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Se relever de la crise - Conférences

Forêts en crise et biodiversité : menaces et opportunités. Effets des dépérissements et de leur gestion sur la biodiversité forestière

Résumé

Les effets des dépérissements sur la structure des peuplements, la quantité et la qualité des ressources, la composition des paysages et les communautés biologiques ont été analysés. Dans les pessières bavaroises, la richesse spécifique augmente généralement en zones perturbées, où certaines espèces rares réapparaissent. Dans les sapinières pyrénéennes, les effets du dépérissement aux échelles du peuplement et du paysage sont interdépendants. Dans les chênaies de plaine, les réponses des guildes d’insectes des houppiers sont contrastées. Les coupes sanitaires altèrent la structure du peuplement, et modifient la composition initiale des communautés par un effet additif au dépérissement. Les nombreuses incertitudes sur la dynamique des communautés soulignent l’importance de disposer de longues séries temporelles. Des réflexions opérationnelles sont engagées pour une sylviculture de rétention saisissant l’opportunité des crises, dans le respect des équilibres économiques et phytosanitaires.


Messages clés
Les effets des crises forestières sur la biodiversité sont différents selon le contexte.
L’effet des crises forestières sur la biodiversité est amplifié par les récoltes sanitaires.
Des suivis sur le long terme sont indispensables pour diminuer l’incertitude sur les prédictions.

Abstract

The effects of declines on stand structure, the quantity and quality of resources, the composition of landscapes and biological communities have been analysed. In Bavarian spruce stands, specific richness generally increases in perturbed areas, where certain rare species are found again. In Pyrenean fir forests, the effects of decline at the stand and landscape scales are mutually dependent. In plain-located oak stands, contrasting responses of the insect guilds of tree crowns are found. Sanitary cuts alter the stand structure and modify the initial composition of communities through an additive effect to decline. The many uncertainties about the community dynamic highlight the importance of having long-term time series available. Operational reflection for a retention-type silviculture is ongoing to seize the opportunity of crises while maintaining economic and phytosanitary balances.


Highlights
The effects of forest crises on biodiversity vary according to the context.
The effect of forest crises on biodiversity is enhanced by sanitary harvests.
Long-term monitoring is indispensable to decrease the uncertainty of predictions.

Introduction

Dans le monde, le nombre de signalements de dépérissements forestiers d'envergure a été multiplié par trois depuis une quinzaine d'années. À cela s'ajoutent des mortalités brutales et massives liées à l'émergence et l'introduction de nouveaux bioagresseurs comme par exemple l'agrile du frêne en Amérique du Nord et en Russie ou le nématode du pin dans la Péninsule Ibérique. Aux racines de la crise forestière contemporaine en Europe, on trouve un excès des mortalités d'arbres dues aux sécheresses de ces trente dernières années (Senf et al., 2020). Dans les Pyrénées par exemple, l'Indice standardisé Précipitation-Évapotranspiration illustre ces anomalies thermo-hydriques, avec un bilan hydrique annuel négatif pour 9 années sur 10 de 1983 à aujourd'hui, contre à peine plus d'une année sur 10 durant les trente années précédentes (Vicente-Serrano et al., 2010). Au cours des dernières décennies, la combinaison d'étés chauds et d'années sèches a augmenté dans la plupart des forêts européennes et de graves déficits hydriques ont entraîné des mortalités qui n'avaient pas été observées avant les années 1980 (Gazol & Camarero, 2021). Les sécheresses récentes écartent encore les forêts européennes du patron historique de perturbations naturelles (Senf & Seidl, 2021) et font émerger de nouveaux schémas spatiotemporels de perturbation, avec des fréquences, des surfaces d'impact et des taux de mortalité accrus et survenant avec une autocorrélation spatiotemporelle plus élevée. Des changements analogues sont aussi observables pour d'autres perturbations, notamment les tempêtes qui depuis les années 1990 frappent l'Europe plus fréquemment et avec une plus forte intensité (Gregow et al., 2017). Selon un scénario bien connu, l'affaiblissement des peuplements perturbés peut ensuite favoriser les pullulations à large échelle de bioagresseurs opportunistes comme le typographe. Ce nouveau régime de perturbation, en changement continu, aura des impacts durables sur la structure des forêts et suscite déjà des inquiétudes quant à une perte potentielle de résilience des écosystèmes forestiers.

