Résumé
Le Pin de Bouget, hybride naturel entre Pins à crochets et sylvestre (Pinus uncinata Ram., Pinus sylvestris L.), est décrit en 1933 aux Pyrénées. D’abord nommé Pinus Bougeti Flous par Gaussen (1960), il ne fait l’objet d’aucun diagnostic botanique valide. Ainsi, il est rattaché aujourd’hui à la nothoespèce Pinus rhaetica Brügger décrite par Christ (1864) en Engadine. Au-delà de ses caractéristiques morphologiques et biochimiques spécifiées au xxe siècle, l’ADN chloroplastique permet son génotypage dans les Pyrénées à la fin des années 2000, où le taux d’hybridation introgressive est toujours inférieur à 10 %. Pour une reconnaissance pratique, l’inclinaison du cônelet sur le rameau fertile s’ajoute aux critères morphotypiques initiaux.
Messages clés :
- L’hybridation de Pinus sylvestris avec P. uncinata est avérée dans toutes les montagnes d’Europe où les populations parentales sont sympatrique.
- L’évaluation du taux d’introgression par marqueurs moléculaires montre que le phénomène est géographiquement étendu mais démographiquement limité.
- La détermination morphotypique du Pin de Bouget tend à surestimer son occurrence.
Abstract
The Bouget pine, Pinus x rhaetica Brügger, a natural hybrid of mountain pine (Pinus uncinata Ram.) and Scots pine (Pinus sylvestris L.) was described as being present in the Pyrenees in 1933. Initially named Pinus Bougeti Flous by Gaussen (1960), no valid botanical diagnosis has been made. It is thus now part of the Nothospecies Pinus rhaetica Brügger described by Christ (1864) in Engadine. Its morphological and biochemical characteristics were specified in the 20th century, and chloroplastic DNA allowed it to be genotyped in the late 2000s in the Pyrenees, where the introgressive hybridisation rate is still under 10 %. For practical recognition, the inclination of the conelet on the fertile shoot has been added to the initial morphotypic criteria.
Highlights:
- The hybridisation of Pinus sylvestris with P. Uncinata has been confirmed in all European mountains where parental populations are sympatric.
- The evaluation of ingression rate using molecular markers has shown that the phenomenon is geographically widespread but demographically limited.
- Morphotype analyses of the Bouget pine tend to result in an overestimation of its occurrence.
Introduction
Au moment de la reconnaissance aux Pyrénées du Pin à crochets par Louis Ramond de Carbonnières (1755-1827) à la fin du XVIIIe siècle, avant même sa description botanique et sa dénomination Pinus uncinata Ramond ex DC. 1805, l’auteur signale dès 1792-93 : « J’ai toutefois remarqué au fond de la vallée de Cauterets, aux environs du lac de Gaube, le Pinus altissima, le Laricio de Corse, arbre intéressant qui n’était point connu dans les Pyrénées » (Ramond, 1997). Au siècle suivant également, Timbal-Lagrave rapporte en 1868 avoir traversé : « en descendant le col du Marcadau, en quittant la cabane, une forêt de Pins où nous avons remarqué le Pinus uncinata et le Pinus pyrenaica mélangés » (in Flous, 1933).
En réalité, ces deux auteurs célèbres ne rencontrent en ces montagnes ni Pin laricio, ni Pin de Salzmann (nommé Pinus pyrenaica par Lapeyrouse
Photo 1. Pin de Bouget au Marcadau, altitude 1 920 mètres

Les recherches inaugurales du XXe siècle avec le trio pyrénéen Bouget-Flous-Gaussen
On doit à la toulousaine Fernande Flous (1908-1996), spécialiste des conifères, la première mention par les dendrologues français du Pin de Bouget, aux traits morphologiques transitionnels entre Pin sylvestre et Pin à crochets : « … il existe au Marcadau, à Gaube, à Orédon et dans d’autres localités un arbre qui paraît intermédiaire entre les deux espèces. Gaussen (1931) a indiqué son existence à Orédon : des hybrides paraissent exister entre ces deux espèces et former un type spécial que j’ai retrouvé au Marcadau dans des conditions analogues. » (Flous, 1933). Joseph Bouget (photo 2), alors botaniste à l’observatoire du Pic du Midi, remarque en effet dès 1925 l’existence de ce type entre Orédon et Aumar dans le massif granitique de Néouvielle (photo 3). Il signale alors par lettre à Henri Gaussen la présence aux Pyrénées de ce Pin dont F. Flous résume ainsi les caractéristiques : « arbre ressemblant à un P. sylvestre et ayant des cônes ressemblant un peu à ceux du Pin Laricio » (Flous, op. cit.). Cette description correspond par exemple au jeune sujet d’Orédon présenté sur les photos 5.
