Introduction

Depuis quelques mois, de nombreux adjectifs pessimistes sont accolés à l’avenir de nos arbres et de nos forêts. En effet, une vague importante de mortalité d’épicéas associée au scolyte typographe a été observée suite à trois années successives avec des étés très chauds et secs et des hivers trop doux.

Des dépérissements, jusqu’à présent cantonnés à quelques espèces dans certaines régions, s’observent maintenant sur des espèces réputées moins sensibles, comme le Pin sylvestre ou le Chêne sessile, et sur l’ensemble du territoire.

Fin 2019, la mobilisation politique a pris une dimension nouvelle avec l’organisation d’un séminaire conjoint du Sénat et de l’Assemblée Nationale¹, la mission Cattelot² et la préparation d’une feuille de route à la demande du Ministre de l’Agriculture³. En septembre 2020, le plan de relance du gouvernement prévoit un volet forestier intitulé “Aider la forêt à s’adapter au changement climatique pour mieux l’atténuer”⁴ doté de 200 millions d’euros dont 150 millions d’euros sont directement consacrés au renouvellement des peuplements forestiers. La question de la prise en compte des effets du climat de demain sur les forêts est donc posée.

Face à cette situation, quelles réponses pouvons-nous apporter aux praticiens ? :

— ingénieurs forestiers qui voient leurs aménagements rapidement inopérants, car perturbés par des crises sanitaires qui s’étalent sur plusieurs années, en obligeant à récolter les bois par anticipation ;

— techniciens forestiers, qui voient leur réflexion sylvicole à moyen et long terme remplacée par une gestion continuelle de l’urgence sanitaire, et réalisent de plus en plus de coupes sanitaires, sur des bois morts ou fortement dépérissants ;

— propriétaires forestiers qui voient partir en quelques mois le fruit de décennies de soins sylvicoles à un prix qui permet rarement leur renouvellement ? Que faire après, comment renouveler les peuplements dévastés ? Ou bien, dès aujourd’hui, quelles actions entreprendre pour réduire la vulnérabilité des peuplements les plus menacés demain ?

La forêt métropolitaine est composée de nombreuses régions sylvicoles (309 regroupées maintenant en 86 sylvoécorégions⁵) avec une grande diversité d’espèces d’arbres forestiers (190 d’après l’IGN⁶) et de traitements sylvicoles. Cette diversité, qui existe entre espèces mais aussi à l’intérieur des espèces et qui est issue de situations pédoclimatiques (sols et climat) très variées, demande à être promue, entretenue et développée. C’est notre chance de disposer d’une telle diversité de stations forestières, d’espèces et de populations dans les espèces et de modes de gestion, qui constitue ce que l’on peut voir comme une assurance tous risques. Mais il est important de prendre en considération que le climat évoluant, toutes les stations sont susceptibles de changer en quelques décennies, ce qui était inenvisageable il y a encore quelques années.

Les solutions globales ou généralistes, mobilisées dans la précipitation, ne fonctionneront pas durablement. Il faut tenir compte de la diversité des forêts, des 4 millions de propriétaires forestiers, des industriels de la filière bois qui valorisent la production forestière, des citoyens qui ont un avis sur le devenir de leurs paysages, et de tous les usagers qui vivent mieux grâce à la forêt.

Les projets du réseau AFORCE utiles au Plan de relance

Les 16 membres du réseau AFORCE⁷ travaillent ensemble depuis 10 ans pour diffuser les connaissances des effets du changement climatique sur les forêts, afin d’aboutir à la construction d’outils d’aides à la réflexion, en particulier sur le choix des espèces dans ce contexte de grandes incertitudes.