En fonction des schémas d'accumulation et d'épuisement des ressources et de la capacité de colonisation des espèces, la dynamique des communautés dans les forêts en cours de dépérissement pourrait traduire des réponses immédiates ou différées, des effets environnementaux ponctuels ou cumulatifs dans le temps, éphémères et associés à des pulses de ressources provenant d'une vague de dépérissement (Yang et al., 2010) ou durables. Cependant, la dynamique des communautés dans les forêts en cours de dépérissement est encore mal connue. En référence à la littérature disponible, nous réservons notre synthèse à la réponse de la biodiversité à court terme, aux stades postperturbation pionniers, sans pouvoir traiter la dynamique dans son extension. Signalons également que les travaux mobilisés dans notre synthèse sont en majorité dédiés à la caractérisation des impacts des perturbations par une approche de type BACI (Before-After Control-Impact), comparant les états avant/après sans relativiser la magnitude des écarts par rapport à un état de référence.

À travers l'analyse de la littérature internationale (et notamment de plusieurs méta-analyses récentes) et des résultats de plusieurs cas d'étude en cours d'exploration [dépérissements liés à la sécheresse dans les chênaies du Centre val-de-Loire (Sallé et al., 2020 ; Vincent et al., 2020) et dans les sapinières pyrénéennes (Cours et al., 2021 ; Sire et al., 2022), aux tempêtes et aux pullulations de typographe dans les pessières bavaroises (Beudert et al., 2015)], nous proposons un regard sur la relation entre les processus de dépérissement actuels, complexes et évolutifs, et les conditions d'habitat et la biodiversité forestière.

Forêts dépérissantes et conditions d’habitat

Les dépérissements consécutifs aux tempêtes, aux sécheresses ou à d’autres perturbations affectent les conditions d’habitat dans les écosystèmes forestiers. Résultant du déclin progressif de l’état sanitaire moyen des arbres, ils se traduisent par différents effets environnementaux aux échelles spatiales de l’arbre, du peuplement et du paysage (figure 1).

Figure 1 Schéma conceptuel décrivant la réponse des communautés biotiques, notamment des guildes trophiques et d'habitat, au dépérissement par les variations d'héritages des perturbations, en fonction des conditions forestières initiales, de la gestion forestière des peuplements dépérissants et des traits autécologiques dans les communautés (d'après Cours et al., 2023b)

