Résumé

Une loi d’avril 2023 visant à ouvrir les espaces naturels à la circulation du gibier a mis fin, sous prétexte de sécurité des actions de chasse, à la très ancienne tolérance quant au passage d’un piéton sur des propriétés privées.
La nouvelle infraction est punie d’une amende de 135 € (4ème classe) aussi lourdement que le ramassage de champignons. Elle est cependant quasiment impossible à constater de manière valide puisque seuls les agents de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale sont habilités.
La jurisprudence ne tardera pas à montrer que le législateur eût mieux fait de s’abstenir.


Messages clés :
- Une loi d’avril 2023 a mis fin à la très ancienne tolérance quant au passage d’un piéton sur des propriétés privées.
- La nouvelle infraction, punie de 135 € d’amende, est quasiment impossible à constater de manière valide.
- La jurisprudence ne tardera pas à montrer que le législateur eût mieux fait de s’abstenir.

Abstract

A law passed in April 2023 aiming to open up natural areas to wild game has – under the pretext of increasing the safety of hunting - brought the long-standing tolerance of pedestrian passage on private property to an end.
This new offence carries a fine of 135 € (4th class of offence), similar to that of mushroom picking. It is, however, virtually impossible to make a valid declaration of this infringement, as only judicial police officers of the national police and the national gendarmerie are empowered to do so.
Case law will soon show that the legislator would have been better off abstaining.


Highlights:
- A law passed in April 2023 has brought the long-standing tolerance of pedestrian passage on private property to an end.
- It is almost impossible to make a valid declaration of the new offence, which carries a fine of 135 €.
- Case law will soon show that the legislator would have been better off abstaining.

Jusqu’en 2023, aucune loi n’interdisait d’entrer à pied dans une propriété privée

Bien que le panneau d'interdiction « Propriété privée, défense d'entrer » fleurisse fréquemment dans les campagnes françaises, il constitue une dépense de peu d’intérêt. Tout au plus pouvait-il intimider les citoyens ignorant de la loi en général et de leurs droits en particulier.

En effet, si le droit de propriété est, en France, un droit constitutionnel, « inviolable et sacré », qui n'admet de limitation que « lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment »1, il n’existait pas pour autant, dans la loi pénale française, d’interdiction de pénétrer sur ou dans une propriété privée.

La circulation à pied sur la propriété d’autrui, sans être un droit, était tolérée, puisque l’intrusion d’un piéton dans une propriété privée n’était pas réprimée

• Sur le plan pénal

Contrairement à une croyance assez répandue, l'intrusion dans une propriété privée n’était sanctionnée pénalement que dans deux situations :

  • Sous l’appellation de « violation de domicile », qualifiée par l’article 226-4 du code pénal : « L'introduction ou le maintien dans le domicile d'autrui à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. » et qui ne vise que les lieux qui servent de demeure2. Pour que cette infraction de violation de domicile soit constituée Il faut donc qu’il y ait manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. A contrario, le fait de s’introduire ou de se maintenir dans le domicile d’autrui sans manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte n’est pas pénalement répréhensible.
  • En milieu rural, un article de l’ancien code pénal (art. R. 26-13°)3 réprimait le « passage sur un terrain cultivé, préparé ou ensemencé ». Cet article a été supprimé. Observons que c’était moins le passage que le dommage causé au bien d’autrui, du fait que le terrain était cultivé, préparé ou ensemencé qui était réprimé. Cette qualification demeure comme dégradation du bien d’autrui (Cf. infra).

• Sur le plan civil

Les atteintes au droit de propriété peuvent faire l'objet d'une réparation civile, lorsqu'il y a empiètement avec prise de possession, même si celle-ci a une faible importance.

Ce n'est pas le cas lorsqu'une personne marche sur une propriété privée : elle ne fait qu’un « usage inoffensif » de la chose d'autrui, usage pour lequel le propriétaire ne saurait lui réclamer de dommages intérêts, ou tout au plus une indemnisation symbolique.

Qui plus est, s’agissant d’un contentieux civil hors de toute faute pénale, les agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire ne peuvent en dresser constat ; ils n’ont compétence que pour dresser des procès-verbaux d’infraction pénale. Le propriétaire doit donc recourir à un huissier, ce qui est peu aisé et coûteux.

