Résumé

Après une première nidification confirmée en 1973, cela fait plus de 50 ans que la Cigogne noire a effectué son retour sur le territoire français. Depuis cette date, la population ne cesse de croître. Ainsi, alors que dans les années 1990, la Cigogne noire occupait une zone restreinte, sa présence est confirmée en 2024 dans 33 départements. Grâce aux suivis des nids réalisés, il est possible d’affirmer l’existence d’un minimum de 75 couples nicheurs sur le territoire (en 2022) avec au moins 725 nichées répertoriées soit 360 nids occupés durant ces cinquante dernières années.


Messages clés :
- La Cigogne noire est de retour en France depuis le début des années 1970.
- La population est en augmentation constante sur le territoire métropolitain depuis 50 ans.
- La Cigogne noire occupe un territoire boisé spécifique dominé par une structure à gros bois dominant.

Abstract

The first nesting having been confirmed in 1973, the black stork has been back in France for over 50 years. Since this date, its population has not stopped growing. Thus, while found in just a restricted area in the 1990s, the black stork’s presence has been confirmed in 33 French departments in 2024. Nest monitoring has confirmed the existence of a minimum of 75 breeding pairs in France (in 2022) with at least 725 broods recorded (i.e., 360 occupied nests) in the last 50 years.


Highlights:
- The black stork has been back in France since the beginning of the 1970s.
- Its population has been constantly growing in metropolitan France for 50 years.
- The black stork is found in a specific type of wooded area dominated by tall trees.

Introduction

La Cigogne noire (photo 1) est l’une des deux représentantes en Europe de la famille des Ciconiidés. Elle est reconnaissable par sa grande taille (longueur d’env. 1 m, envergure entre 145 et 155 cm pour un poids adulte de 3 kg) et par son plumage noir (contrairement à sa consœur la Cigogne blanche [Ciconia ciconia] avec son manteau blanc). La Cigogne noire est présente dans les deux hémisphères. En Europe, on l’observe pendant la période de reproduction (dans la steppe sibérienne et de la péninsule ibérique à l’Ukraine). La population d’Europe de l’Ouest passe l’hiver en Afrique de l’Ouest (passage par le détroit de Gibraltar) et celle de l’Europe de l’Est rejoint d’autres régions africaines par le détroit du Bosphore.

Photo 1. Cigogne noire
© G. Bourgeois (ONF)

En France, la Cigogne noire occupe des territoires de plaines dans la moitié nord de la France et la première observation date de 1973 (figure 1). Elle niche en forêt et se nourrit dans les zones ouvertes qui disposent de cours d’eau de bonne qualité. Sa présence est le reflet d’une forêt ancienne avec des gros bois où elle peut nicher et de la présence de cours d’eau de qualité. Ainsi, cette espèce a été choisie par l’Office national des forêts (ONF) comme espèce indicatrice pour le bilan patrimonial des forêts domaniales en France métropolitaine (Gendre et al., 2016), Pour ces raisons, c’est une espèce importante pour les forestiers qui est suivie de manière scientifique depuis de nombreuses années, notamment grâce aux balises GPS (Gendre et al., 2016). Son statut d’espèce protégée permet la conservation aux abords du nid du peuplement qui peut profiter à d’autres espèces (Gendre et al., 2016). La Cigogne noire est donc une espèce à enjeu importante au sein de nos forêts qu’il faut chercher à favoriser.

Son nid volumineux confectionné à partir de branchage, de terre, d’herbe et de mousse (Muséum national d’histoire naturelle, 2003-2024) est régulièrement construit au niveau d’une grosse branche latérale de gros bois de Chêne (diamètre supérieur à 47,5 cm) pouvant supporter son poids important. On peut également le retrouver, mais moins fréquemment sur du Hêtre, du Pin ou encore du Douglas. Au vu des différents sites de nidification connus en France, il semblerait que la Cigogne noire s’installe dans un type de peuplement spécifique. Afin de préciser la présence de la Cigogne noire en forêt, sa dynamique et les caractéristiques des peuplements favorables à sa nidification, des observations, des suivis réguliers et des prospections ciblées sont réalisées depuis les années 1990, notamment lors des activités courantes de gestion forestière. Cet article a pour objectifs de préciser les caractéristiques essentielles des peuplements favorables à la nidification de la Cigogne noire et de faire un état des lieux de la population et de sa dynamique dans les forêts françaises (essentiellement domaniales) à partir de toutes les informations répertoriées depuis plusieurs dizaines d’années.

