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Droit forestier

Des pouvoirs de police judiciaire donnés à des agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts

Résumé

La récente modification du code forestier, par l’ordonnance n° 2022-839 du 1er juin 2022 et son décret d’application, a pour effet principal de donner aux agents contractuels de droit privé de l’Office des prérogatives qui ne diffèrent guère de celles des gardes des bois et forêts des particuliers : pouvoir de constater par procès-verbal les infractions mais pas de les rechercher, pouvoir de relever l’identité, pas de pouvoir de porter une arme, pas de port d’un uniforme. Dans ces conditions, on peut se demander s’il n’eût pas été plus simple d’autoriser le directeur général de l’Office à commissionner ces personnels de droit privé comme gardes particuliers, comme cela avait été envisagé il y a quelques années.


Messages clés
• La création de cette nouvelle catégorie d’agents de constatation vient compliquer encore plus la police des propriétés forestières.

Abstract

The main effect of the recent modification of the forest code by ordinance No 2022-839 of 1st June 2022 and its decree of implementation is to confer private-law contract workers of the Office prerogatives that little differ from those of the wardens of private owners’ woods and forests, i.e., the power to record offences but not to track them and the power to record people’s identity, but no gun permit and no wearing of a uniform. In these conditions, one may wonder if it would not have been simpler to authorise the general director of the Office to appoint these private-law workers as private wardens, as envisaged a few years ago.


Highlights:
• The creation of this new class of agents makes forest property police even more complex.

Constatation des infractions par les personnels de droit privé de l’ONF

« Conformément à l'article 38 de la Constitution, le législateur […] a habilité le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour « modifier les dispositions du code forestier relatives à l'Office national des forêts afin d'élargir les possibilités de recrutement d'agents contractuels de droit privé et de leur permettre de concourir à l'exercice de l'ensemble des missions confiées à l'office, y compris la constatation de certaines infractions et à l'exclusion de leur recherche, par certains d'entre eux commissionnés et assermentés à cet effet ».

Cette habilitation a pour objet de réorienter l'établissement vers le droit commun applicable aux personnels des établissements publics industriels et commerciaux, de simplifier la gestion des personnels relevant de différents régimes juridiques ainsi que d'entériner une situation de fait qui voit l'établissement recruter majoritairement des agents contractuels de droit privé. Elle permet par ailleurs, pour les missions de police de l'établissement que réaliseront ces agents, de fixer leurs compétences et pouvoirs.

Dans cette perspective, différents articles du code forestier, […] du code de l'environnement et du code de la santé publique, sont modifiés. »

Comme l’indique cet extrait du rapport au président de la République relatif à l'ordonnance n° 2022-839 du 1er juin 2022, relative aux agents de l'Office national des forêts (ONF), la part croissante des personnels de droit privé au sein de cet établissement a rendu nécessaire « d’entériner une situation de fait » dans le code forestier (Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, 2022).

En quoi cette ordonnance était-elle nécessaire ?

À sa création en 1965, l’ONF a, pour l’exercice de ses missions de service public industriel et commercial, employé exclusivement des personnels fonctionnaires et des personnels ouvriers. Cette règle générale était inscrite dans l’article L. 222-6.

À partir de 1984, lui a été donnée la possibilité, qu’avaient déjà d’autres établissements publics administratifs ou industriels et commerciaux, d’employer des contractuels de droit public. Cette possibilité était inscrite dans l’article L. 222-7 (ayant remplacé en 2012, l’ancien article L. 122-4) :

« Le directeur général de l'office peut recruter, pour l'exercice de fonctions ne participant pas à ses missions de service public industriel et commercial, des agents contractuels de droit public, dans les conditions prévues aux articles 4 et 6 à 6 sexies de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État. Les agents contractuels ainsi recrutés sont soumis aux dispositions du décret prévu à l'article 7 de la même loi. »

Un décret en Conseil d'État (n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État) fixait les conditions dans lesquelles l'ONF pouvait faire appel à des personnels temporaires, contractuels, occasionnels ou saisonniers, mais ce décret, pris en application de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, ne permettait que l’embauche d’agents contractuels de droit public.