La perte de vigueur des arbres se traduit typiquement par une perte de ramification et une mortalité de branches, quantifiées par les approches ARCHI (Drénou et al., 2013) ou DEPERIS (Goudet & Nageleisen, 2019). Cela induit une réduction globale de la densité du feuillage et peut entraîner des changements physicochimiques au niveau des feuilles, variables selon les essences et l'origine du dépérissement (Sallé et al., 2021). Les feuilles peuvent devenir plus petites (c'est-à-dire microphyllie) et moins abondantes. L'arbre peut aussi répondre au stress en produisant des gourmands dont le feuillage peut présenter un contenu nutritionnel supérieur aux anciennes feuilles (par exemple eucalyptus ; Fleming et al., 2021), ce qui se traduira parfois par une descente de cime. Certaines ressources de la canopée (les fleurs par exemple) ont tendance à régresser à moyen terme, tandis que les branches mortes et certains dendromicrohabitats (par exemple écorces décollées…) augmentent temporairement en disponibilité (Sallé et al., 2021). D'autres organes ligneux, tels que les fruits, suivent une dynamique de réponse complexe, en régressant immédiatement, puis en augmentant à court terme et enfin en diminuant à nouveau (Vacchiano et al., 2021). Certains dendromicrohabitats peuvent aussi être détruits par la chute des arbres morts ou l'abattage, comme nous l'avons observé au sein des pessières bavaroises pour les arbres à cavités (Cours et al., 2021). La régression puis la perte définitive du couvert de la canopée entraîne une pénétration accrue de la lumière du soleil et, par conséquent, une modification des conditions microclimatiques à l'intérieur du houppier, ainsi que dans le sous-étage et au sol. Le gradient thermique est drastiquement affecté, avec une augmentation de la température au sol et dans la canopée, mais pas à son sommet. À l'échelle du peuplement, la coexistence d'arbres présentant différents degrés de dépérissement entraîne une augmentation globale de l'hétérogénéité structurale, notamment grâce à l'accumulation d'héritages biologiques des perturbations tels que certains dendromicrohabitats et le bois mort (Sallé et al., 2021 ; Cours et al., 2021 ; Speckens, 2021). Les arbres morts et les branches mortes suspendues dans le houppier puis tombées au sol alimentent un stock de bois mort au profil caractéristique du type de dépérissement. Dans les résineux dépérissants de montagne, ont été constatés une densité croissante d'arbres morts, un volume de bois mort accru, un stock de bois mort diversifié et un changement de profil de bois mort au profit des gros bois morts (Cours et al., 2021 ; Cours et al., 2022). D'autre part, l'hétérogénéité du stock de dendromicrohabitats augmente, tout comme la densité des dendromicrohabitats à formation rapide (par exemple branches mortes du houppier, coulées de sève, champignons saprolignicoles), symptômes du dépérissement. La dégradation des houppiers et la mortalité des arbres entraînent une régression de la couverture de canopée (Cours et al., 2021 ; Cours et al., 2022), se traduisant par exemple en chênaie par une réduction de la surface foliaire (c'est-à-dire du LAI, « Leaf-Area Index ») quand la proportion d'arbres dépérissants augmente dans la parcelle (Sallé et al., non publié). L'altération des conditions abiotiques résultant de l'ouverture de la canopée change les conditions au niveau du sous-étage et dans la litière, et par voie de conséquence les processus de décomposition et de recyclage des éléments. Cela affecte les processus de régénération et initie une succession végétale qui détermine la structure et de la composition de la végétation (par exemple Bendixsen et al., 2015).

Les dépérissements régionaux modifient la composition des paysages forestiers, en créant des secteurs d'accumulation de bois mort et des milieux plus ouverts (Swanson et al., 2011). À terme, ils pourraient altérer la distribution des classes d'âge par un rajeunissement global et une baisse de la surface cumulée des vieilles forêts (McDowell et al., 2020).

Forêts dépérissantes et biodiversité

Les communautés forestières répondent au dépérissement par la médiation de plusieurs facteurs (figure 1) :

— les modifications des conditions microclimatiques ;

— la perte définitive ou temporaire et la création d’habitats (par exemple sites de nidification…),

— la disponibilité des ressources trophiques (par exemple bois mort, feuillage, fleurs…),

— les effets en cascade des interactions biotiques dans les réseaux écologiques (compétition, prédation, parasitisme), comme les effets descendants (top-down) de l’activité des prédateurs ou ascendants (bottom-up) des effectifs de proies ou de la ressource végétale.

Au sein des communautés, les groupes écologiques ou les espèces peuvent se classer en gagnants, perdants ou indifférents, selon une combinaison d’attributs autécologiques qui déterminent leur sensibilité aux modifications d’habitat : guilde trophique (ressources alimentaires ciblées), spécialisation d'habitat ou plasticité écologique (spécialistes, généralistes, opportunistes), capacités de dispersion et de détection des peuplements perturbés (par exemple les espèces pyrophiles vis-à-vis des incendies), préférences abiotiques (héliophiles, sciaphiles…) et tolérance aux contraintes (notamment thermiques).

D'après une méta-analyse internationale, en termes d'abondance, quelques groupes peuvent tirer profit d'un dépérissement forestier (par exemple les oiseaux granivores ou nicheurs terricoles ou cavicoles), quelques-uns sont affectés (par exemple les arthropodes détritivores ou à alimentation terricole), tandis que de nombreux autres sont indifférents (araignées, collemboles, arthropodes frondicoles ou phyllophages, oiseaux insectivores ou des strates basses, toutes les familles de mammifères et de reptiles ; Fleming et al., 2021).

