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Prendre la mesure de la santé des forêts

Solutions innovantes mises en œuvre pour restaurer et assurer la santé d’une forêt : l’exemple du Bois-Landry

Résumé

Le domaine du Bois-Landry est une chênaie privée exploitée pour le bois, la chasse et l’accueil du public en hébergement insolite. Avant 2000, la population de chevreuils était gérée pour assurer son abondance, empêchant toute régénération forestière. Une gestion adaptative basée sur le suivi d’indicateurs de changements écologiques a permis de rétablir l’équilibre forêt-chevreuils, permettant production sylvicole, activité sociale au travers d’une chasse modernisée et du tourisme, en favorisant toujours la biodiversité. C’est aussi un site de formation pour sensibiliser public et gestionnaires au maintien de la biodiversité dans la gestion forestière.

Abstract

Bois-Landry domain is a private-owned oak grove exploited for wood, hunting and unusual accommodation of the public. Before 2000, the roe-deer population was managed to ensure its abundance, and this prevented any kind of forest regeneration. Adaptive management based on the monitoring of indicators of ecological changes restored the forest-deer balance. As a result, silvicultural production and social activities were made possible through modernised hunting and tourism, while constantly favouring biodiversity. The site is also dedicated to training to raise the awareness of the public and managers to the maintenance of forest biodiversity.

Introduction

Selon Desprez-Loustau (2023), « un écosystème “sain” est un “écosystème capable de maintenir sa structure (organisation) et ses fonctions (productivité) au cours du temps, tout en faisant face à différents stress (résilience) ». Dans le contexte actuel et alarmant de changement climatique (Barnard et al., 2021), l’altération de la santé des écosystèmes forestiers est avérée au niveau mondial (Lindner et al., 2015), et l’avenir des forêts interroge fortement de nombreux acteurs de la société, sur des enjeux aussi bien environnementaux qu’économiques et sociaux (Bouget et al., 2020).

Les agents les plus sévères de perturbation voire de destruction des forêts sont des facteurs climatiques, en particulier tempêtes et incendies, et les plus fortes proportions de dommages répertoriés concernent des insectes ravageurs ou des champignons pathogènes (Desprez-Loustau, 2023). Cependant, l’essor des populations d’ongulés sauvages en Europe au cours des trente dernières années peut aussi avoir un impact important sur la régénération et l’écologie forestière (Ramirez et al., 2018 ; Bison et al., 2022). Enfin, c’est souvent l’effet conjugué de plusieurs de ces facteurs qui détériore la santé, voire met en péril le maintien, de l’écosystème forestier (Folke et al., 2004).

Cet article retrace, de manière chronologique, l’évolution d’un domaine forestier privé, initialement soumis à une forte densité de chevreuils compromettant la régénération forestière, vers le rétablissement de l’équilibre par la mise en place d’actions volontaristes et innovantes dans les domaines de la chasse, du suivi des populations et de la gestion forestière au cours de ces vingt dernières années.

Présentation du Bois-Landry

Situé en Eure-et-Loir, dans le Faux-Perche, le domaine du Bois-Landry est une forêt privée de 1 206 hectares dont 1 160 de surface boisée, traitée pour l’essentiel en conversion du taillis sous futaie en futaie régulière au début des années 2000 (figure 1). Très majoritairement chênaie-charmaie, la forêt présente un contexte pédoclimatique classique pour sa localisation : le sol, argilo-limoneux, est essentiellement composé d’argile à silex, mais demeure assez hétérogène d’un secteur à l’autre. Le relief y est très peu accidenté, à l’exception notable du secteur dit de la Garenne, plus sableux que le reste du Bois-Landry. Les constantes climatologiques ne s’éloignent pas de celles du reste du territoire, se basant sur la station météo de Chartres. Il est raisonnable de conclure que le domaine appartient à une classe de fertilité moyenne (Le Marchand, 2021). L’enseignement à retenir de cette observation, c’est que le Bois-Landry est une forêt qui n’a rien d’exceptionnel du fait de son contexte territorial. Si elle tend à se démarquer aujourd’hui, c’est essentiellement du fait des choix qu’ont dû faire ses gestionnaires pour juguler le déséquilibre avéré entre la forêt et sa population de chevreuils.

