Éditorial
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Le colloque « Santé des écosystèmes forestiers : enjeux de société » (SANTECOFOR), qui s’est tenu les 21 et 22 mars 2023 au Muséum national d’histoire naturelle-Jardin des plantes, Paris 5e, s’est inscrit dans le thème « Les forêts et la santé » de la Journée internationale des forêts 2023. Coorganisé par le Groupement d’intérêt public (GIP) « ECOFOR (écosystèmes forestiers) » et le Muséum national d’histoire naturelle (MNHM), il faisait suite à la collaboration fructueuse qui avait permis d’organiser l’année précédente la journée sur les « Écosystèmes forestiers » au MNHM, dressant un inventaire de 31 résumés des travaux de recherche du Museum ayant pour thème la forêt, et ayant donné lieu à 15 présentations dans l’auditorium de la Grande galerie de l’évolution le 11 mars 2022.
Les deux journées du colloque SANTECOFOR, mobilisant à la fois les sciences humaines et sociales et les sciences biologiques et de l’environnement, a été un succès, rassemblant 160 participants, à l’amphithéâtre Verniquet et à l’auditorium de la Grande galerie de l’évolution. Ce sont 34 communications qui ont ainsi pu être présentées, en 4 sessions introduites chacune par une conférence d’ouverture et coanimées par un membre du comité d’organisation scientifique, à savoir pour le MNHM, Pierre-Michel Forget, Florence Le Vu, Serge Muller, Margareta Tengberg et pour le GIP ECOFOR, Marie Cluzel, Jean-Luc Dupouey (INRAE), Maya Leroy (AgroParisTech), Pascal Marty (Maison française d’Oxford), Xavier Morin (CNRS), Nicolas Picard.
L’introduction au colloque précise que la notion de santé des écosystèmes ou de santé des forêts, après avoir été initialement définie dans une perspective de protection des forêts contre les ravageurs et les maladies, est aujourd’hui réexaminée à la lumière de nouveaux enjeux sociétaux mais aussi scientifiques et techniques. Entendue dans un sens très large, la santé des écosystèmes forestiers interroge la communauté scientifique sur les enjeux aussi bien environnementaux qu’économiques et sociaux. Dans le contexte des changements environnementaux globaux, les questions de stabilité, perturbation, dégradation, changement et résilience des forêts font l’objet de nombreux travaux. Les liens entre santé humaine, santé animale et fonctionnement des écosystèmes sont également un champ en plein développement dans le cadre de la problématique « Une seule santé » (One Health). Réfléchir à la santé des écosystèmes forestiers est également connecté à des enjeux scientifiques et techniques concernant l’élaboration et le suivi d’indicateurs pour une information intégrée sur l’état et la dynamique des écosystèmes.
D’une part, le colloque a eu pour objectif de faire un état des connaissances, mais aussi des controverses, sur la « santé » au sens large des écosystèmes forestiers, qu’il s’agisse des forêts – passées, présentes ou futures – en France ou dans toute autre situation à l’international, d’identifier l’impact de facteurs déstabilisants, tels que le déboisement et autres usages intensifs de ces espaces et de ces ressources, l’accélération du changement climatique, la prolifération des insectes ravageurs, etc.
D’autre part, face aux conséquences de ces bouleversements dans un contexte de changements environnementaux globaux, le colloque a donné l’opportunité de s’interroger sur les solutions envisagées (reboisement, restauration, conservation, naturalité, nouveaux usages, nouvelles façons d’envisager les relations à ses écosystèmes) ainsi que sur les enjeux sociétaux et économiques liés à des modes de gestion alternative des forêts.
Il est important de revenir sur les défis que nous cherchions à relever en lançant ce colloque. À l’origine, il y a eu le besoin et le souhait de faire se réunir des communautés scientifiques, qui sont aussi des communautés épistémiques qui, non seulement s’ignorent, mais souvent s’opposent, à savoir d’une part les chercheurs du secteur forestier ou du domaine forêt-bois qui travaillent sur la gestion durable des forêts, et de l’autre les chercheurs du secteur de la conservation qui se préoccupent de la préservation de la biodiversité. D’ailleurs, ces communautés scientifiques publient dans des revues différentes et même lorsqu’ils enrôlent avec eux des chercheurs en sciences sociales, ces communautés discutent encore peu entre elles.
