Droit forestier
Incendies de forêts : obtenir réparation des préjudices subis
Résumé
Les incendies très importants de forêts de l’été 2022 questionnent sur les responsabilités pénales ou civiles des auteurs de ces faits dans le cadre d’incendies criminels ou accidentels mais également sur les possibilités d’indemnisation des propriétaires dont le bien a été détruit. Cet article aborde d’une façon exhaustive le cadre législatif complexe de la réparation des préjudices subis par les propriétaires de forêts. Les définitions de l’action publique et de l’action civile sont rappelées. Selon les différentes origines des incendies, les différents régimes de réparation sont présentés, ainsi que les cas de jurisprudence
Messages clés :
• La réparation des préjudices subis après un incendie peut faire appel à des actions publique (droit pénal et punition) ou civile (responsabilité sans punition).
• Les réparations dépendent des origines des incendies (naturelles, accidentelles par l’homme ou volontaires).
• Les procédures et les recherches de preuve sont souvent très complexes.
• Les possibilités d’indemnisation des propriétaires en cas d’incendies criminels sont quasiment nulles.
Abstract
The severe forest wildfires of the summer of 2022 question about the penal or civil liability of the persons at the origin of the fires within the framework of criminal or unintentional fires, but also about the possibilities for the owners whose possessions have been destroyed to get financial compensation. The present article exhaustively presents the complex legal framework of compensations for the harm endured by forest owners. The definitions of public action and civil action are provided. The different compensation regimes are presented depending on the different origins of the wildfires, together with legal precedents.
Highlights:
• Compensation for damages following a wildfire can be based on public actions (penal law + punishment) or civil ones (liability, no punishment).
• Compensations depend on the origins of the wildfires (natural, accidental of human origin, or intentional).
• Procedures and search for evidence are often highly complex.
• The possibilities for owners to get financial compensation in the case of criminal wildfires are almost nil.
Introduction
Suite aux terribles incendies de cet été 2022 qui ont si durement touché les forêts françaises, notamment en Gironde, mais aussi en Bretagne, Anjou, Franche-Comté, etc., il paraît important de faire un point sur les divers fondements juridiques permettant aux propriétaires forestiers de chercher à obtenir réparation de leurs préjudices.
Action publique et action civile
Avant toute chose on rappellera la différence essentielle qui existe entre les poursuites pénales (action publique) et les instances civiles (action civile).
L'action publique
Le droit pénal n'a d'autre objet que de punir l'auteur d'un fait qui a provoqué, par son imprudence ou intentionnellement, une atteinte aux biens ou aux personnes, causant ainsi un trouble à l'ordre public constitutif d'une infraction pénale. C'est le Ministère public (Parquet, Procureur de la République), représentant la Société, qui, par le biais de l'action publique, réclame cette punition. Le Parquet décide d'ouvrir une action publique soit de sa propre initiative sur la base d'informations qu'il a reçues (constat d'infraction dressé par un service de police, dénonciation) ou sur la base d'une plainte de la victime. Dans les affaires graves, un juge d'instruction est chargé de diligenter une information judiciaire.
Bien évidemment les peines encourues (notamment amende et emprisonnement) n'ont de sens et d'utilité que si elles sont prononcées à l'encontre du coupable. En conséquence, sauf exception très rare
L'action civile
Au titre de la responsabilité civile, étrangère à toute idée de punition, l'auteur d’un dommage causé à autrui est tenu de réparer l’intégralité des préjudices résultant du dommage. Le principe de réparation implique une logique exactement contraire au principe de punition : il est de l'intérêt même de la victime de pouvoir s'adresser à une personne solvable pour obtenir l'indemnisation de son préjudice.
Aussi, là où la loi pénale exige la personnalité des peines, la loi civile prévoit a contrario :
— la possibilité de bénéficier d'une garantie par le biais notamment de contrats d'assurance ou de cautionnement ;
— des cas de responsabilité pour le fait d'autrui : parents pour leurs enfants mineurs, commettants et employeurs à raison des fautes de leurs préposés
— des cas de responsabilité solidaire en cas de pluralité de personnes ayant contribué à la survenance du dommage. La responsabilité solidaire ne se présume pas, elle doit être prévue par la loi ou par un contrat (article 1310 c. civil).
