Préface
Préface
En altérant les conditions environnementales des arbres, en augmentant la fréquence et la sévérité des accidents climatiques (notamment sécheresses et canicules), en modifiant les interactions biotiques, en combinaison avec les transports non maîtrisés d’espèces, le changement climatique augmente l’occurrence et la sévérité des crises sanitaires en forêt.
De fait, l’épisode de mortalité et de dépérissement qui s’est déployé entre 2018 et 2020 a été exceptionnellement sévère. Il s’est manifesté sous des formes variées : épicéas scolytés, mortalités de hêtres et de sapins, chênes fragilisés par la processionnaire ou par le hanneton, etc., dont le lien avec le changement climatique est souvent plausible, mais parfois indirect voire difficile à établir.
Sur fond de prise de conscience accélérée des impacts du changement climatique, ces phénomènes sont en tous cas perçus de façon très différente des épisodes antérieurs aux années 2000 : ils sont désormais volontiers interprétés comme la manifestation d'une évolution irréversible, face à laquelle les gestionnaires se sentent d'autant plus démunis que leurs efforts de renouvellement des peuplements se heurtent à des échecs de plus en plus fréquents. La question du choix des essences-objectifs devient de plus en plus prégnante.
Que peuvent faire les acteurs de la filière forêt-bois pour s'adapter à des crises répétées et de plus en plus étendues ? Tel était le défi soulevé par les journées ReGeFor 2020, auxquelles différents acteurs ont été invités à apporter leur contribution : quels éléments de réponse la recherche forestière apporte-t-elle à ces questions ? ; que peuvent nous enseigner les retours d'expérience des crises passées ? ; quelles démarches inspirantes peuvent être mises en lumière ? ; quelles nouvelles formes d'organisation peuvent être débattues ? L’expression « relever le défi » retenue pour intituler ces journées rappelle que la crise n’est pas seulement un accident, désorganisant les peuplements et les organisations humaines, avec des impacts et une issue incertaine : c’est aussi l’opportunité d’une transition, d’une mue — comme l’explique Michel Badré (cf. son article).
Qu’est-ce tout d’abord qu’une crise ? Dans quelles dimensions peut-elle se manifester ? Quels outils conceptuels peut-on mobiliser pour s’en saisir ? Comment caractériser l’état de crise, en commençant par la caractérisation des anomalies climatiques, facteurs majeurs des crises forestières ? Comment détecter les premières atteintes ? Comment évaluer de façon efficiente les dégâts, en mettant à profit les évolutions technologiques ? La caractérisation des dégâts est en effet la première étape de gestion des impacts de la crise, nécessaire pour la calibration des moyens, l’organisation des récoltes et la valorisation des bois. Mais un enregistrement précis, quantitatif et spatialisé des dégâts est également un prérequis pour aborder la recherche de leur déterminisme, à différentes échelles, et dans ses différentes composantes (facteurs prédisposants, déclenchants, aggravants).
La gestion de la crise commence généralement en forêt par le défi de l’organisation des récoltes, et de la commercialisation des bois -souvent en partie dégradés par l'atteinte. Cette récolte en contexte de crise soulève en effet des questions de sécurité, de logistique, de communication, de gestion des flux de bois et d'organisation de la filière, de techniques de conservation et de valorisation des bois, et d'impact économique. Si elle est particulièrement brutale ou si elle suit de près une crise précédente, la crise peut avoir des impacts psychologiques forts sur les motivations et les choix des propriétaires. Cette récolte pose aussi les conditions du renouvellement futur, et doit veiller au respect des sols, mais aussi envisager l’intérêt pour la biodiversité des ouvertures, bois morts et dendro-microhabitats légués par la crise.
Il s'agit ensuite de se relever de la crise, et de renouveler la forêt dans un contexte d'évolution rapide des conditions environnementales, ce qui pose la question du choix et de l’approvisionnement des ressources végétales pour le renouvellement en prenant en compte les évolutions du climat et leur incertitude. La R&D forestière consacre d’importants efforts à la question depuis plus de dix ans, avec le déploiement de réseaux d’expérimentation et d’outils d’aide à la décision. Au-delà du choix des essences et des provenances, la crise pose la question des options sylvicoles pour le futur peuplement, sur laquelle le même effort d’expérimentation et de développement reste encore largement à développer. En cela, la crise est un accélérateur de la transition, et un puissant stimulant de l’intelligence collective, à condition que les acteurs s’organisent, dans le respect de la diversité de leurs points de vue, en commençant par l’échelle clé du territoire.
La prise de conscience d'un temps de retour raccourci entre les crises impose de se préparer d’ores et déjà à affronter les suivantes. Les approches de prospective peuvent-elles nous aider à identifier les enjeux et en prendre la bonne mesure ? Dans quelle mesure peut-on limiter les dégâts futurs à la forêt, à la filière, et aux services attendus des forêts en jouant sur les trois leviers : diminuer l'exposition, diminuer la vulnérabilité, augmenter la résilience ? Est-il possible par exemple de limiter les risques en mettant en place des mécanismes de solidarité et de partage du risque ? Que pouvons-nous faire, enfin, pour améliorer la culture de gestion de crise, à tous les niveaux, notamment en accompagnant mieux les acteurs impactés, aux plans économique et financier, technique, voire psychologique ?
Les articles de synthèse ici rassemblés permettent de s’approprier une vision de l’état des connaissances sur la plupart de ces questions. Les témoignages illustrent des pistes, des avancées, et donnent à voir de façon vivante et concrète les difficultés rencontrées. Les synthèses issues des ateliers rendent compte de l’état d’esprit des participants, et soulèvent souvent des questions qui n’ont pas été traitées sur le fond et qui enrichissent le débat : l’émergence du risque incendie dans des régions jusqu’ici épargnées, la réponse à l’incertitude croissante des revenus du bois par la recherche d’une valorisation plus large des services écosystémiques, à l’échelle du propriétaire ou du territoire, la question du positionnement des pouvoirs publiques, selon la nature de la crise, ou encore de la coordination internationale — pour n’en citer que quelques unes. Comme le souligne Erwin Dreyer dans son avant-propos, ces trois types de contributions sont complémentaires, et s’enrichissent mutuellement en abordant les questions sous différents angles. Que leur lecture vous apporte de l’inspiration pour faire face aux crises futures !
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