L'infraction commençait avec tout prélèvement ou dégradation

Dégradation du bien d’autrui

Si elle ne réprimait pas la circulation à pied sur le bien d’autrui, la loi pénale le faisait, en revanche, et ça n’a pas changé, dès lors qu’il y a destruction, dégradation ou détérioration de ce bien.

Ainsi l’article 322-1 al.1 du code pénal prévoit-il que : « La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. »

En forêt, il est à noter que les peines encourues peuvent, lorsqu'il s'agit de l'incendie de bois, forêts, landes, maquis, plantations ou reboisements d'autrui :

- être portées à deux ans d'emprisonnement et à 30 000 euros d'amende ;

- et même monter jusqu’à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d'amende si l'incendie est intervenu dans des conditions de nature à exposer les personnes à un dommage corporel ou à créer un dommage irréversible à l'environnement ou a provoqué la mort d'une ou plusieurs personnes (Pén. 322-5 et 6).

Si les dommages sont légers, c’est l’article R. 635-1 qui s’applique : « La destruction, la dégradation ou la détérioration volontaires d'un bien appartenant à autrui dont il n'est résulté qu'un dommage léger est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. ».

Le promeneur qui cause un dommage léger au bien d’autrui s’expose donc à une amende de 1.500 € au plus.

Bizarrement « briser, dégrader, détruire ou faire disparaître des bornes, repères, signes et clôtures quelconques, servant à limiter les parcelles forestières (n’est) puni (que) de l'amende pour les contraventions de la 4e classe » (For. R163-9).

Le ramassage, la cueillette ou l’abattage sans autorisation sont du vol

Contrairement au gibier qui n'appartient à personne (res nullius), les fruits naturels (châtaignes, truffes, mûres, champignons, etc.) appartiennent « par droit d’accession » au propriétaire du terrain sur lequel ils poussent (Civ. 547).

Le promeneur qui cueille ou même ramasse ces fruits commet, quelle que soit la quantité ramassée, un vol au détriment du propriétaire. Ce dernier peut faire constater l’infraction par son garde particulier, ou le garde champêtre si la commune en a encore un, déposer une plainte pour vol et réclamer la restitution des fruits ramassés ou de leur valeur (Civ. 549) voire des dommages et intérêts.

L'absence de clôture ou de panneau « forêt privée, défense d'entrer » ou « cueillette de champignons interdite » ne tempère pas le caractère privé de la propriété et la qualification de vol de tout enlèvement d’un fruit ou d’un matériau quel qu’il soit.

Le vol est une infraction pénale réprimée par les articles Pén. 311-3 et suivants et punis, pour ce qui est du vol simple, d’une peine maximale de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

• Le vol de champignons en forêt est moins réprimé que hors bois et forêts

Si le ramassage de champignons hors des bois et forêts est qualifié et réprimé comme un vol, dans les bois et forêts, le législateur a souhaité distinguer selon la valeur de la récolte :

Ainsi, « prélever des truffes, quelle qu'en soit la quantité, ou un volume supérieur à 10 litres d'autres champignons, fruits ou semences des bois et forêts, sans l’autorisation du propriétaire du terrain, est puni conformément aux dispositions des articles 311-3, 311-4, 311-13, 311-14 et 311-16 du code pénal » (For. L163-11).

En revanche, « prélever un volume inférieur à 10 litres de champignons, fruits et semences dans les bois et forêts, sans l'autorisation du propriétaire du terrain, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe [amende de 750 € au plus]. » (For. R163-5 1er al.)

Photo 1. Comment attirer le public en forêt
Source : Bruno CINOTTI

• Tolérance en forêt publique lorsque le volume de champignons ramassés n’excède pas cinq litres

« Toutefois, dans les bois et forêts relevant du régime forestier, sauf s'il existe une réglementation contraire, l'autorisation est présumée lorsque le volume prélevé n'excède pas 5 litres. » (For. R163-5 2ème al.)

• Limitation préfectorale de la cueillette de champignons

Même lorsqu’elle est tolérée, concédée ou autorisée par le propriétaire, la cueillette de certaines espèces végétales (notamment tous les champignons) peut être interdite ou réglementée par arrêté préfectoral. Ces arrêtés sont normalement affichés dans chaque commune concernée. Les ramasseurs doivent donc se renseigner en mairie du lieu de ramassage, ou à la préfecture.