Une entorse majeure à la loi avait été faite par le décret n° 2005-1779 du 30 décembre 2005 « pris pour l'application de l'article L. 122-4 du code forestier (devenu L. 222-7 du code forestier nouveau) », toujours en vigueur au 3 juin 2022 à une modification mineure près, qui stipulait, dans son article 3 :

« Pour l'exercice de fonctions participant à des missions autres que celles de service public administratif, l'Office national des forêts peut employer des salariés de droit privé dans les conditions prévues par le code du travail ».

On voit que ce décret ne respecte pas l’article de loi pour l’application duquel il prétendait avoir été pris puisque la loi ouvrait la possibilité à l’ONF d’employer des agents contractuels de droit public pour l'exercice de fonctions ne participant pas à ses missions de service public industriel et commercial, et non d’employer des salariés de droit privé.

C’est donc, quelles qu’aient pu être les missions qui leur ont été confiées, de manière illégale que des salariés de droit privé de l’ONF étaient recrutés avant le 2 juin 2022.

On comprend mieux la mention « entériner une situation de fait » dans le rapport au président de la République relatif à l'ordonnance.

L’ordonnance crée une nouvelle catégorie de salariés à l’ONF

L'article 4 de l’ordonnance modifie l'article L. 222-6 du code forestier en y insérant la disposition qui était précédemment dans l’article L. 222-7 pour récapituler, en un seul article, les différentes catégories de personnel — fonctionnaires, agents contractuels de droit public, agents contractuels de droit privé — qu'emploie l'établissement.

Le même article 4 de l'ordonnance limite par un renvoi à une autre disposition (L. 161-4) les attributions en matière d'infractions forestières de ces derniers agents.

L’article L. 222-6 modifié est donc ainsi rédigé :

« L'Office national des forêts emploie :

« 1° Des fonctionnaires, régis par des statuts particuliers pris en application du code général de la fonction publique, pour la réalisation de l'ensemble de ses missions. Ces statuts particuliers peuvent déroger au statut général des fonctionnaires conformément au 5° de l'article L. 414-2 du code général de la fonction publique ;

« 2° Des agents contractuels de droit privé, régis par le code du travail, pour la réalisation de l'ensemble de ses missions, sous réserve des dispositions du II de l'article L. 161-4 du présent code ;

« 3° Des agents contractuels de droit public pour l'exercice de fonctions ne participant pas à ses missions de service public industriel et commercial, dans les conditions prévues par les articles L. 332-2 à L. 332-71 et aux articles L. 332-221 et L. 332-28 du code général de la fonction publique et les dispositions réglementaires générales applicables aux agents contractuels de l'État.

« Les agents contractuels sont recrutés par le directeur général de l'Office national des forêts. »

C’est une remarquable inversion que de voir, au sein d’un même établissement public d’État, les agents contractuels de droit public exclus de certaines missions de service public, tandis que des missions de service public administratif sont confiées à des salariés de droit privé.

Donner des pouvoirs de police judiciaire aux agents contractuels de droit privé de l’ONF était-il nécessaire ?

Après avoir ainsi légalisé cette nouvelle catégorie de personnels au sein de l’ONF, le Gouvernement aurait pu n’autoriser l’ONF à employer ces agents de droit privé que pour les missions de service public industriel et commercial, à l’exclusion de toute mission de service public administratif, notamment les missions de contrôle, de police et de réglementation, pour éviter de se voir opposer la jurisprudence Berkany2 (Tribunal des conflits, 25 mars 1996) confirmée pour ce qui concerne des missions de service public exercées dans un EPIC, par la cour d’appel de Paris (5 octobre 2005).

Ce n’est pas ce choix qu’il a fait et cela paraît juridiquement fragile.

L'article 2 de l'ordonnance réécrit l'article L. 161-4 du code forestier.

Il distingue ainsi, en réécrivant cet article, dans un I, les agents habilités à rechercher et constater les infractions forestières et dans un II, les agents contractuels de droit privé de l'ONF compétents uniquement pour constater ces infractions.

« Art. L. 161-4. - I. - Sont habilités à rechercher et constater les infractions forestières, outre les officiers et agents de police judiciaire :

« 1° Les agents des services de l’État chargés des forêts, commissionnés à raison de leurs compétences en matière forestière et assermentés à cet effet ;

« 2° Les agents publics en service à l'Office national des forêts ainsi que les agents de l'établissement public du domaine national de Chambord, commissionnés à raison de leurs compétences en matière forestière et assermentés à cet effet ;

« 3° Les gardes champêtres et les agents de police municipale.