Photo 2. Joseph Bouget (1867-1953)

Photo 3. En juin 1925 Joseph Bouget note lors d’une excursion en Néouvielle la présence de pins « intermédiaires entre le Pin sylvestre et le montana [forme uncinata] »

La définition du Pin de Bouget, extraite d’un article intitulé Les Pins montagnards et subalpins des Pyrénées publié en 1933 dans le cadre des travaux du laboratoire forestier de Toulouse, est enrichie l’année suivante d’une seconde étude où Fernande Flous approfondit la caractérisation de ce Pin du triple point de vue morphologique, histologique et géographique. Au surplus de faibles différences constatées dans l’anatomie des aiguilles, approchant celle de Pinus sylvestris L., l’autrice avance l’exigence de terrains granitiques pour le Pin de Bouget et l’absence supposée de ce dernier dans la vallée du Rioumajou, creusée pour l’essentiel dans des terrains calcaires et schisteux primaires. Cette défection édaphique instille alors le doute sur l’origine hybride de notre Pin et justifierait des études plus poussées sur la question des "races" de sylvestre : « Sans écarter définitivement l’idée de l’hybridité, l’exemple du Riou Majou diminue singulièrement sa probabilité. Il est donc normal de pencher vers l’idée d’une race distincte de Pin sylvestre ou d’une espèce nouvelle. » (Flous, 1934).
Malgré cette réserve, une fois le Pin de Bouget assimilé dès 1937 à une « race » majestueuse de Pin sylvestre cantonnée aux Pyrénées centrales, Gaussen va pourtant entériner sa singularité spécifique et sa nature hybride en proposant la dénomination Pinus Bougeti Flous (photo 4) dans un ouvrage de renommée internationale : Les Gymnospermes actuelles et fossiles (Gaussen, 1960). Ce binôme sera par la suite rejeté car considéré comme non valide par les nomenclateurs, pour cause de publication non valable, à l’inverse du nom antérieur Pinus rhaetica Brügger donné au Pin hybride
Photo 4. Deux des hybrides entre Pin sylvestre et Pin à crochets décrits dans l’ouvrage de Gaussen publié en 1960 « Les Gymnospermes actuelles et fossiles ».

Photos 5. Jeune Pin de Bouget présentant un cône (immature, à droite) analogue à celui du Pin laricio, et un cônelet (à gauche) récurvé sur la pousse de l’année de couleur ocre orangée. Orédon (massif de Néouvielle).

Les précurseurs, biométriciens du cône et du pollen
Bien avant la publication des Gymnospermes actuelles et fossiles de Gaussen, le dendrologue roumain Nicolae Tănăsescu, connaissant les travaux de F. Flous à propos du Pin de Bouget, inclut un échantillonnage présumé de cette essence (lot de 500 cônes provenant du Marcadau) au sein de sa vaste étude biométrique sur les cônes de Pin à crochets en France (Tănăsescu, 1939). À propos de la taille des cônes issus des Pyrénées (sècherie de la Cabanasse et Marcadau), l’auteur commente l’analogie remarquable de leurs courbes fréquentielles de variabilité, de forme très étalée et présentant deux maxima : « Ceci signifie que le matériel étudié n’est pas homogène, il n’est pas formé d’une race pure, ce qui est possible parce que le Pin de Bouget n’est qu’un hybride du Pin sylvestre et du Pin à crochets et que dans la région du Mont Louis, ce dernier est toujours en mélange avec le premier… » (Tănăsescu, op. cit.). Il est fort probable en effet que la bimodalité de la distribution obtenue résulte d’un mélange de cônes prélevés sur Pin à crochets (semenciers majoritaires) et accessoirement sur Pin de Bouget (semenciers minoritaires) dans chacune des deux provenances pyrénéennes échantillonnées.