Gestion cynégétique adaptative

Lorsque le propriétaire récupère la gestion du domaine à la fin des années 1990, il prend conscience de la très forte pression exercée par le chevreuil, qui affecte fortement la sylviculture et l’écosystème forestier. L’absence de régénération naturelle, notamment, constitue pour lui et son gestionnaire la preuve d’une faible résilience de la forêt. Plutôt que de chercher à empêcher les symptômes de ce déséquilibre, par la pose de grillage par exemple, ils décident de chercher à rééquilibrer le système forêt-ongulés1 et le gestionnaire suit la formation de l’Institut cynégétique François Sommer qui lui délivre un diplôme de responsable de chasse. En 2000, ils créent le Groupement forestier Eugène Daubeck, qui devient propriétaire du domaine, puis la société Forestis SARL, locataire du domaine voué au développement et à la réflexion cynégétiques, qui signe un contrat de recherche avec l’INRA et met en place, avec l’aide de chercheurs du laboratoire Comportement et écologie de la faune sauvage (CEFS), des relevés d’indicateurs de changement écologique (ICE).

La mise en place des ICE

Le rôle de ces ICE est de renseigner le gestionnaire sur l’état de la relation entre les populations d’ongulés et leur milieu. Mesurer, et non compter : comme l’explique le propriétaire du Bois Landry, « on ne sait pas compter, mais on mesure bien » (Fondation François Sommer, 2022).

Ce choix fait suite à la prise de conscience, d’une part, de l’impossibilité de dénombrer les populations d’ongulés sauvages – ce qu’avait déjà montré Josh Andersen après l’échec d’une expérimentation de comptage des chevreuils sur le territoire de Kalø, au Danemark (Andersen, 1953) et, d’autre part, à celle que l’application de la seule méthode fiable d’estimation de l’effectif de ces populations – la méthode « Capture-Marquage-Recapture » (CMR) – se révèle trop lourde, le marquage des deux tiers de la population étant nécessaire pour obtenir des estimations assez précises (Morellet et al., 2007), ce qui la rend inapplicable dans un contexte « opérationnel ».

Par ailleurs, connaître la densité d’animaux n’a que peu d’intérêt lorsque l’objectif est d’obtenir l’équilibre entre population et milieu : une même densité pouvant être ou non compatible avec les capacités d’accueil d’une forêt, il est plus pertinent d’estimer l’état de la relation entre la population et la forêt (Morellet et al., 2007).

Plusieurs ICE ont été estimés parallèlement à l’augmentation des prélèvements par la chasse, de façon à vérifier leur sensibilité à une diminution conséquente de la population. Il s’agit :

– du poids des jeunes de l’année tués à la chasse et de la longueur de leur mandibule (mâchoire inférieure), qui renseignent sur la condition des animaux les plus sensibles aux conditions écologiques ;

– de l’indice kilométrique d’abondance (IKA), qui renseigne sur les variations d’abondance de la population ;

– de l’indice de consommation sur la flore (IC), qui renseigne sur l’impact des animaux sur la végétation.

En plus de ces indicateurs validés par des études expérimentales, un indice de fécondité a été estimé, en comptant le nombre de corps jaunes présents dans les ovaires des femelles adultes tuées à la chasse (Krumm et al., 2020 ; Maublanc et al., 2016).

L’adaptation des prélèvements par la chasse

Les prélèvements ont été augmentés jusqu’à ce que les indicateurs évoluent positivement, c’est-à-dire que les indices montrent une meilleure condition des animaux et un impact moindre sur le milieu, associés à une diminution de l’indice d’abondance. L’objectif du plan de chasse est alors devenu de ne prélever que l’accroissement annuel supposé de la population, entendu comme le nombre de prélèvements qui n’entraine plus de variation des indicateurs d’abondance, de condition ou de pression sur la flore.

Les valeurs empiriques obtenues au Bois-Landry (figure 2a-d) ont permis de fixer les prélèvements aux alentours de 110 chevreuils/an, avec des valeurs un peu plus élevées suite aux variations de l’IKA (comme en 2018), qui faisaient craindre une augmentation de population.