« Les agents mentionnés aux 1° à 3° peuvent rechercher et constater d'autres infractions, dans les conditions prévues par les dispositions législatives les désignant à cet effet. Lorsqu’ils sont investis par le code de l’environnement de missions de recherche et de constatation d'infractions, ils interviennent dans les conditions définies aux articles L. 172-5 à L. 172-15 et à l'article L. 174-2 de ce code.

« II. - Sont habilités à constater, sans les rechercher, les infractions forestières, les agents contractuels de droit privé de l'Office national des forêts, commissionnés à raison de leurs compétences en matière forestière et assermentés à cet effet.

« Ces agents peuvent constater d'autres infractions, dans les conditions prévues par les dispositions législatives les désignant à cet effet. Lorsqu'ils sont investis par le code de l'environnement de missions de constatation d'infractions, ils interviennent dans les conditions définies à l'article L. 172-7, au premier alinéa de l'article L. 172-8, au deuxième alinéa de l'article L. 172-10, aux articles L. 172-12 à L. 172-14 et à l'article L.  174-2 de ce code. »

La présence de cet alinéa dans la sous-section 1 « agents habilités à rechercher les infractions » du code forestier est une petite erreur de légistique de la part du Gouvernement qui a oublié de modifier ce titre de section en « agents habilités à rechercher ou à constater les infractions ».

Le plus étonnant est la création d’une nouvelle catégorie d’agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire habilités à rechercher et constater les infractions forestières alors qu’il en existe déjà beaucoup.

Conséquence de cette création

Par voie de conséquence, pour tenir compte de la nouvelle structure de l'article L. 161-4, le projet d’ordonnance ajuste la rédaction de l'article L. 161-7, du II de l'article L. 161-8, des articles L. 161-10, L. 161-12, L. 161-15 du code forestier.

De plus, il précise expressément, dans certains de ces articles (L. 161-7, L. 161-8, L. 161-10), que les agents de droit privé de l'ONF sont habilités à constater, sans les rechercher, les infractions forestières.

L’article L. 161-7 étend aux salariés de droit privé commissionnés et assermentés de l’ONF le pouvoir de « constater les infractions au titre III (défense et lutte contre les incendies de forêt) du code forestier […] dans tous les bois et forêts, quel que soit leur régime de propriété ». Il s’agit bien des seules infractions au titre III du code forestier et non, comme l’affirme par erreur un autre alinéa du rapport au président de la République « les infractions forestières dans tous les bois et forêts quel que soit leur régime de propriété ».

Rappelons que, lorsqu’ils sont en service à l’ONF :

— les ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts,

— les ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement,

— les techniciens, agents adjoints techniques appartenant aux corps de l’État,

n’étant pas dans les services de l’État chargés des forêts ni dans la liste des agents de l’ONF pouvant être désignés afin d’être assermentés et commissionnés, ne peuvent plus rechercher et constater les infractions.

L’ordonnance aurait été une bonne occasion de rectifier cette aberration que nous avons déjà relevée (Cinotti, 2018). C’est raté.

Les articles L.161-10 (assermentation), L. 161-12 (délais et destinataires de la transmission des procès-verbaux), L. 174-9 (règles de procédure applicables à La Réunion) et L. 363-4 (défrichement) sont modifiés pour y intégrer les salariés de droit privé de l’ONF.

Une compétence territoriale qui reste limitée

Pour tous les agents de l’ONF, qu’ils soient fonctionnaires ou salariés de droit privé, l’article L.161-8 de la section « compétence territoriale » du code forestier limite celle-ci, dans son alinéa II, aux seuls « bois et forêts relevant du régime forestier ou gérés contractuellement par l’ONF ».

Cette disposition est donc, pour ce qui concerne les infractions au titre III, en contradiction avec celle de l’article L.161-7 mentionnée au paragraphe précédent : « tous les bois et forêts, quel que soit leur régime de propriété ».

Les pouvoirs que n’ont pas les salariés de droit privé de l’ONF

Outre qu’ils n’ont pas le pouvoir de rechercher les infractions, les agents contractuels de droit privé de l’ONF ne disposent pas de certains des pouvoirs dont disposent les agents fonctionnaires de l‘établissement.

