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Biologie et écologie

Si les arbres ne parlent pas, ils communiquent

Résumé

Les arbres comme tous les végétaux communiquent avec leur environnement ainsi qu’avec les organismes qui les entourent par l’intermédiaire de signaux moléculaires très divers et de multiples récepteurs transmembranaires. La réception de ces signaux permet à l’arbre de modifier son métabolisme. Un véritable dialogue à double sens peut ainsi s’établir entre l’arbre et les organismes qui l’entourent. A partir de ces faits bien établis, plusieurs scientifiques peu scrupuleux ont affirmé que les arbres communiquaient entre eux par des réseaux mycéliens communs. C’est ainsi qu’est née l’idée des talking trees ou arbres parlants. De même l’idée que les arbres pourraient protéger leurs voisins d’insectes ou d’herbivores en les avertissant du danger par émission de substances volatiles est aussi peu vraisemblable.


Messages clés :
• Les arbres communiquent avec leur environnement ainsi qu’avec les organismes qui les entourent par l’intermédiaire de signaux et de multiples récepteurs.
• À partir ce ces faits établis, des dérives ont vu le jour sous forme d'articles, de livres ou de films véhiculant de fausses informations.

Abstract

Like all members of the plant kingdom, trees communicate with their environment and with the organisms in their vicinity through highly diverse molecular signals and multiple trans-membrane receptors. The perception of these signals by trees allows them to modify their metabolism, so that a true crosstalk can occur between trees and the organisms in their vicinity. Based on these well-established facts, several poorly scrupulous scientists have stated that trees communicate with one another through common mycelial networks. That was how the talking trees concept was born. In the same vein, the idea that trees could protect their congeners from herbivores or insects by warning them about danger through the emission of volatile compounds is little plausible too.


Highlights:
• Trees communicate with their environment and with the organisms in their vicinity through signals and multiple receptors.
• Based on these well-established facts, drifting concepts have emerged under the form of articles, books or films spreading fake information.

Introduction

L’idée que les arbres communiquent en parlant remonte à la mythologie grecque. Les chênes du bois sacré de Dodone, proche du sanctuaire de Zeus dans l’Epire, parlaient et prononçaient des oracles. En outre, après avoir servi à la construction du navire Argo, leur bois parlait et avertissait Jason et les argonautes de l'approche des dangers lors de la conquête de la Toison d’or. Et si l’on en croit le poème Nuit de Victor Hugo, les arbres se parlent aussi tout bas :

Le ciel d'étain au ciel de cuivre 

Succède. La nuit fait un pas.

Les choses de l'ombre vont vivre.

Les arbres se parlent tout bas.

À l’appui de ces légendes, plusieurs chercheurs ont avancé que les arbres communiquaient entre eux par différents mécanismes souterrains ou aériens. C’est ainsi qu’est née l’idée des talking trees ou arbres parlants. Une vidéoconférence de Suzanne Simard sur les talking trees a été visionnée plusieurs millions de fois dans le monde entier1. Ces idées ont été reprises par un forestier allemand, Peter Wohlleben, qui affirme que les arbres sont capables de dialoguer intelligemment entre eux. Cette idée a eu un énorme retentissement avec le livre de Peter Wohlleben paru en 2015 sous le titre Das geheime Leben der Bäume et paru en français aux éditions Les Arênes sous le titre La Vie secrète des arbres (Wohlleben, 2017). Ce livre a été traduit en plusieurs langues et publié à plusieurs millions d’exemplaires. Le film du même nom a eu autant de succès.

D’une manière plus générale, l’idée que les plantes se parleraient, s’entraideraient, se défendraient et seraient intelligentes s’est développée dans l’opinion publique.

Qu’en est-il réellement ?