L’augmentation des prélèvements a dû s’accompagner d’une révolution des pratiques de chasse afin de gagner en efficacité, en proposant une chasse plus vertueuse et moins stressante pour les animaux. Le Bois-Landry est aujourd’hui entièrement passé à la traque-affût2, limitant les journées de chasse à 6 dans l’année contre 24 auparavant.

Cette révolution ne s’est pas faite en une année et le principal frein s’est révélé être le monde de la chasse, au travers des pratiquants et de la Fédération départementale des chasseurs. Il a fallu convaincre les premiers de changer de pratique et la seconde de valider l’augmentation des prélèvements à force d’arguments scientifiquement validés qui ont permis au domaine d’obtenir en 2007 le statut de Territoire expérimental de chasse et de recherche.

La réponse observée en forêt

Outre que la condition des animaux s’est améliorée, l’ensemble de la forêt a profité du rééquilibrage : la régénération naturelle sans engrillagement est devenue possible, des cônes de régénération spontanée commençant à apparaître à partir de 2011. La diversité des essences s’est ainsi accrue, les gestionnaires pouvant abandonner la plantation au profit du recru naturel, qui en plus de contenir du chêne, a permis le développement de tout un cortège floristique. Les indices de consommation montrent que la pression du chevreuil sur le chêne s’est amoindrie depuis les années 2000 (figure 3).

De nombreux travaux montrent l’impact des ongulés sur la végétation (Bernes et al., 2018), mais très peu ont étudié l’effet d’une forte diminution de la densité d’ongulés sauvages, obtenant parfois des résultats mitigés, car la simple suppression de la perturbation peut ne pas suffire à ramener l’écosystème à un état d’équilibre (Tanentzap et al., 2011). D’autres ont montré les réponses espérées, notamment vis-à-vis de la croissance des jeunes plants (Husheer et Robertson, 2005) ou de l’abondance et la richesse de peuplements d’oiseaux inféodés au sous-étage forestier (Chollet et al., 2015).

Dans l’étude de cas présentée ici, l’équilibre sylvo-cynégétique a été rétabli en moins de 10 ans et a constitué le point de départ pour de nouvelles avancées au Bois-Landry.

Gestion multifonctionnelle

À partir de l’année 2007, le Bois-Landry se lance dans le développement d’hébergements insolites, sous la forme de cabanes dans les arbres. Ce faisant, le domaine s’ouvre au public et développe un nouveau rôle pour la forêt, l’accueil du tourisme. C’est le début d’une approche multifonctionnelle de la gestion forestière qui ne cesse de s’intensifier depuis.

Définition de la multifonctionnalité

Le terme de multifonctionnalité est aujourd’hui couramment utilisé, notamment en ce qui concerne la forêt. Une « gestion multifonctionnelle » est une gestion prenant en considération plusieurs « fonctions écosystémiques », qui sont les processus naturels de fonctionnement et de maintien des écosystèmes, et « services écosystémiques », qui sont les bénéfices que les humains tirent de ces processus (comme l’épuration de l’eau ou la production de bois). La littérature anglo-saxonne parle d’ecosystem services ou de Nature contribution to people, sur lesquels il est plus ou moins possible d’agir (Braat et De Groot, 2012 ; Nations Unies, s. d.). Ainsi, même s’il n’est pas possible d’influer sur tous les rôles que peut remplir un écosystème forestier, on peut, par différents choix de gestion, maximiser la diversité de ces rôles plutôt que de se focaliser sur l’un d’entre eux (Mergner et al., 2020), et c’est ce qui est aujourd’hui exercé au Bois Landry3.

Intégration de différentes fonctions écosystémiques à la gestion du Domaine du Bois-Landry

En plus de l’accueil de touristes en hébergement insolite, les gestionnaires du Bois-Landry agissent activement pour développer différents services écosystémiques (Krumm et al., 2020 ; Le Marchand, 2021) :

1. Production de bois. La vente de produits ligneux demeure la principale activité de la forêt, mais elle s’est aujourd’hui diversifiée. En plus de vendre des grumes, le Bois-Landry a intégré une activité de débitage et de vente de bois de chauffe façonné.