Figure 1 Le RMT AFORCE met en réseau 16 partenaires de la recherche et développement (R&D), de l’enseignement et de la gestion forestière pour mieux préparer les forêts au climat de demain

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Scientifiques, développeurs, gestionnaires, enseignants, proposent aujourd’hui des outils utiles pour porter un diagnostic sur les espèces actuelles en prenant en compte leur devenir probable dans un futur climatique dans le cadre des scénarios décrits par le GIEC (2022) : augmentation de la température au moins jusqu’en 2050, réduction forte, rapide et durable des émissions de gaz à effet de serre pour limiter le changement climatique, réalisation de 5 scénarios appelés trajectoires socioéconomiques communes (SSP1-1.9 : + 1,5 °C avec très forte baisse des émissions dès 2025 ; SSP1-2.6 : + 2 °C avec baisse continue à partir de 2025 ; SSP2-4 .5 : + 3 °C pic des émissions vers 2030 ; SSP3-7.0 : hausse forte des températures, + 3,6 °C en 2100 ; SSP-8.5 : hausse très forte des émissions, + 4 °C en 2050).

Les travaux collaboratifs du RMT AFORCE ont produit des résultats qui sont essentiels pour accompagner le renouvellement des peuplements forestiers prévu dans le plan de relance. Ces résultats ont donné lieu à des productions marquantes disponibles largement :

• « Le bilan hydrique des peuplements forestiers » : ouvrage qui recense les questions/réponses des scientifiques pour une meilleure alimentation en eau des peuplements forestiers. Version pdf disponible sur le site web du RMT AFORCE⁸.

• BILJOU : outil de calcul de bilan hydrique de peuplements forestiers tenant compte du sol, du climat et du couvert. Accès vers le site web via le site web du RMT AFORCE⁹.

• Guide de gestion des crises sanitaires en forêt (2^e édition) : ouvrage qui définit ce qu’est une crise sanitaire, en détaille les différentes phases, les rôles des acteurs, et décrit 12 crises passées ou en cours, avec leurs caractéristiques. Cette capitalisation d’expériences est destinée aux décideurs afin d’améliorer la gestion des crises. Disponible en version papier.

• CLIMESSENCES : Site web, composé d’une part d’une base de données sur l’autécologie de 150 espèces d’arbres forestiers décrite grâce à 37 critères et, d’autre part, d’un modèle d’évolution de la répartition des espèces à l’échelle des sylvo-écorégions, pour deux horizons temporels 2050 et 2070, et selon deux scénarios climatiques RCP 4.5 et 8.6. Ce modèle prend en compte trois critères liés au climat : manque d’eau, chaleur, froid hivernal. Ainsi, ce système permet de présenter, pour chaque grande région forestière, une liste d’espèces selon leur degré de tolérance ou d’exigence par rapport à ces trois facteurs climatiques. Leurs déploiement et accompagnement se font grâce à des formations pour l’utilisation de ce site web (en accès libre) depuis juin 2021 (figure 2).

Figure 2 ClimEssences est un site internet réalisé par l’ONF et le CNPF sous l’égide du RMT AFORCE
Le mode Standard du site est ouvert au public depuis le 1er juillet 2021. Au 1er septembre 2021, le site comptabilise 3 700 comptes utilisateurs.

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• ESPERENSE : Réseau national d’expérimentation des espèces et des matériels forestiers de reproduction adaptés au climat futur. Ce réseau expérimental qui se met en place fin 2020 a bénéficié de ces trois actions successives. Un colloque de restitution a eu lieu en mai 2021 :

— Définition des zones à enjeux qui croisent la vulnérabilité vis-à-vis du climat des principales espèces forestières avec l’importance de la ressource sur la zone. Seules les espèces les plus représentées sont analysées. Ces zones sont utilisées pour définir des plantations utiles pour l’observation de leurs comportements et dessiner les chemins de migration assistée des espèces dans le futur ;

— rédaction de protocoles pour la gestion de sites expérimentaux de tests de nouvelles espèces, afin d’anticiper et d’accompagner la migration des espèces, de tester de nouveaux matériels forestiers de reproduction, voire de nouvelles espèces. Le long terme forestier demande à expérimenter aujourd’hui pour disposer de résultats dans les décennies à venir ;

— mise en place d’une logistique d’approvisionnement en graines, afin de préparer l’alimentation des sites d’expérimentation.

En complément des outils mis au point dans le cadre des activités d’AFORCE, les organismes membres ont mis au point d’autres outils complémentaires :

• For-Eval (INRAE-ONF) : application permettant de réaliser un diagnostic local du réservoir en eau utilisable des sols et de la sensibilité du sol d’une parcelle forestière à divers risques (tassement, érosion, sécheresse, perte de fertilité). Disponible gratuitement sur Google Play.