Au début du XXe siècle, les tribunaux ont voulu compléter le régime de solidarité en créant (jurisprudence) le régime de responsabilité in solidum, le juge civil considérant que « chacun des coauteurs d’un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l’entier dommage, chacune des fautes ayant concouru à le causer tout entier » (Cass. Req. 4 décembre 1939). Une solution identique fut adoptée peu après en matière de responsabilité du fait des choses, lorsque plusieurs personnes se partagent la garde d'une même chose, instrument du dommage (Cass. civ. 29 nov. 1948).
Pour contribuer à améliorer la situation des victimes d'infractions, la loi leur permet de saisir à leur gré le juge pénal (se porter partie civile), ou le juge civil (action civile en réparation). Si, pour l'action publique, l'existence d'une faute constitutive d'une infraction prévue et réprimée par la loi est impérative pour envisager la condamnation de la personne poursuivie, la partie civile peut invoquer devant le juge pénal
Nota : en droit public administratif, notamment en cas de dommages causés lors de travaux publics, ou du fait du dysfonctionnement d'un ouvrage public, il existe un régime d'indemnisation spécifique (Théorie des dommages de travaux publics) régi par des règles qui lui sont propres et réservé à la seule compétence des tribunaux administratifs. Nous ne pouvons nous attarder dans le présent article sur ce volet particulier des actions en réparation.
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Ce rappel étant fait, nous pouvons aborder les divers régimes de réparation en matière de responsabilité civile. Nous distinguerons entre les incendies d'origine naturelle ou accidentelle et ceux nés d'une imprudence ou causés intentionnellement. Enfin nous aborderons très brièvement le cas de la faute de la victime susceptible de nuire à la réparation de son préjudice. Ne seront pas traités ici le sujet très spécifique de l'assurance dommages
Incendies survenus en l'absence de tout feu allumé par l'homme
L'incendie d'origine naturelle : la foudre
Dans une telle circonstance, il n'existe aucune personne responsable contre qui se retourner tant pénalement que civilement.
L'incendie provoqué par mise à feu accidentelle
On entend par incendie né d'un fait accidentel toute situation où la mise à feu est intervenue de manière soudaine et inopinée soit à l’occasion d’une activité humaine (conduite d'un véhicule, utilisation d'un outil, exécution d'un chantier) soit du seul fait du fonctionnement d'un appareil. Les cas les plus fréquents sont ceux où le feu résulte :
— d'un court-circuit dans un équipement électrique (transformateur, ligne électrique) ;
— de l'embrasement soudain d'un moteur à essence (véhicule, débroussailleuse, etc.) ;
— d'étincelles survenant lors du heurt d'une pierre par un matériel opérant dans un espace agricole (socs d'une charrue) ou forestier (gyrobroyeur) ;
— d'un jet d'étincelles provoquées par un outil meulant ou découpant une pièce métallique.
Dans tous ces exemples, aucune personne n'a voulu la mise à feu. On est confronté à un phénomène exclusivement technique (réaction physique). Dès lors, aucune poursuite pénale pour délit d'incendie par imprudence ne peut être envisagée
La demande d'indemnisation peut se fonder sur l'existence d'une faute (articles 1240 et 1241 c. civil, anciens articles 1382 et 1383), soit sur la responsabilité sans faute du gardien de la chose ayant provoqué l'incendie (1er alinéa article 1242 c. civil, ancien article 1384).
La responsabilité sans faute du gardien d'une chose, sera examinée au § “Incendie imputable à un feu dont la responsabilité…”.
Quant à la responsabilité pour faute, rappelons que nous sommes ici en matière d'incendie accidentel, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu allumage d'un feu, mais une mise à feu inopinée et soudaine extérieure à toute volonté humaine.
• Dans ce contexte, la preuve de l'existence d'une faute est parfois délicate. Déjà, au plan pénal, les tribunaux répressifs refusent de retenir le délit d'incendie involontaire lorsque, à l'issue d'une expertise et d'une contre-expertise, il s'avère impossible d'établir de manière certaine la cause de l'incendie, donc l'existence d'une quelconque faute (Cass. Ch. crim. 23 novembre 2005 n° 04-87.749 inédit). Or ce qui est vrai au pénal l'est aussi, dans une certaine mesure, au civil
Pourrait-on véritablement considérer qu'une personne qui découpe une barre métallique dans un terrain privé commet une faute du fait que des étincelles jaillissent et enflamment des herbes sèches ? Peut-être pourrait-on établir plus solidement la faute d'un professionnel censé bien connaître les effets de l'utilisation de son outil, mais quid à propos d'un particulier utilisant ce type d'appareil ? Pourrait-on exiger de lui qu'il soit à la fois capable de prévoir l'importance de la gerbe d'étincelles et sa force de projection, c'est-à-dire à quelle distance les étincelles vont être projetées ? Aurait-il dû s'interroger au préalable sur le degré de sécheresse de la végétation, la force et la direction du vent, alors même qu'il n'entendait pas allumer un feu mais simplement découper une pièce métallique dans son jardin ?