Figure 1. Carte de la période d’arrivée de la Cigogne noire par département en France.
La première mention date de 1973. © B. Brouillard (ONF). Source : ONF

Matériel et méthode

Les prospections ciblées et les activités courantes de gestion forestière conduisent à la découverte de nids chaque année, même si toutefois un certain nombre de nids restent inconnus (Gendre et al., 2016). Ces observations sont rapportées au réseau Cigogne noire dirigé par Jean-Jacques Boutteaux, responsable, au niveau national, du groupe Cigogne noire à l’ONF depuis 2018 et co-animateur de la coordination nationale Cigogne noire, Ligue de protection des oiseaux (LPO) France-Office national des forêts (ONF). Les opérations de baguage (photo 2) se déroulent dans le cadre réglementaire du programme personnel de baguage no 320 déposé auprès du Centre de recherches sur la biologie des populations d’oiseaux (CRBPO) par Frédéric Chapalain (ACETAM). Le groupe synthétise toutes les observations de nids connus et occupés au sein d’une base de données « nids » complétée à partir d’observations et de fiches de baguage où des informations importantes sont inscrites (localisation, nombre de jeunes au nid, description de l’arbre porteur…), ce qui permet une analyse temporelle de la population et de l’environnement du nid. Ces informations sont issues de différentes sources : le personnel de l’ONF, les associations, la LPO, les propriétaires ou les gestionnaires privés. Chaque nid comporte un identifiant distinct, ce qui permet de suivre la durée d’occupation des nids. La forte proportion de baguage depuis un certain nombre d’années (Gendre et al., 2016) associée aux nombreuses prospections et découvertes spontanées constituent une base de données unique permettant de dresser un bilan de la population de la Cigogne noire sur le territoire national.

Parallèlement à ces suivis de populations, la connaissance des points GPS des nids permet une analyse à plusieurs échelles du site de nidification et notamment la caractérisation de l’environnement forestier, des peuplements autour des nids et des arbres « porteurs ». Une étude menée en 2018 (Magot, 2018) a permis de construire un protocole spécifique décrivant le paysage à large échelle autour du nid, le peuplement avoisinant l’arbre porteur ainsi qu’une description de celui-ci. En 2018, 31 nids ont ainsi été décrits avec leur environnement. En 2023, une nouvelle étude a décrit 19 nouveaux sites permettant d’obtenir un jeu de données de 50 nids (figure 2) à partir duquel une typologie des peuplements fréquentés par l’animal a été construite (Brouillard, 2023).

Photo 2. Opération de baguage
© O. Pellerin

Figure 2. Localisation des nids étudiés en 2018 et 2023
© B. Brouillard (ONF). Source : IGN

Résultats

Caractérisation du nid et de l’environnement proche et lointain

Les études menées en 2018 et 2023 ont montré et confirmé que l’arbre porteur est dans 90 % des cas un très gros bois de Chêne d’un diamètre moyen de 79 cm (Magot, 2018). Le diamètre de l’arbre choisi semble être un critère essentiel car, dans tous les cas, il est très nettement supérieur aux diamètres des arbres des peuplements avoisinants (diamètre supérieur de 30 cm en moyenne) (photo 3). Ces derniers sont néanmoins également des structures à gros bois dominants (plus de 40 % de gros bois) de plus de 45 cm de diamètre dominant. Il apparaît également que la couverture arborée doit être assez importante (plus de 60 % de couvert) pour permettre la dissimulation du nid, mais avec des trouées pour faciliter la pénétration de l’oiseau sous la canopée. De ce fait, la Cigogne noire semble apprécier des peuplements âgés de gros bois avec un couvert arboré important mais plus ou moins discontinu. À plus petite échelle, les nids se situent loin des routes (distances moyennes > 220 m), des bâtis (distances > 486 m) mais sans trop s’éloigner des lisières (frontière entre un espace boisé et non boisé). Ceci a tendance à confirmer que la Cigogne noire s’installe loin des activités humaines pour sa nidification (espèce très sensible au dérangement) mais proche des zones ouvertes pour pouvoir se nourrir.