Le cas d'étude des pessières bavaroises a fait l'objet de synthèses multitaxonomiques (Beudert et al., 2015 ; Thorn et al., 2017). La richesse spécifique de nombreux groupes, notamment les taxons héliophiles et saprolignicoles, est favorisée dans les parcelles perturbées : coléoptères saproxyliques (cf. aussi Cours et al., 2021), insectes floricoles, araignées, plantes vasculaires, lichens. Parmi les facteurs environnementaux associés au dépérissement, la densité des grosses chandelles et l'ouverture de la canopée ont une influence forte et significative sur les communautés. Seul le groupe des champignons saprolignicoles montre une réponse négative au dépérissement. Malgré une augmentation de la quantité de bois mort causée par la pullulation de typographe, le bois mort se dessèche sous la canopée ouverte, ce qui défavorise de nombreux champignons. La richesse spécifique de plusieurs groupes n'est toutefois pas significativement affectée : carabes, collemboles, papillons de nuit, oiseaux, chauves-souris, mousses, tenthrèdes, gastéropodes, mais leur abondance (par exemple mousses ; Jonášová et Matějková, 2007) ou leur activité (par exemple chauves-souris ; Kortmann et al., 2018) peut varier.

Dans les sapinières pyrénéennes, le niveau de dépérissement local n'a pas d'impact mesurable sur la diversité en espèces des insectes volants. Cependant il affecte la composition des communautés de papillons, punaises, mouches et guêpes, ainsi que des groupes écologiques d'espèces floricoles et parasitoïdes, principalement en raison de la modification des espèces peu fréquentes (Sire et al., 2022). Les variations de composition sont principalement expliquées par l'ouverture de la canopée, par la diversité des dendromicrohabitats et la quantité de bois mort à l'échelle locale. D'autre part, la diversité en espèces et en groupes fonctionnels des assemblages de coléoptères saproxyliques augmente avec le niveau de dépérissement aux deux échelles du peuplement et du paysage (mesuré dans un disque de 500 ha ; Cours et al., 2022). Ce résultat est conforme à l'hypothèse de la quantité d'habitat (Fahrig, 2013 ; Watling et al., 2020), les effets du dépérissement local et paysager n'étant qu'additifs. Ainsi le dépérissement local n'a d'effet significatif et positif que si le niveau de dépérissement paysager n'est pas trop faible, et les effets du dépérissement paysager ne sont significatifs que si le niveau de dépérissement local dépasse un seuil minimal. Les effets écologiques sur les coléoptères saproxyliques sont dus principalement à l'hétérogénéisation du paysage et à l'importante accumulation de bois mort et de dendromicrohabitats sous des canopées plus ouvertes (Cours et al., 2022).

Dans les chênaies de plaine, les guildes d'insectes de la canopée présentent des réponses contrastées au dépérissement (Sallé et al., 2020 ; Vincent et al., 2020). Globalement, le dépérissement a des effets positifs sur l'abondance et la biomasse des coléoptères, en particulier sur l'abondance, la biomasse et la richesse en espèces des agriles, des insectes opportunistes se développant dans les chênes affaiblis. Le dépérissement favorise aussi la richesse en espèces des autres insectes saproxyliques, mais pas leur abondance. Les effets s'étendent à d'autres guildes trophiques et les insectes pollinivores, les punaises prédatrices et les charançons rhizophages profitent également du dépérissement. En revanche, les insectes suceurs de sève et les galligènes montrent une réponse négative. Enfin, les guêpes phyllophages (tenthrèdes) ou parasitoïdes, et les charançons s'attaquant aux glands (les balanins) ne sont pas affectés.