• Le vol d’autres végétaux ou matériau est réprimé comme celui des champignons voire plus

Dans les bois et forêts, « procéder (…) à l'extraction ou l'enlèvement d'un volume inférieur à 2 mètres cubes de pierres, sable, minerai, terre, gazon ou mousses, tourbe, bruyère, genêts, herbes, feuilles vertes ou mortes, engrais est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe. » (For. R163-4).

Tandis que « arracher des plants est puni d'une amende prévue pour les contraventions de 5e classe. » (For. R163-7) de même que « la coupe ou l'enlèvement de bois qui n'auraient pas 20 centimètres de tour, qu'ils aient été plantés ou non depuis moins de dix ans » (For. R163-1).

L’amende passe à 45 000 euros pour « la coupe, l'enlèvement d'arbres ayant au moins 20 centimètres de circonférence » (For. L.163-7.), l’éhoupage, l’écorçage ou la mutilation des arbres, la coupe de leurs principales branches, ou l’enlèvement de l’écorce de liège (For. L. 163-8), « l'extraction ou l'enlèvement d'un volume supérieur à 2 mètres cubes de pierres, sable, minerai, terre, gazon ou mousses, tourbe, bruyère, genêts, herbes, feuilles vertes ou mortes, engrais » (For. L.163-10) infractions punies « conformément aux dispositions des articles 311-3, 311-4, 311-13, 311-14 et 311-16 du code pénal ».

L’infraction est aussi constituée par l'emploi d'un véhicule ou d'une monture

Circulation en forêt hors des routes et chemins ouverts

Dans les bois et forêts, la circulation est régie par l’article For. R163-6 al. 1 et 2 :

« Est puni de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe tout détenteur de véhicules bestiaux, animaux de charge ou de monture trouvés dans les forêts, sur des routes et chemins interdits à la circulation de ces véhicules et animaux.

Est puni de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe tout détenteur de véhicules, bestiaux, animaux de charge ou de monture trouvés dans les forêts, hors des routes et chemins. »

Circulation dans les espaces naturels non forestiers

L’article Envir. L362-1 qualifie l’infraction pénale de « … circulation des véhicules à moteur […] en dehors des voies classées dans le domaine public routier de l'Etat, des départements et des communes, des chemins ruraux et des voies privées ouvertes à la circulation publique des véhicules à moteur ».

Cette infraction est réprimée par l’article R362-1 qui punit de « l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions des articles L. 362-1 et L. 362-3 concernant :

  • 1. L'interdiction de la circulation des véhicules à moteur en dehors des voies classées dans le domaine public routier de l'Etat, des départements et des communes, des chemins ruraux et des voies privées ouvertes à la circulation publique des véhicules à moteur ;
  • 2. L'interdiction de l'utilisation, à des fins de loisirs, d'engins motorisés conçus pour la progression sur neige.

Lorsque cette infraction est commise sur une propriété privée, elle peut être constatée par le garde particulier de cette propriété. »

Un nouvel article créé, définit et réprime l'infraction de pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d'autrui

Art. Pén. 226-4-3 – « Sans préjudice de l'application de l'article 226-4, dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement, pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d'autrui, sauf les cas où la loi le permet, constitue une contravention de la 4e classe. »

Introduit dans le code pénal par la loi 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et protéger la propriété privée, cet article 226-4-3 réprime la circulation des piétons dans les propriétés privées rurales ou forestières.

Une infraction créée « en compensation » de l’interdiction d’engrillager

Les débats parlementaires lors de l’adoption du nouvel article montre que l’interdiction d’engrillager a été vécue par certains groupes de pression comme une atteinte intolérable au droit de propriété ce qui a suscité la rédaction de cet article présenté comme nécessaire pour réprimer « une violation de la propriété privée » ou encore comme « assurant la sécurité des usagers » (contre le risque d’accident de chasse).

Le droit de se clore

Tout propriétaire a le droit de clore comme l’indique l’article Civ. 647 : « Tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l'exception portée en l'article 682. »

L’article Civ. 682 apporte au droit de se clore les réserves suivantes : « Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner. »

Le droit civil reconnaît ainsi le caractère « exclusif » du droit de propriété, en vertu duquel tout propriétaire a le droit de se réserver, par une clôture, la jouissance de son fonds.

Quelle signalétique ?