Ainsi, l'article 1er de l'ordonnance ajuste la rédaction de l'article L. 153-5 du code forestier « pour tenir compte de la nouvelle structure de l'article L. 161-4 du même code », rédaction qui n’habilite que « les agents mentionnés aux 1° et 2° du I de l'article L. 161-4 du présent code ».

Les salariés de droit privé de l’ONF ne sont donc pas habilités à exercer un contrôle « à tous les stades de la récolte, de la production, du conditionnement et de la commercialisation des matériels forestiers de reproduction » ni « à effectuer des recherches sur l'origine de ces matériels ».

De même, l’article L. 161-15 (pouvoir de visite pour la recherche et la constations des infractions) n’est modifié que pour tenir compte de la modification d’écriture du L. 161-4.

Les salariés de droit privé de l’ONF, n’ayant pas de pouvoir de recherche, ne reçoivent pas de pouvoir de visite des locaux ou véhicules.

Pouvoirs de police au titre du code de l’environnement

« Lorsqu'ils sont investis par le code de l’environnement de missions de constatation d'infractions, [les agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts, commissionnés à raison de leurs compétences en matière forestière et assermentés à cet effet] interviennent dans les conditions définies à l’article L. 172-7, au premier alinéa de l'article L. 172-8, au deuxième alinéa de l'article L. 172-10, aux articles L. 172-12 à L. 172-14 et à l'article L. 174-2 de ce code. » (L.161-4)

Les salariés de droit privé de l'ONF ont donc le pouvoir, pour la constatation des infractions au code de l’environnement, comme leurs collègues fonctionnaires,

— de retenir une personne en infraction (Env. L. 172-7) pendant le temps nécessaire à l’information et à la décision de l’officier de police judiciaire ;

    — de recueillir les déclarations de toute personne susceptible d’apporter des éléments utiles à leurs constatations (Env. L. 172-8 1er al.) ;

— de requérir directement la force publique (Env. L. 172-10 2e al.) ;

— de procéder à la saisie de l’objet ou du produit de l’infraction, des embarcations automobiles et autres véhicules utilisés par les auteurs de l’infraction pour la commettre, pour se rendre sur les lieux ou pour transporter l’objet de l’infraction (Env. L. 172-12) ;

— de procéder à la destruction des végétaux et des animaux morts ou non viables saisis (Env. L. 172-13) ;

— de prélever des échantillons (Env. L. 172-14).

En ajoutant, dans l’article L. 161-4, les références à l’article L. 174-2 du code de l’environnement, l’ordonnance « opère également un toilettage de cet article en autorisant les agents des services de l'État chargés des forêts, les agents publics de l'ONF et de l'établissement du domaine national de Chambord, les gardes champêtres et agents de police municipale à se communiquer spontanément, sans que puisse y faire obstacle le secret professionnel, les informations et documents recueillis dans l'exercice de leurs missions de police administrative ou judiciaire prévues par le code de l'environnement » (Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, op. cit.).

Compétences matérielles données par le code de l’environnement

L'article 6 de l'ordonnance précise, dans les articles régissant les polices spéciales régies par le code de l'environnement (police de l'eau, du conservatoire du littoral, des parcs nationaux, des réserves naturelles, des sites classées de la circulation des véhicules à moteur, du patrimoine naturelle, de la chasse de la pêche en eau douce, du traitement des déchets, de la publicité dans les espaces naturelles), que les agents de droit privé de l'ONF sont investis, par l'article L. 164-1 du code forestier, du seul pouvoir de constater les infractions.

Pour ce faire, l'article 6 modifie directement les articles Env. L. 216-3 (police de l’eau et des milieux aquatiques et marins), Env. L.231-5 (atteintes aux milieux physiques), Env. L. 341-20 (sites), Env. L. 362-5 (accès à la nature), Env. L. 415-1 (protection du patrimoine naturel), Env. L. 428-20 (chasse), Env. L. 437-1 (pêche en eau douce et gestion des ressources piscicoles), Env. L. 541-44 (prévention et gestion des déchets) du code de l'environnement qui font référence aux articles directement modifiés ou aux agents habilités à constater les infractions en matière forestière, sans distinction de leur statut d’emploi.