On a ainsi vu dans le passé la Cour de cassation censurer des décisions de justice, lors d'incendies de forêt qui sont survenus à l'occasion du passage de tracteurs agricoles dans des massifs forestiers (Bordeaux 26 avril 1965 cassé par Cass. crim. 22 mars 1966 n° 65-92.481. Bull. crim. n° 105 p. 231 et D 1966. 416 ; Cass. 2e civ. 31 janvier 1980 n° 78-14.719. Bull. civ II n° 22).
• Depuis deux évolutions majeures sont intervenues de nature à faciliter la réparation des préjudices nés lors d'incendies de forêt causés de manière accidentelle.
. D'une part, la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dite “loi Badinter”, visant à faciliter l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation provoqués par des véhicules terrestres à moteur (sauf véhicule roulant sur des rails), a instauré un principe d'indemnisation des victimes en dehors de toute recherche de faute. En matière de dommages matériels, la faute de la victime peut toutefois réduire ou anéantir le montant des indemnités dues (article 5 de la loi précitée). Les tribunaux ont donné à cette loi une application très large, de manière à faciliter au maximum l'indemnisation des victimes. À peine 5 ans après la publication de la loi Badinter, une cour d'appel a considéré comme accident de la circulation l'incendie d'un bâtiment d'exploitation agricole provoqué par l'embrasement soudain d'un tracteur et sa remorque de paille en train de se garer dans la cour de ferme, décision qui fut validée par la Cour suprême (Cassation 2e civ. 5 juin 1991 n° 90-12.314 Bull 1991 II n° 171 p. 93)
Cet arrêt était d'une extrême importance s'agissant d'un engin agricole situé dans un espace privé en dehors d'une voie ouverte à la circulation publique, l’incendie étant qualifié d'accident de la circulation. Sur la base de cet arrêt, on vit rapidement s'étendre aux bois et forêts le régime des accidents de la circulation lors d'incendies provoqués accidentellement par l'embrasement inexpliqué de tracteurs forestiers, engins de débardage, etc. (Cass. 2e civ. 8 novembre 1995 n° 94-10.944, D 1996 Jur p. 164 note Jourdain ; Grenoble 10 novembre 1997 ONF c/ Société S. et autres, confirmé par Cassation 2e Ch. civ. 7 octobre 1999 n° 98-10.948 inédit). Les compagnies d'assurance tentèrent un temps, en vain, de lutter contre cette évolution du droit. Aujourd'hui, le débat est clos en ce qui concerne le principe d'indemnisation. Seule l'estimation des préjudices porte toujours à discussion, nécessitant la saisine des tribunaux de manière à faire fixer le montant des réparations par un expert judiciaire.
. D'autre part, lors de la réécriture du Code forestier en 2012 (Ordonnance n° 2012-92 du 26 janvier 2012), l'article réprimant le délit d'incendie de forêt par imprudence (actuel article L 163-4) a été enrichi par une disposition totalement novatrice réprimant l'incendie involontaire provoqué par l'utilisation à moins de 200 mètres de la forêt d'autrui de « tout engin ou appareil générant des matières inflammables ou de fortes chaleurs ». C'est-à-dire qu'au plan pénal, on est passé :
— de la seule hypothèse de l'intervention indiscutable d'une personne consciente d'allumer ou apporter un feu à moins de 200 m d'une forêt ;
— à l'utilisation et au fonctionnement d'un engin qui génère des matières inflammables (étincelles) ou produit une forte chaleur. Situation où aucune personne n'avait l'intention d'allumer ou apporter un feu.
