Ateliers
« Quel rôle pour les politiques publiques dans la gestion des crises ? » : synthèse de l’atelier
Résumé
Cet atelier sur le rôle des politiques publiques dans la gestion de crise a été construit autour de deux axes. En premier lieu, la question de la différenciation du rôle en fonction du type de crise. Tempêtes, crises sanitaires ou incendies réclament des indicateurs de suivi différents et mènent à des réponses à nuancer. En second lieu, le cadre de l’action publique a été étudié en essayant de le décliner à différentes échelles et en tentant de conserver au mieux la multifonctionnalité, éventuellement mise à mal dans un contexte de changements globaux.
Messages clés
Les politiques publiques en cas de crise s’appuient sur deux axes.
Le premier axe intègre des indicateurs de suivi des crises.
Le second axe intègre les changements d’échelles.
Abstract
This workshop on the role of public policies in crisis management was built around two axes. The first axis addressed the differentiation of roles according to the type of crisis. Storms, forest health crises or fires require different monitoring indicators and lead to responses that need to be differentiated. In the second axis, the framework for public action was studied by trying to apply it at different scales and trying to best preserve the multi-functionality of forests possibly undermined by global changes.
Highlights
Public policies during crises rely on two axes.
The first axis involves indicators to monitor these crises.
The second axis involves up- or down-scaling.
Introduction
D’un point de vue théorique, le rôle de l’État, et de la puissance publique en général, dans la gestion de crises comme celles qui menacent l’intégrité des forêts peut se décliner selon un gradient d’interventionnisme :
— État Providence : c’est-à-dire un État qui assume l’ensemble des coûts de réparation, voire de restauration des conséquences d’une crise, à l’instar des plans chablis suite aux tempêtes de 1999 et 2009 ;
— État régulateur : c’est-à-dire un État qui n’est plus un acteur direct mais qui oriente (par exemple à travers des aides partielles) ou qui ordonne (à travers des obligations de gestion par exemple). On citera ainsi les subventions étatiques pour les assurances ou encore l’obligation de plans de gestion incluant les différents risques ;
— État libéral : c’est-à-dire un État qui n’assume plus la responsabilité de la gestion de crise, laissée à la responsabilité des propriétaires seuls. C’est par exemple le cas lorsque les propriétaires doivent se débrouiller seuls face à certains risques.
Dans le cadre du risque tempête, après deux évènements majeurs, l’État s’est en partie désengagé de la responsabilité de la gestion du risque en organisant les conditions d’un développement de l’assurance privée. Mais, depuis deux ans, la crise sanitaire qui touche les forêts de l’Est de la France vient de nouveau questionner le rôle de l’État et des politiques publiques dans la gestion des crises et le partage de la responsabilité face au risque. Il apparaît encore une fois que la gestion d’une crise ne se limite pas à l’indemnisation des victimes directes de l’événement perturbateur mais qu’elle pose de manière plus globale la question du traitement des conséquences sur l’ensemble des activités associées (notamment en ce qui concerne le problème de la sortie des bois et de l’organisation des marchés) et de la prise en compte de l’avenir des forêts concernées.
L’objectif de cet atelier était donc de s’appuyer sur les expériences récentes ou plus anciennes en matière de gestion de crise pour mettre en discussion le rôle des politiques publiques dans leur prévention, leur traitement et leur anticipation. Nous nous sommes d’abord interrogés sur la manière dont la nature de la crise, sa temporalité, sa localisation conditionnent les capacités de réponse des acteurs publics et privés. Nous avons ensuite envisagé les enjeux futurs en matière d’intégration de la culture du risque dans la politique forestière et dans les stratégies de développement forestier.
De l’importance des crises
Derrière le terme générique de « gestion de crises » se dissimulent plusieurs types d’événements, dont les effets, les temporalités — et donc les traces laissées dans les mémoires — sont fondamentalement différents. Deux types d’événements ont particulièrement été mis en exergue au cours de cet atelier :
— en premier lieu, les tempêtes majeures (essentiellement Martin et Lothar en 1999 et Klaus en 2009), qui engendrent une perturbation du couvert forestier sur un temps très bref (quelques heures) et dont les dégâts peuvent être d’une ampleur considérable : pour rappel, de l’ordre 170 millions de m3 en décembre 1999 (Birot, 2019) avec des effets à l’échelle de la filière et des territoires pouvant se faire ressentir pendant de nombreuses années ;
— d'autre part, la crise sanitaire actuelle du scolyte de l'épicéa touchant les pessières de l'Est de la France mais aussi du reste de l'Europe (Allemagne, République Tchèque, etc.) a aussi été évoquée à de nombreuses reprises. La temporalité de cette crise est très différente puisque les pertes ont lieu sur plusieurs années mais les dégâts n'en sont pas moins importants, bien que touchant essentiellement une seule essence. À noter que le problème de la sécheresse n'a pas été évoqué explicitement même si la crise des scolytes semble être une conséquence directe de cet aléa.
