Résumé

Les coopératives forestières sont des structures efficaces dans la gestion des crises subies par les propriétaires forestiers privés. Grâce à leur organisation spécifique, visant à la mutualisation des moyens et leur position à l’interface entre la production forestière et la transformation du bois, elles représentent une des principales forces capables d’apporter des solutions concrètes à ces crises. Forêts & Bois de l’Est, après la tempête Lothar et plus récemment la crise des scolytes dans le Nord-Est, a ainsi pu faire des propositions aux pouvoirs publics, développer de nouveaux flux commerciaux, mettre en œuvre des moyens logistiques conséquents, tout en veillant à préparer la reconstitution des peuplements détruits.


Messages clés
Les coopératives forestières peuvent apporter des solutions concrètes aux différentes crises forestières.
Elles peuvent maintenir les flux commerciaux et aider à la reconstitution des forêts endommagées.

Abstract

Forestry cooperatives are efficacious structures in the management of the crises that have hit private forest owners. Thanks to their specific organisation aimed at pooling tools and thanks to their position at the interface between forest production and timber transformation, they represent one of the main forces able to bring down-to-earth solutions to these crises. Following the Lothar storm and more recently the bark beetle crisis in north-eastern France, Forêts & Bois de l’Est has made proposals to public authorities, developed new commercial networks, implemented substantial logistic means, while preparing for the rehabilitation of decayed stands.


Highlights
Forestry cooperatives can bring down-to-earth solutions to the different forest crises.
They can maintain commercial fluxes and help rehabilitate damaged forests.

Les coopératives forestières, des acteurs mal identifiés

Les coopératives forestières sont des entreprises détenues et gouvernées par des propriétaires forestiers privés afin de gérer et valoriser leurs forêts par une mutualisation des moyens. Elles sont des structures ouvertes, cadrées par des règles d’engagements mutuels, de gouvernance démocratique (chaque associé dispose d’une voix en assemblée générale), de transparence et d’équité.

Ce sont des acteurs économiques à part entière, dotés de la possibilité de commercialiser des produits forestiers pour le compte de leurs associés coopérateurs ou leur délivrer des services.

Les coopératives génèrent des profits qui sont soit répartis entre leurs membres au prorata de leur contribution, soit mis en réserve dans un but exclusivement collectif. Elles ne peuvent distribuer de dividendes en lien avec un capital. Elles poursuivent donc un but d’intérêt collectif pour leurs membres et tous les propriétaires forestiers souhaitant le devenir.

La forêt privée est largement livrée à elle-même en cas de crise majeure

En Grand Est et en Bourgogne Franche-Comté, la mise en marché du bois est accompagnée par des gestionnaires professionnels ou experts forestiers. Les volumes vendus avec l’aide de ces professionnels représentent moins de 50 % de l’ensemble des volumes de la forêt privée (figure 1).

Figure 1 La majorité des propriétaires forestiers privés en France commercialisent leur production sans faire appel à un circuit organisé (COFFI, 2020 ; France Bois Forêt, 2019)
(NB : les chiffres des Experts Forestiers ont été extrapolés en multipliant par deux les volumes déclarés vendus en vente groupée.)

Les quantités commercialisées sous forme de contrats d’approvisionnement avec des transformateurs peuvent être estimées entre 15 et 25 % du volume vendu. Dès lors, environ 80 % de ces volumes sont en prise directe avec la volatilité du marché. En période de crise majeure, la demande étant alors très déficitaire par rapport à l’offre, les propriétaires forestiers isolés et ne bénéficiant pas de circuits contractuels se retrouvent systématiquement démunis. Les conséquences de ce type de situation sont connues : pertes financières accrues, voire impossibilité de commercialiser certaines coupes, récolte partielle des produits, manque de coordination au niveau de la filière, etc. Les crises climatiques ou sanitaires en France sont des révélateurs systématiques de cette faible structuration de la forêt privée (photo 1).