De la même façon le palynologue turc Burhan Aytuğ interprète l’occurrence de pollens anormaux chez le Pin sylvestre de la Matte en Capcir comme une conséquence de l’hybridation avec le Pin à crochets proche. Il précise : « Les dimensions sont quelquefois moins, quelquefois plus fortes que celles des parents ; mais leur valeur est souvent comprise entre ces deux espèces. » Et de conclure : « Il est assez facile de reconnaître l’hybride (P. uncinata x P. silvestris) d’après la forme et les dimensions anormales du pollen et ses graphiques qui traduisent une variation irrégulière. » (Aytuğ, 1962).
Je me suis trouvé moi aussi confronté à la même irrégularité de la distribution dimensionnelle des pollens quelque 20 ans plus tard en observant les résultats obtenus à Formiguères (figure 1), forêt pareillement sise en Capcir. En comparaison du diamètre calculé en 1962 par Aytuğ pour la même population de Pinus uncinata (D = 47,214 m), j’obtins en 1980 un diamètre moyen du grain de pollen inférieur de près de 10 m ! Cette sous-évaluation de la taille moyenne s’explique par la récolte précoce des pollens effectuée à la fin du mois de juin, à une date où la plupart des arbres pères, relevant bien du morphotype Pin à crochets

Le phénomène complexe de croisements entre Pin à crochets et Pin sylvestre : quelle ampleur ?
Précédant l’avènement des marqueurs moléculaires appliqués à la génétique des arbres forestiers, certains auteurs ont testé l’hypothèse de l’introgression entre diverses populations sympatriques de Pin sylvestre et de Pin à crochets sur la base de critères morphologiques ou biochimiques (essentiellement relatifs aux aiguilles, la composition en flavonoïdes des tissus ou leur polymorphisme enzymatique). Citons, par exemple, les investigations conduites par Anne Probst en Cerdagne (1983), Conchita Neet-Sarqueda et al. dans le Valais (1988), Josiane Lauranson-Broyer et Philippe Lebreton (1993) pour les Alpes, le Jura et les Pyrénées, et de nouveau C. Neet-Sarqueda pour le Valais, les Grisons et le Jura (1994). Tous ces chercheurs, s’ils notent l’occurrence d’individus aux traits intermédiaires par rapport aux populations parentales, n’apportent pas la preuve formelle qu’elle résulte d’hybridations. Dans les montagnes suisses échantillonnées, il est parfois même présumé l’inexistence d’hybridation introgressive
Les recherches relatives aux potentialités d’hybridation entre nos Pins sauvages
En ce qui concerne la détection et l’étendue de l’introgression entre populations de Pins sauvages échantillonnées depuis le massif d’Anie jusqu’au Canigou, les résultats marquants de ces recherches se résument ainsi (Cantegrel, 2013) :
- Fort pouvoir discriminant des marqueurs microsatellites chloroplastiques Pt 41.093 et Pt 41.131 pour la détermination du père d’un échantillon testé (graine, plantule, adulte). En particulier, le marqueur polymorphe Pt 41.131 présente des allèles majoritaires clairement distincts chez chacune des deux espèces (figure 2).
- En assignant chaque échantillon à un taxon identifié au moyen de la clé morphotypique de Remaury et Lefèvre (1995), le taux de discordance entre génotype et morphotype plafonne à 2,8 % sur la base de ce marqueur.