Franchir le panneau qui suit (photo 3) constitue une interdiction pour un promeneur à pied ou pour un cycliste. Au contraire, l’absence de signalisation spécifique pour les cavaliers pourrait être invoquée par ceux-ci pour faire valoir que le propriétaire tolère implicitement leur présence : si le propriétaire souhaitait matérialiser une interdiction générale de pénétrer, ce panneau est « contreproductif ».

Photo 2. Panneaux d'interdiction sur poteau
Source : Bruno CINOTTI

Reste une possible politique de communication

Le propriétaire garde bien entendu la possibilité de communiquer sur l’existence de sa propriété, son caractère privé, les règles qu’il souhaite y voir respecter, etc.

Les reproductions ci-dessous (photos 4 et 5) montrent différentes formes de communication. Nous laissons les lecteurs apprécier les différentes formes choisies.

Photo 3. Panneau d'accueil …
Source : Bruno CINOTTI

Photo 4. ou panneau d'accueil ?
Source : Bruno CINOTTI

L’obligation de signalisation des dangers

Bien entendu, en cas de risque particulier, notamment lors d’actions de chasse, une signalétique adaptée est indispensable pour prévenir les promeneurs du danger qu’ils encourent à pénétrer sur la propriété. Cette signalétique ne dispense en aucun cas du respect de toutes les règles de sécurité, mais peut contribuer, en cas de recours, à établir la bonne foi du propriétaire.

• Danger permanent

L’article 1384 du code civil dispose « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ». Le propriétaire peut donc voir sa responsable civile recherchée en cas des dommages subis par une personne circulant sur sa propriété. Le juge appréciera la légitimité de la présence de la personne blessée tout autant que les mesures d’information ou de clôture que le propriétaire aura prises en cas de danger particulier (falaises, cavités souterraines, présence abondante d’arbres morts, …) ou encore les aménagements tendant à montrer que le propriétaire tolérait voire encourageait la présence de public. Sans dramatiser ce risque, il convient donc d’être prudent et de demeurer en mesure de prouver qu’on n’a pas facilité la pénétration sur la propriété et qu’on en a signalé les éventuels dangers particuliers. Il ne s’agit évidemment pas de clouer des panneaux « risque de chutes de branches » à l’entrée de tous les bois et forêts.

Plusieurs tentatives d’exonérer les propriétaires de leur responsabilité, en cas de contraintes imposées par les pouvoirs publics, ont abouti à la création d’un chapitre spécifique du code de l’environnement (livre III titre VI) et d’un article L. 365-1 : « La responsabilité civile ou administrative des propriétaires de terrains, de la commune, de l'État ou de l'organe de gestion de l'espace naturel, à l'occasion d'accidents survenus dans le cœur d'un parc national, dans une réserve naturelle, sur un domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ou sur les voies et chemins visés à l'article L. 361-1, à l'occasion de la circulation des piétons ou de la pratique d'activités de loisirs, est appréciée au regard des risques inhérents à la circulation dans des espaces naturels ayant fait l'objet d'aménagements limités dans le but de conservation des milieux, et compte tenu des mesures d'information prises, dans le cadre de la police de la circulation, par les autorités chargées d'assurer la sécurité publique ».

• Actions de chasse

Les panneaux permanents reproduits ci-dessous (photos 6a-c) n’exonèrent en rien le propriétaire ou le chasseur de sa responsabilité en cas d’accident. S’ils peuvent avoir un effet dissuasif, leur présence tend à montrer que le chasseur a parfaitement conscience de la possible présence de promeneurs dans le massif. Au lieu de réduire sa responsabilité, cet élément pourra être retenu contre lui en cas de manquement de sa part à une obligation de prudence ou de sécurité.

La seule signalisation valide et utile est le panneau réglementaire mobile « chasse en cours » à placer à l’entrée du massif ou de l’enceinte de battue le long des routes ouvertes au public et sur les itinéraires de randonnée.

Photo 5a-c. Chasse dangereuse ?
a et b. Source : Bruno CINOTTI ; c. Source : Pancarte/Panneau. Bouches-du-Rhône. « Quels droits pour les promeneurs, entre droit d’accès à la nature et propriété privée ? », article publié le 17 mai 2024 et mis à jour le 1er juillet 2024 (The Conversation). https://theconversation.com/quels-droits-pour-les-promeneurs-entre-droit-dacces-a-la-nature-et-propriete-privee-229418

Une infraction difficile voire impossible à constater

Le nouvel article est entaché d’un vice majeur qui en complique l’application.