De façon générale, les crises de dépérissement seraient favorables aux effectifs et à la diversité des espèces rares (Thorn et al., 2017). Elles permettraient même la résurgence de certaines espèces rares, comme le champignon Antrodiella citrinella Niemelä & Ryvarden, 1983 et le coléoptère longicorne Tragosoma depsarium (Linné, 1767) en Bavière (Bässler & Müller, 2010). La synthèse multitaxonomique sur le cas d'étude bavarois (Beudert et al., 2015) montre une augmentation de l'abondance des espèces rares de carabes, d'oiseaux, de coléoptères saproxyliques (cf. aussi Cours et al., 2021), d'araignées, de mousses, de lichens, d'insectes floricoles dans les peuplements dépérissants et des tendances similaires pour les chauves-souris et les punaises. Seules les espèces rares de gastéropodes, de papillons et de plantes vasculaires ne sont pas significativement favorisées par le dépérissement. Toutefois, ces effets semblent aussi contexte-dépendants car, dans les sapinières des Pyrénées, les espèces rares de coléoptères saproxyliques n'ont pas répondu significativement à l'augmentation des ressources dans les peuplements dépérissants (Cours et al., 2021).

La méta-analyse de Thom & Seidl (2016) insiste sur le paradoxe des perturbations. L’impact des perturbations sur les indicateurs de biodiversité est globalement positif, notamment en forêt tempérée. En revanche, des effets divergents et généralement négatifs sont constatés sur toutes les autres catégories de services écosystémiques, comme les services de soutien, d'approvisionnement, de régulation et les services culturels, là encore plus particulièrement dans les forêts tempérées. Par exemple, alors qu'une perturbation augmente en moyenne la richesse globale des espèces de 36 %, elle entraîne en moyenne une diminution du stockage total de carbone de l'écosystème de 39 % (Thom & Seidl, 2016).

La réponse de la biodiversité aux coupes sanitaires est hétérogène

Les peuplements dépérissants font souvent l’objet de travaux de coupes et récoltes « sanitaires » des produits accidentels, parfois désignées comme des exploitations de sauvetage destinées à limiter les pertes économiques et/ou limiter la propagation des bioagresseurs. Leur impact écologique peut être significatif sur plusieurs compartiments de l’écosystème forestier. Parmi ses effets environnementaux, la coupe sanitaire peut altérer la structure du peuplement (stock de bois mort, ouverture de la canopée ; figure 1).

Dans les cas d'étude bavarois et pyrénéens, la coupe sanitaire a provoqué une réduction significative de la quantité de bois mort, ce que confirment les résultats d'une revue quantitative de la littérature plus générale (Cours et al., 2023a, ce numéro). Les coupes sanitaires ont alors annulé les effets environnementaux significatifs associés au dépérissement (Cours et al., 2021).

En comparant les parcelles dépérissantes non exploitées à des parcelles soumises à une coupe sanitaire, la réduction de la quantité et de la diversité du bois mort, de la densité d'arbres morts et du volume de gros bois mort debout et gisant, était plus forte dans les pessières bavaroises que dans les sapinières pyrénéennes, où la coupe sanitaire était plus sélective. La composition des assemblages de coléoptères saproxyliques a été significativement affectée par les coupes sanitaires en Bavière mais pas dans les Pyrénées. Dans les deux terrains, la diminution de la quantité locale d'habitats saproxyliques n'a entraîné aucune diminution d'abondance ou de richesse des coléoptères associés. Dans les Pyrénées, la coupe sanitaire n'a eu d'impact ni sur la richesse ni sur la composition des assemblages d'insectes aériens (papillons, punaises, guêpes et abeilles, scarabées, mouches ; Sire et al., 2022). Néanmoins, nous avons observé une diminution de la richesse en coléoptères saproxyliques rares suite à la diminution du volume de bois mort (en Bavière et dans les Pyrénées), une diminution de la richesse en espèces de coléoptères fongicoles suite à la régression de la densité des arbres porteurs de champignons (en Bavière). En accord avec une homogénéisation de l'habitat induite par les coupes sanitaires, comme le confirme la réduction observée de la diversité du bois mort dans les pessières et les sapinières, nous avons observé en parallèle une homogénéisation des communautés de coléoptères saproxyliques, plus similaires entre sites au sein de la classe des parcelles dépérissantes exploitées.