Photo 3. Un gros Chêne porteur d’un nid de Cigogne noire
© J.-J. Boutteaux (ONF)

Nombre de nids et évolution de la population

Entre 1973 et 2022, 725 nichées effectives ont été suivies pour 360 nids occupés distincts (un nid occupé correspond à un oiseau adulte vu en position de nicheur). La répartition de ces nids est hétérogène en fonction des départements comme le montre la carte suivante (figure 3).

Figure 3. Carte représentant l’importance de chaque secteur d’occupation de la Cigogne noire en période de nidification (2023)
© B. Brouillard (ONF). Source : ONF

Il apparaît que le nombre de nids à tendance à augmenter au fil des ans au niveau national (figure 4). Cette hausse est due à l’implantation progressive de l’espèce en France. Cependant, une partie de cette augmentation peut également être expliquée par l’effort de prospection sur cette espèce qui est croissante avec l’intérêt que portent les forestiers et les naturalistes pour cet oiseau (Gendre et al., 2016). Le graphique ci-dessous montre clairement l’évolution régulière depuis 50 ans mais avec une nette accélération depuis 2016 estimée à + 6,5 nids par an. Il est à noter que la majorité de ces nids est mentionné en forêts publiques qui ne représentent que 25 % des espaces boisés. Ce constat pourrait laisser penser que les forêts publiques sont plus accueillantes pour l’espèce mais le biais provient surtout du suivi beaucoup plus important et systématique en forêt publique. En forêt privée, il y a peu de recherche systématique de nids. Cette absence de recherche peut s’expliquer, en partie, par une méconnaissance du réseau Cigogne noire porté par l’ONF et la LPO. Il est possible également que, en cas de découverte, le propriétaire ne souhaite pas communiquer la présence du nid. Malgré ces biais, on peut tout de même observer une nette augmentation du nombre de nids référencés dans les forêts privées, preuve que l’importance du suivi de l’espèce est de plus en plus connue dans le monde privé.

Figure 4. Évolution du nombre de nids recensés depuis 1973 par grand type de propriété forestière
© B. Brouillard (ONF). Source : base de données « nids »

Bien que le nombre de couples nicheurs sur le territoire national ait fortement augmenté au cours du temps (figure 4), le nombre de cigogneaux par nichée apparaît en baisse sur la période 1992-2022 (figure 5). On peut émettre différentes hypothèses pour expliquer cette tendance :

— une diminution de la capacité du milieu pour l’accueil des oiseaux ;

— une capacité du milieu identique mais un nombre croissant de couples nicheurs sur le territoire impliquant un effet de compétition pour la nourriture ;

— un double effet des hypothèses précédentes (diminution des capacités du milieu et compétition accrue par l’augmentation de la population) : cette observation confirme l’hypothèse de Strenna et al. (2016) de la diminution de la productivité en parallèle de l’augmentation de la population.

Figure 5. Évolution du nombre de cigogneaux moyen par nid sur la période 1992-2022
© B. Brouillard (ONF). Source : base de données « nids »

Durée d’occupation d’un nid

La durée d’occupation d’un nid est en moyenne de 2 ans (14 ans pour l’occupation la plus longue). Cette durée correspond à la durée minimale puisqu’elle est calculée entre l’année de découverte et l’année de dernière observation d’un couple sur le nid. Cependant, beaucoup de nids sont occupés seulement pendant une année. Pour expliquer ce phénomène, plusieurs hypothèses peuvent être avancées :

— le nid n’est pas installé à un endroit optimal, ce qui implique une reconstruction l’année suivante ;

— le nid s’est effondré ;

— la fécondation a échoué ;

— le nid a subi les déprédations de la marte des pins, du grand corbeau ou encore de l’autour des palombes1 ;

— l’oiseau a été dérangé par l’homme (coupe à blanc à proximité, affouage, promeneur…).

La plupart du temps le nid est occupé par un même couple qui reste fidèle à son site. Cependant, si un des deux individus disparaît, notamment la femelle, l’autre peut également revenir avec un nouveau partenaire dans ce nid. On a également observé de nouveaux couples s’installant sur un nid déjà construit qui ne leur appartenait pas.

Il est important de noter que ces suivis à long terme remettent fortement en cause l’idée reçue de fidélité au site de nidification (Gendre et al., 2016). Même si certains nids sont occupés sur la longue durée, les couples semblent changer très régulièrement. Cependant, l’observation des mêmes individus bagués sur les zones de pêche confirme tout de même la fidélité à la zone de gagnage.