Introduit dans le « Livre II - Des crimes et délits contre les personnes - titre II - Des atteintes à la personne humaine - chapitre IV - Des atteintes à la personnalité – section 1 - De l’atteinte à la vie privée » du code pénal et non au « Livre III – Des crimes et délits contre les biens – titre II - Des autres atteintes au bien » du même code, il ne définit pas une infraction portant atteinte aux propriétés mais une infraction portant atteinte aux personnes.

La circulation d’un piéton dans les propriétés privées rurales ou forestières d’autrui ne peut donc pas être constatée par un garde particulier

L’article 29 du code de procédure pénale stipule en effet que « Les gardes particuliers assermentés constatent par procès-verbaux tous délits et contraventions portant atteinte aux propriétés dont ils ont la garde ».

Il résulte de la conjonction des deux articles que l’infraction définie et réprimée par l’article 226-4-3 du code pénal ne peut être validement constatée par les gardes particuliers.

La circulation d’un piéton dans les propriétés privées rurales ou forestières d’autrui ne peut pas non plus être constatée par un garde champêtre

L’article 24 du code de procédure pénale stipule que « (…) les gardes champêtres recherchent et constatent par procès-verbal les délits et contraventions qui portent atteinte aux propriétés situées dans les communes pour lesquelles ils sont assermentés (…) ».

L’article 522-1 du code de la sécurité intérieure stipule que « Les gardes champêtres concourent à la police des campagnes.

Ils sont chargés de rechercher, chacun dans le territoire pour lequel il est assermenté, les contraventions aux règlements et arrêtés de police municipale.

Ils dressent des procès-verbaux pour constater ces contraventions.

Les gardes champêtres sont également autorisés à constater par procès-verbal les contraventions aux dispositions du code de la route dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. A cette occasion, ils sont habilités à procéder aux épreuves de dépistage mentionnées à l'article L. 234-3 du code de la route, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 234-4 du même code, et aux épreuves de dépistage mentionnées aux deux premiers alinéas de l'article L. 235-2 dudit code, sur l'ordre et sous la responsabilité des officiers de police judiciaire, dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa du même article L. 235-2.

Ils constatent également les contraventions mentionnées au livre VI du code pénal, dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, dès lors qu'elles ne nécessitent pas de leur part d'actes d'enquête et à l'exclusion de celles réprimant des atteintes à l'intégrité des personnes.

Ils recherchent et constatent les infractions forestières mentionnées aux articles L. 161-1 et L. 161-4 du code forestier ».

Il résulte de la conjonction de ces deux articles que l’infraction définie et réprimée par l’article 226-4-3 du code pénal ne peut être validement constatée par les gardes champêtres.

Seuls les officiers et agents de police judicaire sont habilités à constater la nouvelle infraction

En effet, ni les gardes particuliers, ni les gardes champêtres, ni les autres fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire au titre des différents codes susceptibles de protéger les propriétés rurales ou forestières ne sont habilités par une loi à constater les infractions portant atteintes aux personnes.

Il résulte de ce constat que seuls les OPJ et APJ de la Police nationale ou de la Gendarmerie nationale (et les maires et adjoints), sont habilités à constater l’infraction définie et réprimée par l’article 226-4-3.

Le législateur n’a, en outre, pas défini à quelles conditions on peut considérer que « le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement »

En interdisant l’engrillagement, ce qui était l’objectif premier de la loi du 2 février 2023 et en refusant d’affirmer que « le caractère privé du lieu est clairement identifié par une signalétique spécifique » pour se contenter de la formule, plus vague, « matérialisé physiquement », le législateur a, avec l’accord du Gouvernement, ouvert un boulevard à la contestation du caractère suffisamment matérialisé du lieu.

On imagine mal, et c’est ce qui a retenu le législateur, voir fleurir de part et d’autre des chemins ouverts à la circulation publique ou des sentiers de randonnée, des panneaux « propriété privée » rappelant le caractère privé du lieu, comme il en existe tous les cinquante ou cent mètres et à chaque virage, le long de certaines réserves naturelles pour que nul ne puisse prétendre être entré par ignorance du caractère interdit du lieu.

De ce fait, pour établir l’élément matériel de l’infraction, le procès-verbal devra comporter tous les éléments de description de la matérialisation du caractère privé du lieu sur l’ensemble du périmètre de la propriété.