- Néanmoins la détection des hybrides selon une empreinte génétique multilocus (sur la base de 9 marqueurs discriminants au lieu d’un seul) minore encore le degré d’hybridation interspécifique.
- L’erreur de diagnostic revêt un risque plus élevé chez les échantillons se révélant de type uncinata après génotypage, la clé morphotypique utilisée ayant tendance à surestimer les formes dites "hybrides".
- L’échantillonnage complémentaire d’un transect altitudinal au Rioumajou montre que globalement le taux d’hybridation demeure très faible dans les Pyrénées centrales (2 à 3 % sur les individus adultes, et 6,5 % sur les descendances maternelles dont on ignore la valeur adaptative).
En conclusion, les génotypages uniquement fondés sur l’adn des chloroplastes
Figure 2. Les génotypes des Pins sauvages pyrénéens se distinguent nettement sur la base des allèles du marqueur chloroplastique Pt 41.131. En abscisse, nombre de paires de bases permettant de repérer le locus de chaque allèle sur la molécule d’ADN du chloroplaste (d’après Mongin, 2009 dans Cantegrel, 2013) (reproduit avec l’aimable autorisation de l’ONF).

À titre de références centro-européennes (où sous l’angle chorologique le Pin à crochets cède la place à son congénère frutescent le Pin mugo), l’étude par des auteurs polonais du polymorphisme de l’adn nucléaire, en complément de l’ADNcp, extrait de l’endosperme
Par ailleurs, l’hérédité parfois inhabituelle des organites cellulaires est récemment mise en évidence dans des croisements réciproques de Pinus mugo et Pinus sylvestris : si la formule P. sylvestris ♀ x P. mugo ♂ transmet typiquement les chloroplastes paternels aux descendants, curieusement le croisement inverse P. mugo ♀ x P. sylvestris ♂ produit également des hybrides tous pourvus de l’ADNcp de P. mugo, i. e. d’hérédité maternelle (Kormuťák et al., 2018) ! Il y a là manifestement un processus de protection de l’intégrité génomique de Pinus mugo vis-à-vis de l’introgression par Pinus sylvestris. Cette capacité de P. mugo à contourner l’introgression du Pin sylvestre, qui contraste avec l’aptitude de P. uncinata à couramment s’hybrider avec P. sylvestris, constitue un des marqueurs éthologiques justifiant leur statut d’espèces distinctes
Enfin, une équipe de généticiens polonais, de concert avec un collègue catalan, dévoile en 2010 l’existence d’hybrides cryptiques morphologiquement similaires à l’arbre mère (Pinus sylvestris) au sein de la population relictuelle de la Sierra de Gúdar
Photo 6. La pineraie oncinée relictuelle de Gúdar à Genévrier sabine (Monts ibériques) avec occurrence de Pinus x rhaetica (double tige sur la gauche)

Quels caractères diagnostiques pour l’hybride des montagnes de Rhétie ?
Puisque la nomenclature officielle considère Pinus x rhaetica comme seul nom valide pour le Pin de Bouget, sur quelles bases repose l’identification de cet hybride, au départ déterminé en haute Engadine dès 1863 par Brügger
Une première réponse pertinente résulte des travaux du spécialiste danois Knud Ib Christensen (1955-2012) et notamment de sa révision taxonomique du complexe des Pins de montagne (Christensen, 1987b). Concernant le nothotaxon P. rhaetica, sa clé de détermination demeure purement morphologique et qualitative : elle débute par les caractères du rhytidome et la teinte glauque des aiguilles, continue par la pousse de l’année de couleur ocre, et s’achève par l’inclinaison des cônelets
Dans le prolongement des recherches de Christensen, les dendrologues tchèques Roman Businský et Jan Kirschner rappellent qu’effectivement la position du cônelet, réfléchie sur le rameau contrairement à celle du Pin à crochets qui demeure dressée (photos 7), indique à coup sûr une origine hybride du matériel et une parenté au Pin sylvestre (Businský et Kirschner, 2010). À ce titre, concernant la description de Pinus rhaetica
Photos 7. Position du cônelet à l’extrémité de la pousse annuelle. À gauche, cônelet récurvé chez le Pin de Bouget et, à droite, dressé chez le Pin à crochets

Photos 8. Habitus du Pin de Bouget au massif de Néouvielle. À gauche, adulte à 1 900 mètres d’altitude vers Bastan présentant une écorce gris-rougeâtre de haut en bas de l’arbre, avec un rhytidome crevassé à la base du tronc. À droite, enclavé dans le houppier d’un Pin à crochets adulte, un jeune Pin de Bouget à Orédon. Noter (au centre) l’écorce rosâtre de sa tige et la teinte glauque de son feuillage.