Cette évolution qu'on peut qualifier de révolutionnaire semble être directement inspirée par un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui avait considéré qu'un particulier ayant laissé son terrain en friche en violation de son obligation de débroussaillement, s'était rendu coupable du délit d'incendie par imprudence en ayant installé en été sans aucune précaution dans une végétation abondante et sèche un groupe électrogène qu'il avait fait fonctionner des heures durant, la forte chaleur dégagée par le pot d'échappement provoquant au final l'embrasement des broussailles, le feu se communiquant à une forêt voisine
Même si cette disposition s'inscrit dans un texte répressif, elle devrait avoir un impact certain sur les actions civiles en réparation. Les propriétaires forestiers victimes d'un incendie involontaire disposent désormais, sur la base de l'article L 163-4 CF, d'un élément de droit pour faire déclarer fautif l'usage de tout outil générant des matières inflammables ou de tout appareil produisant de la chaleur dans un espace manifestement susceptible de s'embraser dans ou à proximité d'une forêt.
La personne à l'origine de l'incendie accidentel doit normalement être assurée pour sa responsabilité civile personnelle familiale (particulier), ou professionnelle (entrepreneur). Il y a donc ici une forte garantie de solvabilité du débiteur.
Incendies causés par l'allumage ou l'apport d'un feu
Nous abordons ici l'hypothèse de l'incendie provoqué par un feu allumé volontairement soit dans un but légitime sans aucune intention de nuire (§ “L’incendie involontaire”), soit avec un esprit criminel, dans le but avéré de nuire à autrui (§ “Incendie imputable au feu”).
L'incendie involontaire
• Incendie résultant d'une faute
On pensera surtout ici aux brûlages de chaumes effectués par des agriculteurs, de rémanents par des bûcherons après exploitation d'une coupe, de végétaux ou de vieux papiers par des particuliers dans leurs jardins, de même qu'à des barbecues allumés dans un jardin ou même en forêt par des randonneurs, à des enfants jouant avec des allumettes, etc.
. La faute doit être démontrée. Elle ne se présume pas. Ainsi, on ne saurait imputer une faute à un entrepreneur de travaux forestiers au seul motif qu'il emploie un salarié fumeur pour travailler en forêt (Cass. 1re civ. 18 octobre 1960 n° 58-10.980). La faute ne pourrait sérieusement être établie qu'en examinant les conditions dans lesquelles le salarié a pu fumer lors d'un chantier en forêt : Aurait-il violé une réglementation DFCI ou une obligation contractuelle imposée à l'employeur par son donneur d'ordre (propriétaire forestier) et qui stipulait qu'il devait interdire à ses salariés de fumer à l'intérieur des parcelles, leur imposant de fumer sur les voies forestières, hors végétation.
En général, la preuve est assez aisée à apporter lorsque le feu a été allumé en forêt ou à moins de 200 m d'une forêt par une personne qui n'est ni propriétaire du terrain où il a allumé le feu, ni été autorisé par le propriétaire de ce terrain. Un tel feu constitue en effet une violation flagrante de l'article L 131-1 CF. De même, la faute peut être aisément établie à l'encontre de tous ceux qui violent les interdictions spécifiquement édictées en matière de défense des forêts contre l'incendie par un arrêté préfectoral sur le fondement des articles L 131-6 et R 131-2 à R 131-4 CF. S'agissant des feux de végétaux, rémanents, matériaux combustibles (morceaux de planches, vieux papiers, etc.), trois étapes sont à prendre en compte dans la démonstration de l'existence d'une faute :
— Avant l'allumage du feu, la personne a-t-elle vérifié, au plan juridique, si une réglementation ne s'oppose pas à un tel feu au titre de la défense des forêts contre l'incendie (notamment art R 131-2 à R 131-4 CF) et, au plan technique, s'est-elle assurée de l'existence de conditions aggravant le risque d'incendie (sécheresse, forte chaleur, importance et direction du vent) ?
— Durant le brûlage, quelles précautions avaient été prises, telles notamment la nature du terrain où allumer le feu (terre nue, végétation abondante...), la présence d'un tuyau d'arrosage branchée apporté à proximité du foyer, et surtout quelqu'un est-il resté en permanence à côté du feu ? A-t-il été tenu compte d'un changement des conditions météorologiques : le vent se renforce, apparition de bourrasques soudaines ?
— Quand il a été décidé d'abandonner les lieux, s'est-on assuré que le feu était totalement éteint, sachant que le fait de jeter quelques pelletées de terre sur des souches en pleine combustion ne constitue pas une précaution suffisante (Cass. crim. 13 juillet 1967 n° 66-93.390).
Voilà autant de circonstances qui méritent d'être examinées de manière à exposer de manière claire et méthodique l'ensemble des négligences qui ont pu être commises lors de ce genre de brûlage.