Sans qu’il ait été nécessaire de modifier les articles correspondants, les agents de droit privé de l'ONF sont aussi habilités à constater les infractions en matière de :

— accès aux terrains du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres (Env. L. 322-10-1) ;

— parcs nationaux (Env. L. 331-20) ;

— réserves naturelles (Env. L. 332-20 II) ;

— publicités, enseignes et préenseignes (Env. L. 581-40).

Même si, formellement, ils sont mentionnés dans les articles correspondants, il ne semble pas défendable que les agents de droit privé de l’ONF aient le pouvoir de :

— « faire ouvrir les carniers, sacs ou poches à gibier » par les chasseurs et les personnes les accompagnant (Env. L. 428-29 par renvoi au 2° de l’article Env. L. 428-20) ;

— ni de « faire amener [son] bateau et ouvrir [ses] loges, réfrigérateurs, hangars, bannetons, huches, paniers et autres réservoirs et boutiques à poisson » par les pêcheurs ou « procéder à la visite des passages d’eau des moulins ou autre installation fixe implantée sur les cours d’eau » (Env. L. 437-7) ;

car ce sont des pouvoirs de recherche des infractions.

Compétences matérielles données par le code de la santé publique

L'article 7 de l'ordonnance, en modifiant l'article L. 1324-1 du code de la santé publique, habilite les agents de droit privé de l'ONF pour constater les infractions relatives aux périmètres de protection des eaux potables et des eaux minérales naturelles.

Des dispositions contestées… mais confirmées par le Conseil constitutionnel

Un syndicat de personnels a présenté au Conseil d'État une requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance n° 2022-839 du 1er juin 2022 relative aux agents de l'ONF, et lui a demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions, d'une part, du 1° du I de l'article 79 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique et, d'autre part, des articles L. 161-4, L. 161-7, L. 161-8, L. 161-10, L. 161-12, L. 174-9, L. 222-6 et L. 363-4 du code forestier, des articles L. 216-3, L. 231-5, L. 341-20, L. 362-5, L. 415-1, L. 428-20, L. 437-1 et L. 541-44 du code de l'environnement et de l'article L. 1324-1 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 1er juin 2022.

Par sa décision n° 2023-1042 QPC du 31 mars 2023, le Conseil d’État, estimant que « Le grief tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à l'article 66 de la Constitution au regard de l'étendue des pouvoirs de police judiciaire conférés aux agents de droit privé de l'Office national des forêts et des modalités de leur contrôle par l'autorité judiciaire, soulève une question présentant un caractère sérieux », a renvoyé la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Dans sa décision 2023-1042 QPC du 31 mars 2023, le Conseil constitutionnel a estimé que la modification de l’article L. 222-6 qui permet à l’ONF, personne morale de droit public, d’employer des agents contractuels de droit privé accomplissant pour son compte des missions de police administrative n’a « ni pour objet ni pour effet de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale » et déclaré le 2 ° de l’article L. 222-6 du code forestier conforme à la Constitution.

En ce qui concerne les pouvoirs confiés aux agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts en matière d’infractions forestières et d’infractions au code de l’environnement et au code de la santé publique, le Conseil constitutionnel a estimé que « les dispositions contestées ne méconnaissent pas l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire » et déclaré l’ensemble des autres dispositions contestées conformes à la Constitution.

Considérations diverses

Par sa décision exposée au paragraphe précédent, le Conseil constitutionnel confirme l’interdiction de toute transmission hiérarchique des procès-verbaux au sein de l’Office national des forêts.

En jugeant que le fait que « les agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts transmettent les procès-verbaux d’infractions qu’ils établissent au représentant du ministère public » répond à l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire, le Conseil constitutionnel vient confirmer que toute transmission d’un procès-verbal d’infraction interne à l’Office national des forêts est interdite, interdiction qui résulte de l’abrogation, par la loi n°2014-1170 du 13 octobre 2014, de l’article 26 du code de procédure pénale.

Il résulte de ce rappel que la hiérarchie des agents de droit privé de l’ONF n’a pas la possibilité de leur demander communication des procès-verbaux d’infraction qu’ils établissent, ni d’aucune autre pièce de procédure de leur activité de police judiciaire.