Un thermomètre propre à chaque crise forestière ?
Afin de suivre l'évolution d'une crise, un certain nombre d'indicateurs doivent permettre d'acter le passage de niveaux de vigilance, d'entrée en crise ou de retour à la normale (Brunier et al., 2020). Il est donc primordial de disposer d'outils fiables de mesure des dégâts engendrés au cours d'une crise afin de la gérer au mieux. De plus, un tel thermomètre permet aussi de mieux cerner l'ampleur d'une crise et donc d'y apporter une réponse mesurée, pertinente et cohérente.
Dans le cas des tempêtes Martin et Lothar de 1999, puis Klaus de 2009, il a été possible de s’appuyer sur l’Inventaire forestier national afin de réaliser une évaluation assez fiable des dégâts engendrés par les tempêtes (Degron, 2000).
Ce genre d’évaluation n’est néanmoins possible que du fait de la temporalité brève d’une tempête. Dans le cas de la crise scolytes, un suivi doit être mis en place dans la durée afin de pouvoir suivre l’évolution au cours du temps des surfaces forestières impactées. Pour cela, plusieurs instruments ont pu être expérimentés : les observations in situ par le Département de la santé des forêts (Badeau, 1998), plusieurs campagnes successives de télédétection (afin d’observer la dynamique du processus), le suivi des indices de récoltes exceptionnelles de l’Office national des forêts et un partenariat avec l’Interprofession (FiBois GrandEst) afin d’établir la quantité de bois commercialisée ayant atteint la première transformation.
La fiabilité d’un thermomètre de crise est donc variable et reste pourtant une condition sine qua non à une vision claire pour l’État du niveau précis de crise.
Les causes d’une crise
La question de l’attribution et de la reconnaissance de la responsabilité d’une crise a été soulevée à de nombreuses reprises au cours de l’atelier. Il a par exemple été évoqué que, dans le cas d’une tempête, l’État accepterait de porter le risque pour trois raisons : tout d’abord toute la société est concernée, pas uniquement les forestiers, il est donc plus simple de créer un régime exceptionnel. De plus, il est couramment accepté que les dégâts dus à une tempête sont peu dépendants des pratiques du propriétaire. Enfin, de par la brièveté d’un épisode tempétueux, le bois doit être rapidement récolté et transformé ou stocké afin de ne pas perdre la totalité de sa valeur. Ces trois motivations semblent donc mener à une participation rapide et efficace des acteurs publics.
Dans le cas des dépérissements, les explications sont plus complexes et encore à l’étude. En ce sens, il est plus difficile d’établir ce qu’est une bonne ou une « mauvaise » sylviculture. De plus, les dépérissements forestiers revêtent un caractère pernicieux, aux causes multiples et avec des conséquences plus graduelles et évolutives. Cela pourrait donc expliquer la réticence des autorités publiques à s’engager sur ce type de crises. Ce problème a par exemple été rapproché de celui des constructions en zones inondables impactées par des crues.
La réponse à une crise
Il a cependant été rapidement conclu que la question de l’attribution de la responsabilité d’un dépérissement pouvait amener une certaine réticence, voire des blocages, chez les différents acteurs et pouvait donc s’avérer contre-productive. Plutôt que d’essayer de trouver l’origine de la faute et puisqu’il est obligatoire, d’après le Code forestier, de maintenir un couvert forestier, se pose plutôt la question de savoir ce qu’il serait pertinent de faire à l’avenir pour parvenir à éviter que se reproduisent les mêmes erreurs ou du moins minimiser l’impact des crises.