La reconnaissance in situ du Pin de Bouget
S’il est relativement simple de déterminer les adultes du Pin de Bouget sur le terrain, la reconnaissance des juvéniles et jeunes adultes se révèle beaucoup plus difficile (photos 9). En effet au stade juvénile les espèces parentales Pin sylvestre et Pin à crochets restent elles-mêmes peu différenciées et font parfois l’objet de confusions, y compris par les spécialistes
Photo 9. Le Pin de Bouget présente parfois avec l’âge une écorce grisâtre du tronc, virant au rosâtre à l’extrémité des branches. Massif karstique de Larra (Navarra) vers 1 700 m d’altitude. À la périphérie du gros sujet de Pinus x rhaetica (à gauche), quelques pins sylvestres adultes au milieu de pins à crochets d’âges divers

Loin de se cantonner aux massifs cristallins, comme le pensaient les auteurs pyrénéens au début du siècle dernier, on rencontre le Pin de Bouget sur tous les substrats dès que se mélangent Pin à crochets et Pin sylvestre. Ainsi en est-il au versant navarrais du massif karstique d’Anie, où quelques beaux spécimens de Pinus x rhaetica s’épanouissent à la base de la pineraie subalpine de Larra (photo 9).
Pour la détermination spécifique des adultes de Pins sauvages, la clé morphotypique de Remaury et Lefèvre (figure 4) demeure à ce jour l’outil le plus utile, malgré son biais qui surestime l’effectif assigné à Pinus x rhaetica aux dépens de Pinus uncinata. Rappelons en effet que dans la zone de contact entre pineraie sylvestre et pineraie oncinée, le taux d’hybridation introgressive ne paraît jamais excéder 10 %, toutes générations confondues !
Figure 4. Clé morphotypique des Pins sauvages pyrénéens. Cette clé facilite une distinction pratique entre Pin à crochets, Pin sylvestre, et formes de transition (CTFC et al., 2012. Clé reproduite avec l’aimable autorisation de l’ONF, d’après Remaury et Lefèvre, 1995)

Le Pin de Bouget, ou la solidarité génétique du Pin sylvestre et du Pin à crochets
On a montré ailleurs qu’en vertu de sa divergence d’avec la lignée des Pins de montagne européens qui remonte à près de 5 millions d’années (début Pliocène), le Pin sylvestre n’a vraisemblablement jamais interrompu ses échanges géniques interspécifiques, ces transferts jouant un rôle crucial dans la diversification de ces Pins (Cantegrel, 2019). Les flux de gènes réciproques se vérifient aux Pyrénées chez nos deux Pins sauvages (P. sylvestris et P. uncinata), espèces suffisamment proches pour ne pas ériger entre elles de barrières reproductives étanches
Concrètement, l’introgression des populations de Pinus sylvestris et de Pinus uncinata semble n’affecter qu’une faible proportion des descendances, au moins dans les Pyrénées centrales. En conséquence le risque d’assimilation génétique d’une de ces espèces par l’autre au gré de la succession des générations demeure quasi inexistant (Cantegrel, 2013). Cependant, les observations de terrain dévoilent généralement l’occurrence non négligeable de formes intermédiaires partout où Pin à crochets et Pin sylvestre coexistent en abondance
Remerciements
Grand merci pour leurs amicales contributions à Anne Gaultier, responsable du centre de documentation au Conservatoire botanique pyrénéen, et à Gérard Largier, ex-directeur du Conservatoire, ainsi qu’à Luis Villar Pérez, notre compagnon d’outre-Pyrénées. Je remercie tout particulièrement Roman Businský, dendrologue au Silva Tarouca Research Institute for Landscape and Ornamental Gardening (Průhonice, République Tchèque), pour l’illustration du lectotype de Pinus rhaetica (photo 8). Vifs remerciements enfin à François Lebourgeois, rédacteur en chef de la Revue forestière française pour sa relecture attentive du manuscrit.