Capacité à communiquer et intelligence, deux notions très différentes

L’intelligence est un concept abstrait qui fait l’objet de débats chez les philosophes comme chez les biologistes. L’intelligence dépend entre autres de la capacité à communiquer mais aussi de la capacité à traiter les informations reçues, de les stocker, de l’apprentissage et surtout de la capacité à prendre des décisions en toute conscience. Le mot conscience vient du latin conscientia, c’est-à-dire la connaissance qu’un être vivant a de lui-même, de son état et de son rapport avec le milieu extérieur.

Les végétaux, comme tout organisme vivant, doivent pour survivre communiquer avec leur environnement ou avec d’autres organismes. Sont-ils pour autant intelligents ? Pouvoir communiquer n’est évidemment pas suffisant pour être qualifié d’intelligent.

La capacité à communiquer est une caractéristique de tous les organismes vivants. Elle est à la fois interne et externe.

Les organismes vivants communiquent avec leur environnement afin de pouvoir s’adapter aux conditions extérieures. Les informations et des signaux divers sont captés par des récepteurs et parviennent après transduction jusqu’aux noyaux des cellules où elles interviennent sur la transcription de l’ADN en ARN messagers. Ces ARN messagers sont ensuite exportés dans le cytoplasme et traduits en protéines dans les ribosomes.

Les êtres vivants, appartenant ou non à des espèces différentes, échangent ainsi en permanence entre eux des milliers ou des millions d’informations qui se traduisent en compétition ou au contraire en coopération, la symbiose étant l’état le plus abouti.

Enfin chez les organismes pluricellulaires, les cellules communiquent entre elles par échange réciproque d’informations afin de réguler leur métabolisme différemment ou en harmonie avec les cellules voisines.

Effecteurs et récepteurs chez les végétaux

Quand un végétal rencontre des bactéries, des champignons ou tout autre organisme, il perçoit les signaux qui sont émis par ses voisins. Ces signaux ou effecteurs sont des motifs chimiques très divers (ions, sucres, hormones, acides aminés, peptides, protéines, etc.). Certaines petites protéines fongiques secrétées SSPs (Small Secreted Proteins) sont assimilées à des effecteurs. De même, des petits ARN non codants (ARNs) régulent l'immunité de l'hôte et la virulence des pathogènes. À l'instar des gènes effecteurs de protéines, beaucoup de ces ARNs sont générés à partir de régions d'éléments transposables.

Ces motifs, ou molécules signales ou molécules de signalisation ou ligands ou effecteurs sont perçus par des récepteurs (Receptor-Like Kinases ou RLKs) situés sur la paroi des cellules végétales. Ces récepteurs sont des protéines complexes qui comprennent un domaine extracellulaire pour la perception du signal, un domaine transmembranaire et un domaine kinase intracellulaire. La perception du signal déclenche dans la cellule une multitude de réactions comme l'afflux de calcium, la production d'oxygène actif, l'accumulation d'acide salicylique, etc. Ces processus agissent sur la transcription de l’ADN en ARN messagers dont la traduction modifie le métabolisme (figure 1).

S’il s’agit d’un pathogène, diverses réactions de défenses vont être activées. C’est ce qui constitue l’immunité innée du végétal. En dehors de ces processus d’immunité, les RLKs sont impliqués dans les réponses aux modifications du milieu (température, lumière, etc.), aux stress abiotiques comme le stress hydrique et d’une manière plus générale dans la régulation de la croissance des plantes en fonction des conditions de milieu. Ces récepteurs sont aussi impliqués dans les relations entre plantes et micro-organismes, que ces relations soient symbiotiques ou non.

Les domaines extracellulaires des RLKs sont très variables, ce qui rend leur capacité à percevoir une grande variété de signaux. Si le domaine extracellulaire est une lectine (LecRLK), les signaux perçus sont des sucres. Les lectines sont en effet des protéines capables de s’associer à des sucres.