. La véritable difficulté réside moins dans la preuve de la faute que dans l'identification du fautif. S'il est assez facile de retrouver l'auteur d'un brûlage de végétaux ou de vieux papiers dans un jardin, il est en revanche très difficile d'identifier ceux qui ont fumé en se promenant en forêt. Non seulement les fumeurs n'ont pas conscience d'apporter un feu en forêt, violant ainsi l'interdiction générale de l'article L 131-1 CF, mais de surcroît ils n'ont même pas l'idée de l'imprudence commise lorsqu'ils jettent "négligemment" leurs mégots au sol sans l'éteindre
. Responsabilité du fait d'autrui et responsabilité solidaire. Par un très important arrêt pris en Assemblée plénière, la Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour d'appel de Limoges qui déclarait un établissement d'accueil d'handicapés mentaux responsable civilement de l'incendie d'une forêt privée allumé par un des patients confiés à cet établissement (Cass. Ass. Plen. 29 mars 1991 n° 89-15.231).
Lorsque le feu a été allumé dans le cadre d'un chantier, il y a souvent pluralité d'intervenants. L'entrepreneur principal peut recourir à un sous-traitant qui lui-même peut sous-sous-traiter avec une autre entreprise, laquelle fera intervenir ses salariés, voire des travailleurs non déclarés (préposés). Cette pluralité d'intervenants est fréquente lors d'exploitation de coupes de bois vendues sur pied, l'incendie survenant lors du brûlage des rémanents. C'est ici que les principes de solidarité et de responsabilité in solidum prennent toute leur importance. La condamnation solidaire (prévue au contrat de vente de bois
. Si la reconnaissance d'une faute au plan pénal implique l'existence d'une faute au plan civil (Cass. crim. 5 décembre 2017 n° 17-80.688), l'absence de faute au pénal n'interdit pas au juge civil de retenir l'existence d'une faute. Par exemple si le feu a été allumé au-delà des 200 mètres prévues par l'article L 163-4 CF, toutes les conditions ne sont pas réunies pour établir le délit d'imprudence, ce qui ne retire rien à l'engagement de la responsabilité civile en cas de faute d'imprudence.
• Incendie imputable à un feu dont la responsabilité incombe de plein droit à son gardien (responsabilité sans faute)
Le premier alinéa de l'article 1242 c. civil (ancien 1384) est d'une généralité absolue (Cass. Req. 6 mars 1928 D 1928.1.97 note Josserand). Le terme "chose" désigne ainsi tant des biens mobiliers qu'immobiliers, un objet matériel (arbre, tuile, barrière) qu'un feu.
. La définition du gardien est une question de fait et non de droit (propriété, location...). Il résulte de la jurisprudence que le gardien est celui qui a l'usage et le contrôle effectifs de la chose et qui en assure la direction. Lorsqu'une personne rassemble les matériaux à brûler, y dirige la flamme de son briquet, regroupe à certains moments les braises avec un râteau, rajoute d'autres matériaux à brûler, elle se comporte indiscutablement en gardien de ce foyer.
. Un feu allumé pour brûler divers combustibles sous le contrôle de son gardien n'est pas un incendie (Cass. 2e civ. 17 décembre 1970 n° 69-12.780. Bull. civ. II n° 532). En conséquence, c'est en vain qu'une compagnie d'assurance reproche, sur le fondement du 2e alinéa de l'article 1242 c. civil, à la victime de n’avoir pas prouvé la faute de son assuré alors que celui-ci procédait dans la propriété voisine à un important brûlage de végétaux, ce qui ne saurait être qualifié d'incendie. En revanche, lorsqu'un incendie se propage d'une propriété à une autre, les propriétaires des forêts sinistrées ne peuvent pas valablement rechercher, sur le fondement de la garde, la responsabilité civile du propriétaire de la première forêt d'où le feu est venu, la faute constitue le seul fondement recevable dans cette circonstance, conformément au 2e alinéa de l'article 1242 précité.