Une infraction que procureurs ou juges du tribunal de police auront à cœur de relativiser

Le nouvel article 226-4-3 n’apparaît pas dans la longue liste des articles énumérées limitativement par l’article R48-1 du code de procédure pénale qui définit « les contraventions des quatre premières classes pour lesquelles l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire ».

Il en résulte que la nouvelle infraction ne peut passer que par les voies traditionnelles de l’action publique, ce qui exige l’établissement d’un procès-verbal détaillé et ouvre au contrevenant la possibilité d’exiger d’aller jusqu’en audience pour y contester les conditions de constatation de l’infraction ou la démonstration par le procès-verbal de l’élément matériel.

Quand bien même l’élément matériel de l’infraction serait établi sans contestation possible, il n’est pas interdit de penser que le juge, dans une saine hiérarchisation de la gravité des infractions qui ne paraît pas avoir été le souci premier du législateur, ne réprimera pas le simple fait de circuler à pied sur la propriété d’autrui, en ayant délibérément ignoré le caractère privé de la propriété, plus lourdement que :

- « la diffamation non publique envers une personne » (Pén. R621-1) et « l'injure non publique envers une personne, lorsqu'elle n'a pas été précédée de provocation. » (Pén. R621-2) qui sont punies de l'amende prévue pour les contraventions de la 1re classe,

- « Le fait, par le gardien d'un animal susceptible de présenter un danger pour les personnes, de laisser divaguer cet animal » (Pén. R622-2) qui est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 2e classe,

- « (…) la menace de commettre des violences contre une personne, lorsque cette menace est soit réitérée, soit matérialisée par un écrit, une image ou tout autre objet » (Pén. R623-1) qui est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe.

ni aussi lourdement que :

- « (…) les violences volontaires n'ayant entraîné aucune incapacité totale de travail » (Pén. R624-1),

- « Le fait, sans l'autorisation du propriétaire du terrain, de procéder sur celui-ci à l'extraction ou l'enlèvement d'un volume inférieur à 2 mètres cubes de pierres, sable, minerai, terre, gazon ou mousses, tourbe, bruyère, genêts, herbes, feuilles vertes ou mortes, engrais » (For. R163-4)

- « Le fait, sans l'autorisation du propriétaire du terrain, de prélever un volume inférieur à 10 litres de champignons, fruits et semences dans les bois et forêts » (For. R163-5)

- « Le fait de briser, dégrader, détruire ou faire disparaître des bornes, repères, signes et clôtures quelconques, servant à limiter les parcelles forestières » (For. R163-9)

Infractions qui sont punies de l'amende pour les contraventions de la 4e classe.

Au contraire, la qualification en 4e catégorie de la nouvelle infraction amènera probablement, compte-tenu de la disproportion de la sanction qu’elle inflige pour des faits qui n’avaient jamais été qualifiés d’infraction pénale auparavant, de fréquentes contestations sur la forme et sur le fond et une grande mansuétude du ministère public et du juge.

Une infraction sur laquelle les médias et le législateur s'interrogent à nouveau

Plusieurs propriétaires ayant fermé leurs propriétés en application du nouvel article ont suscité de nombreuses critiques dont les médias locaux ou nationaux se sont déjà fait l’écho. Cela n’a rien d’étonnant si l’on se rappelle qu’il y aurait 3,3 millions de propriétaires forestiers en France, ce qui signifie que la nouvelle loi prive 65 millions d’habitants de promenade dans les trois quarts des espaces forestiers.

Le législateur commence lui aussi à s’interroger sur une modification, voire une suppression du nouvel article litigieux. Une première tentative a pris la forme d’une proposition de loi visant à dépénaliser l’accès à la nature, déposé(e) le mardi 7 novembre 2023 et renvoyé(e) à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République qui a rejeté la proposition.

En attendant une possible abrogation de cet article, d’autres propriétaires seront tentés d’investir dans une signalisation affirmant le caractère privé de leur propriété.

Si le problème rencontré est celui de ramasseurs, la solution n’est pas la signalétique, mais le commissionnement d’un garde particulier qui sera chargé de constater l’infraction pénale qu’est le vol afin de permettre au propriétaire de porter plainte et de se constituer partie civile.

Si le problème rencontré est la forte fréquentation par des promeneurs, la signalisation n’est pas, pour les raisons évoquées ci-dessus, la solution. Il faut au contraire préconiser la création d’obstacles naturels (haies vives). Bien entendu, on aura au préalable tout mis en œuvre pour freiner la pénétration et le stationnement des véhicules à moteur, ce qui est toujours plus simple à écrire qu’à faire.