À l’inverse, les agents contractuels de droit privé de l’ONF n’ont pas l’obligation de constater les infractions

Les termes de l’alinéa 2 de l’article 40 du code de procédure pénale « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » sont opposables aux fonctionnaires mais pas aux agents de droit privé.

Les agents contractuels de droit privé de l’ONF ne peuvent pas porter une arme

En modifiant, par le décret 2022-841, d’application de l’ordonnance, l’article R.161-3, le Gouvernement a explicitement fait le choix de ne pas les autoriser « […] à porter, pour leur défense dans l'exercice de leurs fonctions, une arme de catégorie B à l'exception des 3°, 6° et 7° et une arme classée au b de la catégorie D, conformément aux articles R. 312-22, R. 312-24 et R. 312-25 du code de la sécurité intérieure. »

Les agents contractuels de droit privé de l’ONF ne peuvent pas porter l’uniforme

L’uniforme est réservé, par l’arrêté du 10 juillet 2009 « relatif à l'uniforme et aux insignes de grades des agents assermentés et commissionnés de l'Office national des forêts », aux fonctionnaires (cadres techniques et techniciens supérieurs forestiers).

Selon les termes de cet arrêté, la pratique déjà ancienne de l’Office de délivrer des « tenue numéro deux, dite partenaire ou de représentation, et d'une tenue numéro trois, dite tenue de terrain » à d’autres personnels que les cadres techniques et techniciens supérieurs forestiers, est illicite.

Il paraît donc souhaitable pour éviter la cohabitation de personnels fonctionnaires tenus de porter l’uniforme réglementaire défini par l’arrêté du 10 juillet 2009 et d’agents contractuels de droit privé qui n’en ont pas le droit, d’abroger cet arrêté ou de le modifier pour créer, pléonasme, un uniforme unique.

Conclusion. Les agents contractuels de droit privé de l’ONF sont-ils plus que des gardes particuliers des forêts publiques ?

En police des propriétés rurales et forestières, tous les agents disposaient depuis le décret-loi de 1793 de pouvoir de recherche et de constatation à l’exception des gardes particuliers qui ne disposent que de pouvoirs de constatation.

Parmi les choix qu’il a faits dans la rédaction de l’ordonnance et de son décret d’application, le Gouvernement a fait celui de donner aux agents contractuels de droit privé de l’Office des prérogatives qui ne dépassent guère celles des gardes des bois et forêts des particuliers :

— pouvoir de constater par procès-verbal les infractions mais pas de les rechercher,

— pouvoir de relever l’identité,

— pas de pouvoir de porter une arme,

— pas de port d’un uniforme.

Dans ces conditions, on peut se demander s’il n’eût pas été plus simple d’autoriser le directeur général de l’Office à commissionner ces personnels de droit privé comme gardes particuliers, comme cela avait été envisagé il y a quelques années.

La récente modification par ordonnance du code forestier a donc pour effet principal de créer une catégorie spécifique de garde particulier des bois et forêts publiques. Une catégorie de plus dans le paysage déjà fort complexe des différents agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire qui constatent les infractions portant atteintes aux propriétés rurales et forestières.

Notes

  • Le lecteur pourra vérifier que ces articles concernent l’État et ses établissements publics administratifs et non les établissements publics à caractère industriel et commercial.
  • La décision Berkany qualifie de contrat administratif tout contrat de travail entre un salarié et un service public administratif.

Références

  • Cinotti, B. (2018). Eaux & Forêts : des fonctions de police judiciaire au service de la nature. Nancy : AgroParisTech. 120 p.
  • Cinotti, B. (2011). Histoire des gardes particuliers : du décret-loi du 30 avril 1790 à la loi de 2006. La Loi, (31), mars 2011, 13-16.
  • Cinotti, B. (2012). Pouvoirs de police judiciaire des personnels des Eaux & Forêts : des nouvelles règles. Revue forestière française, LXIV(2), 169-181. doi:10.4267/2042/47476
  • Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (2022). Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2022-839 du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts. J.O.R.F, (127), 2 juin 2022.

Auteurs


Bruno Cinotti

bruno.cinotti@developpement-durable.gouv.fr

Affiliation : Inspection générale de l'Environnement et du Développement durable, 92000, La Défense, France

Pays : France

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