. Il arrive qu'une même chose puisse avoir plusieurs gardiens. On rejoint ici les cas de responsabilité solidaire (prévue par un contrat) ou in solidum (décision du juge à la demande de la victime). Dans ce genre de situation, le juge se livre à un examen très attentif du rôle de chacune des personnes ayant participé à la survenance du sinistre. Ainsi, lorsque deux enfants ont préparé l'allumage d'un feu en rassemblant des matériaux combustibles mais que le feu n'a été allumé ultérieurement par un seul des enfants, c'est abusivement qu'un tribunal condamne in solidum à réparer les préjudices résultant de l'incendie provoqué par ce feu les parents des deux enfants, quand bien même celui qui était absent lors de l'allumage, ait reconnu lors de l'enquête de police avoir participé à la préparation du feu et avoir eu initialement l'intention d'être présent lors de l'allumage. La garde étant une question de fait, seul l'enfant qui détenait le briquet, l'a allumé et a mis la flamme en contact avec les combustibles amenés au préalable était gardien du feu, engageant la responsabilité civile de ses parents (Rennes 18 novembre 2015 n° 14/08359).
Inversement, lorsque des enfants mineurs se rassemblent pour former dans une sorte de commun accord un groupe de fumeurs en un même lieu et jettent au sol autour d'eux les bouts de leurs cigarettes non consumées totalement, ils doivent être regardés comme gardiens in solidum des mégots à l'origine de l'incendie (Cass. 2e civ. 14 juin 1984 GP 1984.2.Panor.299).
Incendie imputable à un feu allumé volontairement dans l'intention de nuire
Nous changeons ici totalement de registre puisque le caractère intentionnel va donner à l'incendie une tournure très particulière en ce qui concerne la réparation des préjudices qui en résultent.
Tout d'abord, l'identification de l'auteur de ce délit intentionnel ou crime sera très difficile à opérer. En effet, celui qui cherche intentionnellement à détruire le bien d'autrui prend normalement toutes précautions pour ne pas être surpris dans ses agissements coupables. Faute d'individu identifié, aucune action en réparation n'est possible.
Ensuite, le caractère pénal des faits va être prédominant : toute décision qui par souci de bonne justice (le doute profite au prévenu) prononcerait un non lieu ou une relaxe du prévenu priverait les victimes de la possibilité de rechercher sur le fondement de la faute la responsabilité civile du suspect interpellé. Ne resterait que le fondement de la garde du dispositif de mise à feu.
De plus et surtout : le caractère intentionnel de l'incendie rend impossible la réparation effective des préjudices. Au regard du montant des dommages résultant d'un incendie de forêt important, l'auteur des faits s'avèrera insolvable dans la majorité des cas, étant rappelé qu'aucune compagnie d'assurance ne couvre les dommages volontaires (article L 113-1 alinéa 2 c. Assurances). En effet, une faute volontaire supprime l’aléa, source nécessaire de la réalisation du risque. L’absence d’assurance vaut dès lors à l’égard de tous (Civ. 1re, 15 janvier 1985, n° 83-14.742).
Toutefois il existe deux exceptions :
— d'une part, lorsque l'incendie est causé par un enfant mineur, la responsabilité civile des parents est engagée et est couverte par leur assurance RC, quand bien même l'incendie aurait été intentionnel (Cass. Ass. Plen. 9 mai 1984 n° 82-92.934). En effet, en matière de responsabilité civile pour autrui, la responsabilité des parents est engagée pour tous dommages causés par leurs enfants qu'il y ait faute d'imprudence, faute intentionnelle ou même absence de faute (Cass. Ass. Plen. 13 décembre 2002 n° 01-14.007) ;
— d'autre part, et de manière très délicate à analyser, toujours dans une logique visant à favoriser l'indemnisation des victimes, le juge pénal saisi d'une action civile en réparation (partie civile) considère que la notion de dommages volontaires doit restrictivement être considérée comme ne visant que les dommages voulus par l'auteur de l'infraction. En d'autres termes, si les dommages qui ont effectivement résulté de l'incendie intentionnel excèdent ce que voulait l'auteur de l'incendie, la compagnie d'assurance doit couvrir ces dommages « excédentaires ». Seul le dommage recherché par l’assuré, condamné pénalement, peut être exclu de la garantie prévue au contrat d'assurance (Civ. 2e, 12 juin 2014, n° 13-15.836 ; 9 juin 2011, n° 10-15.933). Ainsi des lycéens ayant mis le feu à des végétaux qui grimpaient le long de leur établissement dans le seul but d'embêter l'administration scolaire, les compagnies d'assurance de leurs parents doivent réparer les dommages causés à l'ensemble du lycée (immeubles et mobiliers), dommages que les lycéens impliqués n'avaient aucunement eu l'intention de causer (Cass. Civ. 1re, 21 juin 1988, n° 86-15.819). On peut en déduire que s'il est établi qu'un individu a mis intentionnellement le feu à telle forêt précisément choisie (par exemple salarié licencié qui se venge de son ex-employeur), l'assurance de l'auteur de cet incendie criminel reste tenue de réparer les dommages causés aux autres forêts auxquelles l'incendie s'est communiqué. C'est le raisonnement suivi récemment par le juge civil en ce qui concerne l'incendie d'une habitation initié par l'ex-amant de la personne qui y résidait, l'incendie s'étant communiqué aux immeubles voisins, ceci au motif que « la faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu et n’exclut de la garantie due par l’assureur à l’assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l’infraction » (Cass. 2e civ. 16 septembre 2021 n° 19-25.678).