Enfin, une fréquentation limitée par des promeneurs qui ne ramassent rien de valeur (tel que des champignons « précieux ») ne justifie peut-être pas la débauche de panneaux « propriété privée – défense d’entrer ». Dans ce cas, une communication de type « cette forêt est privée, merci de la respecter » ne garantira rien mais évitera de donner des producteurs forestiers une image de hobereaux jaloux de leurs prérogatives.

Dans tous les cas, le commissionnement d’un garde particulier, salarié ou non, reste recommandé, dans une logique d’accueil, de pédagogie et de répression bien compris.

Bien entendu, en cas de risque particulier, notamment lors d’actions de chasse, une signalétique adaptée est indispensable pour prévenir les promeneurs du danger qu’ils encourent à pénétrer sur la propriété. Cette signalétique ne dispense en aucun cas du respect de toutes les obligations de prudence et de sécurité mais peut contribuer, en cas de recours, à établir la bonne foi du propriétaire.

Conclusion

L’infraction définie et réprimée par le nouvel article 226-4-3 du code pénal est venue mettre un terme à une tolérance datant de temps immémoriaux quant à la circulation à pied sur la propriété d’autrui sous réserve de n’y causer aucun dommage ni d’y ramasser quoi que ce soit.

Ne faut-il pas, dès lors, se réjouir que la constatation de cette infraction, dont l’élément matériel sera difficile à établir, soit réservée à des catégories d’agents dont on peut être sûr qu’ils ont d’autres priorités que de préserver la vie privée des propriétaires ?

Peut-on trouver que ce soit une perspective satisfaisante de voir fleurir, de place en place, le long de certaines propriétés rurales ou forestières, de nombreux panneaux « propriété privée - défense d’entrer » seule matérialisation possible du caractère privé des lieux pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir la clôture réglementaire ?

La réponse appartient à la jurisprudence qui promet d’être abondante si les forces de police et de gendarmerie venaient, malgré tout, à perdre du temps à constater la nouvelle infraction.

Observer enfin que, quoique propriétés rurales, la plupart des espaces agricoles ne sont pas protégées par la nouvelle infraction puisqu’elle imposerait d’enclore ou de mettre en place une signalétique ?

Notes

  • 1. « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. » Déclaration de l'homme et du citoyen de 1789 (art. 17)
  • 2. « Constitue notamment le domicile d'une personne, au sens du présent article, tout local d'habitation contenant des biens meubles lui appartenant, que cette personne y habite ou non et qu'il s'agisse de sa résidence principale ou non. » (Pén. 226-4 al. 3)
  • 3. « Seront punis d'amende, depuis 30 F jusqu'à 250 F inclusivement : … 13. Ceux qui, n'étant ni propriétaires, ni usufruitiers, ni locataires, ni fermiers, ni jouissant d'un terrain ou d'un droit de passage ou qui, n'étant agents ni préposés d'aucune de ces personnes, seront entrés et auront passé sur ce terrain ou sur partie de ce terrain, s'il est préparé ou ensemencé ; » Abrogé par le décret n° 93-726 du 29 mars 1993.

Références

  • Basset, M. (2024). Quels droits pour les promeneurs, entre droit d’accès à la nature et propriété privée ?. The conversation.com (consulté le 10/10/2024) https://theconversation.com/quels-droits-pour-les-promeneurs-entre-droit-dacces-a-la-nature-et-propriete-privee-229418
  • Cinotti, B. (2008). Propriété privée : défense d’entrer. Quelle signalétique pour les forêts privées ? Forêts de France, 511(3), 33-37.
  • Cinotti, B. (2013). Ne tombez pas dans le panneau. Forêts de France, 564(6), 37-38.
  • Le Meur, S. (1998). La circulation des véhicules à moteur dans les espaces naturels. Quel bilan après sept ans d'application de la loi Lalonde ? Quelles perspectives d'évolution ? Revue Juridique de l'Environnement, 4, 503-516.

Auteurs


Bruno Cinotti

bruno.cinotti@developpement-durable.gouv.fr

https://orcid.org/0009-0005-5561-7934

Affiliation : Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Inspection Générale de l’Environnement et du Développement Durable (IGEDD), F-92800 Puteaux, France

Pays : France

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Citations