À ce titre, le plan de relance a été mentionné (Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2020), faisant table rase du passé et dessinant des pistes pour l’avenir. Les échecs de plantation dus à des sécheresses intenses et le nombre de plants disponibles ont néanmoins été cités comme limites de ce plan de relance. Ceci a été mis en parallèle avec les plans de reconstitution post-tempête en 1999 et 2009 qui ont été établis sur la base d’un renouvellement à l’identique, ne tirant pas forcément toutes les leçons possibles de ces deux évènements majeurs.
Aussi, certains ont exprimé le sentiment que moins d’investissements humains et financiers ont été mobilisés pour répondre à la crise des scolytes que pour répondre à celle de ces tempêtes alors que les attentes en matière de renouvellement des pratiques forestières suite à ces crises sont de plus en plus marquées.
Le cadre de l’action publique
Un régime dérogatoire : retour au bien commun
De nombreuses pistes de cadre légal ont été étudiées. En premier lieu, suite à la tempête de 1999, il avait été rappelé que la tempête ne relève pas du régime des catastrophes naturelles et ne fait pas l’objet d’un régime d’indemnisation spécifique à la profession, du type « calamités agricoles ». En effet, dans l’absolu, le risque « tempête » reste considéré comme un risque assurable car modélisable (Nicolas, 2009).
Un modèle innovant, inspiré du régime dérogatoire pour gérer la crise de la CoViD19, a par exemple été proposé. En effet, en revendiquant le fait que la forêt française fait partie intégrante du patrimoine de la Nation, de par ses différents rôles protecteurs et des services écosystémiques divers qu’elle fournit, un tel régime permettrait de mettre plus de moyens dans nos forêts, en s’affranchissant du cadre européen. Toutefois, il faudrait pour cela réaffirmer la forêt comme un bien commun, source de nombreux services écosystémiques et donc mettre l’intérêt collectif en avant par rapport aux droits du propriétaire privé.
Un tel bien commun pourrait même outrepasser les prérogatives de l’État providence puisqu’une gestion par la communauté serait alors envisageable, sous réserve de créer et bien structurer un garant de ce bien commun (Ostrom, 1990).
Réciproquement, il a aussi été rappelé que les crises actuelles peuvent toucher de nombreux pays européens, tels la chalarose du frêne ou les scolytes et qu’un travail de coordination et de retour d’expérience entre les États membres pourrait être très pertinent.
Quel rôle pour les collectivités ?
• La Région
Le rôle des Régions n’est pas à négliger. Elles ont été les premières à réagir aux premiers symptômes de la crise scolyte et à proposer une cellule de gestion de crise. Les Régions ont aussi un rôle à jouer sur le plan social des crises, puisque de nombreuses parties prenantes sont touchées par la crise : propriétaires privés à qui il faudra fournir des aides, nombreux acteurs de la filière amont et aval impactés, mais aussi tous les autres usagers, impactés par la disparition du couvert forestier. La région apparaît ainsi comme le relais le plus approprié pour l’action de l’État en matière d’accompagnement des conséquences socioéconomiques d’une crise forestière.
• L’échelle locale et la multifonctionnalité de la forêt
À une échelle plus locale, les élus se voient proposer des plans de reboisement suite aux différentes crises et il peut être compliqué pour eux de trouver le juste équilibre entre production, biodiversité, stockage du carbone, enjeu paysager et récréation. Les agents de l’ONF, bien que se sentant tout à fait concernés par ce problème, se retrouvent bien souvent démunis pour répondre à ces besoins. Le plan de relance étant très orienté vers la plantation, il devrait être possible de financer des solutions alternatives, favorisant aussi d’autres services écosystémiques en intégrant une logique de résilience adaptée non seulement aux enjeux de changement globaux mais aussi aux problématiques territoriales.
Pour résoudre ce problème, il peut être tentant de spatialiser plus fortement les services écosystémiques, en incitant plus à la production sur certaines surfaces et en préservant mieux d’autres forêts. Cette vision irait alors à l’encontre de la gestion multifonctionnelle des forêts actuellement promue par la politique forestière mais elle pourrait atténuer le niveau d’exposition au risque en diversifiant davantage les profils forestiers à l’échelle des territoires.
De la même manière, la stratégie forestière de l’Union européenne (Commission européenne, 2021) a par exemple été citée. Elle n’est pas contraignante et fournit des orientations non obligatoires mais incite à planter un certain nombre d’arbres et à accroître les surfaces protégées. Ceci pourrait donc aussi avoir tendance à spatialiser les différents services rendus par la forêt.