Les RLKs sont divisés en 17 classes dont les LecRLKs. Aucun homologue des LecRLKs n'a été trouvé dans le génome des animaux ni celui des champignons. Les LecRLKs semblent donc spécifiques des végétaux. Il existe 75 LecRLKs chez l’arabette (Arabidopsis thaliana), 173 chez le riz, 231 chez le Peuplier, 198 chez l'Eucalyptus, 189 chez le soja, 113 chez la pomme de terre, 46 chez le concombre, 22 chez la tomate, etc.

Figure 1 Schéma et fonctionnement simplifiés d'un récepteur LecRLK : PtLecRLK1 du Peuplier, Populus trichocarpa (d'après Labbé et al., 2019)
PAN = Plasminogen/apple/nematode protein domain, TM = Protéine transmembranaire.

En sens inverse, les racines des arbres et plus généralement celles des plantes excrètent dans le sol une multitude de métabolites qui servent de signaux de communication avec les micro-organismes qui les captent.

Comment les végétaux et les arbres communiquent-ils par leurs racines ? 

Le sol est un immense réservoir de micro-organismes (champignons, bactéries, protistes, etc.). Un gramme de sol peut contenir jusqu'à 1 milliard de cellules bactériennes. Ces communautés microbiennes jouent un rôle essentiel dans les cycles biogéochimiques et en particulier celui du carbone (Courty et al., 2010). Elles ont aussi des effets bénéfiques ou au contraire délétères sur les plantes ou les arbres. Les champignons mycorhiziens sont indispensables aux arbres et à la majorité des végétaux. Ils en assurent la nutrition minérale, en particulier en phosphore, et assurent leur protection contre les pathogènes du sol. Des bactéries appelée PGPR pour Plant Growth Promoting Rhizobacteria sont également capables de stimuler la croissance des plantes et de s'opposer à l'activité d'agents pathogènes.

Quelques exemples de récepteur de racines jouant un rôle dans l’établissement de la symbiose ectomycorhizienne

L'établissement de la symbiose ectomycorhizienne ou association entre un champignon supérieur (Ascomycète ou Basidiomycète) et un arbre nécessite la mise en place de nombreux processus coordonnés conduisant au développement de nouvelles structures appelées mycorhizes d’origine mixte, champignon et arbre. L’établissement de la symbiose nécessite une co-réponse orchestrée entre l'hôte et son symbiote par l'échange de diverses molécules de signalisation via des récepteurs. Plusieurs molécules signales ont été identifiées, mais peu de récepteurs l’ont été.

Un récepteur de type lectine kinase (PtLecRLK1, figure 1) est présent chez Populus trichocarpa bien colonisé par un champignon mycorhizien Laccaria bicolor et absent chez Populus deltoïdes qui n'est que très peu colonisé par ce champignon (Labbé et al., 2019). Seuls les hybrides de ces deux peupliers qui portent ce récepteur sont bien colonisés par Laccaria bicolor (Labbé et al., 2019)

Ce récepteur qui est activé par un sucre fongique, le mannose, a été séquencé ; la séquence codante de 2 220 bp a ensuite été synthétisée puis transférée à l’arabette, Arabidopsis thaliana, qui ne peut être naturellement colonisée par un champignon mycorhizien. L’expression de ce gène PtLecRLK1 dans les parois cellulaires d’A. thaliana permet à Laccaria bicolor de former des ectomycorhizes typiques avec un manteau et un réseau de Hartig (réseau mycélien intercellulaire) caractéristiques. Dans les transgènes possédant la séquence PtLecRLK1, L. bicolor réprime l’expression de 24 gènes de défense du peuplier, alors que dans les arabettes sans transgènes un seul est réprimé par L. bicolor. De même L. bicolor modifie profondément le métabolisme général dans +PtLecRLK1 comparativement à -PtLecRLK1.