Photo 1 Une grande proportion des pessières de l’Est appartient à de petits propriétaires forestiers privés, démunis individuellement depuis le début de la crise des scolytes
Photo © Forêts & Bois de l’Est

Forêts & Bois de l’Est vecteur de solutions

Face à cette filière désorganisée, des coopératives forestières comme Forêts & Bois de l’Est (https://www.foretsetboisdelest.com/) ont mis en œuvre des solutions pertinentes pour venir en aide aux propriétaires forestiers privés.

Fortes de leur expérience, les coopératives ont été en mesure, dès les premiers moments des différentes crises actuelles et passées, de faire des propositions concrètes aux pouvoirs publics : financement de techniciens tempête, dossiers d’aides groupés au reboisement, proposition d’assimiler une exploitation soignée à une opération de nettoyage dans le cas des mesures post « Lothar », dispositif d’aide à l’exploitation et la commercialisation, projets de plateformes de stockage de bois et AMI pour le renouvellement forestier plus récemment.

Après la tempête Lothar, Forêts & Bois de l’Est a organisé de nouveaux flux logistiques et commerciaux facilitant l’exportation des bois dans l’espace européen. Les transports fluviaux ont été largement utilisés à cette occasion.

Elle a noué des coopérations lors de la crise sanitaire des scolytes avec le réseau national des coopératives forestières et l’ONF, pour ouvrir de nouveaux flux commerciaux avec des industriels d’autres régions de France connaissant un déficit d’approvisionnement. Ces collaborations ont permis de mettre en place des flux logistiques conséquents, notamment ferroviaires (photo 2).

Photo 2 Forêts & Bois de l’Est et l’ONF ont affrété chaque semaine plusieurs rames de train à destination d’industriels landais de la trituration (papeterie SMURFIT et usine de panneaux de particules EGGER)
Photo © Forêts & Bois de l’Est

Ces opérations ont permis de multiplier ses flux habituels par plus de 3, apportant des solutions concrètes pour l’exploitation et la commercialisation des bois, y compris dans les qualités inférieures devenues impossibles à écouler localement.

Forte de ses nouveaux moyens d’action, Forêts & Bois de l’Est a pu venir en aide à ses adhérents et à de nombreux nouveaux membres dans l’impossibilité d’agir individuellement.

Le renouvellement forestier pensé dès la récolte

Très en amont de la phase de renouvellement des peuplements, la coopérative a veillé à préparer soigneusement les parcelles à reboiser par une exploitation forestière soignée (photo 3). Cela a été rendu possible par l’évacuation de plus de 350 000 m3, principalement de bois d’industrie dans le Sud-Ouest de la France.

Photo 3 Une exploitation soignée de laquelle on a retiré l’ensemble du bois d’industrie permet de s’affranchir de lourds et coûteux travaux préparatoires à la plantation, tout en maintenant les branches au sol pour faire office de « paillage »
Photo © Forêts & Bois de l’Est

Forêts & Bois de l’Est a également préparé son organisation et s’est dotée de ressources nouvelles pour faire face à l’afflux de travail considérable qui l’attend dans les prochaines années. Les besoins en reboisement de ses adhérents dont les peuplements dépérissants ont dû être récoltés sont estimés à cinq fois les surfaces plantées annuellement avant la crise.

Elle a réussi à sécuriser ses partenariats avec des entreprises de sylviculture capables de réaliser la préparation localisée des sols, de planter et d’entretenir. Elle a également considérablement augmenté sa main-d’œuvre interne et en organise la formation.

Elle s’est assurée de réserver ou de commander des plants forestiers, de s’approvisionner en graines et les mettre en culture par son réseau de partenaires pépiniéristes.

Elle s’est dotée très en amont de stocks conséquents de protections individuelles contre le gibier, afin d’être certaine de pouvoir protéger ses plantations dès leur installation.