Enfin, on fera observer que, faisant exception de manière tout à fait spéciale au principe de gratuité de l'intervention des services de secours et de lutte contre l'incendie, les services publics ayant participé à la lutte contre un incendie volontaire de forêt sont autorisés à réclamer à l'auteur de l'infraction le remboursement des frais engagés (article 2.7 c. procédure pénale). Cette action est irrecevable en cas de délit d'incendie de forêt par imprudence (Cass. ch. crim. 14 janvier 2020 n° 19-80.106). Il n'en demeure pas moins que cette disposition demeure purement symbolique, l'insolvabilité de l'auteur de l'incendie étant quasi certaine au regard du montant souvent exorbitant du coût des opérations de lutte contre l'incendie (intervention de canadairs, hélicoptères, etc.).
Cas où la victime d'un incendie de forêt se voit opposer sa propre faute
Toute victime d'un dommage dont la faute potentielle a contribué à faciliter sa survenance peut voir le montant de l'indemnisation réclamée réduit à proportion de cette contribution.
En matière d'incendie de forêt, au regard de l'importance des dommages pouvant en résulter, les compagnies d'assurance se montrent particulièrement attentives aux fautes qui pourraient être opposées aux victimes à indemniser. Leur stratégie est de faire valoir que si l'incendie s'est propagé à une telle vitesse et a pris de telles proportions, c'est à raison des fautes commises par la victime qui n'a pas exécuté les obligations qui lui incombaient en matière de prévention des incendies. On songera notamment pour les propriétaires forestiers aux éventuelles prescriptions d'un arrêté préfectoral exigeant le nettoiement des parcelles après exploitation (1° de l'article L 131-7 CF) ou des chablis, volis etc. après tempête (2° du même article), ou au non respect par le propriétaire forestier de l'obligation d'adopter un mode de gestion forestière spécifique le long des voies forestières privées ouvertes à la circulation publique lui appartenant (article L 131-8 CF).
Le risque est bien sûr identique pour toutes personnes dont les habitations, installations, hangars etc. étaient soumis à une obligation de débroussaillement au titre des réglementations DFCI en vigueur et qui n'auraient pas été mises en œuvre. Toute la difficulté pour la compagnie d'assurance est bien sûr de prouver la faute de la victime. Elle ne peut qu'être déboutée si elle se contente d'affirmer de telles carences sans en apporter la moindre preuve (Aix-en-Provence Ch. 1-4 18 février 2021).
Dans le cadre de ces débats menés par les compagnies d'assurance, on peut parfois en arriver à ce qu'un assureur recherche la responsabilité d'une autorité administrative qui aurait négligé de procéder à tout contrôle et de mettre en œuvre les procédures lui permettant de se substituer aux administrés défaillants pour exécuter d'office, à leurs frais, les travaux prescrits (TA Nice 1re ch. 13 décembre 1996 n° 91-1037, 91-1805 et 94-134 Commune d'Èze et Préfet des Alpes-Maritimes).
Conclusion
En conclusion, il apparaît que les possibilités, pour les propriétaires forestiers, d'être indemnisés en cas d'incendies intentionnels sont quasiment nulles (auteur non identifié ou insolvable et absence d'assurance). Pour les incendies par imprudence, les régimes de réparation, tant en droit public (essentiellement dommages de travaux publics) qu'en droit civil sont beaucoup plus favorables aux intérêts des propriétaires tant par le biais des assurances RC garantissant les auteurs des mises à feu, que par les principes de responsabilité pour autrui (employeurs et commettants du fait des fautes de leurs salariés et préposés, parents du fait de leurs enfants) et de solidarité ou de responsabilité in solidum (notamment liens réunissant les maîtres d'ouvrage, maîtres d'œuvre, entrepreneurs, sous-traitants, etc.).