Il est remarquable de constater que l’introduction dans le génome de l’arabette d’un seul gène codant pour une protéine, certes très complexe et ayant des effets multifonctionnels, puisse permettre l’établissement d’une symbiose qui nécessite la mise en œuvre coordonnée de multiples mécanismes. En réalité, l’arabette avait des ancêtres qui possédaient tout l’arsenal nécessaire à un autre type de symbiose ancestral, les endomycorhizes à arbuscules. Seule une partie de la capacité à mycorhizer a été perdue par l’arabette au cours de l’évolution. Or les mécanismes de symbiose sont en grande partie communs aux trois grandes associations : endomycorhizes à arbuscules, ectomycorhizes et nodules fixateurs d’azote. L’introduction de la séquence génomique du récepteur PtLecRLK1 dans le génome de l’arabette a permis la remise en route des voies métaboliques non spécifiques qui n’avaient pas été perdues au cours de l’évolution.

Dans la symbiose ectomycorhizienne, le fonctionnement du récepteur lectine kinase PtLecRLK1 est précédé par celui d'autres récepteurs percevant des signaux fongiques tels les Lipochitooligosaccharides ou LCOs identifiés dans les symbioses à arbuscules et les symbioses fixatrices d'azote. De tels signaux ont été mis en évidence chez L. bicolor (Cope et al., 2019). De même, l'auxine, une phytohormone, produite fréquemment par des champignons ou des bactéries et dont on connaît le rôle depuis longtemps sur la croissance des plantes, est reconnue par un récepteur ABP (Auxin Binding Protein) situé dans la paroi des cellules épidermiques des racines de l'arbre. Une sous-unité du récepteur se fixe alors sur une protéine G et l'active, ce qui entraîne en cascade toute une série de réactions métaboliques après transcription de divers gènes en ARN messagers.

Inversement, les racines des arbres et plus généralement celles des plantes excrètent dans le sol une multitude de métabolites qui servent de signaux de communication avec les micro-organismes qui les captent. Ces exsudats racinaires activent le métabolisme fongique et la multiplication des hyphes, ce qui augmente les chances de rencontre entre racines et champignons. Les phytohormones de type strigolactone sont des métabolites clefs exsudés par les végétaux et qui sont reconnus par un transporteur fongique ABC (PDR1) dont l'activation entraîne la multiplication des hyphes fongiques (Kretzschmar et al., 2012).

Quelques exemples de petites protéines fongiques secrétées jouant le rôle d’effecteur

Chez les champignons, le sécrétome ou ensemble des protéines secrétées, comprend divers groupes fonctionnels, dont beaucoup participent à l'acquisition de nutriments, à l'autoprotection, à la manipulation de l'environnement ou à celles d'organismes présents dans leur voisinage (saprophytes, pathogènes ou symbiotiques). Les petites protéines secrétées ou SSPs (Small Secreted Proteins) sont présentes chez les champignons de tous les groupes phylogénétiques, y compris les saprophytes, et représentent en moyenne 40 à 60 % du sécrétome fongique total. Elles sont caractérisées par une séquence de moins de 300 acides aminés et la présence d'un peptide signal de sécrétion (Pellegrin et al., 2015). La majorité des SSPs sont codées par des gènes orphelins, qui n'ont pas de domaines connus ou de similitudes avec des séquences protéiques connues. Le rôle de la plupart de ces protéines est encore inconnu. Certaines SSPs sont assimilées à des effecteurs ou ligands. Elles peuvent se lier à une protéine ordinaire de grande taille et réguler l'activité de cette dernière. Elles peuvent également réguler l'expression de gènes ou la traduction d'ARN messagers. De récents travaux ont permis de montrer que, chez les champignons pathogènes, les SSPs pourraient jouer un rôle dans la pathogénicité comme dans le cas des champignons piégeant les nématodes (Fischer & Requena, 2022). Elles sont en effet impliquées dans la suppression de la réponse de défense de l'hôte et dans l'altération de son métabolisme (Giraldo & Valent, 2013). Chez les champignons ectomycorhiziens, elles prennent part à la régulation de l'expression des gènes de la plante afin de favoriser l'établissement de la symbiose (Frías et al., 2011). Chez Laccaria bicolor, le gène le plus fortement régulé par la symbiose code pour une protéine effectrice (MiSSP7) sécrétée à la réception de signaux provenant des racines du peuplier. Cette SSP fongique est importée dans les cellules de racines du peuplier par endocytose. Elle est ensuite transportée jusque dans le noyau de la racine où elle modifie le transcriptome du peuplier, permettant ainsi l'établissement de la symbiose (Plett et al., 2011). Le rôle dans les relations ectomycorhiziennes ou pathogènes de ces petites protéines fongiques secrétées reste discuté et doit encore être conforté par d'autres études.