Ces moyens d’action opérationnels ont été accompagnés par une cellule de Recherche-Développement-Innovation, en lien étroit avec les principales coopératives forestières françaises. Cette organisation au sein du Groupe Coopération Forestière collabore avec différents organismes publics ou de recherche (CNPF, FCBA, INRAE, …) afin d’orienter les techniques et le choix des essences vers des forêts plus résilientes, une gestion préservant mieux la biodiversité et les sols, tout en ayant un objectif de production en phase avec les besoins de la société. Des recherches sont également menées pour moderniser les travaux de reboisement et diminuer leur pénibilité (photo 4).

Photo 4 La coopérative innove dans l’Est en adaptant des modalités de plantation plus rapides et moins pénibles pour les ouvriers forestiers spécialisés en sylviculture, largement développées dans d’autres régions de France
Photo © Forêts & Bois de l’Est

Forêts & Bois de l’Est dans ce même cadre s’est aussi préoccupée de préparer la période post-plan de relance. Elle a cherché à mettre en œuvre ou développer de nouvelles solutions de financement. Elle se mobilise notamment dans le cadre du Label Bas Carbone, particulièrement adapté au renouvellement de peuplements détruits pour des causes sanitaires, mais aussi sur des appuis financiers tels que le mécénat, à travers par exemple le fonds de dotation Plantons Pour l’Avenir.

Faire beaucoup plus

On le voit à travers ces différents éléments (analyse du contexte, conséquences délétères pour une bonne partie des propriétaires forestiers privés et réponses opérationnelles apportées par une organisation structurée), une vraie réflexion de filière devrait avoir lieu.

Les coopératives forestières sont tantôt perçues comme des opérateurs économiques lambda, tantôt comme des structures à visée hégémonique, ou encore comme des organisations à connotation collectiviste, privant les propriétaires forestiers de leur liberté individuelle. Or, elles ne sont que le reflet de ce que les propriétaires forestiers membres veulent en faire, dans une logique d’intérêt collectif.

Les coopératives commercialisent 26,5 % des volumes de la forêt privée (COFFI, 2020) et manquent donc encore de représentativité pour jouer pleinement leur rôle structurant au sein de la filière bois française et interrégionale. Il serait efficace et raisonnable qu’elles se développent progressivement pour atteindre à terme 50 % de ce marché.

Cette évolution, si elle pouvait avoir lieu, apporterait de nombreux bénéfices à la collectivité et à la filière. Elle permettrait une coordination beaucoup plus efficace dans le cas de crises, mais aussi dans un contexte international de plus en plus compliqué pour notre filière bois nationale. Leur capacité à contractualiser entre l’amont et l’aval de la filière représente un outil de structuration moderne et puissant, capable de sécuriser l’approvisionnement des industries de transformation et de professionnaliser la production forestière.

Les coopératives forestières y travaillent activement et continuent de progresser, elles ont désormais besoin que ce rôle soit mieux reconnu par les pouvoirs publics et au sein de la filière elle-même.

Références

  • COFFI, Comité des Forêts et de l'Industrie forestière (2020). Le Marché du bois en France. Situation actuelle et perspectives à court terme (pp. 16-17). Genève : CEE-ONU Commission économique pour l'Europe des Nations Unies.
  • France Bois Forêt (2019). Observatoire économique - Données de la filière amont forestier - Experts forestiers. Consulté 2019, sur Interprofession Nationale France Bois Forêt : http://observatoire.franceboisforet.com/donnees-de-la-filiere/amont-forestier/experts-forestiers/

Auteurs


Alain Jacquet

alain.jacquet@foretsetboisdelest.com

Affiliation : Forêts & Bois de l’Est, 88000, Épinal, France

Pays : France

Biographie :

Directeur, Forêts & Bois de l’Est, F-88000 Épinal, France

Pièces jointes

Pas de document complémentaire pour cet article

Statistiques de l'article

Vues: 1268

Téléchargements

PDF: 312

XML: 42

Citations