• BIOCLIMSOL (CNPF) évalue la vulnérabilité au dépérissement dû au stress hydrique de quelques espèces pour une parcelle donnée suite à la description de la station forestière. L’application «FORECCAsT by Bioclimsol» est disponible depuis mi 2021 sur tablette ou smartphone, et accessible après avoir suivi une formation.

• PRESTATION Nord-Ouest (CNPF) permet de cartographier les facteurs stationnels face au changement climatique (pH, Carbone du sol, Réserve utile…). À partir de jeux de données issues des forêts du Centre et du Nord-Ouest de la France.

• Modèle de surmortalité forestière due au changement climatique (AgroParisTech, portail SILVAE¹⁰), méthode d’évaluation des causes (climat, évolutions récentes du climat) de la surmortalité sur les essences les plus communes en France.

• Réseau REINFFORCE (Institut européen de la forêt cultivée) permet de comparer le comportement de 38 essences sur un gradient climatique allant du nord de l’Angleterre au Portugal. Site web¹¹

Ces outils sont à différents stades de maturité, disponibles, en phase de test, de finalisation, sont et seront prochainement mis à disposition des gestionnaires, techniciens et ingénieurs forestiers, décideurs, afin de porter un diagnostic sur l’avenir des forêts dont ils ont la charge. Leur usage nécessite une certaine technicité et des formations seront proposées par les experts avec l’appui de cellules en régions constitués de partenaires du réseau. Ils seront améliorés au cours du temps en fonction des connaissances acquises.

Les équipes membres du RMT AFORCE s’associent pour encourager les acteurs forestiers à utiliser ces outils de diagnostic qui éclairent la réflexion et aident à la décision. Correctement mis en œuvre, ils devraient permettre d’éviter certaines erreurs du passé. Mais il y aura des échecs et il faudra savoir accepter de se tromper et parfois de prendre des risques : les incertitudes irréductibles sur le futur ne doivent pas paralyser l’action qui se situe dans un temps long.

Quelques résultats nous amènent à proposer des recommandations concrètes

Gestion des crises sanitaires

La formation à la gestion de crise doit être développée dès maintenant dans les organisations professionnelles afin de professionnaliser leurs compétences et de diffuser les bonnes pratiques.

Le guide de gestion des crises sanitaires décrit le mode d’organisation des partenaires forestiers pour renforcer leur cohérence et leur efficacité. Il s’appuie sur l’expérience de six crises actuelles et le retour d’expérience de six crises passées (figure 3).

Figure 3 La deuxième édition du Guide de gestion des crises sanitaires en forêt actualise et complète de nouveaux exemples de crise la première édition de 2009
Il est en libre accès au format PDF sur le site du réseau AFORCE (https://www.reseau-aforce.fr/), ou sur simple commande en format papier à l’Institut pour le développement forestier.

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Il est nécessaire d’ouvrir la gamme des sylvicultures. Les techniques de renouvellement devraient prendre en compte trois facteurs majeurs : le bilan hydrique, la qualité des sols ainsi que l’objectif et la capacité d’investissement du propriétaire forestier (financier, temps, technicité). Le découpage des unités de gestion devrait également refaire l’objet d’une réflexion préalable pour mieux l’adapter à la diversité du territoire forestier et paysager avec un objectif assumé de forêt mosaïque, en méthodes de renouvellement, traitements sylvicoles, composition…

La mise en pleine lumière et en pleine chaleur des jeunes plants issus de régénération naturelle ou plantation entraîne parfois des échecs. Il est donc nécessaire de tester de nouvelles méthodes de renouvellement qui limitent l’ouverture des peuplements laissant un abri pour les futurs arbres les protégeant d’un stress hydrique.

Par ailleurs, il faudrait tester si, en ouvrant la gamme des densités de plantation, les enrichissements en faible densité dans le recru permettraient d’éviter les déficits hydriques et coups de soleil et faciliteraient certains renouvellements.