Des réseaux mycorhiziens communs (RMCs) s’établissent-ils entre arbres et autres végétaux ?

L'idée de l'existence d'un réseau mycélien souterrain permettant aux arbres ou plus généralement aux plantes de communiquer entre eux ou entre elles et d'échanger des composés carbonés ou des signaux provient de plusieurs travaux scientifiques dont, en premier lieu, ceux de Riadh Francis, qui, en 1983, a suggéré des transferts de carbone entre plantain et fétuque (Francis, 1983). L'année suivante, Riadh Francis et David Read ont suggéré l'existence de transfert de carbone entre plantes par l'intermédiaire de mycorhizes à arbuscules dans un article paru dans Nature (Francis & Read, 1984). En 1986, dans The new Phytologist, Roger Finlay et David Read ont suggéré le même processus, cette fois entre arbres à ectomycorhizes (Finlay & Read, 1986). Suzanne Simard, professeur d'écologie forestière à l'université de Colombie Britannique à Vancouver au Canada a ultérieurement publié de nombreux articles tendant à prouver l'existence d'échanges de carbone entre arbres. Les travaux de Suzanne Simard ont été cautionnés par plusieurs autres co-auteurs bien connus de la communauté des mycorhizologues et se sont traduits par plusieurs articles très cités, dont l'un en 1997 dans Nature (Simard et al., 1997), un autre dans Canadian Journal of Botany (Simard & Durall, 2004) ou un autre en 2006 dans Trends in Ecology & Evolution (Selosse et al., 2006).

Suzanne Simard et al. (1997), en utilisant un double marquage 13C/14C aurait démontré, dans un réseau fongique reliant sapin de Douglas (Pseudotsuga menziesii) et Bouleau (Betula papyrifera), un transfert de carbone des arbres en pleine lumière vers les arbres à l'ombre. Ainsi, les arbres adultes semblent pouvoir fonctionner comme « arbres nourriciers » ou « arbres mères » des jeunes semis sous couvert.

Cependant, l'importance de ces transferts, s'ils existent réellement, reste limitée et discutée (Fitter et al., 1998 ; Robinson et Fitter, 1999 ; Wu et al., 2001). Un article de Justine Karst, Mélanie Jones et Jason Hoksema, paru en ligne le 13 février 2023 dans Nature Ecology and Evolution, remet entièrement en cause l'idée de coopération entre arbres par l'intermédiaire de réseaux mycorhiziens communs.

Selon Karst et al. (2023), les divers essais effectués en pot depuis une quarantaine d'années avec des semis en utilisant des isotopes radioactifs ou stables ne semblent pas avoir fourni de preuves suffisamment solides démontrant des transferts via les CNMs. Selon les mêmes auteurs, in situ, plusieurs méthodes ont été mises en œuvre pour tenter de prouver l'existence de CMNs en forêt. Les quelques études qui ont été effectuées in situ ne permettent pas d'aboutir à des résultats sans ambiguïté. L'affirmation selon laquelle les CMNs sont fréquents en forêt et que des composés carbonés sont transférés des arbres adultes aux jeunes semis par l'intermédiaire des CMNs n'est pas sérieusement étayée. Les transferts de signaux via les racines et les champignons à la suite d'attaques de pucerons ne sont pas non plus suffisamment démontrés. Selon ces mêmes auteurs, il n'y a pas de preuves scientifiques solides démontrant que les CMNs sont répandus et qu'ils persistent suffisamment longtemps pour être fonctionnels en forêt. Selon Karst et al., dans la littérature scientifique, les affirmations non étayées concernant les CMNs ont doublé au cours des 25 dernières années avec une tendance à citer uniquement les effets positifs possibles en oubliant les résultats négatifs. Karst et al. concluent que les connaissances sur les CMNs sont actuellement trop rares et trop incertaines pour éclairer la gestion forestière.