2. Stockage et séquestration du carbone. La gestion du Bois-Landry favorise le maintien des arbres jusqu’à un diamètre légèrement supérieur à ce qui est usuellement recommandé ; les arbres sont jugés mûrs lorsqu’ils atteignent 70 cm. Ce choix a pour impact positif un meilleur stockage du carbone, d’autant que ces gros bois sont destinés à des produits de longue durée de vie, comme des pièces de charpente, prolongeant ainsi l’effet de stockage. En parallèle, assurer la régénération des sujets en fin de vie assure que la forêt séquestre toujours activement du carbone.

3. Accueil du tourisme. En plus des cabanes dans les arbres, le Bois-Landry aménage une partie de la forêt pour permettre aux touristes de venir découvrir les lieux au travers d’un parcours déterminé, jalonné de panonceaux informatifs sur la vie de la forêt. L’apport récréatif du domaine s’en voit décuplé.

4. Protection et maintien de la biodiversité. La mise en place d’îlots de sénescence et la préservation d’arbres-habitats (favorisant également la séquestration du carbone), la création et l’entretien des mares, la diversification des écosystèmes (en privilégiant notamment les haies bocagères sur les espaces agricoles) sont autant de pratiques délibérément choisies pour assurer un haut niveau de biodiversité.

5. Apiculture. La présence de nombreuses ruches sur le domaine assure à la fois des revenus supplémentaires et une pollinisation accrue, pouvant rendre service au-delà des limites de la forêt.

6. Territoire expérimental et d’enseignement. La forêt accueille régulièrement des formations pour les professionnels sur l’équilibre forêt-gibier4, mais également des scientifiques pouvant disposer du domaine pour mener leurs expérimentations et faire avancer leurs recherches.

Agir sur différents services écosystémiques implique de ne pas se focaliser sur la seule fonction de production. En raison de cela, la gestion multifonctionnelle est parfois accusée de limiter les revenus financiers. Il a cependant été montré que ce type de gestion pouvait aussi se justifier économiquement.

Pertinence économique de la gestion multifonctionnelle

En 2021, une étude économique est menée au Bois-Landry en utilisant un indicateur économique : le bénéfice actualisé en séquence infinie (BASI). Cet indicateur rend compte du bénéfice que peut produire une surface forestière sur une durée théorique infinie, en intégrant un taux d’actualisation : ce taux dépend du niveau d’appétence du gestionnaire pour le risque, car il permet de pondérer les revenus futurs par rapport aux revenus immédiats : plus un bénéfice est supposé survenir tardivement, plus il sera dévalué.

L’étude compare deux scénarios de BASI : l’un correspond au mode de gestion actuel du Bois-Landry, multifonctionnel, l’autre, théorique, correspondrait au Bois-Landry si on y appliquait une gestion conventionnelle, en suivant à la lettre les recommandations du guide de la chênaie atlantique en futaie régulière, sans tenir compte des autres fonctions écosystémiques, et en devant donc pallier le déséquilibre sylvo-cynégétique par l’installation coûteuse de protections grillagées (tableau 1, e2).

Les résultats montrent que la gestion multifonctionnelle appliquée au Bois-Landry est plus avantageuse sur le plan économique qu’une gestion conventionnelle (Le Marchand, 2021). Cela s’explique par la prise en compte des biens marchands, comme les revenus engendrés par la chasse (e3), la location des cabanes (e5) ou les productions alternatives (e6). Mais l’étude intègre également des bénéfices non financiers, auxquels ont été attribués une valeur marchande par deux approches différentes :

1. La méthode des coûts évités pour estimer le bénéfice réel qu’apportent les aménagements forestiers (e4) qui augmentent les ressources alternatives pour les cervidés (broyage alterné des bords d’allées, cloisonnements, etc.).

2. La méthode d’évaluation dite des coûts de transports, consistant à évaluer l’attractivité du domaine ; le principe est de déterminer la somme d’argent que sont prêts à dépenser des visiteurs pour profiter de la forêt elle-même (e8), en se basant sur le coût associé à leur transport. Il s’agit d’une application du concept du Willing-to-pay ou propension à payer (EFESE, 2018), permettant d’évaluer la valeur d’un bien ou service. Ce service est d’ailleurs à distinguer de l’accueil du tourisme en soi, étant associé à la récréativité de l’espace forestier lui-même.