Notes
- En droit pénal forestier, les acheteurs de bois sur pied en forêts soumises au régime forestier furent, jusqu'à l'aube du XXIe siècle, présumés pénalement responsables des infractions commises sur le parterre de leurs coupes sur toute la période s'étendant de l'obtention du permis d’exploiter jusqu'à obtention de la décharge d'exploitation. C'était une astucieuse façon d'inciter chaque acheteur à organiser une surveillance rigoureuse de son exploitation et à ne pas faire traîner l'exécution du chantier de manière à se libérer rapidement de cette présomption de responsabilité.
- La notion de préposé vise toute personne agissant sous l'autorité et la direction d'une autre personne, et dans l'intérêt de cette personne (commettant) ; et ce alors même qu'il n'existerait aucun lien contractuel entre le préposé et le commettant. C'est notamment le cas lors d'un travail effectué bénévolement par pure amitié ou liens familiaux ou dans le cadre de bonnes relations de voisinage.
- Art. 470-1 C. procédure pénale.
- 4 Il existe principalement deux types de contrats d'assurance : l'assurance responsabilité, qui couvre la réparation des dommages que l'assuré peut causer à autrui par imprudence ; l'assurance dommages qui garantit à l'assuré l'indemnisation des dommages causés à ses propres biens par pure maladresse, imprudence, etc. Les contrats d'assurance ne couvrent jamais les dommages volontaires.
- 5 La question du préjudice écologique constitue à elle seule un sujet particulièrement ardu qui prend toute son importance en matière de grands incendies de forêt.
- 6 Sont ainsi non fondées les poursuites pénales engagées pour délit d'incendie involontaire alors que cet incendie n'est imputable qu'à l'explosion d'un gazoduc transportant du naphta, explosion provoquée accidentellement par une pelleteuse occupée à creuser une tranchée et qui a causé le décès de trois personnes et d'innombrables dommages dans la commune de Rosteig (Colmar Ch. corr. 25 novembre 1993).
- 7 Au pénal, à raison du principe de présomption d'innocence, le doute profite toujours au prévenu. Le juge pénal est donc contraint de se montrer très rigoureux dans l'examen des faits là où, a contrario, le juge civil, en charge d'indemniser la victime d'un dommage, disposera d'une marge d'appréciation moins étroite.
- 8 L'action en réparation invoquait la loi de juillet 1985 et la condamnation à réparer était fondée sur cette loi et non sur les articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil.
- 9 C'était le cumul de 3 paramètres (contravention de non débroussaillement + fonctionnement prolongé du groupe électrogène dans une végétation abondante et desséchée + absence de toute précaution pour isoler le pot d'échappement des herbes sèches) qui avait conduit la Cour d'appel à voir dans l'utilisation de cet engin le délit "apport de feu" imprudent à moins de 200 m de la forêt (Aix-en- Provence 7e Ch. 6 mars 2006, confirmé par Cass. crim. 4 septembre 2007 n° 06-83.383). Dans sa nouvelle rédaction, l'article L 163-4 se montre plus drastique puisqu'il ne retient qu'un critère : la seule présence de l'engin à moins de 200 mètres d'une forêt.
- 10 On peut évoquer le cas de ce maçon de 42 ans travaillant à Pennes-Mirabeau un jour d'août 2016 sur un chantier jouxtant des bois et forêts, qui, pour avoir jeté son mégot sans penser une seconde à la gravité de son geste, s'est retrouvé condamné en correctionnelle le 16 novembre 2021 pour délit d'incendie involontaire ; et pas n'importe quel incendie ! Un brasier gigantesque : 2 655 ha parcourus, 26 maisons détruites, quelque 200 autres bâtiments endommagés, plus de 60 millions d'euros de dégâts. Au total 447 victimes dont plus de 250 se sont constituées partie civile. Voir le monde.fr, article de Luc Leroux, 16 novembre 2021.
- 11 Pour les forêts soumises au régime forestier, c'est la loi (article L 213-17 et L 214-4 CF) qui pose le principe de solidarité de l'acheteur de bois sur pied pour tous dommages causés par les personnes et entreprises intervenant pour son compte. Cette responsabilité solidaire s'applique pareillement aux entreprises chargées d'exploiter les bois à vendre façonnés (article L 213-18 CF).
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