Dynamique spatio-temporelle de la population de Cigogne noire

L’expansion de la Cigogne noire sur le territoire national semble suivre des directions privilégiées (figure 6). Ainsi, en étudiant l’année d’installation du premier nid d’une Cigogne noire sur un site et en examinant la répartition spatio-temporelle des arrivées, nous pouvons remarquer que l’installation de la Cigogne noire se fait à partir de sites historiquement favorables à l’oiseau. En effet, une dynamique temporelle d’installation peut s’observer depuis les départements les plus anciennement occupés que sont le Cher, la Côte-d’Or, la Meurthe-et-Moselle, la Nièvre et les Ardennes. Cette observation peut être corrélée avec le fait que les jeunes ont tendance à revenir nicher vers les zones où ils sont nés (Gendre et al., 2016) (photo 4). Aujourd’hui, la distance moyenne observée entre lieu de naissance et lieu de reproduction est de 120 km. Cela veut donc dire que les Cigognes noires reviennent vers des zones connues comme favorables et s’installent dans d’autres zones propices proches de ces sites connus de l’espèce. De ce fait, elle n’a pas tendance à effectuer des recherches de manière aléatoire sur le territoire mais bien à partir de zones connues vers des zones inoccupées où elle pourra s’installer.

Figure 6. Dynamique spatio-temporelle d’expansion de la population de Cigogne noire en France.
Chaque carreau représente l’année d’arrivée de la Cigogne noire par secteur de présence.
© B. Brouillard (ONF). Source : data.gouv.fr et ONF

Photo 4. Jeunes cigognes au nid
© V. Lachut (ONF)

Discussion

Caractérisation du nid et de l’environnement proche et lointain

Les études menées sur la caractérisation des nids et de leur environnement forestier ont permis de définir des tendances quant aux structures forestières favorables à la Cigogne noire. Ces résultats chiffrés ne donnent cependant qu’une tendance et ne sont pas à prendre dans l’absolu puisque l’amplitude relevée pour chaque critère est relativement importante (Magot, 2018 ; Brouillard, 2023). De plus, la Cigogne noire est une espèce qui peut s’adapter et s’affranchir de certains de ces critères en fonction des besoins. En effet, face à la hausse de la population et donc à l’exploitation croissante des zones favorables, la Cigogne noire vient à s’installer dans des zones qui paraissent moins favorables au premier abord, comme un couple d’individu qui a niché sur un arbre isolé dans le Bocage normand (Malvaud, 2016). Dans d’autres pays (Espagne par exemple), la Cigogne noire est capable de nicher dans des zones rocheuses en l’absence de peuplements arborés (mais toujours proches des rivières pour assurer la ressource alimentaire).

Nombre de nids et évolution de la population

Cette étude de la population a été faite à partir des nids qui ont été rapportés au réseau Cigogne noire. Cette étude ne prend donc certainement pas en compte tous les nids existants. Concernant la dynamique temporelle, elle peut également être biaisée par l’effort de prospection qui s’est renforcé au fur et à mesure que le réseau s’est agrandi et de l’attrait pour l’espèce (Gendre et al., 2016). Cependant, il n’est pas possible de remettre en cause cette augmentation de la population française et européenne au vu de la constante progression du nombre d’oiseaux observés en migration dans les cols pyrénéens. Attention tout de même puisque le maintien de la population dépend soit du taux de fertilité soit du nombre de jeunes naissants chaque année (Gendre et al., 2016). Le nombre de jeunes étant en baisse — et si on ajoute à cela que la mortalité est estimée à 50 % durant la première année —, il est important de maintenir des zones favorables à la nidification sur les zones de nourrissage habituel pour être sûr que la population se maintienne à un niveau minimum. Le nombre de jeunes est d’ailleurs très variable d’une année à l’autre, ce qui suggère, entre autres, une forte dépendance à la disponibilité en nourriture pendant la saison concernée. Pour tester cette hypothèse, des études complémentaires sur l’évolution des populations des proies de la Cigogne noire seraient donc particulièrement importantes à mener. S’il existe bien une corrélation entre ressource alimentaire et succès reproducteur, la répétition d’épisodes de sécheresse et d’assèchement de parties de cours d’eau — en relation, par exemple, avec les évolutions du climat — pourraient avoir un impact sur la disponibilité alimentaire des cours d’eau et donc sur la population de Cigogne noire.