Notes
- 1. Philippe Picot de Lapeyrouse (1744-1818) à qui Henri Gaussen (1891-1981) reproche d’avoir « tout fait pour rendre inextricable la connaissance des Pins aux Pyrénées ». Par ailleurs Édouard Timbal-Lagrave (1819-1888) écrit à tort avec Ernest Jeanbernat (1835-1888) que les pins de la Matte en Capcir « appartiennent tout simplement au P. uncinata RAM. » alors qu’il s’agit de pins sylvestres (in Gaussen 1927).
- 2. À noter qu’à l’instar de Gaussen, F. Flous (1933, op. cit.) n’ignorait pas les descriptions antérieures d’hybrides entre Pin sylvestre et Pin à crochets opérées en Suisse et en Europe centrale, ainsi P. rhaetica Brügg. [= P. sylvestris var. engadinensis x P. uncinata] en Engadine et P. digenea Beck [= P. uliginosa x P. sylvestris] en Tchécoslovaquie. Le choix par Gaussen du binôme Pinus Bougeti affichait sûrement la revendication de son origine pyrénéenne, ses ascendants locaux (autant P. sylvestris que P. uncinata) constituant des provenances (ou des "races", selon la terminologie de l’époque) singulières vis-à-vis de leurs homologues des Alpes ou de Bohème ! Par ailleurs, il n’y a pas lieu d’actualiser la graphie de l’épithète bougeti en bougetii par souci de conformité aux règles nomenclaturales en vigueur puisque le binôme est depuis longtemps rejeté : "P. x bougeti (Flous) Gaussen (1960) is not validly published. There is no indication of the basionym or reference to place and date of valid publication in Gaussen (1960)". (Christensen, 1987b).
- 3. Il semble donc qu’en début d’été le pollen récolté provenait majoritairement d’hybrides cryptiques, plus précoces et morphologiquement semblables à Pinus uncinata.
- 4. Hybridation introgressive ou introgression : incorporation de gènes d’une espèce dans le génome d’une autre espèce proche par hybridation interspécifique accompagnée de croisements en retour (i.e. croisement des hybrides avec les espèces parentales).
- 5. On peut en 1re approximation considérer Pinus mugo Turra comme le vicariant oriental de Pinus uncinata Ramond au sein du complexe des Pins de montagne.
- 6. Rappelons que la dénomination "Pins sauvages" englobe les espèces apparentées Pin sylvestre et Pins de montagne (Cantegrel, 2019), ces derniers réduits à Pinus uncinata dans leur répartition pyrénéenne
- 7. ADNcp à hérédité généralement paternelle chez les Pinaceae via le pollen.
- 8. Tissu de réserves, haploïde, provenant du gamétophyte ♀.
- 9. Le taux d’hybridation dépend en réalité du sens de croisement : 8 % pour P. mugo ♀ x P. sylvestris ♂ contre 11,5 % pour P. sylvestris ♀ x P. mugo ♂. Cette hybridation asymétrique se retrouve chez tous les Pins de montagne vivant en sympatrie avec le Pin sylvestre, notamment aux Pyrénées où Pinus uncinata demeure le principal donneur de pollen.
- 10. En France, il a fallu attendre la version 17 de TaxRef (janvier 2024) pour enfin reconnaître un statut spécifique à P. uncinata et P. mugo, taxons naguère considérés chez nous comme deux sous-espèces de Pinus mugo s. lat. !