En cas de coupe sanitaire, la méta-analyse de Thorn et al. (2018) démontre que quelques groupes sont ainsi plutôt gagnants (gastéropodes, amphibiens, coléoptères carabiques, araignées, punaises, fourmis), quelques-uns sont indifférents (syrphes, rongeurs, mousses, plantes vasculaires), et de nombreux groupes sont plutôt perdants (chauves-souris, papillons, oiseaux, champignons et coléoptères saproxyliques, collemboles, lichens, reptiles). De façon générale, les coupes sanitaires favorisent les espèces de milieu ouvert, et font régresser les groupes caractéristiques de forêt fermée (Cours et al., 2023a, ce numéro). Elles contribuent à éloigner davantage la composition des communautés des assemblages forestiers préexistants au dépérissement, par un effet additif au dépérissement [Morissette et al. (2002) pour les oiseaux, Cours et al. (2021) pour les coléoptères saproxyliques].

Perspectives et conclusions

Certaines stratégies de gestion après perturbation pourraient aggraver les impacts négatifs du dépérissement sur les communautés, ou permettre de tirer profit de ses effets positifs à des fins de conservation de biodiversité. Pour épargner les bénéfices des perturbations sur les auxiliaires, la régénération et la biodiversité, et dans le respect des équilibres économiques et phytosanitaires, une sylviculture de rétention pourrait être réfléchie pour profiter de la crise, en visant des récoltes sanitaires sélectives et en préservant une proportion des héritages biologiques des perturbations. En appliquant une approche mixte de raréfaction et d'extrapolation à un ensemble de données multitaxa (oiseaux, plantes, insectes, champignons), provenant de forêts perturbées sur toute la planète, Thorn et al. (2020) ont livré des repères sur les cibles de rétention, c'est-à-dire la proportion de surface des forêts naturellement perturbées qui devrait être exclue de coupes sanitaires pour préserver leur biodiversité. Si les valeurs varient selon le groupe taxonomique considéré, elles livrent les résultats opérationnels génériques suivants : dans l'objectif de maintenir au moins 90 % de la diversité spécifique des espèces forestières, il faut éviter les récoltes sanitaires dans 75 % d'une zone forestière naturellement perturbée. Sous un angle inversé, quand l'objectif vise à conserver 50 % d'une forêt naturellement perturbée sans exploitation, cette approche permet de maintenir 73 % de la richesse des espèces forestières. Ces éléments normatifs relèvent d'objectifs de conservation qui peuvent alimenter la recherche de compromis en cas d'enjeux phytosanitaires aigus.

Sous contraintes des enjeux de production et de protection phytosanitaire des peuplements, des réflexions sylvicoles sont donc à engager sur les opportunités de conversion de parcelles dépérissantes en îlots de sénescence à haut potentiel de biodiversité, en vertu de leur forte charge en héritages biologiques de perturbation, en concertant la connectivité paysagère entre les îlots. Notre attention doit aussi porter sur le caractère sélectif des coupes sanitaires, et les niveaux de rétention des arbres morts et du bois mort, ainsi que sur les plantations d’essences pour le renouvellement de forêts après une vague de dépérissement, impliquant la recherche d’équivalents écologiques de substitution.

Cependant, la dynamique des communautés dans les forêts en cours de dépérissement est encore mal connue et requiert l’acquisition ultérieure de séries temporelles de données, militant pour la création d’un observatoire permanent du suivi des dépérissements et de leurs effets sur les conditions forestières et la biodiversité associée.

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Auteurs


Christophe Bouget

christophe.bouget@inrae.fr

https://orcid.org/0000-0002-5206-7560

Affiliation : INRAE, UR EFNO, 45290, Nogent-sur-Vernisson, France

Pays : France


Jérémy Cours

https://orcid.org/0000-0003-4179-2350

Affiliation : INRAE, UR EFNO, 45290, Nogent-sur-Vernisson

Pays : France


Aurélien Sallé

https://orcid.org/0000-0003-3876-9272

Affiliation : Laboratoire de Biologie des Ligneux et des Grandes Cultures, INRAE, Université d’Orléans, 45067, Orléans, France

Pays : France

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Citations