Le deuxième défi était de faire le choix de parler de la « santé des forêts » au sens large, à la lumière des nouveaux enjeux sociétaux. Comme cela a été souligné dès la première session du colloque sur l’état des lieux, il s’agit d’abord de savoir de quoi on parle lorsque l’on parle de « santé des forêts ». Or cela dépend du cadrage qu’en font les chercheurs, ou les praticiens, et des disciplines qui s’attachent à cette question. Deux jours de colloque ont effectivement montré l’étendue des réponses, et la gamme incroyablement large de façons d’aborder le problème. Cela va dépendre :
– premièrement, de ce que l’on regarde lorsqu’on s’intéresse à la santé des forêts : s’agit-il des arbres – ou même uniquement certains arbres –, des écosystèmes, des vivants qui habitent ces écosystèmes et donc là où ces vivants interagissent ?
– deuxièmement, de ce à quoi l’on se réfère lorsque l’on parle de forêts en « bonne santé » : s’agit-il de leurs capacités à produire – en particulier à produire du bois –, des services écosystémiques qu’elles procurent, de la biodiversité qu’elles renferment, de leurs multifonctionnalités et des multi-usages qu’elles permettent ?
– troisièmement, de l’attention particulière que l’on porte aux causes, aux « drivers », à l’étiologie : se concentre-t-on sur le changement climatique, les facteurs biotiques et abiotiques, les facteurs anthropiques et lesquels (pollutions, destructions directes par déforestation, dégradations, etc.) ?
Dans de telles conditions, il paraît illusoire de penser qu’une réponse prioritaire serait de proposer des traitements purement symptomatiques.
Le troisième défi était de convoquer les sciences humaines et sociales qui traitent de la santé des forêts, et de pousser à un travail d’articulation entre ces disciplines et celles des sciences biologiques et de l’environnement. Il a été très intéressant de constater que lorsque les sciences humaines et sociales s’emparent de ces questions, leur propos n’est pas uniquement de décrire ce que les humains font dans ces espaces et de quoi relèvent leurs pratiques, mais de s’intéresser plutôt à la façon dont ils définissent le problème et dont ils s’équipent pour tenter de le résoudre : quels outils, quelles visions, quels cadres théoriques, pour quels objectifs, dans quels collectifs ?
Le quatrième défi était de rendre compte des travaux sur la santé des forêts aussi bien dans les contextes tempérés que tropicaux. En effet, une idée assez courante laisse penser que l’on serait à front renversé en termes d’état des forêts : les forêts tropicales seraient de très grandes forêts, biodiversifiées, avec de faibles présences humaines, surtout soumises à la déforestation, dans des logiques de conversion vers d’autres usages des terres, avec une faible gouvernance, soumises à la criminalité. Alors que les forêts tempérées seraient dans une dynamique d’extension, essentiellement due à la déprise agricole, ces espaces seraient très entretenus, gérés – si ce n’est jardinés – avec une forte gouvernance et très régulés. Les travaux présentés montrent pourtant que beaucoup de questions de recherche se font écho aux Nords comme aux Suds. Les forêts tropicales comme tempérées sont dégradées et se dégradent de plus en plus. Leurs points de bascule en termes de perte de fonctionnalités sont une préoccupation majeure et l’accélération de la disparition globale des écosystèmes forestiers les plus complexes est une inquiétude réelle, non seulement au regard des différentes espèces arborées et de la diversité végétale, mais aussi pour les animaux qui y vivent et qui en dépendent et qui sont donc souvent d’excellents indicateurs de la santé des forêts. Enfin, les forêts sont habitées depuis des siècles, y compris en zone tropicale ; les humains les utilisent à des échelles locales, comme industrielles, et leurs multifonctionnalités, comme leurs multi-usages, posent des enjeux de négociation souvent conflictuels. Enfin, les interactions à l’échelle planétaire entre les forêts des différents hémisphères posent des questions écologiques et climatiques majeures, mais aussi des questions sociales et géopolitiques, aussi bien au regard de leurs usages et des échanges commerciaux qu’elles génèrent – pour ce que les forêts produisent – mais aussi face aux usages en particulier agricoles de leurs territoires.