Le maintien actif de la biodiversité (e7) est également évalué selon l’une ou l’autre des méthodes : soit en passant par les coûts évités (comparaison des dégâts causés par la chenille processionnaire du chêne entre un massif forestier sans choix de gestion visant au maintien de la biodiversité et le massif forestier de référence), soit en passant par une application de la propension à payer (enquête auprès du grand public pour déterminer la somme d’argent qu’il serait prêt à dépenser à l’hectare pour maintenir la biodiversité d’un espace naturel).

La gestion multifonctionnelle du Bois-Landry est donc un moyen d’assurer une plus grande résilience forestière et d’intégrer les différents aspects de sa bonne santé directement dans des choix de gestion, en assurant le maintien de ses différentes fonctions de manière durable. Néanmoins, la méthode de sylviculture pratiquée s’apparentait toujours à un traitement en futaie régulière, se basant sur le cycle sylvicole usuel aboutissant sur une coupe définitive, jusqu’à récemment.

Sylviculture mélangée à couvert continu

Après le succès du rétablissement de l’équilibre sylvo-cynégétique et le début de la prise en considération des différentes fonctions écosystémiques, le regard des gestionnaires sur le Bois-Landry évolue. En 2019, ils entrent en relation avec plusieurs experts et s’initient à la sylviculture mélangée à couvert continu5 (SMCC). Constatant que ce mode de gestion diffère peu de leurs propres pratiques, ayant depuis toujours la volonté de respecter le patrimoine naturel du domaine6, et une certaine « fibre SMCC » depuis le rétablissement de l’équilibre forêt-gibier, ils décident de l’appliquer à l’échelle du Bois-Landry, convaincus des bénéfices qu’il peut apporter à la santé du domaine.

L’efficacité de la SMCC face au changement climatique

Aujourd’hui, il est largement admis que le changement climatique affecte fortement la santé des espaces forestiers, de manière directe ou indirecte (Saintonge et Boutte, 2020). Or, il a été montré que la SMCC est une pratique judicieuse pour pallier certains impacts du changement climatique, grâce notamment aux capacités de résilience qu’elle apporte à la forêt (Kovács et al., 2020). Déjà en 2009, une méta-analyse, synthétisant les résultats de plusieurs études portant sur les effets de la SMCC sur différents risques encourus par la forêt, a apporté un éclairage sur l’utilité de cette méthode de sylviculture quant à cet enjeu du XXIe siècle qu’est le changement climatique (Stokes et Kerr, 2009). Plusieurs de ces risques, tant primaires (conséquences directes du climat, c.-à-d. tempêtes, gels, sécheresses, etc.), que secondaires (conséquences indirectes, c.-à-d. maladies, dégâts d’herbivores, qualité du bois, etc.) pourraient être atténués par la pratique de la SMCC. Par exemple, les risques liés aux agents pathogènes, supposés augmenter à cause du changement climatique – comme les dégâts causés par le charançon du pin –, sont amoindris par la pratique de la SMCC : l’effet de la SMCC sur ce risque secondaire est classé positif avec un fort impact ; l’évidence de cette relation est classée avec une fiabilité « modérée » (Stokes et Kerr, 2009).

Son application au Domaine du Bois Landry

Au Bois-Landry, la SMCC est appliquée dans le nouveau Plan simple de gestion (2019-2035) en suivant la philosophie portée par l’association Prosilva, qui promeut l’idée que toute la sylviculture soit guidée par les opérations de martelage (Prosilva, 2021 ; Monatte, s. d.). Le travail est mené par collectif d’arbres, au sein duquel le plus beau sujet est favorisé en prélevant ses concurrents directs, lui-même n’étant finalement exploité que quand sa succession est assurée. Cette méthode offre la possibilité de favoriser des arbres répondant à d’autres critères que ceux du marché (arbres remarquables, porteurs de dendro-micro-habitats, d’essence précieuse ou peu représentée sur la parcelle, etc.). Cette pratique conduit généralement à des prélèvements de 15 à 20 % de volume (valeurs préconisées en futaie irrégulière), sans que cela constitue un objectif de coupe, qui risquerait de desservir la parcelle.