Si l’existence généralisée de réseaux mycéliens communs à plusieurs arbres en forêt relève du fantasme, il existe bien quelques cas bien documentés de réseaux mycéliens reliant un arbre et un autre végétal. Un exemple nous est fourni par Monotropa uniflora, une éricacée non chlorophyllienne d’Amérique du Nord, dont les composés carbonés lui sont fournis par un champignon formant avec elle des mycorhizes monotropoïdes. Ce champignon s’approvisionne en carbone à partir d’un arbre avec lequel il forme des ectomycorhizes. Chez la plupart des éricacées et beaucoup d’orchidées au stade juvénile, l’acquisition de carbone par la plante se fait partiellement par l’intermédiaire de champignons à partir de la matière organique du sol. Mais s’il y a mycohétérotrophie pour le carbone, il n’est pas possible de parler dans ces cas de réseaux mycéliens communs.

Comment les végétaux et les arbres communiquent-ils par leurs feuilles ?

Si les arbres, comme toutes les plantes, dialoguent par leurs racines avec un nombre incalculables de micro-organismes du sol, dont majoritairement des champignons, ils le font aussi par leurs feuilles avec tous les micro-organismes qui peuvent s’y déposer et y vivre. Les feuilles des plantes constituent un milieu particulier qui est appelé phyllosphère. Sa surface est environ deux fois plus grande que la surface terrestre. Cet environnement fournit un habitat à de nombreux micro-organismes qui colonisent d’une part la surface des feuilles où ils forment principalement des agrégats et d’autre part des espaces à l'intérieur des feuilles. Ils sont qualifiés d’épiphytes s’ils restent à la surface de la feuille et d’endophytes s’ils y pénètrent. Les micro-organismes peuvent en effet pénétrer à l’intérieur des feuilles par les stomates et coloniser la chambre sous-stomatique. D’autres sont capables de coloniser les espaces situés entre les cellules. Ils peuvent être commensaux et ne provoquer aucune altération des cellules, voire être bénéfiques. Mais d’autres sont pathogènes et provoquent des altérations qui peuvent entraîner la mort des cellules et la mort de la plante ou de l’arbre.

La plupart des micro-organismes de la phyllosphère sont des bactéries qui sont non pathogènes. Il existe en moyenne 100 cellules bactériennes par cm2 carré de feuilles. Les bactéries s'adaptent à la phyllosphère par différents processus : formation d'agrégats, altération de la cuticule de la feuille, production de biosurfactants, utilisation d’acides aminés, de sucres et de divers métabolites produits par les feuilles. Tous ces processus sont orchestrés par des échanges continuels de message entre les bactéries et les feuilles via des récepteurs de type RLK que nous avons déjà évoqués.

Les champignons sont moins nombreux que les bactéries sur les feuilles et ont été moins étudiés. La majorité sont des saprophytes qui peuvent protéger la feuille des champignons pathogènes. Ils sont présents sur les feuilles, soit sous forme de spores, soit sous forme de mycélium et, comme les champignons associés aux racines, échangent continuellement des messages avec la plante par l’intermédiaire de signaux et de récepteurs.