Ce colloque a montré avec acuité par la richesse des communications, que ces nouveaux défis peuvent être relevés, qu’ils correspondent à des fronts de recherche en cours, à déployer, et à renforcer, et cela ne peut donc que nous encourager à poursuivre cette fructueuse collaboration.
La session 1 (Santé des socio-écosystèmes forestiers : état des lieux) avec 9 communications, animée par Serge Muller (MNHM), était introduite par Guillaume Decocq (Université de Picardie-Jules Verne) qui interroge une vision réductionniste et anthropomorphique de la santé des forêts et le danger encore plus grand de négliger la dimension holobiontique de l’arbre et la dimension écosystémique de la forêt. « Santé des écosystèmes forestiers : de quoi parle-t-on et de quoi devrait-on parler ? ». C’est dans cette session que les travaux de Nicolas Bernier (MNHM) intitulés « Bois pourri et santé des forêts » et de Raphaël Devred (UVSQ, CHCSC) sur « Le boisement et la conservation de de la forêt de Rambouillet du XVIIIe siècle à nos jours » ont été présentés.
La session 2 (Habiter et protéger la forêt) avec 9 communications, animée par Margareta Tengberg (MNHM), était introduite par Stéphen Rostain (CNRS) qui montre comment l’Amazonie a été profondément transformée par les Amérindiens, qui prenaient le soin d’assurer la résilience d’un paysage dynamique : « L’Amazonie là où les vivants interagissent ». Le travail de Paul Bresteaux (AgroParisTech) intitulé « Les foncières solidaires forestières : protéger, gérer et habiter les forêts autrement » est issu de cette session.
La session 3 (Vulnérabilité et dépérissement » avec 8 communications, animée par Jean-Luc Dupouey (INRAE), était introduite par Nathalie Bréda (INRAE) qui présente ses travaux dans ce numéro : « Du concept de vulnérabilité à la perception des dépérissements forestiers par la société ».
La session 4 (Santé globale des forêts et des habitats : en prendre la mesure) avec 8 communications, animée par Nicolas Picard, était introduite par Plinio Sist (CIRAD) qui a fait un état des lieux de la déforestation et de la dégradation à l’œuvre dans diverses forêts tropicales et des enjeux de suivi des programmes de gestion durable et de restauration : « L’état des forêts tropicales et la durabilité de leur gestion ». Trois articles de cette session sont présentés dans ce numéro : Théo Le Marchand (Bordeaux Sciences Agro), « Solutions innovantes mises en œuvre pour restaurer et assurer la santé d’une forêt : l’exemple du Bois-Landry » ; Aude Dziebowski et Philippe Hamman (CNRS-Université de Strasbourg), « Les représentations professionnelles et sociales des tiques, ou les écosystèmes forestiers en miroir : une approche socio-territoriale en Argonne » ; Cécile Vincent-Barbaroux (INRAE, Université d’Orléans), « Apport de la télédétection pour la cartographie du dépérissement forestier des chênes en région Centre-Val de Loire ».
Le colloque a été introduit par Joëlle Dupont (directrice générale déléguée à la Recherche, à l’Expertise, à la Valorisation et à l’Enseignement-Formation, MNHN) et Pascal Marty (président de l’assemblée générale du GIP ECOFOR) et conclu par Maya Leroy (présidente du conseil scientifique du GIP ECOFOR, AgroParisTech) et Pierre-Michel Forget (MNHN).
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