Il s’agit d’un mode de gestion qui exige une surveillance accrue, car les prélèvements sont légers. C’est pourquoi le Bois-Landry s’est doté dès 2019 d’un réseau de 234 placettes permanentes afin d’y effectuer des mesures tous les 10 ans. Leur suivi permet une estimation fiable de plusieurs données dendrométriques définie à l’échelle de la forêt, comme l’accroissement effectif, la quantité de bois mort, le niveau de régénération, etc. (Collectif AFI, 2020).

À présent, la SMCC est bien intégrée aux réflexions du Bois-Landry, et la prochaine étape consiste à tirer des enseignements des premières expérimentations et à optimiser les pratiques mises en place.

Conclusion

Les gestionnaires du domaine du Bois-Landry, par la mise en œuvre de pratiques innovantes (gestion adaptative des chevreuils, chasse en traque-affût, aménagements forestiers, SMCC), ont su rétablir la santé de son écosystème et assurer la viabilité de l’activité de production, comme l’indiquent à la fois le suivi de plusieurs indicateurs (populationnels, forestiers, économiques) et l’observation quotidienne du terrain.

Ils sont cependant conscients du fait que la santé d’une forêt n’est jamais acquise : une surveillance constante est nécessaire pour anticiper les crises et adapter la gestion en cas de décrochage. Le contexte de changement climatique rend ce besoin particulièrement fondamental.

Enfin, il est important de rappeler que la gestion du Bois-Landry ne suit pas, contrairement à ce que cet article pourrait laisser penser, une unique stratégie définie il y a plus de 20 ans : c’est avant tout par tâtonnements et par bon sens que la gestion du Bois-Landry a su évoluer, sans être trop ambitieuse, mais toujours désireuse de corriger les problèmes rencontrés, avec le double objectif de la viabilité et de la pérennité de la forêt et de son exploitation (figure 4). Et si une forêt qui ne se distingue pas par un contexte territorial exceptionnel est parvenue à ce résultat, il est raisonnable de penser que bien d’autres en sont capables.

Notes

  • 1. Fin 1998, un nouveau Plan Simple de Gestion, avec un double objectif sylvicole et cynégétique, est agréé.
  • 2. La traque-affût est un mode de chasse collective qui a fait ses preuves en matière de sécurité et d’efficacité. Éloignés les uns des autres et pouvant tirer à 360° mais à petite distance, les postés ne sont pas en ligne mais dispersés à proximité des coulées. Les traqueurs avancent tranquillement et sans bruit excessif, pour déplacer les animaux sans les faire fuir, ce qui améliore les conditions de tir, réduit le nombre de balles tirées et minimise le risque d’animaux blessés.
  • 3. Comme en témoignent les projets « Diversification des modes d’exploitation et des habitats d’une forêt multi-usages pour une amélioration de sa biodiversité », subventionnés successivement par la Région Centre puis par la Fondation François Sommer.
  • 4. Depuis 2018, le site est un lieu de formation à l’usage du Guide pratique de l’équilibre forêt-gibier en collaboration avec l’Institut du développement forestier (IDF) ; en 2023, il devient Antenne nationale de l’ONF pour cette formation.
  • 5. Mode de sylviculture visant à maintenir un couvert continu de la canopée et un mélange d’essences ; elle vise une structure irrégulière du peuplement et proscrit la coupe rase.
  • 6. Comme en témoigne la reconnaissance, en 2006, d’une Zone de protection spéciale du site Natura 2000 « Forêts et Étangs du Perche » au sein du domaine, visant la protection de zones humides et d’un étang dans le cadre de la directive « Oiseaux ».

Auteurs


Théo Le Marchand

https://orcid.org/0009-0009-8205-7863

Affiliation : Domaine du Bois-Landry

Pays : France


Christophe Launay

Affiliation : Domaine du Bois-Landry

Pays : France


Sébastien Hermeline

Affiliation : Domaine du Bois-Landry

Pays : France


Monthuir Bertrand

Affiliation : Domaine du Bois-Landry

Pays : France


Jean-François Gerard

Affiliation : Domaine du Bois-Landry

Pays : France


Marie-Line Maublanc

Affiliation : INRAE, UR Comportement et écologie de la faune sauvage

Pays : France

Pièces jointes

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