Il a donc été conclu qu’un soutien politique de plus large ampleur devrait être proposé aux élus locaux. Cela supposerait l’élaboration de politiques publiques s’inscrivant dans le temps long qui est celui de la forêt.
Conclusion
Pendant longtemps, les crises ont été considérées comme des événements ponctuels et espacés dans le temps, dont il fallait gérer les conséquences le plus rapidement possible dans la perspective de restaurer l’état initial. Mais aujourd’hui, les crises deviennent structurelles et devraient encore devenir plus intenses et fréquentes à l’avenir. La question de savoir comment s’opère un changement dans la culture du risque est un enjeu fondamental dans la perspective de l’adaptation aux changements globaux. Cette diffusion de la culture du risque concerne l’ensemble des acteurs de la forêt et du bois, mais aussi l’ensemble de la société dans sa capacité à s’approprier les enjeux forestiers de demain. Elle revêt bien évidemment un caractère technique et économique, mais elle implique aussi une évolution profonde de l’action publique en charge du développement forestier. Pour appuyer ces changements, la recherche est mise au défi afin d’accompagner les décideurs publics dans la compréhension des enjeux associés au risque et dans le déploiement d’outils efficaces en matière d’anticipation, de prévention et de gestion le cas échéant des conséquences.
La recherche a en effet contribué à la caractérisation des risques, notamment pour les incendies et les tempêtes, en relation avec la diversité des dangers et des facteurs de vulnérabilité associés aux écosystèmes forestiers. L’attitude des forestiers face au risque suscite également de l’intérêt depuis plusieurs années. En effet, la littérature théorique a étudié l’impact de l’aversion au risque des forestiers sur différents types de décisions incluant des risques. Mais aujourd’hui, le défi est d’aller plus loin et de comprendre l’incertitude comme une composante structurelle de la gestion forestière et d’adopter une approche multirisque. Il est notamment nécessaire :
— de développer des outils d’évaluation et d’intégration des multirisques liés au changement climatique et à d’autres facteurs de stress dans les modèles d’économie forestière et dans les systèmes de gestion et de planification forestière ;
— d’analyser les conditions d’émergence et de diffusion d’une culture du risque chez les différents acteurs publics et privés ;
— de développer des outils (par exemple organisationnels, économiques et financiers, etc.) d’anticipation des risques et de stratégies de gestion de crise.
Enfin, les techniciens et chercheurs devront apporter leur éclairage au débat public et évaluer sous tous les angles les différentes voies qu’il est possible d’emprunter, mais seule la société dans sa globalité pourra dicter la voie à entreprendre pour la forêt française, faisant ainsi un choix politique de long terme. Il faudra alors modifier en ce sens la stratégie nationale pour la forêt et suffisamment y investir.
Références
- Badeau, V. (1998). Caractérisation écologique du réseau européen de suivi des dommages forestiers. Paris : Les cahiers du DSF, ministère de l’Agriculture et de la Pêche. 211 p.
- Birot, Y. (2019). Les tempêtes causent-elles aux forêts des dommages croissants ? In : La forêt et le bois en 100 questions. Académie d’Agriculture de France. [En ligne]. Disponible sur : https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/publications/encyclopedie/02.05.q02.tempetes.pdf [consulté le 31 octobre 2022].
- Brunier, L., Delport, F., & Gauquelin, X. (Coord.) (2020). Guide de gestion des crises sanitaires en forêt. RMT AFORCE. 184 p. [En ligne] disponible sur : https://www.reseau-aforce.fr/data/total_guide_sanitaire_pap_184p_int_4p_couv_bd_compressed.pdf
- Commission européenne (2021). Une nouvelle stratégie de l’UE pour les forêts pour 2030. COM(2021) 572 final. Bruxelles.
- Degron, R. (2000). Les forêts lorraines dans la tempête du 26 décembre 1999 : premier bilan. Revue Géographique de l’Est, 40(3). https://journals.openedition.org/rge/4107. doi:10.4000/rge.4107
- Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (2020). Plan de relance, Transition agricole, alimentation et forêt. Paris : ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. 20 p.
- Nicolas, J.P. (2009). Rapport d’information déposé à l’Assemblée nationale sur les conséquences de la tempête du 24 janvier 2009 dans le Sud-Ouest, 15 juillet 2009. https://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1836.asp
- Ostrom, E. (1990). Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action. Cambridge University Press. 298 p.
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