Il est fréquemment avancé que des insectes ou d'autres herbivores comme les girafes, qui endommagent les feuilles, entraînent l'émission de composés volatils (éthylène, terpènes, ou autres) qui diffusent dans l'atmosphère et seraient réceptionnés par les plantes ou arbres voisins qui pourraient ainsi se mettre en défense et éviter les agresseurs (Baldwin et al., 2006). La plupart des essais effectués pour mettre en évidence de tels effets ont été obtenus en laboratoire et ne révèlent que des effets à la marge. Deux expériences (Baldwin & Schultz, 1983 ; Rhoades, 1983) auraient mis en évidence une communication entre arbres après défoliation expérimentale. Une de ces études semble statistiquement défectueuse (Baldwin & Schultz, 1983). Les résultats de l'autre pourraient résulter d'une maladie infectieuse transmise entre les chenilles et non à la communication entre arbres. Fowler et Lawton (1985) ont réalisé un essai de terrain sur Bouleau (Betula pubescens) en défoliant des arbres de 5 % et 25 %. La défoliation expérimentale n'a pas réduit les niveaux ultérieurs d'attaque par des insectes et n'a été suivie d'aucune communication entre arbres. Depuis, ces résultats restent controversés et sont loin de faire l'unanimité dans la communauté scientifique. Ils ont continué à être véhiculés par des scientifiques comme Ian Baldwin du Max Plant Institute et de nombreux médias ou des ouvrages comme celui de Peter Wohlleben. Ils se sont ainsi transformés en certitude pour un vaste public alors que scientifiquement ils ne sont pas crédibles.

Conclusion

Les végétaux et donc les arbres communiquent avec leur environnement ainsi qu’avec les micro-organismes qui les entourent par l’intermédiaire de signaux moléculaires très divers et de récepteurs transmembranaires. Les échanges qui se font en permanence sont à double sens et entraînent des cascades d’évènements qui déterminent la nature des relations entre les partenaires, bénéfiques ou délétères. Les végétaux et donc les arbres possèdent en très grand nombre des récepteurs particuliers, les Receptor-Like Kinases ou RLKs, qui leurs permettent de recevoir des signaux de toute nature et de les traiter. Dans l’état actuel des connaissances, les végétaux apparaissent recevoir plus de messages qu’ils n’en envoient. Ils seraient donc plus des capteurs que des émetteurs. Les signaux émis sont surtout reconnus par les racines en raison de la très grande diversité des organismes telluriques.

Il a été imprudemment suggéré que des réseaux fongiques communs pouvaient relier des racines d’arbres appartenant à une même espèce ou à des espèces différentes et assurer le transport de carbone ou d’autres éléments en privilégiant les individus privés de lumière. Il n’y a pas actuellement de preuves de l’existence généralisée de ces réseaux fongiques communs. Il n’existe que quelques cas particuliers comme celui de Monotropa uniflora, une éricacée non chlorophyllienne, dont les composés carbonés lui sont fournis par un champignon formant avec elle des mycorhizes monotropoïdes. Ce champignon s’approvisionne en carbone à partir d’un arbre avec lequel il forme des ectomycorhizes

Les arbres dialoguent aussi par leurs feuilles avec tous les micro-organismes qui peuvent s’y trouver. En revanche, l’hypothèse selon laquelle les arbres pourraient protéger leurs voisins d’insectes ou d’herbivores par émission de substances volatiles est controversée et peu crédible. D’une manière plus générale, les dérives scientifiques, relayées par les médias, ont malheureusement tendance à se développer et à devenir monnaie courante. De multiples cas de manques de rigueur ont été récemment découverts et jettent un discrédit sur la science. Les universités ou les instituts de recherche sont conscients des problèmes et tentent de mettre en place des chartres de déontologie qui se révèlent parfaitement inefficaces. Ces inconduites aboutissent à obscurcir notre compréhension du monde.

Notes

  • https://www.ted.com/talks/suzanne_simard_how_trees_talk_to_each_other?language=fr. Cette vidéoconférence est sous-titrée en français.

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Auteurs


François Le Tacon

francois.letacon@laposte.net

Pays : France

Biographie :

Directeur de recherches honoraire, INRAE de Nancy

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Citations