Durée d’occupation d’un nid

Même si on observe une forte proportion de nids qui ne sont occupés qu’une seule année, la Cigogne noire est connue pour être fidèle à sa zone de reproduction, à savoir sa zone de pêche et sa zone forestière. De ce fait, même si elle ne réoccupe pas le nid déjà construit, elle a tendance à en construire un à proximité de l’ancien. En fait, cette espèce est très territoriale comme cela a pu être observé en 2024 dans les forêts haut-marnaises. Alors que la femelle d’un couple habituel avait pondu ses œufs, accompagné d’un nouveau mâle, quand le précédent mâle est arrivé un mois plus tard, il a chassé le nouveau reproducteur. Le décalage d’éclosion des œufs observé laisse même penser que le mâle aurait détruit les œufs déjà pondus pour reféconder la femelle et avoir sa propre descendance.

Concernant la fidélité au nid, l’hypothèse couramment avancée est une économie d’énergie pour le couple qui n’a pas à en reconstruire un chaque année (Gendre et al., 2016). Cependant, pour étudier précisément cette fidélité, il faudrait s’assurer que ce sont bien les mêmes oiseaux qui occupent le même nid. Or, comme il n’est pas possible — sauf à relire les bagues — de différencier les individus, on ne peut pas affirmer que ce sont les mêmes individus qui sont bien fidèles sur la durée et que ce n’est pas un couple opportun qui a récupéré un nid déjà existant.

In fine, l’analyse des données récoltées sur plusieurs décennies tend à montrer que l’attachement à la zone de nidification est plus important que la fidélité entre les individus que l’on pensait pourtant cruciale au sein de cette espèce. En effet, avec l’étude des individus bagués il est possible de voir que, bien que certains couples restent fidèles l’un à l’autre, d’autres se font et se défont.

Dynamique spatio-temporelle de la population de Cigogne noire

L’interprétation de la dynamique spatiale et temporelle représentée par le maillage (figure 6) peut faire appel à différentes hypothèses. Sur une courte période, la dynamique locale sur un territoire restreint pourrait être expliquée par un même couple. Le couple n’étant pas fidèle à son nid mais à sa zone de nourrissage, si celui-ci réinstalle son nouveau nid sur la maille d’à côté, alors le gradient se dessine avec un même couple. À l’échelle d’une vie de Cigogne noire, ce maillage peut donc représenter 2 500 km² pour un même couple en ne déplaçant le nid que d’une dizaine de kilomètres autour de l’initial comme représenté sur le diagramme suivant (figure 7).

Figure 7. Exemple de territoire pour un même couple
© B. Brouillard (ONF)

Sur le territoire représenté par la dernière carte (figure 6), il est cependant impossible de penser que c’est le même couple qui exploite la zone. De ce fait, se sont bien de nouveaux couples qui s’installent et forment ce gradient. Cependant, à partir de la base de données utilisée, nous ne pouvons pas affirmer en l’état que ce sont bien les jeunes qui viennent s’installer dans ces zones proches de leur lieu de naissance même si des écrits le laissent à penser (Gendre et al., 2016). Pour confirmer cela, il faudrait étudier, en relisant les bagues, l’origine de chaque Cigogne qui viendrait s’installer dans une zone pour voir si elle est née dans le secteur ou non. Un gradient est donc observable mais nous ne pouvons pas affirmer avec certitude l’origine de cette dynamique spatio-temporelle de l’espèce qui colonise de manière progressive la France et non pas de manière spontanée et aléatoire.

Conclusion

La Cigogne noire, depuis son installation certaine en France en 1973, n’a eu de cesse de voir sa population reproductrice croître sur le territoire national. Cette espèce s’est accommodée aux peuplements et aux cours d’eau français. En raison de leur importance pour le forestier, les nids de Cigogne noire et leur environnement proche sont protégés par un protocole strict (ONF, 2013). L’augmentation semble se poursuivre de manière continue depuis 30 ans. Le risque actuel pour cette espèce est une modification importante des structures forestières qui lui sont favorables, c’est-à-dire les peuplements de vieux bois. Pour permettre le maintien de l’espèce au sein des massifs français, il semble donc très important de conserver des vieux peuplements de Chêne à très gros bois pour préserver des habitats favorables à sa reproduction et à son extension. Actuellement, dans les forêts publiques gérées par l’ONF, des mesures de protection sont mises en œuvre autour des nids découverts, à savoir :