Les enrichissements par plantation en trouée dans une gestion en futaie irrégulière pourraient être un autre moyen d’introduire de nouvelles essences ou de provenances et d’engager une migration assistée progressive.

Le guide Le bilan hydrique des peuplements forestiers explique l’impact de la sylviculture sur la gestion de l’eau dans les peuplements et l’utilité de l’ambiance forestière pour les jeunes plants. À l’échelle parcellaire, l’application BILJOU permet d’évaluer l’évolution de son bilan hydrique.

Les perturbations du sol sur de grandes surfaces et trop en profondeur doivent être évitées. Si un travail du sol est nécessaire, préférer le travail localisé avec des engins à faible portance, pour deux raisons : éviter le tassement pour une meilleure alimentation en eau, réduire la perturbation des horizons pour conserver le carbone dans le sol, qui améliore la réserve en eau du sol.

Sur le thème des sols, des recommandations sont disponibles dans les guides Pratic’sol et Gerboise pour éviter le tassement, les exportations minérales, et préserver la biodiversité et la fertilité des sols… ou grâce à l’application For-Eval de diagnostic des sols.

Le RMT AFORCE publiera prochainement le recueil des réponses aux « 10 questions-clés sur la forêt et le changement climatique » demandé par le MAA, rédigées par un collège d’experts des organismes forestiers (recherche, développement, gestion, enseignement…). Une expertise collective abordera également la question des impacts sur la biodiversité et diverses fonctions écologiques du renouvellement après coupe dans le contexte d’adaptation au changement climatique. Enfin, une analyse comparative des modèles de simulation de la dynamique forestière dépendant du climat, accompagnée d’études de cas, va commencer.

En résumé

Le RMT AFORCE propose des étapes clés de renouvellement :

— prioriser le renouvellement des peuplements dans les territoires croisant enjeux climatiques et enjeux économiques ;

— réaliser le diagnostic pédoclimatique des parcelles à renouveler au moyen des outils d’aide à la décision pour déterminer le choix des essences de renouvellement compatibles avec le futur climatique ;

— maintenir un certain ombrage pour ne pas trop exposer semis et plants à la lumière ;

— éviter de perturber le sol en plein et en profondeur en préférant le travail localisé avec des engins adaptés aux conditions pédologiques lors du renouvellement comme lors des récoltes ;

— diversifier les essences, les provenances et les modes de gestion pour augmenter la biodiversité et la résilience des forêts face au changement climatique et obtenir des forêts mosaïques et biodiverses.

Références

• Landmann, G., coordinateur (2019). Recommandations pour une récolte durable de biomasse forestière pour l'énergie. Focus sur les menus bois (projet Gerboise). Angers : ADEME. 50 p. [En ligne] disponible sur : www.ademe.fr/mediatheque ou http://www.gip-ecofor.org/gerboise
• Lemaire, J., Vennetier, M., Prévosto, B., & Cailleret, M. (2022). Interactive effects of abiotic factors and biotic agents on Scot pines dieback: a multivariate modeling approach in southeast France. Forest Ecology and Management, 526, 120543, doi:10.1016/j.foreco.2022.120543
• Madrolles, F., Reboul, J.-B., & Piedallu, C. (2019). Pré-cartographie des stations forestières sur le Nord-Ouest de la France. Forêt-entreprise, (249), 27-29.
• Paillassa E., Musch B., & Legay, M. (2021). Le réseau Esperense, un réseau participatif et multipartenaires. Forêt-entreprise, (260), 46-49.
• Picard, O., Sevrin, E., & Bec, R. (2020). Deux nouveaux outils sylvo-climatiques. Forêt-entreprise, (255), 4-5.
• Pischedda, D., & Helou, T.-E., coordinateurs, (2021). PraticSols-Guide sur la praticabilité des parcelles forestières. ONF-Fédération nationale entrepreneurs des territoires. 48 p.
• Tuddenham, M., & Robert, C. (2022). 6e rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). 1er volume : les sciences physiques du changement climatique-synthèse du résumé à l’intention des décideurs du Giec. Citepa, https://www.citepa.org/wp-content/uploads/Citepa_2021_09_d01_INT_GIEC_AR6_Vol1_09082021_VF.pdf