- 11. Il s’agit de la population la plus méridionale de l’aire naturelle de Pinus uncinata, dont le sommet Peñarroya culmine à 2 028 mètres.
- 12. Il existe une autre population relictuelle de Pin à crochets, à la Sierra Cebollera (culminant à 2 086 m au Castillo de Vinuesa), sise dans la même Chaîne ibérique (sistema Ibérico), mais à son extrémité nord-ouest (limite des provinces de Soria, La Rioja, et Castilla y León). On y détecte aisément la nothoespèce Pinus rhaetica au contact de la pineraie sommitale de P. uncinata avec les vastes peuplements sous-jacents de P. sylvestris (Cantegrel, 1983).
- 13. José Borja Carbonell (1902-1993), pharmacien et botaniste espagnol.
- 14. Christian Georg Brügger (1833-1899), botaniste et naturaliste suisse.
- 15. Konrad Hermann Heinrich Christ (1833-1933), juriste et botaniste suisse.
- 16. Cônelet = inflorescence ♀ du Pin après pollinisation et lignification.
- 17. Certains auteurs tendent aujourd’hui à plutôt désigner la nothoespèce par Pinus x rhaetica (avec signe de multiplication devant l’épithète) lorsque l’hybridation reste active, et Pinus rhaetica quand le processus est ancien et qu’on a affaire à des hybrides cryptiques relictuels (Laguna Lumbreras et al, 2005), l’une des espèces parentales ayant disparu (e.g. P. uncinata dans le cas des montagnes ibériques de León et de Valencia).
- 18. Lectotype : spécimen (ou illustration) désigné par défaut comme type nomenclatural à partir du matériel original.
- 19. En effet, après avoir examiné l’ensemble des citations originelles de P. rhaetica, les auteurs considèrent que la seule publication complète et valide sous l’angle nomenclatural se rapporte à Brügger (1886), Jahresber. Naturforsch. Ges. Graubünden, ser. 2, 29 (1884-1885) : 173 (Businský & Kirschner, op. cit.). Ils se démarquent en cela de TaxRef qui s’en tient à Pinus x rhaetica Brügger, 1864.
- 20. C’est probablement le cas au massif des Arbailles où le naturaliste pyrénéen Jean Vivant (1923-2010) a pu confondre de jeunes pins sylvestres avec des pins à crochets: « Signalons encore, près du pic d'Ithe, quelques pieds du Pinus uncinata que nous avions autrefois confondu avec le Pinus silvestris, [...] » (Vivant, 1969) . J’ai parcouru en tous sens le célèbre massif karstique de la moyenne montagne basque, notamment le secteur d’Ithé, sans jamais y rencontrer le moindre pin à crochets !
- 21. L’isolement reproductif complet supposerait en effet une asynchronie florale, une absence d’interfécondité, une incompatibilité physiologique…
- 22. S’il faut bannir le binôme Pinus bougeti, il convient selon nous de réserver la locution "Pin de Bouget" à l’hybride pyrénéen. De leur côté, il semble qu’en Espagne de rares auteurs proposent aujourd’hui de distinguer l’hybride Pinus uncinata x P. sylvestris sous la dénomination vernaculaire "Pino moro", vis-à-vis de Pinus uncinata qui conserve le binôme castillan "Pino negro" (Ruiz de la Torre, 2006 ; in Martínez García et al, 2008).
- 23. Néanmoins, l’hybride demeure parfois présent même si Pinus sylvestris est rare dans le paysage. Ainsi, Philibert Guinier (1876-1962) remarque à ce propos une curiosité dendrologique du haut Jura : « … exceptionnellement, on peut rencontrer dans des tourbières jurassiennes des sujets hybrides entre Pin à crochets et Pin sylvestre qui ont été décrits sous le nom de Pinus rhaetica Bruegger [sic] (P. digenea Beck). De tels hybrides se rencontrent dans les Alpes et les Pyrénées, partout où les deux espèces sont en contact. » (Guinier, 1958).
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