  • un périmètre « de sécurité » correspondant à deux fois la hauteur du peuplement autour du nid où l’environnement n’est pas modifié (pas de coupe d’arbre) tant que le nid est occupé ;
  • un périmètre de « quiétude » de 300 m autour du nid à l’intérieur duquel les forestiers n’interviennent pas du 1er mars au 15 juillet pour les coupes ou travaux (ce délai pouvant être ramené au 15 avril par l’ONF en l’absence de nidification).

Remerciements

Je remercie pour la transmission des données les organismes et personnes suivantes : la Coordination nationale Cigogne noire LPO-ONF, la LPO France (Nicolas Gendre), le programme ACETAM (Frédéric Chapalain), le Groupement régional Cigogne noire (GRCN), l’association Nature Nièvre, l’association Lorraine Association Nature (LOANA), le Groupe Cigogne noire ONF (Réseau avifaune) et les forestiers de l’ONF référents nids, toutes les associations naturalistes et les naturalistes indépendants ainsi que les propriétaires et experts forestiers privés.

Notes

  • 1. Dans ce cas, on observe qu’après une fécondation infructueuse l’oiseau ne réoccupe pas le nid. La construction de nids de repli a également été observée. Si la fécondation, pour des raisons extérieures, ne réussit pas dans un premier temps et que la saison est encore propice à l’accouplement, il est possible que des oiseaux pondent de nouveau des œufs dans un autre nid construit les années précédentes déjà occupés ou non. Une autre solution est l’occupation de nids d’autres espèces avec notamment une occupation de nid d’Autour des palombes ou encore la construction rapide d’un nouveau nid.

Références

  • Brouillard, B. (2023). Caractérisation des types de peuplements forestiers fréquentés par la Cigogne noire (Ciconia nigra) [mémoire de fin d’études, AgroParisTech, Nancy, France]. https://infodoc.agroparistech.fr/doc_num.php?explnum_id=7869
  • Gendre, N., Brossault, P., Strenna, L., Chapalain, F. et Godreau, V. (2016). Actes du colloque Cigogne noire. 21, 22 & 23 septembre 2012. Châlons-en-Champagne. France [Hors-série no 1/2016]. Ornithos. Revue d’ornithologie de terrain. https://cigogne-noire.fr/IMG/pdf/hs_ornithos_2016_cigogne_noire_opt-2.pdf
  • Magot, C. (2018). Étude des facteurs influençant la sélection des sites de nidification chez la Cigogne noire, Ciconia nigra [mémoire de fin d’études, AgroParisTech, Nancy, France]. https://infodoc.agroparistech.fr/doc_num.php?explnum_id=6026
  • Malvaud, F. (2016). Un nid de Cigogne noire Ciconia nigra installé sur un arbre isolé dans le bocage normand. Ornithos. Revue d’ornithologie de terrain, 23(3), 172.
  • Muséum national d’histoire naturelle. (2003-2024). Fiche de Ciconia nigra (Linnaeus, 1758). Inventaire national du patrimoine naturel (INPN). https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/2514 (Consulté le 11 février 2024)
  • ONF. (2013). Prendre en compte la Cigogne noire. Office national des forêts
  • Strenna, L., Chapalain F. et Brossault, P. (2016). Baguage des Cigognes noires en France. Premier bilan : 1995 à 2011. Ornithos. Revue d’ornithologie de terrain [Hors-série no 1/2016], 29-35.
  • ONF. (s. d.). La Cigogne noire, moins connue que sa cousine la Cigogne blanche. Office national des forêts. http://www1.onf.fr/activites_nature/sommaire/decouvrir/animaux/cigogne_noire/connaitre/20080711-101531-539543/@@index.html (consulté le 10/09/2023)

Auteurs


Benjamin Brouillard

benjamin.brouillard@onf.fr

Affiliation : Office national des forêts, Unité territoriale Nord-Est Chatillonnais

Pays : France


Jean-Jacques Boutteaux

Affiliation : Office national des forêts, Unité territoriale d’Auberive

Pays : France

Pièces jointes

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Citations