quantifier et simuler la répartition des tiges par catégories de grosseur en relation, d’une part avec les caractéristiques des peuplements et, d’autre part, avec le type de sylviculture. Ces modèles mathématiques et tableaux détaillés, par le biais des résultats chiffrés qu’ils présentent, proposent un outil de gestion forestière indispensable pour une meilleure planification des opérations sylvicoles. Il fournit donc un moyen pour le forestier pour connaître son matériel ligneux avec le degré de précision requis dans un contexte climato-écologique nécessitant de la prudence dans l’action sylvicole pour maintenir l’équilibre et la durabilité de la ressource forestière.
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